Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
L'association Ligue française pour la protection des oiseaux, l'association Nature environnement 17, l'association Charente nature, la Fédération de Charente de pêche et de protection du milieu aquatique (FDAAPPMA 16) et la Fédération Charente-Maritime pour la pêche et la protection du milieu aquatique (FDAAPPMA 17) ont demandé au tribunal administratif de Poitiers d'annuler l'arrêté du 20 avril 2017 par lequel le préfet de la Charente, le préfet de la Charente-Maritime, le préfet des Deux-Sèvres et la préfète de la Vienne ont délivré à la Société Coopérative agricole de Gestion de l'Eau de la Charente Amont (Cogest'Eau) une autorisation unique pluriannuelle de prélèvement d'eau pour l'irrigation agricole.
Par un jugement n° 1702441 du 9 mai 2019, le tribunal a annulé l'arrêté du 20 avril 2017 à compter du 1er avril 2021 en précisant que, dans l'intervalle, les prélèvements autorisés seront plafonnés à hauteur de la moyenne des prélèvements effectivement réalisés selon les modalités précisées au point 39 de sa décision.
Procédure devant la cour :
I - Par une requête enregistrée le 8 juillet 2019 sous le n° 19BX02864, la société Coopérative agricole de Gestion de l'Eau de la Charente Amont (Cogest'Eau), représentée par Me B..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement n° 1702441 du tribunal administratif de Poitiers ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les données contenues dans l'étude d'impact du projet relatives à la période de référence et l'évolution des prélèvements effectifs au cours de cette période étaient suffisantes et intelligibles contrairement à ce qu'a jugé le tribunal ; les auteurs de l'étude d'impact pouvaient se référer, en ce qui concerne le relevé des assecs, aux données collectées par l'Observatoire National des Etiages (ONDE) qui sont des données officielles reconnues par le ministère de l'environnement ; ces informations permettent de mieux prendre en compte la question du changement climatique et son impact sur les cours d'eau ; ces informations se fondent sur de nombreux points d'observations lesquelles sont effectuées chaque mois ;
- la liste des espèces de poissons susceptibles d'être impactées par le projet contenue dans l'étude d'impact n'est pas incomplète ; l'étude d'impact a bien étudié les espèces concernées en s'appuyant sur l'inventaire annuel réalisé en application de la directive cadre sur l'eau et du schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux (SDAGE) Adour-Garonne 2016-2021 ;
- c'est aussi à tort que le tribunal a jugé que l'étude d'impact avait insuffisamment analysé les incidences du projet sur son environnement ; les auteurs de l'étude ont pu estimer que les incidences du projet sur la flore n'étaient pas notables s'agissant d'espèces tolérantes à l'immersion comme à la sécheresse ; concernant la faune, l'étude d'impact a étudié les oiseaux potentiellement impactés en précisant qu'ils ne dépendent pas des milieux humides ; l'étude consacre aussi des développements aux visons, loutres et crossopes aquatiques ainsi qu'à la faune piscicole ;
- c'est à tort que les premiers juges ont estimé que l'étude d'impact ne répondait pas à l'exigence de précision requise pour un tel document ; l'ampleur du projet qui couvre 82 % du territoire du département et plusieurs centaines de kilomètres des départements voisins justifiait qu'une approche globale et synthétique soit privilégiée ;
- l'étude d'incidences Natura 2000 était conforme aux dispositions de l'article L. 414-4 du code de l'environnement ; les conditions hydrologiques en aval du projet dépendent fortement de celles découlant d'autres sous-bassins versants de la Charente, de sorte qu'une étude complète sur l'ensemble du bassin aurait été disproportionnée ; une telle insuffisance n'aurait en tout état de cause pas eu d'incidence sur le sens de la décision attaquée ;
- le fait que l'étude d'incidences ne fasse pas référence aux objectifs de protection " DOCOB " des sites Natura 2000 n'implique pas que ces derniers n'ont pas été pris en compte ; l'arrêté en litige prévoit ainsi une obligation de suivi des impacts du projet sur les sites Natura 2000 ;
- c'est à tort que le tribunal s'est fondée sur les dispositions de l'ordonnance du 26 janvier 2017 pour qualifier d'autorisation environnementale la décision en litige ;
- dans la mesure où l'étude d'impact et l'étude d'incidences sont complètes, il ne saurait être reproché à l'arrêté d'avoir méconnu l'article L. 414-4 du code de l'environnement ;
- la seule multiplication par deux des volumes prélevables résultant de l'arrêté contesté ne révèle pas nécessairement qu'une erreur manifeste d'appréciation a été commise ; il convenait de tenir compte des prescriptions fixées dans l'arrêté qui s'imposent aux exploitants pour la protection de la ressource en eau en application de l'article L. 211-1 du code de l'environnement ;
- l'arrêté en litige n'est pas incompatible avec les articles C 10 et C 18 du SDAGE Adour-Garonne 2016-2021 ; ce document entend mettre en oeuvre un ensemble de mesures pour restaurer l'équilibre de la ressource en eau sans indiquer qu'il est nécessaire de faire baisser les prélèvements pour l'irrigation agricole.
Par un mémoire en défense, enregistré le 17 août 2020, la Ligue française pour la protection des oiseaux, l'association Nature environnement 17, l'association Charente nature, la Fédération de Charente de pêche et de protection du milieu aquatique (FDAAPPMA 16) et la Fédération Charente-Maritime pour la pêche et la protection du milieu aquatique (FDAAPPMA 17), représentées par Me F..., concluent au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de la Cogest'Eau la somme de 2 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros au titre de ces même dispositions.
Elles soutiennent que tous les moyens de la requête doivent être écartés comme infondés.
Par ordonnance du 19 octobre 2020, la clôture d'instruction a été fixée au 5 janvier 2021 à 12h00.
II - Par une requête enregistrée le 10 juillet 2019 sous le n° 19BX02879, la ministre de la transition écologique demande à la cour d'annuler le jugement n° 1702441 du 9 mai 2019 par lequel le tribunal administratif de Poitiers a annulé l'arrêté du 20 avril 2017 en litige.
Elle soutient que :
- le jugement est irrégulier faute d'être revêtu des signatures prévues à l'article R. 741-7 du code de justice administrative ;
- le tribunal a jugé à tort que la compatibilité des volumes prélevables avec l'atteinte des conditions d'une gestion équilibrée de la ressource en eau n'était pas établie ; les volumes prélevables ont été fixés par le préfet de bassin en novembre 2011 et validés par le comité de bassin conformément au SDAGE Adour-Garonne ; ces volumes ont été pris en compte par le pétitionnaire dans la constitution de sa demande ; les volumes autorisés ont connu des diminutions importantes au cours des dix dernières années ; l'état des cours d'eau et des milieux aquatiques ne dépend pas uniquement de la valeur absolue des volumes prélevés mais d'autres facteurs tels que la localisation des prélèvements, la régression des zones humides, le recalibrage des cours d'eau ;
- le fait que l'autorisation autorise des prélèvements à un niveau supérieur aux volumes prélevés au cours des dernières années n'implique pas la possibilité pour les irrigants de prélever des volumes très supérieurs à ceux constatés ;
- l'arrêté en litige n'est pas incompatible avec le SDAGE Adour-Garonne ; la disposition C 18 du SDAGE concerne l'instruction des demandes de création de nouvelles retenues et non celle de l'autorisation unique pluriannuelle ; la circonstance que l'autorisation permet des prélèvements à un niveau supérieur aux volumes prélevés au cours des dernières années n'implique pas la possibilité pour les irrigants de prélever des volumes très supérieurs à ceux constatés ;
- en fixant au 1er avril 2021 la date de prise d'effet de l'annulation prononcée, le tribunal n'a pas tenu compte du délai nécessaire à l'établissement d'une nouvelle autorisation unique pluriannuelle ;
- le niveau de plafonnement des prélèvements fixé par le tribunal au titre des mesures transitoires n'est pas adapté ; il ne tient pas compte des besoins des irrigants ni des contraintes liées à la modification du plan annuel de répartition.
Par un mémoire présenté le 4 novembre 2019, la société Cogest'Eau, représentée par Me B..., demande à la cour d'annuler le jugement n° 1702441 du tribunal administratif de Poitiers et de mettre à la charge des requérants de première instance la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soulève les mêmes moyens que dans la requête n° 19BX02864.
Par un mémoire en défense, enregistré le 17 août 2020, la Ligue française pour la protection des oiseaux, l'association Nature environnement 17, l'association Charente nature, la Fédération de Charente de pêche et de protection du milieu aquatique (FDAAPPMA 16) et la Fédération Charente-Maritime pour la pêche et la protection du milieu aquatique (FDAAPPMA 17), représentées par Me F..., concluent au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de la Cogest'Eau la somme de 2 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros au titre de ces même dispositions.
Elles soutiennent que tous les moyens de la requête doivent être écartés comme infondés.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- le code de l'environnement ;
- l'ordonnance n° 2017-80 du 26 janvier 2017 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. D... A...,
- les conclusions de Mme Sylvande Perdu, rapporteure publique,
- et les observations de Me B..., représentant la société Coopérative agricole de Gestion de l'Eau de la Charente Amont (Cogest'Eau).
Considérant ce qui suit :
1. Par un arrêté inter-préfectoral du 18 décembre 2013, la société Coopérative agricole de Gestion de l'Eau de la Charente Amont (Cogest'Eau) a été désignée comme organisme unique de gestion collective de la ressource en eau dans le périmètre constitué des bassins du Son-Sonnette, de l'Argentor-Izonne, de la Péruse, du Bief, de l'Aume-Couture, de la Charente-Amont, de l'Auge, de l'Argence, de la Nouère, du Sud-Angoumois, de la Charente-Aval, du Né et de la nappe de la Bonnardelière. En cette qualité, la Cogest'Eau a déposé en préfecture de la Charente, le 31 mai 2016, une demande d'autorisation unique pluriannuelle pour des prélèvements d'eau à usage d'irrigation agricole sur le périmètre considéré. Par un arrêté du 20 avril 2017, le préfet de la Charente, préfet coordonnateur du sous-bassin de la Charente, le préfet de la Charente-Maritime, le préfet des Deux-Sèvres et la préfète de la Vienne ont délivré à la Cogest'Eau l'autorisation sollicitée, laquelle se substitue à l'ensemble des autorisations et déclarations de prélèvement existantes délivrées au sein du périmètre d'action de l'organisme unique.
2. A la demande de la Ligue française pour la protection des oiseaux, de l'association Nature environnement 17, de l'association Charente Nature, de la Fédération de Charente de pêche et de protection du milieu aquatique (FDAAPPMA 16) et de la Fédération Charente-Maritime pour la pêche et la protection du milieu aquatique (FDAAPPMA 17), le tribunal administratif de Poitiers a annulé l'arrêté du 20 avril 2017 par un jugement rendu le 9 mai 2019. Le tribunal a toutefois différé au 1er avril 2021 les effets de l'annulation prononcée et jugé que, jusqu'à cette date, les prélèvements autorisés seraient plafonnés à hauteur de la moyenne des prélèvements annuels effectivement réalisés calculée sur les dix campagnes précédentes ou, lorsqu'un point de prélèvements n'a pas dix ans d'antériorité, depuis sa mise en service régulière. La Cogest'Eau et la ministre de la transition écologique et solidaire relèvent appel de ce jugement par deux requêtes enregistrées sous les n° 19BX02864 et 19BX02879.
3. Les requêtes visées ci-dessus sont dirigées contre le même jugement et présentent à juger des mêmes questions. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.
Sur la régularité du jugement attaqué :
4. Aux termes de l'article R. 741-7 du code de justice administrative : " Dans les tribunaux administratifs (...), la minute de la décision est signée par le présidente de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience ".
5. La minute du jugement attaqué, produite au dossier d'appel, comporte les signatures du président de la formation de jugement, du rapporteur et du greffier d'audience, requises par l'article R. 741-7 du code de justice administrative. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de ces dispositions doit être écarté.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
6. Pour prendre sa décision, le tribunal a estimé que l'étude d'impact et l'étude des incidences Natura 2000 jointes à la demande étaient affectées d'omissions et d'insuffisances qui ont nui à l'information du public et ont été de nature à exercer une influence sur le sens de la décision des préfets, que celle-ci a été prise en méconnaissance de l'article L. 414-4 du code de l'environnement, qu'elle était entachée d'erreur manifeste au regard de l'article L. 211-1 du même code et était incompatible avec le schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux (SDAGE) Adour-Garonne 2016-2021, notamment ses articles C 10 et C 18.
En ce qui concerne l'étude d'impact :
7. Aux termes de l'article R. 122-5 du code de l'environnement, dans sa version applicable en l'espèce : " I. - Le contenu de l'étude d'impact est proportionné à la sensibilité environnementale de la zone susceptible d'être affectée par le projet, à l'importance et la nature des travaux, ouvrages et aménagements projetés et à leurs incidences prévisibles sur l'environnement ou la santé humaine. II. - L'étude d'impact présente : 2° Une analyse de l'état initial de la zone et des milieux susceptibles d'être affectés par le projet, portant notamment sur (...) la faune et la flore, les habitats naturels (...) les continuités écologiques (...) les équilibres biologiques, les facteurs climatiques (...) l'eau (...) 3° Une analyse des effets négatifs et positifs, directs et indirects, temporaires (y compris pendant la phase des travaux) et permanents, à court, moyen et long terme, du projet sur l'environnement, en particulier sur les éléments énumérés au 2° (...) ".
8. Les inexactitudes, omissions ou insuffisances d'une étude d'impact ne sont susceptibles de vicier la procédure et donc d'entraîner l'illégalité de la décision prise au vu de cette étude que si elles ont pu avoir pour effet de nuire à l'information complète de la population ou si elles ont été de nature à exercer une influence sur la décision de l'autorité administrative.
9. En premier lieu, les auteurs de l'étude d'impact se sont appuyés sur les données de l'Observatoire national des étiages (ONDE) pour décrire les assecs observés dans la zone d'étude du projet. Les suivis des assecs, dont les points de mesure sont présentés sur une carte figurant p. 56 de l'étude d'impact, ont été réalisés selon quatre modalités : observation des écoulements visibles, des écoulements visibles faibles, des écoulements non visibles et des assecs. Toutefois, alors que les auteurs de l'étude d'impact ont reconnu qu'en complément du réseau ONDE un suivi linéaire de l'écoulement des cours d'eau est réalisé par les fédérations départementales pour la pêche et la protection des milieux aquatiques, l'Office national de l'eau et des milieux aquatiques, dans son avis du 10 août 2016, a souligné que le dossier présentait une " déficience d'analyse " en l'absence notamment de prise en compte des données recueillies par ces fédérations. Cette analyse a été confirmée par le directeur départemental des territoires de la Charente dont le courrier du 22 septembre 2016 a souligné un " manque de données " permettant d'avoir une connaissance plus fine de l'impact des prélèvements sur le milieu. Le préfet a d'ailleurs pris acte de cette insuffisance en insérant dans l'arrêté en litige du 20 avril 2017 un article 10.6 intitulé " amélioration de la connaissance " prescrivant à Cogest'Eau de présenter un bilan annuel des assecs fondé sur les données fournies tant par le réseau ONDE que par les fédérations de la pêche et de la protection du milieu aquatique. Dans ces conditions, c'est à bon droit que les premiers juges ont estimé que l'étude d'impact était entachée d'insuffisances sur ce point.
10. En deuxième lieu, l'étude d'impact, après avoir rappelé que les poissons constituent le groupe taxonomique naturellement le plus lié au milieu aquatique, a identifié 7 espèces piscicoles d'intérêt communautaire susceptibles d'être impactées par le projet. Alors qu'il résulte de l'instruction que 62 espèces piscicoles sont présentes dans la région, dont 11 appartiennent à la catégorie des espèces protégées, l'étude n'expose pas les raisons pour lesquelles ces dernières ont été considérées comme non impactées par le projet. La problématique liée aux conséquences des assecs des cours d'eau en période estivale, dont certains sont classés " axes à grands migrateurs amphihalins ", n'est pas non plus évoquée dans l'étude d'impact en dépit, notamment, des enjeux piscicoles identifiés par le SDAGE. Dans ces conditions, les effets potentiels du projet sur la faune piscicole ont été insuffisamment étudiés par l'étude d'impact.
11. En troisième lieu, l'étude d'impact indique, s'agissant des conséquences que le projet peut entraîner pour la flore, que " l'incidence de la gestion de la ressource en eau sur la flore est difficile à évaluer étant donné le panel important d'écosystèmes qu'affectionnent les végétaux... ". Après quoi, les auteurs de l'étude d'impact ont limité leur analyse des impacts du projet sur la flore à deux hypothèses, la première constituée par une baisse significative et durable du niveau d'eau pouvant entraîner une modification de la répartition des espèces sur les berges, la seconde consistant en une modification de la qualité de l'eau susceptible de favoriser l'installation d'espèces aquatiques plus tolérantes au détriment des espèces plus exigeantes. Comme l'ont relevé à juste titre les premiers juges, ces indications ne sont assorties d'aucune précision quant aux espèces concernées et à leur caractère patrimonial, pas plus que n'est précisée l'ampleur des impacts possibles. L'étude d'impact est donc également insuffisante sur ce point.
12. En quatrième lieu, l'étude d'impact indique que les oiseaux présentent une sensibilité variable au projet en fonction des habitats occupés, la majorité des espèces n'étant pas strictement inféodée aux milieux aquatiques à l'exception du busard des roseaux et du balbuzard pêcheur qui utilisent ces milieux comme territoires de chasse, des populations de limicoles consommateurs de petits invertébrés enfouis dans l'humus ou la vase et d'autres espèces telles que le martin-pêcheur, les grèbes et les hérons. Il résulte pourtant de l'instruction que plusieurs sites protégés, répertoriés en raison de leur importance comme zones de reproduction pour différentes espèces patrimoniales (râle des genêts, grèbe castagneux, blongios, héron bihoreau), sont inclus dans le périmètre de l'autorisation délivrée à la Cogest'Eau. Tel est le cas, notamment, de la zone de protection spéciale (ZPS) " Vallée de la Charente en amont d'Angoulême " servant à la conservation d'oiseaux protégés inféodés aux milieux aquatiques. L'étude d'impact ne contient aucun développement pouvant expliquer l'absence d'analyse des effets potentiels du projet sur ces zones protégées, en particulier la ZPS " Vallée de la Charente ". Elle est ainsi insuffisante sur ce point.
13. En cinquième lieu, l'étude d'impact indique à propos des mammifères semi-aquatiques que ces derniers " sont très dépendants du milieu aquatique pour accomplir tout ou partie de leur cycle de vie ". Sont ainsi concernés le vison d'Europe, la loutre d'Europe et le crossope aquatique, que seule une baisse significative des eaux pourrait affecter selon l'étude d'impact, essentiellement au niveau de l'habitat de refuge que constituent les bords des cours d'eau. L'étude reconnait que le projet pourrait avoir des effets sur la ressource alimentaire de ces espèces mais que la capacité de dispersion qui caractérise ces dernières réduira fortement les impacts du projet sur ce point. Toutefois, ainsi qu'il a été dit plus haut, les analyses que l'étude d'impact consacre aux assecs et à leurs effets n'ont pas été suffisamment étudiés, si bien que les développements de l'étude portant sur les mammifères semi-aquatiques apparaissent eux-mêmes entachés d'insuffisances. La seule référence aux " capacités de dispersion " de ces espèces est insuffisante dès lors qu'elle tend à reconnaitre que le projet aura pour effet de détruire leurs habitats naturels sans qu'aucune analyse ne soit consacrée à la possibilité pour ces animaux de se reporter effectivement vers d'autres sites, ce qui a d'ailleurs été souligné par le directeur départemental des territoires dans ses observations du 22 septembre 2016. L'étude d'impact est, dans ces conditions, insuffisante sur ce point.
14. En sixième lieu, à l'appui de son moyen tiré de ce que le tribunal a jugé à tort que les volumes prélevables, les volumes de prélèvement antérieurement autorisés et les taux de consommation des volumes autorisés étaient présentés de manière éparse et sans la moindre synthèse dans l'étude d'impact, ce qui a empêché le public d'en prendre utilement connaissance, la Cogest'Eau ne se prévaut devant la cour d'aucun élément de droit ou de fait nouveau par rapport à son argumentation devant les premiers juges. Il y a lieu d'écarter son moyen par adoption des motifs pertinemment exposés au point 5 du jugement attaqué.
15. En septième et dernier lieu, la circonstance que le périmètre du projet est particulièrement vaste dès lors qu'il s'étend sur plus de 80 % du département de la Charente et quelques centaines de kilomètres carrés de trois départements voisins (Charente-Maritime, Deux-Sèvres et Vienne) est sans incidence, compte tenu des effets potentiels du projet sur la ressource en eau et les écosystèmes dans le périmètre qu'il recouvre, sur la réalité des omissions et insuffisances de l'étude d'impact telles que relevées ci-dessus. Par suite, la Cogest'Eau n'est pas fondée à soutenir que l'étude d'impact devrait être regardée comme présentant un degré de précision suffisant compte tenu du principe de proportionnalité de l'étude d'impact figurant à l'article R. 122-5 du code de l'environnement.
16. Il résulte de ce qui précède que l'étude d'impact jointe à la demande d'autorisation unique pluriannuelle est entachée d'omissions et d'insuffisances qui, eu égard à leur nature et à leur ampleur, ont été de nature à porter atteinte au droit à l'information du public et susceptibles d'exercer une influence sur le sens de la décision. Par suite, l'autorisation en litige du 20 mai 2017 a été délivrée à l'issue d'une procédure irrégulière.
En ce qui concerne l'étude d'incidences Natura 2000 :
17. Aux termes de l'article L. 414-4 du code de l'environnement : " I. - Lorsqu'ils sont susceptibles d'affecter de manière significative un site Natura 2000, individuellement ou en raison de leurs effets cumulés, doivent faire l'objet d'une évaluation de leurs incidences au regard des objectifs de conservation du site, dénommée ci-après " Evaluation des incidences Natura 2000 " : (...) 2° Les programmes ou projets d'activités, de travaux, d'aménagements, d'ouvrages ou d'installations ; 3° Les manifestations et interventions dans le milieu naturel ou le paysage (...) ". Aux termes de l'article R. 414-23 du même code : " (...) Cette évaluation est proportionnée à l'importance du document ou de l'opération et aux enjeux de conservation des habitats et des espèces en présence. I. - Le dossier comprend dans tous les cas : (...) 2° Un exposé sommaire des raisons pour lesquelles le (...) le projet (...) est ou non susceptible d'avoir une incidence sur un ou plusieurs sites Natura 2000 ; dans l'affirmative, cet exposé précise la liste des sites Natura 2000 susceptibles d'être affectés, compte tenu de la nature et de l'importance du (...) projet (...) de sa localisation dans un site Natura 2000 ou de la distance qui le sépare du ou des sites Natura 2000, de la topographie, de l'hydrographie, du fonctionnement des écosystèmes, des caractéristiques du ou des sites Natura 2000 et de leurs objectifs de conservation. II. - Dans l'hypothèse où un ou plusieurs sites Natura 2000 sont susceptibles d'être affectés, le dossier comprend également une analyse des effets temporaires ou permanents, directs ou indirects, que le (...) projet (...) peut avoir (...) sur l'état de conservation des habitats naturels et des espèces qui ont justifié la désignation du ou des sites. III. - S'il résulte de l'analyse mentionnée au II que le (...) projet (...) peut avoir des effets significatifs dommageables (...) sur l'état de conservation des habitats naturels et des espèces qui ont justifié la désignation du ou des sites, le dossier comprend un exposé des mesures qui seront prises pour supprimer ou réduire ces effets dommageables (...) ".
18. Par ailleurs, le VI de l'article L. 414-4 du code de l'environnement dispose que : " L'autorité chargée d'autoriser (...) s'oppose à tout (...) projet, manifestation ou intervention si l'évaluation des incidences (...) se révèle insuffisante ou s'il en résulte que leur réalisation porterait atteinte aux objectifs de conservation d'un site Natura 2000 (...) ".
19. En premier lieu, il est constant que les auteurs de l'étude d'incidences ont limité leurs analyses des conséquences du projet aux seuls sites Natura 2000 situés à l'intérieur du périmètre d'intervention de la Cogest'Eau, ce qui les a conduits à ne pas étudier ces conséquences éventuelles sur les sites Natura 2000 à l'aval de ce périmètre. Autrement dit, tous les sites à l'intérieur desquels le pétitionnaire ne prévoit pas d'effectuer des prélèvements n'ont pas été évoqués dans l'étude d'incidences, comme c'est le cas notamment de la zone de protection spéciale FR5412005 (Vallée de la Charente Moyenne et Seunes) et de la zone spéciale de conservation FR5400472 (Moyenne Vallée de la Charente et Seugnes et Coran) situées en aval de périmètres de prélèvements. Comme l'ont relevé à bon droit les premiers juges, la seule circonstance que les conditions hydrologiques en aval du projet dépendent d'autres sous-bassins ne peut justifier l'absence d'une étude, au moins sommaire, des incidences éventuelles du projet sur les zones concernées et sur les habitats et espèces qu'elles abritent, lesquelles ne pouvaient être écartées a priori du seul fait qu'aucun prélèvement n'y est envisagé, d'autant que les deux zones sensibles mentionnées ci-dessus, situées à proximité de plusieurs points de prélèvements, présentent un état vulnérable dû à l'altération des dynamiques fluviales (écrêtage des crues), à la dégradation de la qualité des eaux (eutrophisation généralisée) et à l'enfoncement estival de la nappe phréatique (prélèvements agricoles). Par suite, les auteurs de l'étude d'incidences ne pouvaient exclure a priori ces zones de leurs analyses sans, à tout le moins, consacrer un exposé sommaire, comme le prévoit le 2° précité de l'article R. 414-23 du code de l'urbanisme, des raisons pour lesquelles le projet n'était pas susceptible d'avoir une incidence sur ces derniers.
20. En deuxième lieu, les auteurs de l'étude d'incidences ont recensé 17 sites Natura 2000 situés à l'intérieur du périmètre de gestion de la Cogest'Eau puis ont entendu mesurer les impacts (négligeables, faibles, modérés, forts) du projet sur ces sites Natura 2000 en fonction de trois critères : la " sensibilité surfacique des habitats humides " (surface réelle de la zone humide dans le site), la " proportion de zones humides du site Natura 2000 " (proportion des zones humides par rapport aux autres habitats présents sur le site) et un " avis d'expert pour pondérer le reste ". En fonction de ces critères, les auteurs de l'étude d'incidences ont dénombré quatre sites pouvant être affectés par le projet et limité leurs analyses à ces quatre sites. Mais comme l'ont relevé à bon droit les premiers juges, par des motifs que les appelants ne contestent pas avec pertinence, les critères d'incidences mentionnés ci-dessus n'ont pas permis à eux seuls d'évaluer avec une précision suffisante les effets des prélèvements sur les sites Natura 2000 existants dont les documents d'objectifs (DOCOB) constituent la référence pour évaluer les incidences des projets susceptibles de les affecter. Or, les développements de l'étude d'incidences ne font pas apparaitre la prise en compte des diagnostics et objectifs de conservation contenus dans ces documents qui auraient servi à une évaluation plus fine des conséquences possibles du projet sur ces zones sensibles et protégées. D'ailleurs, dans une note du 16 mars 2016 consacrée à l'évaluation des incidences Natura 2000, l'autorité environnementale du Conseil général de l'environnement et du développement durable a rappelé que la démonstration de l'absence d'incidences doit s'appuyer explicitement sur les informations, analyses et orientations du DOCOB et souligné l'importance que revêt ce document pour éclairer l'autorité environnementale chargée de donner son avis sur l'évaluation environnementale du projet. Ainsi, l'étude d'incidences, faute d'avoir intégré explicitement les objectifs de conservation dans son analyse, est entachée d'insuffisances.
21. Par suite, la Cogest'Eau n'est pas fondée à soutenir que l'étude d'incidences est complète au regard du principe figurant à l'article R. 414-23 précité du code de l'environnement selon lequel l'évaluation est proportionnée à l'importance de l'opération et aux enjeux de conservation des habitats et des espèces en présence. Compte tenu de leur nature et de leur ampleur, ces insuffisances ont porté atteinte au droit à l'information du public et ont été susceptibles d'exercer une influence sur le sens de la décision prise.
En ce qui concerne l'article L. 211-1 du code de l'environnement :
22. Aux termes de l'article L. 211-1 : " I. - Les dispositions des chapitres Ier à VII du présent titre ont pour objet une gestion équilibrée et durable de la ressource en eau ; cette gestion prend en compte les adaptations nécessaires au changement climatique et vise à assurer : 1° La prévention (...) des écosystèmes aquatiques, des sites et des zones humides (...) 3° La restauration de la qualité de ces eaux et leur régénération ; 4° Le développement, la mobilisation, la création et la protection de la ressource en eau ; 5° La valorisation de l'eau comme ressource économique (...) ainsi que la répartition de cette ressource ; 5° bis La promotion d'une politique active de stockage de l'eau pour un usage partagé de l'eau permettant de garantir l'irrigation, élément essentiel de la sécurité de la production agricole et du maintien de l'étiage des rivières, et de subvenir aux besoins des populations locales ; 6° La promotion d'une utilisation efficace, économe et durable de la ressource en eau ; 7° Le rétablissement de la continuité écologique au sein des bassins hydrographiques. (...) II. - La gestion équilibrée doit permettre (...) de satisfaire ou concilier, lors des différents usages, activités ou travaux, les exigences : 1° De la vie biologique du milieu récepteur, et spécialement de la faune piscicole et conchylicole ; 2° De la conservation et du libre écoulement des eaux (...) 3° De l'agriculture, des pêches (...) de la pêche en eau douce (...) ".
23. Aux termes de l'article R. 214-31-1 du code de l'environnement : " Dès qu'un organisme unique de gestion collective est institué (...), il invite les irrigants dans le périmètre où il est désigné à lui faire connaître, avant une date qu'il détermine, leurs besoins de prélèvement d'eau pour l'irrigation. (...) ". Aux termes de l'article R. 214-31-2 du même code : " L'arrêté préfectoral fixe la durée de l'autorisation pluriannuelle qui ne peut excéder quinze ans et détermine le volume d'eau général dont le prélèvement est autorisé chaque année. Il précise les conditions de prélèvement dans les différents milieux et les modalités de répartition, dans le temps, des prélèvements entre les points de prélèvement au sein du périmètre de gestion collective. L'autorisation pluriannuelle se substitue à toutes les autorisations et déclarations de prélèvements d'eau pour l'irrigation existantes au sein du périmètre de gestion collective (...) ".
24. Il résulte de l'instruction que le territoire d'intervention de la Cogest'Eau, organisme unique de gestion collective, a été classé, en application de l'article R. 211-71 du code de l'environnement, en zone de répartition des eaux compte tenu de l'insuffisance structurelle des ressources observées sur ce territoire par rapport aux besoins. Une vingtaine de masses d'eau souterraines, dont certaines correspondent aux périmètres élémentaires recensés à l'article 2 de l'autorisation en litige comme points de prélèvements, sont classées en mauvais état quantitatif par le SDAGE Adour-Garonne 2016/2021. Quant aux eaux superficielles correspondant aux périmètres élémentaires, elles sont soumises à des prélèvements significatifs et majoritairement classées en état écologique moyen, en état médiocre pour quatre d'entre elles et mauvais pour deux d'entre elles.
25. L'article 2 de l'autorisation contestée du 20 avril 2017 relatif à la " répartition des volumes prélevables autorisés " identifie, en ce qui concerne les eaux superficielles, 13 périmètres élémentaires en affectant à chacun d'eux un volume prélevable et, en ce qui concerne les eaux stockées déconnectées, 5 périmètres élémentaires correspondant chacun à un volume de gestion. Le volume prélevable est celui que le milieu est capable de fournir dans des conditions météorologiques satisfaisantes en moyenne 8 années sur 10, le volume de gestion autorisé étant le volume prélevable dans la retenue collinaire ou le plan d'eau en période d'étiage, entre le 1er avril et le 30 septembre. En période d'étiage, les prélèvements sont autorisés pour l'irrigation agricole tandis qu'en période hivernale (du 1er octobre au 31 mars), les prélèvements servent à l'irrigation agricole ainsi qu'au remplissage des retenues collinaires ou de substitution.
26. Le volume prélevable en période d'étiage dans les eaux superficielles a été fixé, par l'article 2 de l'autorisation contestée, à près de 39 millions de mètres cubes (Mm3) et à 1,6 Mm3 dans les eaux stockées déconnectées, tandis que le volume prélevable dans les eaux souterraines a été fixé à 4 875 000 Mm3 entre le 1er avril et le 31 mars. Selon l'article 3 de l'arrêté du 20 avril 2017, l'autorisation est accordée pour une durée maximale de 15 ans.
27. Les requérants de première instance ont soutenu devant les premiers juges que ni le pétitionnaire ni l'Etat n'ont établi, sur la base de données scientifiques rigoureuses, que les volumes prélevables autorisés correspondraient effectivement à celui que le milieu naturel est capable de fournir dans des conditions météorologiques satisfaisantes 8 années sur 10 en moyenne, sans impact défavorable pour ce milieu. Si le ministre souligne que les volumes prélevables auxquels le pétitionnaire a fait référence dans sa demande d'autorisation ont été fixés par le préfet coordonnateur du sous-bassin de la Charente en novembre 2011, les requérantes de première instance font valoir, sans être contestées sur ce point précis, que les volumes ainsi définis sont issus de simples négociations entre l'Etat et la profession agricole sans qu'aucune évaluation scientifique menée par ailleurs soit venue confirmer leur pertinence.
28. Alors qu'il résulte de l'instruction qu'au cours des années qui ont précédé l'autorisation en litige, les prélèvements réellement effectués dans les sous bassins gérés par Cogest'Eau ont été le plus souvent inférieurs aux volumes prélevables définis dans l'arrêté en litige, les requérants de première instance produisent une note de la Fédération de Charente de pêche et de protection du milieu aquatique (FDAAPPMA 16) relative au suivi des assecs sur la période 2010-2019. Cette note a révélé la présence de plusieurs kilomètres de linéaires hydrographiques asséchés ou en rupture d'écoulement, ce qui tend à établir que les volumes alors consommés, pourtant inférieurs aux volumes prélevables définis dans l'arrêté du 20 avril 2017, ne garantissaient pas le bon fonctionnement des milieux aquatiques 8 années sur 10. Pas plus en appel qu'en première instance la Cogest'Eau et l'Etat n'ont produit d'éléments permettant de mettre en doute les éléments avancés par les requérants de première instance.
29. La circonstance selon laquelle les volumes prélevables définis dans l'arrêté en litige sont inférieurs à ceux qui ont été autorisés au cours de la période 2010-2019 ne peut être utilement invoquée par le ministre dès lors que la situation hydrologique décrite ci-dessus est le résultat des prélèvements effectivement réalisés dans le milieu concerné. De même, si le ministre fait valoir que la baisse des volumes prélevables est le résultat de la diminution des volumes autorisés au cours de la période 2010-2019, une telle diminution par elle-même n'entraîne pas nécessairement celle des volumes effectivement consommés par les irrigants.
30. La ministre allègue par ailleurs que l'état des cours d'eau n'est pas seulement lié à la valeur absolue des volumes prélevables mais dépend aussi d'autres facteurs tels que la localisation des prélèvements, l'évolution des zones humides ou le recalibrage des cours d'eau. Mais elle n'assortit cette affirmation d'aucun élément permettant à la cour d'apprécier l'impact réel de ces paramètres sur la situation hydrologique du périmètre concerné, comparé à celui résultant des prélèvements autorisés. D'ailleurs, l'autorité environnementale a relevé dans son avis que les principales pressions exercées sur les masses d'eau superficielles étaient bien liées à l'agriculture (prélèvements, azote phytosanitaires).
31. Par ailleurs, la seule circonstance, théorique, que les volumes prélevés ne correspondent pas à ceux autorisés ne permet pas à elle seule de retenir une absence d'atteinte aux intérêts protégés par l'article L. 211-1 du code de l'environnement compte tenu de l'état des masses d'eau dans le périmètre d'intervention de la Cogest'Eau, constaté notamment par la FDAAPPMA 16 et qui a justifié un classement en zone de répartition des eaux, et des lacunes qui ont entaché tant l'étude d'impact que l'étude d'incidences sur les sites Natura 2000 et qui n'ont pas permis de connaître avec précision tous les impacts potentiels du projet sur la ressource en eau.
32. Il ne résulte pas de l'instruction que les ajustements des prélèvements prévus au titre des mesures de " gestion conjoncturelle ", telle que la limitation des prélèvements par la mise en place de pourcentages hebdomadaires, suffiraient à prévenir les atteintes aux intérêts mentionnés à l'article L. 211-1 du code de l'environnement que le projet est susceptible d'entraîner. En particulier, des mesures telles que les coupures d'eau, prévue alors que les épisodes de sécheresse sont déjà apparus, n'apparaissent pas suffisantes pour réduire efficacement les impacts que le projet est de nature à entraîner sur l'état de la ressource en eau.
33. Par suite, c'est à bon droit que les premiers juges ont accueilli le moyen tiré de la méconnaissance par l'arrêté du 20 avril 2017 en litige de l'article L. 211-1 du code de l'environnement.
En ce qui concerne l'article L. 414-4 du code de l'environnement :
34. Il résulte des dispositions de l'article L. 414-4 du code de l'environnement, éclairées par l'interprétation donnée par la Cour de Justice de l'Union Européenne sur les conditions d'application de la directive " Habitats " (11 avril 2013 C-258/11) que l'autorisation d'un projet entrant dans leur champ d'application ne peut être accordée qu'à la condition que les autorités compétentes, une fois identifiés tous les aspects dudit projet pouvant, par eux-mêmes ou en combinaison avec d'autres plans ou projets, affecter les objectifs de conservation du site Natura 2000 concerné et compte tenu des meilleures connaissances scientifiques en la matière, aient acquis la certitude, au moment où elles autorisent le projet, qu'il est dépourvu d'effets préjudiciables durables à l'intégrité du site concerné. Il en est ainsi lorsqu'il ne subsiste aucun doute raisonnable d'un point de vue scientifique quant à l'absence de tels effets.
35. En raison des omissions et des imprécisions qui affectent l'étude d'incidences, un doute raisonnable subsiste quant aux effets potentiellement négatifs du projet sur les sites protégés. Par suite, l'autorité compétente ne peut être regardée comme ayant acquis la certitude que le projet est dépourvu d'effets préjudiciables durables à l'intégrité du site concerné, de sorte qu'en délivrant l'autorisation en litige, cette autorité a méconnu les dispositions précitées de l'article L. 414-4 du code de l'environnement citées au point 18 en vertu desquelles l'autorisation est refusée si l'évaluation des incidences est insuffisante.
En ce qui concerne la compatibilité du projet avec le SDAGE Adour-Garonne :
36. Aux termes de l'article R. 214-32-1 du code de l'environnement : " (...) Les prélèvements faisant l'objet de l'autorisation pluriannuelle doivent être compatibles avec les orientations fondamentales et les objectifs de qualité et de quantité des eaux fixés par le schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux et, le cas échéant, avec les objectifs généraux et le règlement du schéma d'aménagement et de gestion des eaux (...). ".
37. En vertu de l'article L. 212-1 du code de l'environnement, le SDAGE, d'une part, fixe, pour chaque bassin ou groupement de bassins, les objectifs de qualité et de quantité des eaux ainsi que les orientations permettant d'assurer une gestion équilibrée et durable de la ressource en eau, et d'autre part, détermine à cette fin les aménagements et les dispositions nécessaires. Pour apprécier la compatibilité de l'autorisation unique pluriannuelle avec le SDAGE, il convient de rechercher, dans le cadre d'une analyse globale conduisant à se placer à l'échelle du territoire pertinent pour apprécier les effets du projet sur la gestion des eaux, si l'autorisation ne contrarie pas les objectifs et les orientations fixés par le schéma, en tenant compte de leur degré de précision, sans rechercher l'adéquation de l'autorisation au regard chaque orientation ou objectif particulier.
38. Devant le tribunal, les requérants de première instance ont soutenu que l'autorisation unique du 20 avril 2017 est incompatible avec les dispositions et orientations du SDAGE Adour-Garonne 2016-2021, notamment son orientation C 10, qui impose à l'Etat ou aux commissions locales de l'eau de définir des volumes prélevables compatibles avec le bon état quantitatif des masses d'eau souterraines, et son orientation C 18, privilégiant la construction de réserves de substitution pour permettre des prélèvements en dehors des périodes d'étiage.
39. L'autorisation unique en litige regroupe l'ensemble des prélèvements d'eau pour l'irrigation sur le périmètre d'intervention de la Cogest'eau, lequel comprend 13 sous-bassins. Il convient de se placer à l'échelle de ce territoire pertinent, en tenant compte de l'état des masses d'eau que celui-ci abrite, pour apprécier la compatibilité de l'autorisation contestée avec le SDAGE Adour-Garonne.
40. Selon le SDAGE Adour-Garonne, 9 masses d'eau situées dans les périmètres élémentaires de l'autorisation en litige présentent un " mauvais état quantitatif ", certaines d'entre elles étant de plus soumises à une " pression de prélèvement significative ". S'agissant plus particulièrement des périmètres élémentaires Né, Argence, Aume-Couture et Nouère, ils sont en état de " déséquilibre important " toujours selon le SDAGE. Or il résulte de l'instruction, comme l'a notamment constaté l'autorité environnementale dans son avis, que ni le dossier de demande ni l'arrêté d'autorisation n'ont défini de volumes prélevables pour les eaux souterraines. Compte tenu du mauvais état quantitatif des masses d'eau concernées et de l'absence de définition des volumes prélevables, les prélèvements autorisés par l'arrêté en litige, à propos desquels les premiers juges ont précisé qu'ils étaient " potentiellement doubles " de ceux antérieurement effectués, sont susceptibles d'aggraver l'état de ces aquifères.
41. L'article 10.1 de l'arrêté en litige du 20 avril 2017 intitulé " plan de répartition des eaux " prévoit, sur le périmètre élémentaire Aume-Couture, reconnu en " déséquilibre important " par le SDAGE et où l'état des masses d'eau est altéré par les prélèvements, une retenue de substitution d'un volume de 1 650 000 m3 pour 2021. Les retenues de substitution ont vocation à permettre la réalisation de prélèvements en dehors des périodes d'étiage en lieu et place des volumes prélevés à l'étiage. De ce point de vue, la disposition en litige de l'arrêté d'autorisation unique tend à mettre en oeuvre les orientations C " améliorer la gestion quantitative " et D " Préserver et restaurer les fonctionnalités des milieux aquatiques " du SDAGE. Toutefois alors que, selon le SDAGE Adour-Garonne, les retenues de substitution viennent en remplacement des prélèvements existants, il résulte de l'arrêté en litige que les volumes ayant vocation à être substitués sont au contraire ajoutés aux volumes prélevables notifiés.
42. Ainsi qu'il a déjà été dit, l'état des masses d'eau situées dans le périmètre d'intervention de la Cogest'Eau était déjà en déséquilibre et identifié comme tel par le SDAGE avant l'intervention de l'arrêté d'autorisation unique en litige. Compte tenu de tout ce qui précède, il ne peut être considéré que cette décision, en ce qu'elle autorise durant 15 ans notamment des prélèvements potentiellement supérieurs à ceux opérés antérieurement, permettrait de restaurer un équilibre quantitatif entre les prélèvements et les ressources disponibles et d'atteindre l'objectif d'un bon état des eaux en application du SDAGE Adour-Garonne.
43. Dans ces conditions, c'est à bon droit que les premiers juges ont regardé l'arrêté du 20 avril 2017 comme incompatible avec le SDAGE Adour-Garonne.
44. Il résulte de tout ce qui précède que la ministre de la transition écologique et la Cogest'Eau ne sont pas fondées à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers a annulé l'autorisation unique en litige.
En ce qui concerne les conséquences de l'illégalité de l'arrêté du 20 avril 2017 :
45. L'annulation d'un acte administratif implique en principe que cet acte est réputé n'être jamais intervenu. Toutefois, s'il apparaît que cet effet rétroactif de l'annulation est de nature à emporter des conséquences manifestement excessives en raison tant des effets que cet acte a produits et des situations qui ont pu se constituer lorsqu'il était en vigueur que de l'intérêt général pouvant s'attacher à un maintien temporaire de ses effets, il appartient au juge administratif - après avoir recueilli sur ce point les observations des parties et examiné l'ensemble des moyens, d'ordre public ou invoqués devant lui, pouvant affecter la légalité de l'acte en cause - de prendre en considération, d'une part, les conséquences de la rétroactivité de l'annulation pour les divers intérêts publics ou privés en présence et, d'autre part, les inconvénients que présenterait, au regard du principe de légalité et du droit des justiciables à un recours effectif, une limitation dans le temps des effets de l'annulation. Il lui revient d'apprécier, en rapprochant ces éléments, s'ils peuvent justifier qu'il soit dérogé au principe de l'effet rétroactif des annulations contentieuses et, dans l'affirmative, de prévoir dans sa décision d'annulation que, sous réserve des actions contentieuses engagées à la date de celle-ci contre les actes pris sur le fondement de l'acte en cause, tout ou partie des effets de cet acte antérieurs à son annulation devront être regardés comme définitifs ou même, le cas échéant, que l'annulation ne prendra effet qu'à une date ultérieure qu'il détermine.
46. L'annulation rétroactive de l'arrêté du 20 avril 2017 aurait pour conséquence de remettre immédiatement en cause les conditions dans lesquelles les irrigants ont engagé la campagne culturale, notamment dans le cadre des arrêtés préfectoraux du 20 avril 2017 et du 10 avril 2018 homologuant pour chacune de ces années le plan de répartition des eaux entre les irrigants, présenté par l'organisme unique de gestion collective. Par suite, cette annulation porterait une atteinte manifestement excessive à l'intérêt des irrigants.
47. Les motifs qui ont conduit le tribunal à annuler l'arrêté du 20 avril 2017, confirmés par le présent arrêt, obligent la Cogest'Eau à présenter une demande d'autorisation comprenant une nouvelle étude d'impact et une nouvelle étude des incidences Natura 2000 à soumettre à enquête publique. Au regard des délais nécessaires à la constitution d'une nouvelle demande d'autorisation et à l'instruction de celle-ci, il y a lieu dans les circonstances de l'espèce de différer au 1er avril 2022 les effets de l'annulation de l'arrêté en litige en l'absence au dossier d'éléments susceptibles de justifier que soit accordé un report plus important de l'annulation prononcée.
48. Quant aux mesures transitoires définies par le tribunal dans l'attente d'une nouvelle autorisation, elles ont consisté dans le plafonnement des prélèvements autorisés, à compter de la campagne en cours à la date du 9 mai 2019, à la moyenne des prélèvements annuels effectivement réalisés sur chaque point de prélèvement. Cette moyenne est calculée sur les dix campagnes ayant précédé la date du jugement attaqué ou, lorsqu'un point de prélèvement n'a pas une antériorité de dix ans, depuis sa mise en service régulière. La ministre soutient que le niveau de plafonnement des prélèvements fixé par le tribunal au titre des mesures transitoires n'est pas adapté et ne tient pas compte des besoins des irrigants ni des contraintes liées à la modification du plan annuel de répartition. Toutefois, les consommations antérieures par points de prélèvements sont connues de l'Etat et de la Cogest'Eau et il ne résulte pas de l'instruction que les modalités ainsi définies placeraient les irrigants dans l'impossibilité de poursuivre leur campagne culturale dans des conditions satisfaisantes alors que, dans la définition de ces mesures transitoires, les premiers juges ont nécessairement tenu compte, comme ils leur appartenait de le faire, des objectifs du maintien du bon état de la ressource en eau et de l'équilibre dans les différents usages de cette ressource. Enfin, il ne résulte pas de l'instruction que la remise en cause, par le différé d'annulation prononcé, du plan de répartition des eaux approuvé par le préfet le 1er avril 2019, soit quelques jours avant la lecture du jugement attaqué, aurait porté une atteinte excessive aux intérêts des irrigants.
49. Il résulte de tout ce qui précède que, sous réserve du report au 1er avril 2022 du différé d'annulation que le tribunal avait fixé au 1er avril 2021 à l'article 1er de son jugement, les conclusions de la ministre de la transition écologique et de la société Cogest'Eau dirigées contre ce jugement doivent être rejetées.
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
50. Il y a lieu de faire application de ces dispositions en mettant à la charge de l'Etat et de la société Cogest'Eau les sommes de 750 euros chacun à verser aux associations intimées, prises ensemble, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font en revanche obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées sur ce fondement par la société Cogest'Eau.
DECIDE :
Article 1er : Sous réserve des actions contentieuses engagées à la date de la présente décision contre les actes pris sur son fondement, l'arrêté du 20 avril 2017 délivrant à Cogest'eau une autorisation unique pluriannuelle de prélèvement d'eau pour 1'irrigation agricole est annulé à compter du 1er avril 2022 et le jugement n° 1702441 du tribunal administratif de Poitiers du 9 mai 2019 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 2 : Le surplus des requêtes n° 19BX02864 et 19BX02879 sont rejetées.
Article 3 : L'Etat et la société Cogest'Eau, verseront chacun la somme de 750 euros à la Ligue française pour la protection des oiseaux, à l'association Nature environnement 17, à l'association Charente nature, à la Fédération de Charente de pêche et de protection du milieu aquatique (FDAAPPMA 16) et à la Fédération Charente-Maritime pour la pêche et la protection du milieu aquatique (FDAAPPMA 17), prises ensemble, au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions de la société Cogest'Eau tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5: Le présent arrêt sera notifié à la ministre de la transition écologique, à la société Cogest'Eau et à l'association Ligue française pour la protection des oiseaux, désignée en application de l'article R.751-3 du code de justice administrative.
Copie pour information en sera délivrée à la préfète de la Charente, au préfet de la Charente-Maritime, au préfet des Deux-Sèvres et à la préfète de la Vienne.
Délibéré après l'audience du 18 mai 2021 à laquelle siégeaient :
Mme Elisabeth Jayat, présidente,
M. D... A..., président-assesseur,
Mme C... E..., première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 juin 2021.
Le rapporteur,
Frédéric A...
La présidente,
Elisabeth JayatLa greffière,
Virginie Santana
La République mande et ordonne à la ministre de la transition écologique en ce qui la concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
16
N° 19BX02864, 19BX02879