Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... D... a demandé au tribunal administratif de la Martinique de condamner le centre hospitalier universitaire de Martinique (CHUM) à lui verser une indemnité d'un montant total de 128 500 euros au titre du harcèlement moral dont il estime avoir été victime du fait du refus des médecins anesthésistes de l'établissement d'endormir ses patients et de l'inaction de la direction de l'établissement.
Par un jugement n° 1700419 du 6 mars 2018, le tribunal administratif de la Martinique a condamné cet établissement à lui verser une indemnité de 5 000 euros.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 15 juin 2018, M. D..., représenté par Me E..., demande à la cour :
1°) de réformer ce jugement en tant qu'il ne retient pas de harcèlement moral et n'indemnise que partiellement ses préjudices ;
2°) de condamner le CHUM à lui verser une indemnité d'un montant total de 110 213,66 euros ;
3°) de mettre à la charge du CHUM une somme de 3 000 euros au titre de
l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- les faits de harcèlement moral sont caractérisés par le comportement des anesthésistes, l'absence de toute mesure du directeur de l'établissement pour donner un fondement légal à leurs agissements ou y mettre fin, sa radiation du collège B des électeurs de la commission médicale de l'établissement, l'inexécution de la décision de justice enjoignant l'organisation d'une expertise, le refus de lui accorder la protection fonctionnelle et l'intention délibérée ainsi manifestée de n'envisager aucune mesure pour le protéger des attaques dont il faisait l'objet ;
- dès lors qu'il a été empêché d'opérer ses patients d'avril 2015 à novembre 2016, c'est à tort que le tribunal a estimé qu'il ne démontrait pas l'existence d'agissements répétés caractérisant un harcèlement moral, dont il justifie qu'ils ont altéré sa santé physique et mentale ;
- il a été privé durant 19 mois de la rémunération des astreintes opératoires à hauteur d'un montant moyen de 537 euros par mois, soit un préjudice de 10 213,66 euros ;
- il sollicite en outre les sommes de 50 000 euros au titre du préjudice moral lié à l'impossibilité d'opérer et de 50 000 euros au titre du harcèlement moral.
Par lettre du 23 janvier 2019, le CHUM a été mis en demeure de produire un mémoire en défense dans le délai d'un mois.
Par ordonnance du 28 août 2019, la clôture d'instruction a été fixée au 2 octobre 2019.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- la loi n° 86-3 du 9 janvier 1986 ;
- le code de justice administrative et l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme C...,
- et les conclusions de Mme Chauvin, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Par lettre du 24 avril 2015, les anesthésistes du centre hospitalier universitaire
de Martinique (CHUM) ont fait part au président de la commission médicale d'établissement (CME), avec copie au directeur de l'établissement et au chef du pôle réanimation anesthésie SAMU-SMUR urgences (RASSUR), de leur décision, prise à l'unanimité " suite à un énième incident survenu au cours d'une intervention avec le docteur D... ", de ne plus anesthésier
les patients de ce praticien hospitalier, chirurgien orthopédiste, en demandant au président
de la CME " de prendre toutes les dispositions nécessaires afin que la sécurité du patient,
dont vous êtes le garant dans notre établissement, ne soit pas engagée ". M. D..., informé
de cette décision le 13 mai 2015 par un médecin anesthésiste alors qu'il se rendait au bloc opératoire pour une intervention, s'est trouvé dans l'impossibilité d'opérer ses patients à partir de cette date. Par lettre du 6 juillet 2015, il a demandé au directeur du CHUM de diligenter une expertise sur sa pratique et de lui indiquer les moyens qu'il comptait utiliser pour qu'il puisse retrouver un fonctionnement normal et recommencer à opérer. Faute de réponse et en l'absence d'évolution de la situation à son retour de congé bonifié, il a réitéré cette demande par lettre
du 21 septembre 2015. Par une ordonnance du 10 juin 2016, le juge des référés du tribunal administratif de la Martinique a suspendu l'exécution de la décision implicite de rejet du directeur du CHUM, auquel il a enjoint de réexaminer la demande dans un délai de quinze jours. M. D... a cependant été admis à la retraite pour limite d'âge le 26 novembre 2016 sans avoir pu reprendre son activité normale de chirurgien. Après avoir saisi le CHUM d'une réclamation préalable par lettre du 17 janvier 2017, il a demandé au tribunal administratif de la Martinique de condamner cet établissement à l'indemniser de ses préjudices en lien avec le harcèlement moral qu'il estimait avoir subi. Il relève appel du jugement du 6 mars 2018 par lequel le tribunal
a retenu une carence fautive du CHUM à diligenter une expertise, condamné cet établissement à lui verser une indemnité de 5 000 euros en réparation de son préjudice moral, et rejeté le surplus de sa demande.
Sur la responsabilité :
2. Il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile.
3. Les pièces produites en première instance établissent que le directeur du CHUM, après avoir saisi l'agence régionale de santé en vue de l'organisation de l'inspection sollicitée par M. D..., n'a pas transmis en temps utile le dossier qui lui était demandé par lettre
du 13 octobre 2015, et n'a engagé une nouvelle procédure, en exécution de l'injonction prononcée par le juge des référés, qu'en juillet 2016, alors que la proximité du départ en retraite de l'intéressé rendait illusoire toute perspective de reprise normale de son activité. Cette inaction lui a été recommandée par une lettre du président de la CME du 10 novembre 2015, indiquant que " quelle que soit la matérialité des faits reprochés au docteur D... ", il ne semblait " pas utile pour l'avenir " d'engager une enquête administrative, mais qu'il convenait plutôt d'attendre que l'intéressé fasse valoir ses droits à la retraite, et de " concentrer les efforts sur sa succession comme chef de service ". M. D... s'est ainsi trouvé placé durant dix-huit mois dans une situation de fait correspondant à la suspension du droit d'exercer d'un chirurgien qui exposerait ses patients à un danger grave, prévue à l'article L. 4113-14 du code de la santé publique, sans être mis en mesure de faire établir l'existence ou non d'un tel danger. Si l'administration a commis une faute en s'abstenant délibérément de prendre les mesures, notamment d'expertise, permettant de mettre fin à cette situation irrégulière, la dégradation des conditions de travail de M. D... causée par cette abstention ne caractérise pas des agissements répétés relevant de la qualification de harcèlement moral.
4. M. D... invoque également son éviction du collège B des responsables de structures internes pour l'élection des membres de la CME en novembre 2015. Toutefois, celle-ci n'est que la conséquence de la caducité de ses nominations en qualité de chef de service pour une durée de cinq ans à compter du 1er janvier 2010, et en qualité de chef du pôle chirurgie pour une durée de quatre ans à compter du 7 avril 2011, dont le renouvellement n'était pas de droit. Enfin, il ne ressort pas des pièces du dossier que le CHUM aurait refusé d'accorder la protection fonctionnelle à M. D... pour le protéger d'attaques dont, au demeurant, la matérialité n'est pas établie en l'absence de toute preuve que ses compétences professionnelles auraient été mises en cause en termes plus précis que ceux de la lettre des anesthésistes citée au point 1, dont il n'est pas contesté qu'elle n'a été portée à la connaissance que des seules instances de direction de l'établissement hospitalier.
5. Il résulte de ce qui a été dit aux points 3 et 4 que c'est à bon droit que le tribunal a fondé l'indemnité accordée non sur le harcèlement moral, mais seulement sur la faute du CHUM caractérisée au point 3, laquelle engage la responsabilité de l'établissement.
Sur les préjudices :
6. L'impossibilité de réaliser des interventions chirurgicales dans laquelle M. D... a été irrégulièrement placé lui a fait perdre sa participation aux astreintes opératoires dont il justifie pour la première fois devant la cour, par la production de ses bulletins de paie des mois d'octobre 2013 à janvier 2015, qu'elle complétait sa rémunération statutaire à des montants variables. Eu égard à la moyenne mensuelle de ce complément de rémunération qu'il avait une chance sérieuse de percevoir, et déduction faite de deux mois de congé bonifié à l'été 2015, il y a lieu de fixer sa perte de revenus nets à la somme de 9 129 euros.
7. Les premiers juges n'ont pas fait une inexacte appréciation du préjudice moral de M. D..., résultant de la faute du CHUM et de ses répercussions personnelles et professionnelles, en fixant son indemnisation à la somme de 5 000 euros.
8. Il résulte de ce qui précède que la somme que le CHUM a été condamné à verser à M. D... doit être portée à 14 129 euros.
Sur les frais exposés par les parties à l'occasion du litige :
9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du CHUM une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : La somme que le centre hospitalier universitaire de Martinique a été condamné à verser à M. D... est portée à 14 129 euros.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de la Martinique n° 1700419 du 6 mars 2018 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : Le centre hospitalier universitaire de Martinique versera à M. D... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... D... et au centre hospitalier universitaire de Martinique.
Délibéré après l'audience du 23 juin 2020 à laquelle siégeaient :
Mme Catherine Girault, président,
Mme B... C..., présidente-assesseure,
Mme Marie-Pierre Beuve-Dupuy, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 7 juillet 2020.
Le président de la 2ème chambre,
Catherine Girault
La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 18BX02373