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14/01/2020 | FRANCE | N°19BX03057

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 2ème chambre, 14 janvier 2020, 19BX03057


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... E... a demandé au tribunal administratif de Pau d'annuler les décisions du 21 janvier 2019 par lesquelles le préfet des Landes a refusé de lui délivrer un titre de séjour et lui a fait obligation de quitter le territoire français.

Par un jugement n° 1900479 du 7 mai 2019, le tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 9 août 2019, M. E..., représenté par Me B..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce

jugement ;

2°) d'annuler les décisions du préfet des Landes du 21 janvier 2019 portant refus

de tit...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... E... a demandé au tribunal administratif de Pau d'annuler les décisions du 21 janvier 2019 par lesquelles le préfet des Landes a refusé de lui délivrer un titre de séjour et lui a fait obligation de quitter le territoire français.

Par un jugement n° 1900479 du 7 mai 2019, le tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 9 août 2019, M. E..., représenté par Me B..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler les décisions du préfet des Landes du 21 janvier 2019 portant refus

de titre de séjour et obligation de quitter le territoire français ;

3°) d'enjoindre au préfet des Landes de lui délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale ", ou à titre subsidiaire de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour et de réexaminer sa situation ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement au profit de son conseil d'une somme

de 1 000 euros au titre des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridictionnelle.

Il soutient que :

En ce qui concerne le refus de titre de séjour :

- la commission du titre de séjour n'a pas été saisie, en méconnaissance des dispositions de l'article L. 312-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la décision est entachée d'incompétence ;

- la décision est insuffisamment motivée ;

- dès lors qu'il démontre le caractère exceptionnel de sa situation tenant à ce que l'administration l'a placé dans l'impossibilité de continuer à travailler et à subvenir aux besoins de sa fille, la décision est entachée d'erreur de fait ;

- il justifie avoir subvenu aux besoins de sa fille et s'être déplacé pour exercer son droit de visite, et il dispose d'une promesse d'embauche ; ainsi, la décision méconnaît les dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la décision de refus de titre de séjour est entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;

- eu égard aux pièces produites, il a droit à un titre de séjour en qualité de parent d'enfant français, ainsi qu'au titre du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de la " circulaire Valls " selon laquelle il convient de tenir compte de l'installation durable du demandeur sur le territoire français et de la scolarisation en cours d'au moins un enfant ;

En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :

- la décision est insuffisamment motivée ;

- elle est illégale du fait de l'illégalité de la décision de refus de titre de séjour ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Par un mémoire en défense enregistré le 22 novembre 2019, le préfet des Landes conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que :

- la requête de première instance présentée le 21 février 2019 était irrecevable pour tardiveté dès lors qu'elle a été enregistrée au-delà du délai de 48 heures fixé à l'article L. 512-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la requête en appel, qui se borne à reproduire celle de première instance, est insuffisamment motivée ;

- les moyens invoqués par M. E... ne sont pas fondés ; en particulier, les faibles " rapprochements d'ordre matériel de son enfant " ont été effectués dans le seul but d'obtenir le renouvellement de son titre de séjour, et il n'est pas justifié de considérations humanitaires ou de motifs exceptionnels permettant l'admission au séjour sur le fondement de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

M. E... a été admis à l'aide juridictionnelle totale par une décision du 28 novembre 2019.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme C...,

- et les observations de Me B..., représentant M. E....

Considérant ce qui suit :

1. M. E..., ressortissant camerounais né le 7 septembre 1981, a résidé une première fois en France, selon ses déclarations, à partir de juin 1996. Il est père d'une enfant de nationalité française née à Quimper le 14 avril 2004. Par un jugement du tribunal correctionnel de Meaux du 19 novembre 2003, il a fait l'objet d'une peine d'interdiction du territoire d'une durée de trois ans pour entrée ou séjour irrégulier d'un étranger en France, exécutée en 2006.

Le 18 mai 2013, M. E... est entré régulièrement en France et s'est vu délivrer une carte de séjour temporaire en qualité de parent d'enfant français, dont le troisième renouvellement lui a été refusé par une décision du préfet des Landes du 21 juin 2017, assortie d'une obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, au motif qu'il manifesterait peu d'intérêt pour son enfant. M. E... n'ayant pas attaqué cette décision dans le délai de recours contentieux, il a présenté une nouvelle demande en se prévalant de circonstances exceptionnelles au regard de sa situation familiale et de sa capacité d'insertion professionnelle. Par un arrêté du 21 janvier 2019, le préfet des Landes a refusé de lui accorder un titre de séjour sur le fondement des dispositions du 6° de l'article L. 313-11 et de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de renvoi et lui a interdit le retour sur le territoire français pour une durée de deux ans. M. E..., qui a seulement attaqué les décisions

portant refus de titre de séjour et obligation de quitter le territoire français, relève appel du jugement du 7 mai 2019 par lequel le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande.

Sur la recevabilité de la requête d'appel :

2. Contrairement à ce que soutient le préfet des Landes, M. E... ne se borne pas, dans sa requête d'appel, à reproduire ses écritures de première instance, mais conteste les motifs retenus par le jugement en apportant des précisions sur sa situation de fait, dont il estime qu'elle a été inexactement appréciée par les premiers juges. Ainsi, la requête d'appel est suffisamment motivée.

Sur la recevabilité de la demande de première instance :

3. D'une part, aux termes du II de l'article L. 512-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire sans délai peut, dans les quarante-huit heures suivant sa notification par voie administrative, demander au président du tribunal administratif l'annulation de cette décision, ainsi que l'annulation de la décision relative au séjour, de la décision refusant un délai de départ volontaire, de la décision mentionnant le pays de destination et de la décision d'interdiction de retour sur le territoire français ou d'interdiction de circulation sur le territoire français qui l'accompagnent le cas échéant. / (...). ". Aux termes du II de l'article R. 776-2 du code de justice administrative : " Conformément aux dispositions du II de l'article L. 512-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la notification par voie administrative d'une obligation de quitter sans délai le territoire français fait courir un délai de quarante-huit heures pour contester cette obligation et les décisions relatives au séjour, à la suppression du délai de départ volontaire, au pays de renvoi et à l'interdiction de retour ou à l'interdiction de circulation notifiées simultanément. / (...)". Il ressort de la combinaison de ces dispositions que seule une notification par voie administrative d'une obligation de quitter le territoire français sans délai fait courir à l'égard de l'intéressé le délai de recours contentieux de quarante-huit heures pour contester cette décision, ainsi que celles portant refus de titre de séjour, fixant le pays de renvoi et interdisant le retour sur le territoire français notifiées simultanément.

4. D'autre part, aux termes de l'article R. 421-5 du code de justice

administrative : " Les délais de recours contre une décision administrative ne sont opposables qu'à la condition d'avoir été mentionnés ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision ".

5. Enfin, le principe de sécurité juridique, qui implique que ne puissent être remises en cause sans condition de délai des situations consolidées par l'effet du temps, fait obstacle à ce que puisse être contestée indéfiniment une décision administrative individuelle qui a été notifiée à son destinataire, ou dont il est établi, à défaut d'une telle notification, que celui-ci a eu connaissance. En une telle hypothèse, si le non-respect de l'obligation d'informer l'intéressé sur les voies et les délais de recours, ou l'absence de preuve qu'une telle information a bien été fournie, ne permet pas que lui soient opposés les délais de recours fixés par le code de justice administrative, le destinataire de la décision ne peut exercer de recours juridictionnel au-delà d'un délai raisonnable. En règle générale et sauf circonstances particulières dont se prévaudrait le requérant, ce délai ne saurait, sous réserve de l'exercice de recours administratifs pour lesquels les textes prévoient des délais particuliers, excéder un an à compter de la date à laquelle une décision expresse lui a été notifiée ou de la date à laquelle il est établi qu'il en a eu connaissance.

6. Il ressort des pièces du dossier que l'arrêté du préfet des Landes du 21 janvier 2019, accompagné au demeurant d'une mention des voies et délais de recours rédigée de façon ambiguë, a été notifié le 25 janvier 2019 à M. E... par voie postale, et non par voie administrative comme le prévoient les dispositions rappelées au point 3. Ainsi, le délai de quarante-huit heures pour contester le refus de titre de séjour et l'obligation de quitter le territoire français ne lui était pas opposable. La demande d'annulation de ces décisions a été enregistrée au greffe du tribunal administratif de Toulouse le 21 février 2019, soit dans un délai raisonnable. Par suite, le préfet des Landes n'est pas fondé à invoquer l'irrecevabilité de la demande de première instance.

Sur la légalité de la décision de refus de titre de séjour et de l'obligation de quitter le territoire français :

7. M. E... justifie avoir adressé régulièrement des mandats à la mère de sa fille de 2008 à 2013, alors qu'il résidait au Cameroun, et avoir poursuivi sa contribution financière après son retour en France, à hauteur de sommes conséquentes au regard des revenus que lui procuraient ses contrats d'ouvrier saisonnier entrecoupés de périodes de chômage, le dernier virement, d'un montant de 300 euros, étant intervenu le 2 novembre 2017, alors qu'il avait perdu son droit au travail depuis la notification de la décision de refus de titre de séjour

du 21 juin 2017. M. E... justifie également s'être déplacé à plusieurs reprises

de Mont-de-Marsan à Quimper où réside sa fille, notamment en décembre 2016, mars 2017 et novembre 2017. Ses allégations selon lesquelles ses relations avec la mère de sa fille se sont dégradées lorsqu'il a cessé, faute de revenus, de contribuer à l'entretien de la jeune fille, de sorte qu'il n'a plus été en mesure d'exercer son droit de visite à partir de la fin de l'année 2017,

sont corroborées par le fait qu'il a mandaté un avocat pour l'assister dans le cadre d'une procédure devant le juge aux affaires familiales de Quimper, à laquelle il a dû renoncer en raison de son impécuniosité, sa situation irrégulière faisant obstacle à ce qu'il puisse bénéficier de l'aide juridictionnelle dans une telle procédure. Contrairement à ce que soutient le préfet des Landes, les contributions matérielles de M. E... s'inscrivent dans la durée et révèlent la sincérité de son intérêt pour sa fille de nationalité française, avec laquelle les relations se sont interrompues en raison du non-renouvellement de son titre de séjour. Par suite, et sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête, M. E... est fondé à soutenir que le refus de titre de séjour du 21 janvier 2019 est entaché d'erreur manifeste d'appréciation et doit, pour ce motif, être annulé. Par voie de conséquence, l'obligation de quitter le territoire français prise sur son fondement doit être également annulée.

8. Il résulte de ce qui précède que M. E... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal a rejeté sa demande.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

9. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. / (...). ". Eu égard au motif d'annulation retenu, il y a lieu d'enjoindre au préfet des Landes de délivrer à M. E... une carte

de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " dans le délai de trois mois

à compter de la notification du présent arrêt.

Sur les frais exposés à l'occasion du litige :

10. M. E... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite,

son conseil peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros à verser à Me B... sous réserve de son renoncement à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Toulouse n° 1900479 du 7 mai 2019

et les décisions du 21 janvier 2019 par lesquelles le préfet des Landes a refusé de délivrer un titre de séjour à M. E... et lui a fait obligation de quitter le territoire français sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au préfet des Landes de délivrer à M. E... une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " dans le délai de trois mois à compter

de la notification du présent arrêt.

Article 3 : L'Etat versera à Me B... une somme de 1 000 euros au titre des dispositions

de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve de son renoncement à percevoir la somme correspondant à la part contributive

de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... E..., au ministre de l'intérieur

et au préfet des Landes.

Délibéré après l'audience du 17 décembre 2019 à laquelle siégeaient :

Mme Catherine Girault, président,

Mme A... C..., présidente-assesseure,

Mme Marie-Pierre Beuve-Dupuy, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 14 janvier 2020.

La rapporteure,

Anne C...

Le président,

Catherine GiraultLa greffière,

Vanessa Beuzelin

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 19BX03057


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 19BX03057
Date de la décision : 14/01/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : Mme GIRAULT
Rapporteur ?: Mme anne MEYER
Rapporteur public ?: Mme CHAUVIN
Avocat(s) : MIRA KATY

Origine de la décision
Date de l'import : 28/01/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2020-01-14;19bx03057 ?
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