Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La Fédération départementale des chasseurs de l'Ariège a demandé au tribunal administratif de Toulouse de condamner l'Etat à lui verser la somme de 51 407,42 euros en réparation du préjudice que lui a causé le glissement de terrain qui s'est produit au début de l'année 2014 sur des parcelles lui appartenant situées sur le territoire de la commune d'Arabaux.
Par un jugement n° 1700067 du 7 février 2019, le tribunal administratif de Toulouse a condamné l'Etat à verser à cette fédération la somme de 48 318,42 euros, lui a enjoint de faire procéder à l'exécution des travaux préconisés par l'expert judiciaire aux fins de stabilisation des terrains en cause dans un délai de six mois et a mis à sa charge une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 8 avril 2019, le ministre de la transition écologique et solidaire demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Toulouse ;
2°) à titre principal, de rejeter la demande présentée par la Fédération départementale des chasseurs de l'Ariège devant le tribunal ;
3°) à titre subsidiaire, d'opérer un partage de responsabilité, de réduire l'indemnisation qu'il a été condamné à lui verser et de réformer l'injonction prononcée à son encontre.
Il soutient que :
- le jugement attaqué est entaché d'un défaut de motivation dès lors qu'il se fonde sur un rapport d'expertise irrégulier ; d'une part, le sapiteur a été choisi et mandaté par le conseil départemental sans que l'expert ni le tribunal ne soient consultés ; d'autre part, l'expert a dépassé le cadre de sa mission en estimant que l'Etat était la personne responsable du dommage ;
- le jugement est également insuffisamment motivé en ce qu'il enjoint à l'Etat de procéder à l'exécution des travaux préconisés par l'expert alors que celui-ci s'était borné à exposer deux solutions alternatives ;
- c'est à tort que le tribunal a enjoint à l'Etat de faire procéder aux travaux préconisés par l'expert dès lors que deux solutions techniques étaient présentées et qu'aucune de celles envisagées ne permettait de remédier aux désordres de façon pérenne ;
- le délai de six mois dans lequel le tribunal a enjoint à l'Etat de réaliser les travaux est insuffisant compte tenu de la nécessité d'obtenir une autorisation environnementale et de la probabilité que soit également nécessaire l'obtention d'une dérogation à l'interdiction de destruction de nids, d'habitats naturels ou d'espèces protégées ; en outre, une procédure formalisée de mise en concurrence serait nécessaire pour la réalisation des travaux ;
- le jugement est entaché d'une contradiction dans ses motifs dès lors qu'il applique tantôt un régime de responsabilité sans faute, tantôt un régime de responsabilité pour faute ;
- le tribunal a commis une erreur de droit en n'opérant pas le partage de responsabilité qu'imposait le constat d'un défaut d'entretien d'un fossé d'évacuation des eaux par la Fédération départementale des chasseurs de l'Ariège.
Par un mémoire en défense, enregistré le 13 juin 2019, la Fédération départementale des chasseurs de l'Ariège, représentée par Me E..., conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 3 000 euros soit mise à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les entiers dépens.
Elle soutient que :
- la requête est tardive ; le jugement ayant été notifié à la préfète de l'Ariège, qui représentait l'Etat, le ministre ne saurait faire valoir qu'il n'en a pas reçu notification ;
- les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'irrecevabilité du moyen présenté par le ministre de la transition écologique et solidaire tiré de l'irrégularité de l'expertise, un tel moyen étant soulevé pour la première fois en appel.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu le code de justice administrative et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme C... D...,
- les conclusions de Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. La Fédération départementale des chasseurs de l'Ariège a acquis, le 23 septembre 2002, différentes parcelles appartenant à l'Etat situées à proximité du tunnel de Foix. La réalisation de ce tunnel, en 1997, avait nécessité le percement d'une colline sur une longueur de 2 160 mètres et les gravats issus de cette opération, ainsi que ceux issus des terrassements de la déviation de Foix, ont été stockés sur les parcelles avoisinantes. A la suite d'importantes précipitations en 2012, 2013 et au début de l'année 2014, un glissement de terrain de grande ampleur s'est produit le 7 janvier 2014 sur environ 1,7 hectares, en majeure partie sur les terrains appartenant à la Fédération départementale des chasseurs de l'Ariège. Le ministre de la transition écologique et solidaire relève appel du jugement du 7 février 2019 par lequel le tribunal administratif de Toulouse a condamné l'Etat à verser à cette fédération une somme de 48 318,42 euros en réparation de son dommage et lui a enjoint de faire procéder aux travaux préconisés par l'expert judiciaire aux fins de stabilisation des terrains en cause dans un délai de six mois.
Sur la fin de non-recevoir opposée par la Fédération départementale des chasseurs de l'Ariège :
2. Aux termes de l'article R. 751-8 du code de justice administrative : " Lorsque la notification d'une décision du tribunal administratif ou de la cour administrative d'appel doit être faite à l'Etat, l'expédition est adressée au ministre dont relève l'administration intéressée au litige. Copie de la décision est adressée au préfet ainsi que, s'il y a lieu, à l'autorité qui assure la défense de l'Etat devant la juridiction. / Toutefois, lorsque la décision est rendue sur une demande présentée, en application du code général des collectivités territoriales, par le préfet ou lorsqu'elle émane d'un tribunal administratif statuant dans l'une des matières mentionnées à l'article R. 811-10-1, la notification est adressée au préfet. Copie de la décision est alors adressée au ministre intéressé. / (...) ".
3. Il résulte de l'instruction que le jugement contesté n'a pas été notifié au ministre dont relève l'administration intéressée au litige mais à la seule préfète de l'Ariège, le 8 février 2019. Ce jugement ne relève pas des cas, visés au deuxième alinéa de l'article R. 751-8 du code de justice administrative précité, dans lesquels la notification doit être faite au préfet et non au ministre concerné qui n'en reçoit alors qu'une copie. Dans ces conditions, le délai de recours n'avait pas commencé à courir vis-à-vis du ministre de la transition écologique et solidaire lorsque son appel a été enregistré au greffe de la cour, le 8 avril 2019. Par suite, la Fédération départementale des chasseurs de l'Ariège n'est pas fondée à soutenir que le recours du ministre serait tardif.
Sur la régularité du jugement :
4. L'article L. 9 du code de justice administrative dispose : " Les jugements sont motivés ".
5. En premier lieu, le ministre de la transition écologique et solidaire soutient que le jugement attaqué est entaché d'un défaut de motivation aux motifs, d'une part, qu'il se fonde sur un rapport d'expertise lui-même irrégulier, l'expert s'étant fondé sur le rapport du cabinet Hydrotechnique Sud-Ouest mandaté par le département sans autorisation du tribunal et ayant outrepassé le champ de sa mission en affirmant que l'Etat était la personne responsable du dommage et, d'autre part, en enjoignant à l'Etat de procéder aux travaux préconisés par l'expert alors que celui-ci s'est borné à exposer, sans trancher en faveur de l'une ou l'autre des solutions envisagées, une alternative de solutions techniques. De tels éléments ne sont toutefois pas susceptibles d'entacher le jugement attaqué d'un défaut de motivation. Il résulte, par ailleurs, des motifs mêmes de ce jugement que le tribunal administratif de Toulouse a suffisamment répondu à l'ensemble des moyens soulevés par les parties.
6. En deuxième lieu, le ministre de la transition écologique et solidaire soutient que le jugement attaqué serait irrégulier au motif qu'il se fonde sur une expertise elle-même irrégulière, un sapiteur étant intervenu sans avoir été mandaté par le tribunal et l'expert ayant outrepassé le cadre de sa mission en qualifiant l'Etat de juridiquement responsable du dommage. Toutefois, la préfète de l'Ariège n'a formulé devant les premiers juges aucune réserve sur la régularité de cette expertise. Le ministre de la transition écologique et solidaire n'est, par suite, pas recevable à invoquer pour la première fois en appel un tel moyen.
7. En troisième lieu, la circonstance que le tribunal aurait, à tort, enjoint à l'Etat de procéder à l'exécution des travaux préconisés par l'expert alors que celui-ci n'aurait pas arbitré laquelle des solutions techniques envisagées devait être mise en oeuvre n'est, en toute hypothèse, pas susceptible d'entacher le jugement d'irrégularité et ne peut qu'être discutée au titre de son bien-fondé.
Sur le bien-fondé du jugement :
En ce qui concerne la responsabilité de l'Etat :
8. Même en l'absence de faute, le maître d'ouvrage ainsi que, le cas échéant, le maître d'oeuvre et l'entrepreneur chargés des travaux sont responsables vis-à-vis des tiers des dommages causés à ceux-ci par l'exécution de travaux publics à moins que ces dommages ne soient imputables à un cas de force majeure ou à une faute de la victime. Il appartient au tiers à une opération de travaux publics qui entend obtenir réparation des dommages qu'il estime avoir subis à cette occasion d'établir le lien de causalité entre cette opération et les dommages invoqués. Ces tiers ne sont pas tenus de démontrer le caractère grave et spécial du préjudice qu'ils subissent lorsque le dommage présente un caractère accidentel.
9. Il résulte de l'instruction que les déblais excédentaires du creusement du tunnel et de la déviation de Foix réalisés de 1997 à 1999 ont été entreposés sur un versant naturellement instable et sujet à des phénomènes de reptation par saturation des colluvions consécutivement à des circulations internes d'eau et lors d'épisodes pluviométriques soutenus. L'expert désigné par le tribunal a relevé que la compacité très faible de ces déblais témoigne de ce qu'ils ont été simplement bennés, sans avoir préalablement été compactés, la terre végétale n'ayant pas été enlevée et aucun redan n'ayant été exécuté. La pluviométrie importante de 2012 et 2013 et les orages du début de l'année 2014 ont entraîné une saturation du massif et le développement de sous-pressions interstitielles qui ont, selon l'expert, été le facteur déclenchant du glissement de terrain en cause. Il résulte également de l'instruction, il est vrai, qu'un fossé d'évacuation des eaux situé en amont du terrain ne remplissait pas son office car envahi par la végétation, faute d'avoir été entretenu par l'Etat jusqu'en septembre 2002 puis par la Fédération départementale des chasseurs de l'Ariège. Toutefois, l'expert indique que le défaut d'entretien de ce fossé ne peut, tout au plus, qu'être regardé comme un élément aggravant dans le déclenchement du glissement principal et qu'il est sans incidence sur le glissement intervenu à l'est. Il a, en outre, été constaté au mois de mars et juin 2015 des résurgences dans le massif à l'origine d'un nouveau glissement alors que le fossé en amont était sec, ce qui témoigne de circulations naturelles d'eau dans le massif, s'écoulant sous le fossé amont qui ne permet pas de les capter. Dans ces conditions, le défaut d'entretien du fossé appartenant à la Fédération départementale des chasseurs de l'Ariège ne saurait être regardé comme une cause du dommage et c'est à bon droit que les premiers juges ont écarté la faute exonératoire de la victime pour retenir que la responsabilité sans faute de l'Etat, dont le ministre ne conteste pas le principe, était pleinement engagée.
En ce qui concerne l'injonction prononcée par le tribunal :
10. Il résulte des termes mêmes du rapport de l'expertise ordonnée par le tribunal que si l'expert a présenté deux solutions techniques qui devraient permettre de stabiliser les terrains en cause, il a également précisé que la solution définitive ne pourrait qu'être établie après la consultation d'entreprises spécialisées. Dans ces conditions, le ministre de la transition écologique et solidaire est fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges lui ont enjoint de procéder " aux travaux préconisés par l'expert " alors que celui-ci n'avait pas arrêté une solution technique viable pour la réalisation des travaux litigieux.
11. Il appartient à la cour, saisie par l'effet dévolutif de l'appel, de se prononcer sur les conclusions à fin d'injonction présentées par la Fédération départementale des chasseurs de l'Ariège devant le tribunal administratif de Toulouse.
12. Lorsque le juge administratif condamne une personne publique responsable de dommages qui trouvent leur origine dans l'exécution de travaux publics ou dans l'existence ou le fonctionnement d'un ouvrage public, il peut, saisi de conclusions en ce sens, s'il constate qu'un dommage perdure à la date à laquelle il statue du fait de la faute que commet, en s'abstenant de prendre les mesures de nature à y mettre fin ou à en pallier les effets, la personne publique, enjoindre à celle-ci de prendre de telles mesures. Pour apprécier si la personne publique commet, par son abstention, une faute, il lui incombe, en prenant en compte l'ensemble des circonstances de fait à la date de sa décision, de vérifier d'abord si la persistance du dommage trouve son origine non dans la seule réalisation de travaux ou la seule existence d'un ouvrage, mais dans l'exécution défectueuse des travaux ou dans un défaut ou un fonctionnement anormal de l'ouvrage et, si tel est le cas, de s'assurer qu'aucun motif d'intérêt général, qui peut tenir au coût manifestement disproportionné des mesures à prendre par rapport au préjudice subi, ou aucun droit de tiers ne justifie l'abstention de la personne publique. En l'absence de toute abstention fautive de la personne publique, le juge ne peut faire droit à une demande d'injonction, mais il peut décider que l'administration aura le choix entre le versement d'une indemnité dont il fixe le montant et la réalisation de mesures dont il définit la nature et les délais d'exécution.
13. La Fédération départementale des chasseurs de l'Ariège expose que les parcelles endommagées étaient destinées à la formation des candidats au permis de chasser et à la sécurité, qu'elle avait fait installer un accès et un parking ainsi qu'un chalet en bois et un Algeco qui étaient destinés à accueillir les candidats lors de stage de formation, installations qui ont été démontées par mesure de sécurité dès l'apparition des premiers désordres. Elle demande, afin de remédier à ce dommage qui trouve son origine dans l'exécution défectueuse des travaux réalisés pour la création du tunnel et de la déviation de Foix, qu'il soit enjoint à l'Etat de procéder à la réalisation des travaux préconisés par l'expert afin de stabiliser le sol des parcelles dont elle est propriétaire. Il résulte néanmoins de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise que de tels travaux de stabilisation des sols peuvent en l'état être chiffrés, selon la solution technique retenue, à 1 258 800 euros ou 1 098 850 euros. Le coût de tels travaux apparaît manifestement disproportionné par rapport au préjudice subi par la Fédération départementale des chasseurs de l'Ariège de sorte qu'il ne résulte pas de l'instruction que l'abstention de l'Etat à prendre les mesures permettant d'y mettre fin présenterait un caractère fautif. Dans ces conditions, alors que la Fédération départementale des chasseurs de l'Ariège s'est bornée à solliciter du tribunal qu'il enjoigne à l'Etat de procéder à ces travaux, ses conclusions à fin d'injonction ne peuvent qu'être rejetées.
14. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de la transition écologique et solidaire est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a enjoint à l'Etat de procéder aux travaux préconisés par l'expert dans un délai de six mois.
Sur les frais liés au litige :
15. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme que demande la Fédération départementale des chasseurs de l'Ariège au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : L'article 2 du jugement n° 1700067 du 7 février 2019 du tribunal administratif de Toulouse est annulé.
Article 2 : Les conclusions à fin d'injonction présentées par la Fédération départementale des chasseurs de l'Ariège en première instance sont rejetées.
Article 3 : Le surplus des conclusions d'appel des parties est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de la transition écologique et solidaire, à la Fédération départementale des chasseurs de l'Ariège.
Copie sera adressée à M. A... B..., expert.
Délibéré après l'audience du 6 avril 2021 à laquelle siégeaient :
Mme Brigitte Phémolant, présidente,
Mme Anne Meyer, présidente-assesseure,
Mme C... D..., conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 4 mai 2021.
La présidente,
Brigitte Phémolant
La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et solidaire en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 19BX01415