Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Limoges d'annuler l'arrêté du 18 juin 2020 par lequel le préfet de la Haute-Vienne a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi.
Par un jugement n° 2001314 du 3 décembre 2020, le tribunal administratif de Limoges a annulé l'arrêté préfectoral du 18 juin 2020 et prescrit au préfet de réexaminer la situation de M. A....
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 31 décembre 2020, le préfet de la Haute-Vienne demande à la cour d'annuler ce jugement n° 2001314 du tribunal administratif de Limoges.
Il soutient, en ce qui concerne le moyen d'annulation retenu par le tribunal, que :
- le tribunal ne pouvait appliquer à l'arrêté de délégation de signature au secrétaire général, qui revêt un caractère règlementaire, les articles L. 212-1 et L. 212-2 du code des relations entre le public et l'administration relatifs à l'obligation de faire apparaitre sur les décisions administratives la signature de leur auteur ;
- dès lors que l'arrêté de délégation est devenu définitif, le requérant ne pouvait plus exciper de son illégalité pour vice de forme (Conseil d'Etat, 18 mai 2018 n°414583) ;
- en tout état de cause, l'arrêté de délégation de signature, publié sur le site internet de la préfecture et accessible au public, comportait les mentions prévues par la loi ;
Il soutient, au fond, que :
- l'arrêté en litige n'avait pas à être précédé de la consultation de la commission du titre de séjour dès lors que le requérant ne remplissait pas les conditions pour obtenir la délivrance d'un titre ;
- le requérant n'a pas acquis la nationalité française du seul fait que sa mère a été naturalisée française en 2015 ; il ne produit aucun élément permettant de faire penser que l'exception de nationalité dont il se prévaut présente une difficulté sérieuse justifiant qu'une question préjudicielle soit posée au juge judiciaire ;
- en l'absence de visa de long séjour, le requérant ne pouvait prétendre à un titre de séjour en application de l'article L. 314-11-2° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- pour le même motif, le requérant ne pouvait prétendre à un titre de séjour en qualité d'étudiant en application de l'article L. 313-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la décision en litige n'a pas méconnu l'article L. 313-11-7° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors que le requérant est entré en France récemment et qu'il n'est pas dépourvu d'attaches familiales dans son pays d'origine ;
- les motifs de la décision montrent que le préfet n'a pas rejeté la demande de titre du seul fait que le requérant ne possède pas de visa de long séjour ; le préfet a statué après avoir exercé son pouvoir discrétionnaire ;
- le requérant ne fait pas état de considérations humanitaires ou de motifs exceptionnels qui auraient dû conduire le préfet, sous peine d'erreur manifeste d'appréciation, à lui délivrer un titre de séjour en application de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le refus de titre de séjour n'étant pas entaché d'illégalité, le requérant ne peut se prévaloir de celle-ci pour contester la mesure d'éloignement ;
- il n'est pas tenu de motiver le délai de départ volontaire lorsque celui-ci est fixé à 30 jours, soit le délai de droit commun.
Par un mémoire en défense enregistré le 9 juillet 2021, M. B... A..., représenté par Me Ouangari, conclut au rejet de la requête du préfet et à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que tous les moyens de la requête doivent être écartés comme infondés.
M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 18 mars 2021.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Frédéric Faïck a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B... A... est un ressortissant ukrainien né le 10 août 1998 qui est entré, en dernier lieu, sur le territoire français en octobre 2019 pour y rejoindre sa mère. Le 8 octobre 2019, il a déposé en préfecture de la Haute-Vienne une demande de titre de séjour que le préfet a instruite sur le fondement des articles L. 314-11-2°, L. 313-11-7°, L. 313-7 et L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 18 juin 2020, le préfet a rejeté la demande de titre de séjour présentée par M. A..., assorti son refus d'une obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixé le pays de renvoi. A la demande de M. A..., le tribunal administratif de Limoges a annulé l'arrêté préfectoral du 18 juin 2020 et prescrit au préfet de réexaminer le droit au séjour de l'intéressé. Le préfet de la Haute-Vienne relève appel de ce jugement.
Sur le bien-fondé du jugement du tribunal :
2. Le tribunal a annulé la décision en litige pour incompétence de son auteur après avoir relevé que, par son arrêté du 10 novembre 2018, le préfet n'avait pu régulièrement déléguer sa signature au secrétaire général de la préfecture faute pour ce dernier arrêté de comporter la signature de son auteur en méconnaissance de l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration.
3. L'arrêté de délégation du 10 novembre 2018 revêt un caractère règlementaire dont la légalité peut être contestée, par voie d'exception, après l'expiration du délai de recours contentieux, sous la réserve que cette contestation ne porte pas sur les conditions d'édiction de cet acte, les vices de forme et de procédure dont il serait entaché, lesquels ne peuvent être utilement invoqués que dans le cadre du recours pour excès de pouvoir dirigé contre l'acte réglementaire lui-même et introduit avant l'expiration du délai de recours contentieux. Par suite, c'est à tort que les premiers juges ont accueilli le moyen tiré de l'exception d'illégalité pour vice de forme de l'arrêté du 10 novembre 2018 qui était devenu définitif, à la suite de sa publication au recueil des actes administratifs spécial du même jour, lorsque M. A... a soulevé ce moyen.
4. Au surplus, il ressort des pièces du dossier produites en appel que l'arrêté du 10 novembre 2018, accessible sur le site internet de la préfecture, comportait la signature manuscrite du préfet de la Haute-Vienne accompagnée de la mention de la qualité, du nom et du prénom de ce dernier.
5. Par suite, c'est à tort que les premiers juges ont annulé l'arrêté préfectoral du 18 juin 2020 en litige au motif que son signataire n'avait pas régulièrement bénéficié d'une délégation de signature.
6. Il y a lieu pour la cour, saisie du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés en première instance par M. A....
Sur les autres moyens soulevés en première instance :
7. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) la carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" est délivrée de plein droit : (...) 7° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'intéressé, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine, sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus (...) ".
8. Pour l'application des stipulations précitées, l'étranger qui invoque la protection due à son droit au respect de sa vie privée et familiale en France doit apporter toute justification permettant d'apprécier la réalité et la stabilité de ses liens personnels et familiaux effectifs en France au regard de ceux qu'il a conservés dans son pays d'origine.
9. Il ressort des pièces du dossier que depuis son arrivée en France M. A... séjourne chez sa mère, laquelle a obtenu la nationalité française par décret du 12 novembre 2015. De même, son frère, son oncle, sa tante, ses deux nièces et ses deux cousins possèdent la nationalité française et séjournent en France. M. A... produit par ailleurs un courrier du ministère de la défense ukrainienne traduit par un interprète assermenté indiquant que son père s'était porté volontaire dans la zone des opérations des forces unies agissant dans l'est de l'Ukraine et que " à ce jour, son emplacement est inconnu ". La force probante de ce document n'étant pas contestée par le préfet, il doit en être déduit qu'il n'est pas établi que M. A... possède encore des attaches familiales dans son pays d'origine alors que, comme il vient d'être dit, les autres membres de sa famille séjournent en France et possèdent la nationalité française. Par suite, et alors même qu'à la date de la décision attaquée, M. A... séjournait depuis moins d'un an en France, pays où il a cependant déjà vécu en 2010 et 2011, le préfet a porté une atteinte disproportionnée à son droit à une vie privée et familiale de normale garanti par les stipulations et dispositions précitées en rejetant la demande de titre de séjour et en assortissant ce refus d'une mesure d'éloignement.
10. Par suite, le préfet de la Haute-Vienne n'est pas fondé à se plaindre que c'est à tort, que par le jugement attaqué, le tribunal a annulé l'arrêté en litige du 18 juin 2020 en toutes ses dispositions.
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37- 2 de la loi du 10 juillet 1991 :
11. M. A... a obtenu l'aide juridictionnelle et son avocat peut, par suite, se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Ouangari, avocat de M. A..., de la somme de 1 200 euros sur le fondement des dispositions combinées de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ce versement emportant, conformément à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, renonciation à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
DECIDE
Article 1er : La requête n° 20BX04292 du préfet de la Haute-Vienne est rejetée.
Article 2 : Sous réserve que Me Ouangari renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, ce dernier versera à Me Ouangari la somme de 1 200 euros en application des dispositions combinées de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3: Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., à Me Ouangari et au ministre de l'intérieur. Copie pour information en sera délivrée au préfet de la Haute-Vienne.
Délibéré après l'audience du 30 août 2021 à laquelle siégeaient :
M. Didier Artus, président,
M. Frédéric Faïck, président-assesseur,
Mme Agnès Bourjol, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 27 septembre 2021.
Le rapporteur,
Frédéric Faïck
Le président,
Didier Artus
La greffière,
Sylvie Hayet
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
N° 20BX04292 6