Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme C... D... a demandé au tribunal administratif de la Guadeloupe de condamner la commune de Capesterre-Belle-Eau à lui verser la somme de 331 232,40 euros avec intérêts légaux à compter du 4 octobre 2016, en réparation de son préjudice lié au retard mis par la commune à finaliser la cession d'un terrain et à lui délivrer le titre de propriété correspondant.
Par un jugement n° 1700078 du 27 septembre 2018, le tribunal administratif de la Guadeloupe a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 29 novembre 2018, et un mémoire enregistré le 20 juin 2019, Mme D..., représentée par Me A..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de la Guadeloupe du 27 septembre 2018 ;
2°) de faire droit à ses conclusions indemnitaires de première instance ;
3°) de mettre à la charge de la commune de Capesterre-Belle-Eau le versement d'une somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- son action en réparation, qui a été précédée d'une demande préalable restée sans réponse, est recevable ;
- le fait que sa mère ait été occupante du bien concerné est sans incidence sur la recevabilité de son action dès lors que c'est bien elle qui a demandé et obtenu le permis de construire pour y édifier une maison d'habitation ; la commune n'a jamais nié son droit sur la parcelle ; si la SCI Miramar a pu apparaître comme le vendeur du bien de Capesterre-Belle-Eau, il s'agit d'une erreur sans incidence sur le droit de propriété ; la SCI Miramar est une société transparente et elle doit assumer, en tant qu'associée, toutes les défaillances de cette société ; elle est recevable à demander réparation du préjudice qu'elle a subi personnellement ;
- les manquements de la commune engagent sa responsabilité ; la commune s'est abstenue de lui remettre le titre de propriété concernant son terrain ; cette remise devait lui permettre de vendre la maison édifiée sur ce terrain à Capesterre-Belle-Eau et, ainsi, d'échapper à la procédure de saisie immobilière concernant sa maison située à Allauch ; elle a été du fait de la commune exposée à un différend avec le bénéficiaire de la promesse de vente concernant sa maison de Capesterre-Belle-Eau ; celui-ci, après deux ans, a dénoncé le compromis le 19 juin 2016, a demandé le remboursement de la somme versée à la CARPA et s'est réservé le droit d'engager une action en dommages et intérêts ;
- en 2007, la commune lui a délivré sur ce terrain, sur lequel elle ne disposait d'aucun droit, un permis de construire pour une maison d'habitation en lui laissant croire que la question de la propriété serait réglée sans tarder ;
- le fait que la commune ait adressé le compromis au Trésor public est sans incidence sur la réalité de son préjudice ;
- elle a subi un préjudice matériel résultant de la perte de chance de vendre son bien immobilier alors qu'il existait une chance réelle et sérieuse de vendre ce bien, un compromis ayant été signé ; ce préjudice s'élève à ce jour à 276 232,40 euros, somme à laquelle il convient d'ajouter la somme de 5 000 euros correspondant au dépôt de garantie qu'elle a dû verser au bénéficiaire de la promesse de vente ;
- elle a subi un préjudice moral lié à des troubles dans ses conditions d'existence tenant notamment à l'obligation de faire face à des démarches longues et contraignantes dans le cadre de la vente aux enchères de sa maison d'Allauch et tenant à l'angoisse que génère la perspective de cette vente ; elle subit une dépression réactionnelle entraînant des pertes de salaires ; ce préjudice moral doit être réparé à hauteur de 50 000 euros ;
- le lien de causalité entre les fautes et les préjudices est évident ; la délivrance du titre de propriété ne relevait que du maire de Capesterre-Belle-Eau ; sans cette succession de carences, de fautes et de vaines promesses, elle aurait pu vendre sa maison à la personne avec laquelle elle avait conclu un compromis ; le produit de la vente lui aurait permis de régulariser sa situation auprès de la banque détenteur d'une hypothèque sur sa maison d'Allauch ; en l'absence de titre de propriété, aucun notaire avisé ne peut rédiger un acte authentique de vente ;
- elle peut prétendre aux intérêts à compter du 4 octobre 2016, date de réception de sa demande préalable par la commune.
Par un mémoire enregistré le 27 février 2019, la commune de Capesterre-Belle-Eau, représentée par Me E..., conclut au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge de Mme D... le versement d'une somme de 12 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'action de Mme D... est irrecevable dès lors que c'est sa mère et non elle qui a occupé sans titre le terrain concerné et que c'est la SCI Miramar qui a mis en vente le bien et non elle ; elle est seulement gérante de la société qui, elle, est débitrice de la banque détentrice d'une hypothèque sur la maison d'Allauch, à raison d'un prêt pour lequel Mme D... ainsi qu'une autre personne se sont portées caution solidaire ;
- les moyens invoqués par Mme D... ne sont pas fondés.
Par courrier du 28 avril 2020, les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt à intervenir était susceptible d'être fondé sur le moyen relevé d'office tiré de l'incompétence du juge administratif pour statuer sur les conclusions de la requête tendant à la réparation du préjudice lié au retard mis à la délivrance d'un titre de propriété après la signature du compromis daté du 4 janvier 2016, dès lors que ce retard se rattache à l'exécution d'un contrat de droit privé.
Par un mémoire enregistré le 2 juin 2020, Mme D... présente des observations sur le courrier du 28 avril 2020 et fait valoir que le litige relève de la juridiction administrative dès lors qu'il ne concerne ni un contrat ni un rapport de droit privé.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code général de la propriété des personnes publiques ;
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme F... B...,
- et les conclusions de Mme Sylvande Perdu, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. La mère de Mme D... a occupé durant plusieurs années une parcelle, alors cadastrée section AS n° 177, lot n° 192, située dans la zone des cinquante pas géométriques, à Capesterre-Belle-Eau (Guadeloupe), sur laquelle elle disposait d'une maison d'habitation. En 1986, un arrêté préfectoral a classé le secteur en zone d'insalubrité mais le projet de résorption de l'habitat insalubre concernant ce secteur n'a pas abouti. Le 30 novembre 1990, la commune a conclu avec la Société immobilière de la Guadeloupe un traité de concession comportant un volet de régularisation foncière. Au mois d'août 2007, l'Etat a vendu ce terrain, avec d'autres, à la commune, dans le cadre de la loi n° 96-1241 du 30 décembre 1996 et la procédure de régularisation foncière a abouti, pour ce qui concerne Mme D..., à un compromis de vente signé par elle et la commune et daté du 4 janvier 2016.
2. Mme D..., qui avait obtenu, le 19 octobre 2007, la délivrance d'un permis de construire pour édifier sur le terrain concerné une maison d'habitation en lieu et place de la maison existante, insalubre, a conclu le 14 juin 2014 un compromis pour la vente de cette maison. Ce compromis a été dénoncé par l'acquéreur le 19 juin 2016, en l'absence d'obtention par Mme D... d'un titre de propriété sur le terrain. Mme D..., qui impute l'échec de cette vente au retard mis par la commune à finaliser la cession de ce terrain, à reconnaître son droit de propriété sur l'immeuble et à lui délivrer le titre de propriété correspondant, a saisi le tribunal administratif de la Guadeloupe d'une demande tendant à la condamnation de la commune de Capesterre-Belle-Eau à lui verser une indemnité de 331 232,40 euros, correspondant au préjudice moral et financier qu'elle soutient avoir subi de ce fait.
Sur la compétence du juge administratif :
3. Le compromis de vente conclu le 4 janvier 2016 entre la commune de Capesterre-Belle-Eau et Mme D... est un contrat de droit privé. L'action en réparation présentée par Mme D... fondée sur la faute qu'aurait commise la commune à ne pas lui délivrer le titre de propriété correspondant au terrain vendu, une fois la vente intervenue, se rattache à l'exécution de ce contrat et relève, par suite, de la compétence du juge judiciaire. Ainsi, c'est à tort que le tribunal administratif s'est reconnu compétent pour statuer sur ces conclusions de la demande de Mme D.... Il y a lieu d'annuler le jugement sur ce point et, statuant par la voie de l'évocation, de rejeter comme portées devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître les conclusions de Mme D... tendant à la réparation du préjudice qu'elle soutient avoir subi du fait du retard mis par la commune à lui délivrer le titre de propriété du terrain concerné, en exécution de la vente du 4 janvier 2016.
Sur le surplus des conclusions de Mme D... :
4. Ainsi qu'il a été dit ci-dessus, Mme D... a signé le 14 juin 2014, avec un acquéreur, un compromis portant sur la vente de la maison qu'elle avait fait édifier sur le terrain cadastré section AS n° 177 lot n° 192. Ce compromis, qui rappelait le régime juridique du terrain, prévoyait que la régularisation de la vente devrait intervenir au plus tard le 15 décembre 2014 et que Mme D... devrait fournir son titre de propriété sur le terrain d'assiette, ce qu'elle n'a pu faire, faute d'un acte lui conférant la qualité de propriétaire de ce terrain. Toutefois, à la date à laquelle Mme D... a contracté avec l'acquéreur, la commune ne lui avait donné, contrairement à ce qu'elle soutient, aucune assurance concernant la période à laquelle interviendrait la régularisation foncière, finalement intervenue par le compromis signé le 4 janvier 2016, et aucune négligence ne peut lui être imputée du fait du délai qui s'est écoulé jusqu'au 4 janvier 2016, compte tenu de la complexité de l'opération qui concernait un nombre de familles compris entre 60 et 80, ainsi que l'ont relevé les premiers juges dont il y a lieu d'adopter sur ces points les motifs pertinents. Par ailleurs, la délivrance par le maire de la commune, le 19 octobre 2007, d'un permis de construire à Mme D..., ne pouvait constituer une reconnaissance par la commune du droit qu'elle aurait eu sur la propriété du terrain d'assiette dès lors que, comme l'a relevé le tribunal, il résulte de l'article R. 423-1 du code de l'urbanisme que la délivrance d'un permis de construire n'est pas subordonnée à un droit de propriété du pétitionnaire sur le terrain. La pétitionnaire avait d'ailleurs été avisée par la Société immobilière de la Guadeloupe par courrier du 7 septembre 2006 que la régularisation foncière du terrain " constituait un préalable à la régularisation administrative de [sa] future construction ". Ainsi, la délivrance de ce permis de construire n'imposait pas à la commune, restée propriétaire du terrain, de délivrer à Mme D... un titre justifiant du droit de propriété de celle-ci sur le terrain.
5. Dans ces conditions, le comportement de la commune dénoncé par la requérante ne peut être considéré comme constitutif de fautes à l'origine de la dénonciation, le 19 juin 2016, du compromis de vente conclu par Mme D.... Sans qu'il soit besoin d'examiner le caractère certain des préjudices invoqués, la responsabilité de la commune n'est donc pas engagée vis-à-vis d'elle.
6. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir opposée en défense, que Mme D... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif a rejeté ses conclusions tendant à la condamnation de la commune de Capesterre-Belle-Eau à réparer les conséquences de retards et carences dans la conduite des démarches ayant abouti au contrat de vente du terrain dont il s'agit.
Sur les frais liés à l'instance :
7. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la commune intimée, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement de la somme que demande Mme D... au titre des frais d'instance exposés et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de Mme D... le versement à la commune d'une somme de 1 500 euros en application de ces dispositions.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du 27 septembre 2018 du tribunal administratif de la Guadeloupe est annulé en tant qu'il statue sur les conclusions de la demande de Mme D... tendant à la condamnation de la commune de Capesterre-Belle-Eau à réparer les conséquences dommageables qui seraient nées du retard de la commune à lui délivrer un titre de propriété en exécution du compromis de vente daté du 4 janvier 2016.
Article 2 : Les conclusions de la demande de Mme D... visées à l'article 1er ci-dessus sont rejetées comme portées devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme D... est rejeté.
Article 4 : Mme D... versera à la commune de Capesterre-Belle-Eau la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... D... et à la commune de Capesterre-Belle-Eau.
Délibéré après l'audience du 1er septembre 2020 à laquelle siégeaient :
Mme F... B..., président,
M. Frédéric Faïck, président-assesseur,
Mme Caroline Gaillard, premier conseiller,
Lu en audience publique, le 29 septembre 2020
Le président-assesseur,
Frédéric Faïck
Le président-rapporteur,
Elisabeth B... Le greffier,
Virginie Marty
La République mande et ordonne au préfet de la Guadeloupe en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 18BX04110