Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme E... D... a demandé au tribunal administratif de la Guadeloupe d'annuler l'arrêté du 26 novembre 2019 par lequel le préfet de la Guadeloupe a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de renvoi et lui a interdit le retour sur le territoire français pour une durée d'un an.
Par un jugement n° 2000010 du 13 juillet 2020, le tribunal a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 5 octobre 2020, Mme D..., représentée par Me F..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler l'arrêté du préfet de la Guadeloupe du 26 novembre 2019 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- c'est à tort que les premiers juges ont déduit une absence de lien de l'absence de cohabitation avec M. B..., titulaire d'une carte de résident, père de sa fille née le 21 septembre 2016 ; il travaille à Baie-Mahaut sous contrat à durée indéterminée, la rejoint tous les week-ends, contribue à l'entretien et à l'éducation de l'enfant et souhaite l'épouser dès que possible ; en outre, sa mère n'est pas en situation irrégulière, mais titulaire d'une carte de séjour pluriannuelle ; sa vie familiale est ancrée en France où elle réside depuis octobre 2014, et elle n'a plus d'attache en Haïti dès lors que son autre enfant réside aux Etats-Unis avec son père ; ainsi, l'arrêté méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, l'arrêté porte atteinte à l'intérêt supérieur de sa fille, dont le père a vocation à rester en France.
Mme D... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 14 janvier 2021.
Par un mémoire en défense enregistré le 22 mars 2021, le préfet de la Guadeloupe conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que :
- le jugement du 13 juillet 2020 ayant été notifié le même jour, la requête enregistrée le 2 octobre 2020 est tardive ;
- les moyens invoqués par Mme D... ne sont pas fondés.
Par lettre du 30 mars 2021, les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce la cour est susceptible d'enjoindre la délivrance d'un titre de séjour si elle donne satisfaction à Mme D....
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020.
La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme C... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme D..., de nationalité haïtienne, a déclaré être entrée irrégulièrement en France en octobre 2014. Le 21 septembre 2016, elle a donné naissance à une fille prénommée Angelina, reconnue le 6 octobre suivant par un ressortissant haïtien en situation régulière. Le 6 mai 2019, elle a sollicité la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement des dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 26 novembre 2019, le préfet de la Guadeloupe a rejeté sa demande, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de renvoi et lui a interdit le retour sur le territoire français pour une durée d'un an. Mme D... relève appel du jugement du 13 juillet 2020 par lequel le tribunal administratif de la Guadeloupe a rejeté sa demande d'annulation de cet arrêté.
2. Aux termes de l'article R. 811-2 du code de justice administrative : " Sauf disposition contraire, le délai d'appel est de deux mois. Il court contre toute partie à l'instance à compter du jour où la notification a été faite à cette partie dans les conditions prévues aux articles R. 751-3 à R. 751-4-1. (...). " Aux termes de l'article R. 811-5 du même code : " Les délais supplémentaires de distance prévus à l'article R. 421-7 s'ajoutent aux délais normalement impartis. (...). " Et aux termes de l'article R. 421-7 de ce code : " Lorsque la demande est portée devant un tribunal administratif qui a son siège en France métropolitaine ou devant le Conseil d'Etat statuant en premier et dernier ressort, le délai de recours prévu à l'article R. 421-1 est augmenté d'un mois pour les personnes qui demeurent en Guadeloupe (...). " Il ressort des pièces du dossier que le jugement attaqué a été notifié par courrier recommandé à Mme D... le 27 juillet 2020. Compte-tenu du délai de distance d'un mois, le délai d'appel courait jusqu'au 28 octobre 2020, de sorte qu'il n'était pas expiré lorsque Mme D... a saisi la cour le 2 octobre 2020. Par suite, la fin de non-recevoir tirée de la tardiveté de la requête doit être écartée.
3. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
4. Mme D... produit pour la première fois en appel des pièces établissant que si le père de sa fille, titulaire d'une carte de résident, réside en semaine chez sa mère à Baie-Mahault où il travaille depuis janvier 2015 sous contrat à durée indéterminée, il la rejoint le week-end à Bouillante, où elle réside avec l'enfant, et qu'il contribue à l'entretien et à l'éducation de sa fille âgée de trois ans à la date de l'arrêté contesté. Dans ces circonstances, et alors même qu'elle admet avoir un autre enfant qui réside aux Etats-Unis avec son père, la requérante est fondée à soutenir qu'elle a en France le centre de ses intérêts privés et familiaux et que le refus de titre de séjour qui lui a été opposé le 26 novembre 2019 porte à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte contraire aux stipulations précitées.
5. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, que Mme D... est fondée à demander l'annulation de l'arrêté du préfet de la Guadeloupe du 26 novembre 2019.
6. Aux termes de l'article L.911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. / La juridiction peut également prescrire d'office cette mesure. " L'annulation prononcée au point précédent implique nécessairement, sous réserve d'un changement dans les circonstances de fait, qu'il soit fait droit à la demande de titre de séjour rejetée par l'arrêté du 26 novembre 2019. Par suite, il y a lieu d'enjoindre au préfet de la Guadeloupe de délivrer à Mme D... une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
7. Mme D... n'établit ni n'allègue avoir exposé des frais excédant ceux qui ont été pris en charge par l'aide juridictionnelle totale qui lui a été accordée par une décision du 14 janvier 2021. Par suite, ses conclusions tendant à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de la Guadeloupe n° 2000010 du 13 juillet 2020 et l'arrêté du préfet de la Guadeloupe du 26 novembre 2019 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de la Guadeloupe, sous réserve d'un changement dans les circonstances de fait, de délivrer à Mme D... une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : Les conclusions présentées par Mme D... au titre des frais exposés à l'occasion du litige sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme E... D..., au préfet de la Guadeloupe et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 6 avril 2021 à laquelle siégeaient :
Mme Brigitte Phémolant, présidente,
Mme Anne C..., présidente-assesseure,
Mme A... G..., conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 mai 2021.
La présidente,
Brigitte Phémolant
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 20BX03380