Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme D... A... a demandé au tribunal administratif de la Guyane d'annuler l'arrêté du 16 juin 2015 par lequel le ministre de la justice lui a infligé une exclusion temporaire de fonctions de trois mois, dont deux mois avec sursis.
Par un jugement n° 1500538 du 8 février 2018, le tribunal administratif de la Guyane a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des pièces enregistrées les 6 juin et 7 juillet 2018, Mme A..., représentée par Me C..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler l'arrêté du ministre de la justice du 16 juin 2015;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 300 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'avis émis par le conseil de discipline et la sanction disciplinaire ne sont pas motivés ;
- la procédure suivie l'a privée de ses droits de la défense : tout d'abord, le refus d'accepter le report du conseil de discipline est illégal, car il constitue une décision défavorable qui aurait dû être motivée ; la décision du conseil de discipline refusant le report n'est pas incorporée à la décision, ni jointe à celle-ci ; cette demande n'était pas tardive ;
- si la décision en litige fait état de ce que la date d'audience auprès du tribunal correctionnel le 21 mai 2015 a été reportée après vérification faite auprès du tribunal, cet élément n'a pas été soumis au contradictoire ; en réalité, elle a déféré à la convocation du tribunal le 21 mai et le report a été décidé à l'audience ; le refus de reporter son conseil de discipline est entaché d'erreur d'appréciation ;
- l'avis du conseil de discipline ne lui a pas été communiqué ;
- la matérialité des faits n'est pas établie ;
- la sanction est disproportionnée.
Par une ordonnance du 28 février 2020, la clôture de l'instruction a été fixée au 29 avril 2020.
Vu :
- les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat ;
- le décret n° 82-451 du 28 mai 1982 relatif aux commissions administratives paritaires ;
- le décret n° 84-961 du 25 octobre 1984 relatif à la procédure disciplinaire concernant les fonctionnaires de l'Etat ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme E... B...,
- et les conclusions de Mme Béatrice Molina-Andréo, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Mme D... A... est surveillante principale à la maison d'arrêt de Rémire-Montjoly (Guyane). A l'issue de l'engagement d'une procédure disciplinaire initiée pour des faits commis entre 2012 et 2014 consistant en des insultes et des menaces envers ses supérieurs hiérarchiques, en un cumul d'activités non autorisées et en la transmission de photographies du poste central d'informations du centre pénitentiaire de Rémire-Montjoly à un journal local, le ministre de la justice a pris à son encontre une sanction d'exclusion temporaire de fonctions d'une durée de trois mois, dont deux mois avec sursis, par un arrêté du 16 juin 2015. Mme A... a contesté cette décision devant le tribunal administratif de la Guyane et relève appel du jugement du 8 janvier 2018 par lequel le tribunal a rejeté sa demande.
Sur les conclusions tendant à l'annulation de l'arrêté du 16 juin 2015 :
2. L'article 19 de la loi du 13 juillet 1983 modifiée portant droits et obligations des fonctionnaires dispose que : " (...) Aucune sanction disciplinaire autre que celles classées dans le premier groupe par les dispositions statutaires relatives aux fonctions publiques de l'Etat, territoriale et hospitalière ne peut être prononcée sans consultation préalable d'un organisme siégeant en conseil de discipline dans lequel le personnel est représenté. L'avis de cet organisme de même que la décision prononçant une sanction disciplinaire doivent être motivés. ". L'article 8 du décret du 25 octobre 1984 relatif à la procédure disciplinaire concernant les fonctionnaires de l'Etat dispose également que : " Le conseil de discipline, au vu des observations écrites produites devant lui et compte tenu, le cas échéant, des déclarations orales de l'intéressé et des témoins ainsi que des résultats de l'enquête à laquelle il a pu être procédé, émet un avis motivé sur les suites qui lui paraissent devoir être réservées à la procédure disciplinaire engagée ".
3. L'avis du conseil de discipline du 20 mai 2015 vise les textes applicables à la situation de Mme A... et mentionne les faits qui lui sont reprochés, indique qu'elle n'a pas justifié des éléments demandés en ce qui concerne le cumul d'activités qui lui est reproché et que son comportement, fautif eu égard aux faits reprochés, justifie une sanction de 3ème groupe sous forme d'une exclusion temporaire de trois mois, dont deux mois avec sursis. Cette motivation, qui permettait à l'intéressée de connaître avec suffisamment de précision les motifs de droit et de fait qui ont justifié la proposition du conseil de discipline, satisfaisait aux dispositions précitées.
4. La décision en litige vise les dispositions législatives et réglementaires applicables à la situation de Mme A..., se réfère aux pièces du dossier disciplinaire communiquées à l'intéressée et comporte l'énonciation des griefs qui lui sont reprochés, à savoir qu'elle a proféré des insultes et des menaces le 24 juillet 2014 à l'encontre de sa supérieure hiérarchique et elle a réitéré par écrit ces propos le jour suivant. Il lui est aussi reproché d'avoir cumulé des activités professionnelles sans avoir finalisé son dossier de demande d'autorisation de cumul d'activités, d'avoir transmis des photographies du poste central d'information du centre pénitentiaire de Rémire-Montjoly au journal " France Guyane " pour que celui-ci les diffuse dans son édition du 14 mars 2014. Enfin, il lui est reproché d'avoir tenu des propos injurieux envers deux agents, notamment à l'égard du directeur du centre pénitentiaire lors de la consultation de son dossier administratif le 10 avril 2014. Par suite, cette mesure, qui comporte les considérations de droit sur lesquelles elle se fonde et qui énonce les griefs qui sont reprochés à Mme A..., est suffisamment motivée. Le moyen tiré du défaut de motivation, doit donc être écarté.
5. Aux termes de l'article 3 du décret du 25 octobre 1984 modifié, relatif à la procédure disciplinaire concernant les fonctionnaires de l'Etat : " Le fonctionnaire poursuivi peut présenter devant le conseil de discipline des observations écrites ou orales, citer des témoins et se faire assister par un ou plusieurs défenseurs de son choix... ". Aux termes de l'article 4 du décret du 25 octobre 1984 relatif à la procédure disciplinaire concernant les fonctionnaires de l'Etat : " Le fonctionnaire poursuivi est convoqué par le président du conseil de discipline quinze jours au moins avant la date de réunion, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception. / Ce conseil peut décider, à la majorité des membres présents, de renvoyer à la demande du fonctionnaire ou de son ou de ses défenseurs l'examen de l'affaire à une nouvelle réunion. Un tel report n'est possible qu'une seule fois. ".
6. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que, par un courrier reçu par le centre pénitenciaire de Guyane le 13 mai 2015, l'avocat de Mme A... a demandé le report de la séance du conseil de discipline du 20 mai 2015 qui devait se tenir à Paris, au motif qu'elle était convoquée à une audience du tribunal correctionnel de Cayenne le lendemain et qu'elle ne disposait pas d'un délai suffisant pour préparer sa défense. Il ressort du procès-verbal du 20 mai 2015 que le conseil de discipline a cependant refusé de reporter la séance à la majorité des membres présents, au motif que l'intéressée avait reçu sa convocation devant le conseil de discipline quinze jours avant sa réunion et, qu'après vérification auprès du tribunal correctionnel, son audience correctionnelle avait été reportée. Par suite, Mme A... n'est pas, en tout état de cause, fondée à soutenir que l'avis du conseil de discipline sur sa demande de report de son affaire à une prochaine réunion ne serait pas motivé.
7. En deuxième lieu, si Mme A... soutient que l'indication dans le procès-verbal du conseil de la discipline qu'à la date du 20 mai 2015 son audience correctionnelle avait été reportée est erronée, il ressort des écritures de première instance que Mme A... avait été informée de ce renvoi le 16 avril 2015, date de sa première convocation devant le tribunal correctionnel. Il ne ressort pas des pièces du dossier, et contrairement à ce qu'allègue Mme A..., que le report de son affaire au 14 janvier 2016 aurait été décidé par le tribunal correctionnel au cours de l'audience du 21 mai 2015.
8. Enfin, par un courrier en date du 30 avril 2015 réceptionné le 5 mai suivant, Mme A... a été convoquée devant le conseil de discipline prévu le 20 mai 2015 à Paris. Ce courrier lui proposait soit de se présenter en personne dans les locaux de la direction de l'administration pénitentiaire à Paris, soit d'y assister par une visioconférence se trouvant dans le bâtiment administratif du centre pénitentiaire de Guyane et lui rappelait ses droits à se faire assister par un ou plusieurs défenseurs de son choix et la possibilité de présenter devant le conseil de discipline des observations écrites ou orales.
9. Dans ces conditions, Mme A... ayant consulté son dossier individuel le 13 mai 2015, elle a ainsi été mise à même d'assurer sa défense. Alors même que ni son avocat ni elle-même n'étaient présents lors de la séance du conseil de discipline, Mme A... et son conseil n'ont pas adressé d'observations écrites au conseil de discipline, ni cité de témoins et n'ont pas demandé à se présenter par une visioconférence. Dans ces conditions, ayant disposé d'un temps suffisant pour organiser sa défense, le conseil de discipline qui n'était pas tenu de renvoyer l'affaire à une séance ultérieure, a pu légalement écarter la demande formulée en ce sens par Mme A.... Pour les mêmes motifs, l'absence de report de la séance du conseil de discipline ne méconnaît pas le principe du caractère contradictoire de la procédure et des droits de la défense.
10. Aux termes de l'article 19 de la loi n°83-634 du 13 juillet 1983 susvisée : " (...) / Le fonctionnaire à l'encontre duquel une procédure disciplinaire est engagée a droit à la communication de l'intégralité de son dossier individuel et de tous les documents annexes et à l'assistance de défenseurs de son choix. L'administration doit informer le fonctionnaire de son droit à communication du dossier. Aucune sanction disciplinaire autre que celles classées dans le premier groupe par les dispositions statutaires relatives aux fonctions publiques de l'Etat, territoriale et hospitalière ne peut être prononcée sans consultation préalable d'un organisme siégeant en conseil de discipline dans lequel le personnel est représenté. / L'avis de cet organisme de même que la décision prononçant une sanction disciplinaire doivent être motivés. (...) ".
11. Il ne résulte d'aucune disposition des textes applicables aux fonctionnaires de l'Etat, et notamment pas des dispositions rappelées ci-dessus, ni d'aucun principe général afférent à la procédure disciplinaire, que le procès-verbal de la réunion du conseil de discipline au cours de laquelle celui-ci se prononce sur le cas de l'agent poursuivi ou même l'avis rendu par cette instance doivent être communiqués à l'intéressé, préalablement à l'intervention de la décision de sanction. Par suite, Mme A... n'est pas fondée à soutenir que l'absence de communication de l'avis du conseil de discipline avant que ne soit pris la sanction en litige entacherait la procédure d'irrégularité.
12. D'une part, l'article 29 de la loi du 13 juillet 1983 prévoit que toute faute commise par un fonctionnaire dans l'exercice, ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions l'expose à une sanction disciplinaire. L'article 66 de la loi susvisée du 11 janvier 1984 dispose par ailleurs que : " Les sanctions disciplinaires sont réparties en quatre groupes : Premier groupe : - l'avertissement ; - le blâme. Deuxième groupe : - la radiation du tableau d'avancement ; l'abaissement d'échelon ; - l'exclusion temporaire de fonctions pour une durée maximale de quinze jours ; - le déplacement d'office. Troisième groupe : - la rétrogradation ; - l'exclusion temporaire de fonctions pour une durée de trois mois à deux ans. Quatrième groupe : - la mise à la retraite d'office ; - la révocation. (...). ".
13. D'autre part, l'article 25 de la loi du 13 juillet 1983 dispose : " I.- Les fonctionnaires et agents non titulaires de droit public consacrent l'intégralité de leur activité professionnelle aux tâches qui leur sont confiées. Ils ne peuvent exercer à titre professionnel une activité privée lucrative de quelque nature que ce soit. / Sont interdites, y compris si elles sont à but non lucratif, les activités privées suivantes : 1° La participation aux organes de direction de sociétés ou d'associations ne satisfaisant pas aux conditions fixées au b du 1° du 7 de l'article 261 du code général des impôts ; (...) ; II.- L'interdiction d'exercer à titre professionnel une activité privée lucrative et le 1° du I ne sont pas applicables : 1° Au fonctionnaire ou agent non titulaire de droit public qui, après déclaration à l'autorité dont il relève pour l'exercice de ses fonctions, crée ou reprend une entreprise. Cette dérogation est ouverte pendant une durée maximale de deux ans à compter de cette création ou reprise et peut être prolongée pour une durée maximale d'un an. La déclaration de l'intéressé est au préalable soumise à l'examen de la commission prévue à l'article 87 de la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques ; (...) ".
14. En vertu des dispositions du chapitre II du décret n° 2007-658 du 2 mai 2007 relatif au cumul d'activités des fonctionnaires, alors en vigueur, il appartient à un agent public qui se propose de créer ou reprendre une entreprise d'informer son employeur, lequel saisit la commission de déontologie prévue à l'article 87 de la loi du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques et, au vu de l'avis de cette commission, l'autorité compétente se prononce sur le cumul envisagé.
15. Il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de rechercher si les faits reprochés à un agent public ayant fait l'objet d'une sanction disciplinaire constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes, en tenant compte de la manière de servir de l'intéressé et de ses antécédents disciplinaires.
16. Le ministre de la justice n'apporte aucun élément de preuve au soutien des griefs retenus à l'encontre de Mme A... qui se seraient produits les 10 avril et 24 juillet 2014 consistant en des propos insultants et injurieux que l'intéressée auraient tenus à l'égard de supérieurs hiérarchiques, ainsi que du grief consistant en la communication de photographies à un journal local qui les auraient diffusées le 14 mars 2014. La matérialité de ces faits ne peut être considérée comme établie. Toutefois, il ressort des pièces du dossier, notamment de la note du 25 mars 2014 et du rapport disciplinaire du 12 mai 2014, que Mme A... a créé deux sociétés à but lucratif. Si, par courrier du 9 août 2011, elle a demandé une autorisation de cumul d'activités, elle a ensuite commencé ses activités à partir de l'année 2012 sans jamais avoir communiqué à son administration les documents demandés pour compléter son dossier de demande et donc sans en avoir obtenu l'autorisation préalable, cachant ainsi ses revenus complémentaires et refusant de donner à l'administration les informations sur ses activités accessoires, malgré plusieurs relances. Ces seuls agissements, dont la réalité est suffisamment établie par les pièces du dossiers, prohibés par les dispositions législatives et règlementaires précitées, constituent des manquements à la probité et au devoir de loyauté et donc des fautes de nature à justifier à eux seuls une sanction disciplinaire.
17. Enfin, compte-tenu que Mme A... a, pendant plusieurs années et de manière intentionnelle, méconnu les dispositions qui lui sont applicables en sa qualité de fonctionnaire d'Etat, le ministre de la justice en prononçant à son encontre une mesure d'exclusion de fonctions de trois mois dont deux avec sursis, ne lui a pas infligé une sanction disproportionnée au regard du seul grief établi par le ministre.
18. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Guyane a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation de l'arrêté du 16 juin 2015 qui lui inflige une exclusion temporaire de fonctions de trois mois, dont deux mois avec sursis. Ses conclusions présentées au titre de ses frais d'instance doivent être rejetées par voie de conséquence.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... A... et au Garde des Sceaux, ministre de la justice.
Délibéré après l'audience du 2 novembre 2020 à laquelle siégeaient :
M. Didier Artus, président,
Mme F... G..., présidente-assesseure,
Mme E... B..., premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 novembre 2020.
Le rapporteur,
Déborah B...Le président,
Didier ARTUSLe greffier,
Christophe PELLETIER
La République mande et ordonne au Garde des Sceaux, ministre de la justice en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
N°18BX02278 2