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14/12/2020 | FRANCE | N°20BX01490

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 6ème chambre, 14 décembre 2020, 20BX01490


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme F... A... a demandé au tribunal administratif de Limoges d'annuler la décision du 30 décembre 2019 par laquelle le préfet de la Haute-Vienne lui a retiré son attestation de demande d'asile, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de renvoi et a prononcé, à son encontre, une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an ainsi qu'un signalement aux fins de non-admission dans le système d'information Schengen pour la durée d

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Par un jugement n° 2000049 du 27 février 2020, l...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme F... A... a demandé au tribunal administratif de Limoges d'annuler la décision du 30 décembre 2019 par laquelle le préfet de la Haute-Vienne lui a retiré son attestation de demande d'asile, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de renvoi et a prononcé, à son encontre, une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an ainsi qu'un signalement aux fins de non-admission dans le système d'information Schengen pour la durée de l'interdiction de retour.

Par un jugement n° 2000049 du 27 février 2020, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 30 avril 2020, Mme A..., représentée par Me C..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 27 février 2020 du tribunal administratif de Limoges ;

2°) d'annuler la décision du 30 décembre 2019 par laquelle le préfet de la Haute-Vienne lui a retiré son attestation de demande d'asile, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de renvoi et a prononcé, à son encontre, une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an.

Elle soutient que :

- contrairement à ce qu'a jugé le tribunal administratif, les conclusions de la demande dirigées contre le retrait de l'attestation de demandeur d'asile ne sont pas sans objet ;

- un tel retrait méconnaît les stipulations de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dès lors qu'elle la prive du droit à un recours équitable et aux stipulations combinées de cet article et de l'article 14 de la même convention dès lors que cette privation est constitutive d'une discrimination ;

- l'obligation de quitter le territoire français est privée de base légale compte tenu de l'illégalité de la décision portant retrait de son attestation de demande d'asile ; elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la décision fixant le pays de renvoi est dépourvue de base légale compte tenu de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ; elle méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- l'interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an est dépourvue de base légale compte tenu de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ; elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Par un mémoire en défense, enregistré le 28 septembre 2020, le préfet de la Haute-Vienne conclut au rejet de la requête.

Il soutient qu'aucun des moyens invoqués par la requérante n'est fondé.

Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 16 avril 2020.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée relative à l'aide juridique ;

- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Le rapport de Mme E... G... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme A..., ressortissante guinéenne née le 14 décembre 1993 à Boké, est entrée irrégulièrement en France, selon ses dires, le 27 octobre 2018. Elle a formé une demande d'asile le 12 novembre 2018, dans le cadre des dispositions des articles L. 741-1 et L. 741-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers en France et du droit d'asile. Sa demande a été rejetée par une décision de l'Office français des réfugiés et apatrides du 11 mars 2019, confirmée par la Cour nationale du droit d'asile le 13 décembre 2019. Par un arrêté du 30 décembre 2019, le préfet de la Haute-Vienne a retiré l'attestation de demande d'asile valable jusqu'au 5 mars 2020 dont était titulaire l'intéressée, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé son pays de renvoi et a prononcé une interdiction de retour pendant le délai d'un an. Mme A... relève appel du jugement du 27 février 2020 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur la régularité du jugement :

2. Par l'article 1er de l'arrêté contesté, le préfet de la Haute-Vienne a prononcé le retrait de l'attestation de demande d'asile qu'il avait antérieurement délivrée le 6 septembre 2019 à Mme A... pour les besoins de l'instruction de sa demande de réexamen de sa demande d'asile. Ce retrait, qui fonde l'obligation de quitter le territoire français prise à l'encontre de la requérante, a le caractère d'un acte susceptible de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir. Par suite, Mme A... est fondée à soutenir que le jugement est irrégulier en ce qu'il a rejeté comme irrecevables ses conclusions tendant à l'annulation de cette décision de retrait et à demander, dans cette mesure, l'annulation de ce jugement.

3. Considérant qu'il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur les conclusions de la demande de Mme A... devant le tribunal administratif de Limoges tendant à l'annulation de la décision par laquelle le préfet de la Haute-Vienne lui a retiré son attestation de demande d'asile et de statuer par la voie de l'effet dévolutif sur les autres conclusions de Mme A....

Sur la légalité de l'arrêté du 27 février 2020 :

En ce qui concerne le retrait de l'attestation de demande d'asile :

4. Aux termes du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut obliger à quitter le territoire français un étranger non ressortissant d'un État membre de l'Union européenne, d'un autre État partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou de la Confédération suisse et qui n'est pas membre de la famille d'un tel ressortissant au sens des 4° et 5° de l'article L. 121-1, lorsqu'il se trouve dans l'un des cas suivants : (...) 6° Si la reconnaissance de la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire a été définitivement refusé à l'étranger ou si l'étranger ne bénéficie plus du droit de se maintenir sur le territoire français en application des articles L. 743-1 et L. 743-2, à moins qu'il ne soit titulaire d'un titre de séjour en cours de validité (...) ". Aux termes de l'article L. 743-2 du même code : " Par dérogation à l'article L. 743-1, sous réserve du respect des stipulations de l'article 33 de la convention relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951, et de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, adoptée à Rome le 4 novembre 1950, le droit de se maintenir sur le territoire français prend fin et l'attestation de demande d'asile peut être refusée, retirée ou son renouvellement refusé lorsque : / (...) 7° L'office a pris une décision de rejet dans les cas prévus au I et au 5° du III de l'article L. 723-2 ".

5. En premier lieu, M. Jérôme Decours, secrétaire général de la préfecture de la Haute-Vienne et signataire de la décision contestée, bénéficie d'une délégation de signature du préfet de la Haute-Vienne en date du 10 novembre 2018, régulièrement publiée au recueil des actes administratifs n° 87-2018-101 de la même date, " à l'effet de signer tous arrêtés, conventions, décisions, circulaires, rapports, correspondances et documents relevant des attributions de l'Etat (...) ", à l'exclusion de certains actes au nombre desquels ne figure pas la décision contestée. Dès lors, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de la décision en litige manque en fait et doit être écarté.

6. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier que la demande d'asile de Mme A... a été rejetée par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) du 11 mars 2019, confirmée par une décision de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) du 13 décembre 2019, notifiée le 26 décembre 2019. Par suite, en application des dispositions précitées, le préfet pouvait, sans erreur de droit, retirer l'attestation de demandeur d'asile dont bénéficiait la requérante, par la décision contestée du 30 décembre 2019.

7. En troisième lieu, l'exécution de la décision contestée, bien que susceptible d'empêcher Mme A... d'assister à l'audience devant la cour à la suite de son recours, ne porte pas, en elle-même, atteinte à son droit à un recours effectif dès lors, notamment, qu'elle peut utilement préparer sa défense hors du territoire et en particulier, qu'elle peut se faire représenter par un conseil de son choix au cours de cette instance et déposer, par son intermédiaire ou par courrier le cas échéant, une demande d'aide juridictionnelle qu'elle a d'ailleurs obtenue dans le cadre de la présente instance. Au surplus, les dispositions de l'article L. 743-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile permettent au juge administratif, le cas échéant, de suspendre l'exécution de la mesure d'éloignement jusqu'à la date de lecture en audience publique de la décision de la cour s'il est fait état d'éléments sérieux de nature à justifier, au titre de la demande d'asile, le maintien de l'étranger sur le territoire durant l'examen du recours. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision de retrait de son attestation de demandeur d'asile attaquée porterait atteinte au droit de Mme A... au recours effectif doit être écarté.

En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :

8. En premier lieu, il résulte de ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à exciper de l'illégalité de la décision portant retrait de son attestation de demandeur d'asile à l'encontre de la décision l'obligeant à quitter le territoire français.

9. En deuxième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

10. Mme A..., qui vivait en France depuis moins de deux ans à la date de la décision en litige, est divorcée, sans enfant, et ne justifie pas être dépourvue d'attaches familiales dans son pays d'origine, dans lequel elle a vécu la majeure partie de sa vie. Si elle fait valoir qu'elle a dû contracter un mariage forcé en Guinée, il est constant qu'elle a divorcé de son époux. Par ailleurs, si elle y a également subi une excision, pour laquelle elle a bénéficié d'une chirurgie reconstructive en France, il n'est pas établi qu'elle encourrait le risque de subir à nouveau une telle mutilation en cas de retour en Guinée. Enfin, il n'est pas davantage établi que le suivi nécessité par cette chirurgie ne pourrait être assuré dans ce pays. Dans ces conditions, le préfet de la Haute-Vienne n'a pas porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au but poursuivi et n'a donc pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

En ce qui concerne la décision fixant le pays de renvoi :

11. En premier lieu, il résulte de ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à exciper de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français à l'encontre de la décision fixant le pays de renvoi.

12. En second lieu, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". Les risques invoqués par la requérante pour sa sécurité en cas de retour en Guinée ne sont assortis d'aucun élément de nature à corroborer ses affirmations. Au demeurant, tant l'OFPRA que la CNDA ont refusé d'accorder à Mme A... l'asile sollicité. Dans ces conditions, le moyen tiré de la méconnaissance par la décision fixant le pays de renvoi de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, doit être écarté.

En ce qui concerne l'interdiction de retour sur le territoire :

13. En premier lieu, il résulte de ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à exciper de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français à l'encontre de l'interdiction de retour sur le territoire pendant le délai d'un an.

14. En deuxième lieu, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté pour les motifs exposés au point 10 ci-dessus.

15. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande d'annulation de l'arrêté du 30 décembre 2019 par lequel le préfet de la Haute-Vienne lui a retiré son attestation de demande d'asile, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de renvoi et a prononcé, à son encontre, une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2000049 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Limoges du 27 février 2020 est annulé en tant qu'il a rejeté comme irrecevables les conclusions de la demande de Mme A... tendant à l'annulation de la décision du 30 décembre 2019 par laquelle le préfet de la Haute-Vienne lui a retiré son attestation de demande d'asile.

Article 2 : Les conclusions de la demande de Mme A... devant le tribunal administratif de Limoges tendant à l'annulation de la décision de retrait de son attestation de demande d'asile et le surplus des conclusions de sa requête sont rejetés.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme F... A... et au ministre de l'intérieur. Copie en sera adressée au préfet de la Haute-Vienne.

Délibéré après l'audience du 30 novembre 2020 à laquelle siégeaient :

M. Dominique Naves, président,

Mme D... B..., présidente-assesseure,

Mme E... G..., premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 14 décembre 2020.

Le président,

Dominique Naves

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

No 20BX01490


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 20BX01490
Date de la décision : 14/12/2020
Type d'affaire : Administrative

Analyses

335-03 Étrangers. Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : M. NAVES
Rapporteur ?: Mme Sylvie CHERRIER
Rapporteur public ?: M. BASSET
Avocat(s) : SCP GAFFET - MADELENNAT et ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 26/12/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2020-12-14;20bx01490 ?
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