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14/06/2021 | FRANCE | N°18BX03370

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 3eme chambre (formation a 3), 14 juin 2021, 18BX03370


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme F... C... a demandé au tribunal administratif de la Guyane l'annulation des arrêtés du ministre de l'intérieur des 20 juillet et 4 août 2017 en tant qu'ils prévoient que sa mutation de la préfecture des Yvelines à la préfecture de la Guyane ne lui ouvre pas droit à la prise en charge des frais de changement de résidence, et d'enjoindre à son administration de prendre en charge ces frais.

Par un jugement n° 1700989 du 31 mai 2018, le tribunal administratif de la Guyane a rejeté sa demande.<

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Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 5 septembre 2018, Mme...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme F... C... a demandé au tribunal administratif de la Guyane l'annulation des arrêtés du ministre de l'intérieur des 20 juillet et 4 août 2017 en tant qu'ils prévoient que sa mutation de la préfecture des Yvelines à la préfecture de la Guyane ne lui ouvre pas droit à la prise en charge des frais de changement de résidence, et d'enjoindre à son administration de prendre en charge ces frais.

Par un jugement n° 1700989 du 31 mai 2018, le tribunal administratif de la Guyane a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 5 septembre 2018, Mme F... C..., représentée par Me B..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler les arrêtés du ministre de l'intérieur des 20 juillet et 4 août 2017 en tant qu'ils prévoient que sa mutation de la préfecture des Yvelines à la préfecture de la Guyane ne lui ouvre pas droit à la prise en charge de ses frais de changement de résidence ;

3°) d'enjoindre à l'Etat de prendre en charge ses frais de changement de résidence ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 300 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement attaqué est entaché d'irrégularité dès lors que le tribunal a omis d'examiner le moyen tiré de l'exception d'illégalité du décret du 12 avril 1989 ;

- les arrêtés contestés sont illégaux par voie de conséquence de l'illégalité du décret du 12 avril 1989, dès lors qu'il institue une différence de traitement entre les agents d'un même corps selon qu'ils sont mutés à l'intérieur de la France métropolitaine ou affectés dans un département d'outre-mer ; en effet, le décret n°90-437 du 28 mai 1990 prévoit une prise en charge des frais de changement de résidence sur le territoire métropolitain consécutif à une réintégration à l'expiration d'une période de disponibilité.

Par un mémoire en défense, enregistré le 30 avril 2021, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête de Mme C..., en se référant expressément à ses écritures de première instance, dont il joint une copie.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le décret n° 85-986 du 16 septembre 1985 modifié ;

- le décret n° 89-271 du 12 avril 1989 modifié ;

- le décret n° 90-437 du 28 mai 1990 modifié ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A... D...,

et les conclusions de Mme Béatrice Molina-Andréo, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme C..., adjointe administrative principale de 2ème classe au ministère de l'intérieur, relève appel du jugement du tribunal administratif de la Guyane qui a rejeté sa demande tendant à l'annulation des arrêtés du ministre de l'intérieur des 20 juillet et 4 août 2017 en tant qu'ils prévoient que son affectation à la préfecture de la Guyane ne lui ouvre pas droit à la prise en charge de ses frais de changement de résidence.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. les premiers juges n'ont pas répondu au moyen, qui n'était pas inopérant, soulevé par Mme C... tiré de l'exception d'illégalité du décret n° 89-271 du 12 avril 1989 fixant les conditions et les modalités de règlement des frais de changement de résidence des personnels civils à l'intérieur des départements d'outre-mer, entre la métropole et ces départements, et pour se rendre d'un département d'outre-mer à un autre, résultant de la différence de traitement que son article 19 institue entre les agents d'un même corps selon leurs lieux d'affectation et celle issue de l'article 19 du décret n° 90-437 du 28 mai 1990 fixant les conditions et les modalités de règlement des frais exposés à l'occasion des déplacements des personnels civils sur le territoire métropolitain de la France. Il y a lieu, en conséquence, d'annuler le jugement du tribunal, d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par Mme C... devant le tribunal administratif de la Guyane.

Sur la demande de première instance et devant la cour :

3. L'article 19-I-2 du décret du 12 avril 1989 fixant les conditions et les modalités de règlement des frais de changements de résidence des personnels civils à l'intérieur des départements d'outre-mer, entre la métropole et ces départements, et pour se rendre d'un département d'outre-mer à un autre, dans sa rédaction alors applicable, dispose que l'agent a droit à la prise en charge de ses frais de changement de résidence : " Lorsque le changement de résidence est consécutif : a) à une mutation demandée par un agent qui a accompli au moins quatre années de services sur le territoire européen de la France ou dans le département d'outre-mer d'affectation (...) b) à un détachement (...) c) à une réintégration, au terme d'un détachement (...) ". En vertu des dispositions du même article : " les agents n'ont droit à aucun remboursement ou indemnisation dans tous les autres cas, notamment dans celui (...) de mise en disponibilité (...) ". Cette disposition a pour effet d'exclure la prise en charge des frais d'un changement de résidence, dans les cas où celui-ci est la conséquence de la réintégration d'un agent dans son corps d'origine à l'issue d'une période de disponibilité. L'article 19 du décret du 28 mai 1990 fixant les conditions et les modalités de règlement des frais occasionnés par les changements de résidence des personnels civils sur le territoire métropolitain de la France lorsqu'ils sont à la charge des budgets de l'Etat, des établissements publics nationaux à caractère administratif et de certains organismes subventionnés prévoit la prise en charge des frais de changement de résidence de ces personnels lorsque ce changement est consécutif à " 10° A une réintégration, à l'expiration d'une disponibilité accordée dans le cadre des dispositions prévues aux b et c de l'article 47 du décret du 16 septembre 1985 susvisé, dans une résidence différente de la résidence antérieure à la disponibilité ".

4. Le principe général d'égalité ne s'oppose pas à ce que l'autorité investie du pouvoir réglementaire règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'elle déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que dans l'un comme dans l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec l'objet de la norme qu'il établit.

5. L'objet poursuivi par les articles 19 des décrets du 12 avril 1989 et du 28 mai 1990, qui règlent les conditions de prise en charge des frais de changement de résidence des personnels civils de l'Etat, est de tenir compte des sujétions imposées par le transfert de résidence de la famille dans le lieu d'affectation où se poursuivra la vie familiale. Mme C... demande l'annulation des arrêtés contestés des 20 juillet 2017 et 4 août 2017 du ministre de l'intérieur lui refusant la prise en charge de ses frais de changement de résidence en invoquant, par voie d'exception, l'illégalité de la différence de traitement entre les fonctionnaires selon qu'ils sont affectés sur le territoire métropolitain de la France ou dans un département d'outre-mer.

6. Si l'autorité investie du pouvoir réglementaire pouvait légalement instituer des règles différentes pour le remboursement des frais de déplacement des personnels civils de l'Etat, et notamment des frais liés à un changement de résidence, selon le lieu de destination ou de provenance du déplacement, elle ne pouvait légalement introduire des différences de traitement qu'au regard de justifications fondées sur l'objet ou la finalité de la réglementation dont s'agit. La différence de traitement contestée, qui prévoit la prise en charge des frais liés au changement de résidence dans le cas où l'agent fait l'objet d'une réintégration après une période de disponibilité à l'intérieur du territoire métropolitain mais l'exclut dans le cas d'une réintégration après une période de disponibilité à destination, en provenance ou à l'intérieur d'un département d'outre-mer, ne repose sur aucune justification fondée sur l'objet ou la finalité de la réglementation dont s'agit. Elle crée, par suite, une rupture illégale d'égalité entre les personnels civils de l'Etat selon leur lieu d'affectation.

7. L'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.

8. Dans son mémoire enregistré le 26 décembre 2017, régulièrement communiqué à Mme C... en première instance, l'administration a sollicité une substitution de motifs en soutenant que Mme C... ne remplissait pas la condition posée par l'article 23 du décret du 12 avril 1989, en faisant valoir qu'ayant déménagé pendant sa mise en disponibilité à la Martinique, elle ne pouvait prétendre à la prise en charge de ses frais de changement de résidence entre la Martinique et la Guyane.

9. Aux termes des dispositions de l'article 23 du décret du 12 avril 1989 : " (...) La prise en charge des frais de changement de résidence est limitée au parcours compris entre l'ancienne et la nouvelle résidence, la distance orthodromique de ce parcours étant fixée par arrêté conjoint du ministre chargé du budget et du ministre chargé de la fonction publique. ". Pour l'application de ces dispositions, la résidence s'entend de la résidence administrative de l'agent, définie comme le territoire de la commune sur lequel se situe le service où il est affecté. Le calcul des frais de changement de résidence doit prendre en compte la distance correspondant à la totalité du parcours entre l'ancienne résidence et la nouvelle.

10. A compter du 1er septembre 2015, Mme C... a été mise en disponibilité à sa demande pour élever un enfant de moins de huit ans, dans les conditions prévues à l'article 47 du décret n° 85-986 du 16 septembre 1985 relatif au régime particulier de certaines positions des fonctionnaires de l'Etat, à la mise à disposition, à l'intégration et à la cessation définitive de fonctions. L'intéressée a alors rejoint ses deux enfants et son époux, secrétaire administratif du ministère de la défense, affecté à la Martinique à compter du 1er septembre 2015. Par un arrêté du 7 juillet 2017, l'intéressée a été réintégrée à sa demande dans ses fonctions à la préfecture des Yvelines à compter du 1er septembre 2017. Toutefois, elle ne rejoindra pas cette précédente affectation. A sa demande, et par un arrêté du 16 juin 2017, l'intéressée a été affectée à la préfecture de la Guyane à compter du 1er septembre 2017. Aucune disposition de ce décret ne permet que le trajet entre La Martinique, où l'intéressée avait choisi de vivre durant sa période de disponibilité pour convenance personnelle, et Cayenne ouvre droit à une indemnité pour changement de résidence, la Martinique ne pouvant être regardée comme sa dernière résidence administrative. Ainsi, elle ne remplissait pas les conditions requises par l'article 23 du décret du 12 avril 1989 pour bénéficier de la prise en charge de ses frais de changement de résidence. Enfin, il ressort des pièces du dossier que l'administration aurait pris la même décision si elle avait entendu se fonder initialement sur ce motif. Par suite, il y a lieu de faire droit à la demande de substitution de motif présentée par l'administration, laquelle n'a pas pour effet de priver la requérante d'une garantie procédurale.

11. Il résulte de ce qui précède que les conclusions de Mme C... tendant à l'annulation des arrêtés des 20 juillet 2017 et 4 août 2017 du ministre de l'intérieur lui refusant la prise en charge de ses frais de changement de résidence doivent être rejetées.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

12. Le présent arrêt, qui rejette les conclusions à fin d'annulation des arrêtés contestés, n'appelle aucune mesure d'exécution. Dès lors, les conclusions à fin d'injonction présentées par Mme C... ne peuvent qu'être rejetées.

Sur les frais d'instance :

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme dont Mme C... demande le versement au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n°1700989 du 31 mai 2018 du tribunal administratif de la Guyane est annulé.

Article 2 : La demande de Mme C... présentée devant le tribunal administratif est rejetée.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme F... C... et au ministre de l'intérieur.

Délibéré après l'audience du 17 mai 2021 à laquelle siégeaient :

M. Didier Artus, président,

Mme Fabienne Zuccarello, présidente-assesseure,

Mme A... D..., première conseillère,

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 14 juin 2021.

La rapporteure

Agnès D...

Le président,

Didier ARTUSLe greffier,

André GAUCHON

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

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N° 18BX03370


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 3eme chambre (formation a 3)
Numéro d'arrêt : 18BX03370
Date de la décision : 14/06/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Exces de pouvoir

Analyses

36-08-03-006 Fonctionnaires et agents publics. Rémunération. Indemnités et avantages divers. Frais de changement de résidence.


Composition du Tribunal
Président : M. ARTUS
Rapporteur ?: Mme Agnes BOURJOL
Rapporteur public ?: Mme MOLINA-ANDREO
Avocat(s) : CABINET JOSE LOBEAU

Origine de la décision
Date de l'import : 29/06/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2021-06-14;18bx03370 ?
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