Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme F... B... C... a demandé au tribunal administratif de Toulouse de condamner l'Etat à lui verser la somme de 85 984,46 euros, assortie des intérêts légaux, en réparation des préjudices subis du fait de l'illégalité fautive des décisions du 28 octobre 2011 par lesquelles le préfet de la Haute-Garonne lui a retiré sa carte de résident, lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et l'a placée en rétention administrative ainsi que du retard avec lequel ledit préfet a exécuté l'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux du 16 décembre 2011.
Par un jugement n° 1704912 du 11 octobre 2019, le tribunal administratif de Toulouse a condamné l'Etat à verser à Mme B... C... la somme de 4 099 euros en réparation des préjudices subis.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 12 décembre 2019, Mme F... B... C..., représentée par Me A..., demande à la cour :
1°) de réformer ce jugement du tribunal administratif de Toulouse du 11 octobre 2019 en ce qu'il a limité son préjudice indemnisable à la somme de 4 099 euros ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme totale de 85 984,46 euros en réparation des préjudices matériel et moral subis, assortie des intérêts au taux légal ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 800 euros à lui verser en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les décisions du préfet de la Haute-Garonne du 28 octobre 2011 portant retrait de sa carte de résident, obligation de quitter le territoire français et placement en rétention administrative sont entachées d'illégalités fautives de nature à engager la responsabilité de l'Etat ;
- elle a subi un préjudice économique, résultant de la perte de chance de percevoir les salaires afférents à son emploi d'agent des services hospitaliers, qui peut être évalué, sur la base du salaire minimum augmenté des cotisations sociales au titre des années 2012 à 2014, à la somme de 52 740 euros ;
- elle a subi un préjudice financier, résultant du paiement des loyers d'un appartement à Toulouse jusqu'au mois de juillet 2013, qui est égal à la somme de 5 744,46 euros ;
- elle a subi un préjudice financier, résultant des frais exposés en vue d'un retour en France après son éloignement forcé le 22 novembre 2011, qui peut être évalué à la somme de 1 500 euros ;
- elle a subi un préjudice lié à des troubles dans ses conditions d'existence qui peut être évalué à la somme de 20 000 euros ;
- elle a subi un préjudice moral, résultant de son interpellation à son domicile, de son placement en rétention pendant 26 jours et de son éloignement forcé, qui peut être évalué à la somme de 6 000 euros.
Par un mémoire en défense enregistré le 14 janvier 2020, le préfet de la Haute-Garonne conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés par l'appelante ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 14 janvier 2020, la clôture d'instruction a été en dernier lieu fixée au 14 février 2020 à midi.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme E... D... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B... C..., ressortissante camerounaise, s'est vue octroyer le 31 octobre 2006 une carte de résident en qualité de conjointe de réfugié, valable du 21 février 2006 au 21 février 2016. Par deux arrêtés du 28 octobre 2011, le préfet de la Haute-Garonne, d'une part, a retiré cette carte de résident, a fait obligation à Mme B... C... de quitter le territoire français sans délai et a fixé le pays de destination, d'autre part, l'a placée en rétention administrative. Par un jugement du 3 novembre 2011, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Toulouse a rejeté les recours de Mme B... C... dirigés contre ces arrêtés. La requérante a été éloignée à destination du Cameroun le 22 novembre 2011. Par un arrêt du 16 décembre 2011, la cour administrative d'appel de Bordeaux a annulé le jugement du tribunal administratif de Toulouse ainsi que l'arrêté du 28 octobre 2011 portant retrait de la carte de résident, obligation de quitter le territoire français sans délai et fixation du pays de destination, en se fondant sur le caractère erroné du motif de fraude à l'origine du retrait. Par un arrêté du 21 janvier 2013, le préfet de la Haute-Garonne a de nouveau retiré la carte de résident de Mme B... C..., lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai d'un mois et a fixé le pays de destination. Par un arrêt du 13 janvier 2014, la cour administrative d'appel de Bordeaux, statuant sur une demande d'exécution de l'arrêt du 16 décembre 2011, a jugé que l'arrêté du 21 janvier 2013, qui ne pouvait être regardé comme ayant été régulièrement notifié à l'intéressée, n'était pas devenu exécutoire, et a enjoint au préfet de restituer à Mme B... C..., dans le délai d'un mois, la carte de résident valable jusqu'au 21 février 2016 dont elle était titulaire. Mme B... C... a formé, par courrier du 2 novembre 2016 reçu en préfecture le 7 novembre 2016, une demande préalable d'indemnisation, à laquelle le préfet de la Haute-Garonne n'a pas répondu, faisant ainsi naître une décision implicite de rejet. Par un jugement du 11 octobre 2019, le tribunal administratif de Toulouse a condamné l'Etat à verser à Mme B... C... la somme de 4 099 euros en réparation des préjudices subis du fait de l'illégalité fautive des arrêtés du 28 octobre 2011 et du retard avec lequel le préfet a exécuté l'arrêt du 16 décembre 2011. Mme B... C... demande la réformation de ce jugement en ce qu'il a limité son préjudice indemnisable à la somme de 4 099 euros ainsi que la condamnation de l'Etat à lui verser la somme totale de 85 984,46 euros en réparation des préjudices matériel et moral subis, assortie des intérêts au taux légal.
Sur les conclusions indemnitaires :
En ce qui concerne le principe de responsabilité :
2. D'une part, les arrêtés du préfet de la Haute-Garonne du 28 octobre 2011 ont été annulés par un arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux du 16 décembre 2011 passé en force de chose jugée. L'illégalité dont ces arrêtés étaient entachés constitue une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat.
3. D'autre part, il ressort des pièces du dossier que la carte de résident illégalement retirée n'a été restituée à Mme B... C..., sans précision quant à la date exacte de restitution, qu'entre les mois d'octobre 2014 et janvier 2015, soit au moins trois ans et dix mois après l'annulation de la décision de retrait de cette carte par la cour administrative d'appel de Bordeaux, et au moins neuf mois après que la cour a enjoint au préfet de la Haute-Garonne d'effectuer cette restitution dans le délai d'un mois. Le retard avec lequel le préfet a exécuté l'arrêt du 16 décembre 2011 constitue une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat.
4. Dès lors, ainsi que l'ont estimé à bon droit les premiers juges, Mme B... C... est en droit d'obtenir réparation des préjudices directs et certains qui ont pu résulter de ces fautes.
En ce qui concerne la réparation :
S'agissant du préjudice économique :
5. Mme B... C... soutient que les fautes commises par le préfet de la Haute-Garonne l'ont privée, pendant le temps où elle a été illégalement maintenue hors de France soit entre les mois de novembre 2011 et janvier 2015, de ressources équivalant aux salaires nets qu'elle aurait dû percevoir en qualité d'agent des services hospitaliers. Toutefois, en se bornant à produire, tant devant les premiers juges qu'en appel, des avis d'impôt sur les revenus des années 2008, 2009 et 2010, Mme B... C... n'établit pas avoir été privée d'une chance sérieuse d'occuper un emploi rémunéré d'agent des services hospitaliers dont elle affirme avoir été titulaire entre 2008 et 2010 en se prévalant seulement de la déclaration qu'elle a elle-même faite lors d'une demande de regroupement familial déposée le 7 septembre 2009. La circonstance qu'elle a été employée en 2015 par l'hôpital Joseph Ducuing dans le cadre d'un contrat d'accompagnement dans l'emploi à durée déterminée et à temps partiel ne permet pas davantage de l'établir. Dans ces conditions, comme l'ont à juste titre estimé les premiers juges, Mme B... C... n'est pas fondée à obtenir une quelconque indemnisation au titre de ce chef de préjudice.
S'agissant des préjudices financiers :
6. En premier lieu, si l'appelante demande l'indemnisation des frais qu'elle a exposés entre le 22 novembre 2011 et le mois de juillet 2013 pour payer le loyer d'un appartement à Toulouse, un tel préjudice ne résulte pas des fautes commises par le préfet de la Haute-Garonne dès lors que le paiement par Mme B... C... du loyer d'un appartement qu'elle n'occupait plus ne résulte que de son choix personnel. Le rejet de ce chef de préjudice par le tribunal administratif doit donc être confirmé.
7. En second lieu, Mme B... C... demande l'indemnisation des frais relatifs à son retour sur le territoire français. Toutefois, elle n'apporte aucun élément de nature à établir les frais qu'elle a assumés, notamment pour son billet d'avion, à l'exception des frais de visa de 99 euros pour lesquels elle a produit devant les premiers juges une quittance du 13 janvier 2012.
8. Par suite, en condamnant l'Etat à lui verser la somme de 99 euros, les premiers juges ont procédé à une évaluation qu'il y a lieu de confirmer des préjudices financiers subis par Mme B... C....
S'agissant du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence :
9. Mme B... C... sollicite l'indemnisation du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence subis à raison de la période où elle s'est trouvée maintenue hors de France soit entre les mois de novembre 2011 et janvier 2015 ainsi que du préjudice moral résultant de sa rétention administrative pendant vingt-six jours et de son éloignement forcé.
10. Il ressort des pièces du dossier que, dès lors que Mme B... C... n'avait pas fait connaître ses coordonnées aux services de l'Etat, le préfet de la Haute-Garonne a été, malgré ses diligences, dans l'impossibilité de restituer à l'intéressée une carte de résident après que la cour administrative d'appel de Bordeaux lui a enjoint de procéder à cette restitution par un arrêt du 13janvier 2014. Dans ces conditions, la période de maintien indu hors de France imputable à l'administration n'excède pas deux ans et deux mois.
11. Mme B... C... ne faisant par ailleurs valoir aucune circonstance particulière afférente aux préjudices subis, il n'y a pas lieu de faire droit à ses prétentions au-delà de la somme de 4 000 euros qui lui a été allouée par les premiers juges.
12. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... C... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont limité à 4 099 euros l'indemnisation des préjudices causés par l'illégalité fautive des arrêtés du 28 octobre 2011 et le retard avec lequel le préfet a exécuté l'arrêt du 16 décembre 2011 et n'est donc pas fondée à demander la réformation du jugement attaqué. Par suite, les conclusions présentées au titre des frais liés au litige ne peuvent qu'être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : La requête de Mme B... C... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... C... et au ministre de l'intérieur. Copie en sera adressée au préfet de la Haute-Garonne.
Délibéré après l'audience du 24 février 2020, à laquelle siégeaient :
M. Pierre Larroumec, président,
Mme E... D..., présidente-assesseure,
Mme Florence Rey-Gabriac, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 11 mai 2020.
Le président,
Pierre Larroumec
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
N° 19BX04660 2