Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme H... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler la décision du 5 mai 2015 par laquelle l'inspecteur du travail a autorisé la société ETE Réseaux à la licencier pour faute, ensemble le rejet implicite de son recours hiérarchique présenté le 8 juillet 2015 au ministre du travail.
Par un jugement n° 1600029 du 8 février 2018, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté la demande de Mme H....
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 4 avril 2018, et un mémoire en réplique, enregistré le 26 juin 2019, Mme H..., représentée par Me E..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 8 février 2018 ;
2°) d'annuler la décision de l'inspecteur du travail du 5 mai 2015 autorisant son licenciement, ainsi que la décision implicite du ministre en charge du travail ayant rejeté son recours hiérarchique ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- en l'absence de fait nouveau, l'employeur ne pouvait demander une nouvelle fois l'autorisation de la licencier, l'inspecteur ayant déjà statué sur sa demande et ce, d'autant plus que la société avait connaissance des faits dès la première demande ;
- la demande d'autorisation est entachée d'illégalité dès lors qu'elle n'a pas été présentée par l'employeur lui-même, mais par une personne qui a signé " pour ordre " du gérant, mais qu'il est impossible d'identifier ;
- les faits fautifs étaient prescrits, conformément à l'article L. 1332-4 du code du travail, s'agissant de la seconde procédure ;
- les faits retenus à son encontre ne sont pas fautifs ; quatre ans après, le dépôt de plainte de la société n'a toujours pas eu de suites ; à supposer même qu'ils soient constitutifs d'une faute, ils ne revêtaient pas un caractère de gravité justifiant son licenciement ; en tout état de cause, le doute doit profiter au salarié ; l'inspecteur du travail n'a d'ailleurs même pas retenu le grief tiré de commandes injustifiées auprès de la société MTC ; elle n'a de toutes façons tiré aucun avantage personnel des faits qui lui sont reprochés ;
- il y a un lien très clair entre son licenciement et ses mandats représentatifs ; par exemple, le dépôt de sa candidature au comité d'entreprise et à la délégation du personnel a été effectué le 19 mars 2015 et elle a été convoquée le même jour à un entretien préalable à la seconde procédure ; elle a subi à plusieurs reprises des entraves à l'exercice de ses fonctions représentatives.
Par un mémoire en défense, enregistré le 18 février 2019, le ministre du travail conclut au rejet de la requête.
Elle fait valoir que les moyens soulevés par Mme H... ne sont pas fondés.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 18 juin et 22 juillet 2019, la société ETE Réseaux, représentée par Me B..., conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de Mme H... la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- les moyens tirés de ce que l'employeur ne pouvait engager une seconde procédure et de l'incompétence du signataire de la demande d'autorisation, sont des moyens de légalité externe, soulevés pour la première fois en appel, qui ne sont donc pas recevables de ce fait ;
- par ailleurs, les moyens soulevés par Mme H... ne sont pas fondés.
Par une ordonnance en date du 26 juin 2019, la clôture de l'instruction a été reportée au 26 juillet 2019.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme I...,
- les conclusions de M. Axel Basset, rapporteur public,
- et els observations de Me F..., représentant Mme H... et de Me C..., représentant la société ETE Réseaux.
Considérant ce qui suit :
1. Mme H... a été recrutée en mai 2008 par la société ETE Réseaux, qui a pour activité la construction de réseaux électriques et de télécommunications, d'abord en qualité d'assistante au service achats, avant de devenir " technicienne achats ", poste au titre duquel elle était amenée à négocier et signer des " contrats cadres " annuels avec les différents fournisseurs et à passer des commandes auprès de ces derniers. Elle était également membre suppléant du comité d'entreprise, représentante syndicale et candidate aux élections du comité d'entreprise et des délégués du personnel. L'employeur, lui reprochant d'avoir abusé de ses fonctions pour obtenir, ou tenter d'obtenir, des avantages personnels, sous la forme de cadeaux ou de remises, de la part des fournisseurs qu'elle privilégiait, a, le 2 février, sollicité l'autorisation de la licencier pour faute. Par décision du 16 mars 2015, l'inspecteur du travail a refusé d'accorder l'autorisation sollicitée, en raison de l'insuffisance de motivation de la demande. Le 1er avril 2015, la société ETE a renouvelé sa demande de licenciement pour motif disciplinaire, à laquelle l'inspecteur du travail a cette fois, par décision du 5 mai 2015, donné une réponse favorable. Le 3 juillet 2015, Mme H... a formé un recours hiérarchique contre cette décision, recours qui a été implicitement rejeté par le ministre en charge du travail. La salariée fait appel du jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 8 février 2018, qui a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision de l'inspecteur du travail du 5 mai 2015 et de la décision implicite de rejet de son recours hiérarchique auprès du ministre.
Sur les conclusions aux fins d'annulation :
Sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête :
2. Si l'administration, saisie d'une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé, doit vérifier que cette demande est présentée par l'employeur de ce salarié ou par une personne ayant qualité pour agir en son nom, il n'appartient pas au juge de l'excès de pouvoir de soulever d'office le moyen tiré de ce qu'une telle condition de la légalité de l'autorisation délivrée ne serait pas remplie.
3. En l'espèce, Mme H... a soulevé pour la première fois en appel le moyen tiré de ce qu'il n'est pas établi que ce soit l'employeur ou son représentant qui a signé la demande d'autorisation de licenciement en date du 1er avril 2015.
4. Contrairement à ce que fait valoir en défense la société ETE Réseaux, ce moyen ne se rattache pas à la légalité externe de la décision de l'inspecteur du travail, dès lors que l'irrégularité soulevée se rapporte à la procédure préalable à la procédure administrative, à savoir à la procédure suivie au sein de l'entreprise. Par suite, il relève de la légalité interne de la décision administrative contestée. Dans ces conditions, ce moyen nouvellement invoqué en appel ne se rattachant pas à une cause juridique distincte des moyens déjà soulevés en première instance, il est recevable.
5. Il ressort de la demande d'autorisation de licencier Mme H... datée du 1er avril 2015 que celle-ci porte, in fine, la mention du nom et prénom du directeur de la société, M. D... A..., en-dessous duquel figure la mention " p/o ", soit " pour ordre ", suivie d'une signature dont les autres pièces du dossier permettent d'établir que ce n'est pas celle de M. A..., sans que soient mentionnées l'identité et la qualité de ce signataire. Dans ces conditions, et pour ce seul motif, l'inspecteur du travail ne pouvait légalement autoriser le licenciement, et le ministre en charge du travail, qui était tenu de prendre sa décision en fonction des éléments de fait et de droit prévalant à la date de la décision de l'inspecteur, et dont la décision est confirmative de celle de l'inspecteur mais qui ne s'y substitue pas, ne pouvait non plus autoriser le licenciement.
6. Il résulte de tout ce qui précède que Mme H... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.
Sur les conclusions au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1500 euros que demande Mme H... sur ce fondement. En revanche, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de cette dernière la somme que demande la société ETE Réseaux sur le même fondement.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1600029 du 8 février 2018 du tribunal administratif de Bordeaux est annulé.
Article 2 : Les décisions de l'inspecteur du travail en date du 5 mai 2015 et du ministre en charge du travail ayant rejeté le recours hiérarchique formé par Mme H... le 8 juillet 2015, sont annulées.
Article 3 : L'Etat versera à Mme H... la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions de la société ETE Réseaux présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme G... H..., au ministre du travail et à la société ETE Réseaux.
Délibéré après l'audience du 11 mai 2020 à laquelle siégeaient :
M. Pierre Larroumec, président,
Mme Karine Butéri, président-assesseur,
Mme I..., premier conseiller.
Lu en audience publique, le 8 juin 2020.
Le président,
Pierre Larroumec
La République mande et ordonne au ministre du travail, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
N° 18BX01352 2