Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Le Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions (FGTI) a demandé au tribunal administratif de Toulouse de condamner la société anonyme Electricité de France (EDF) à lui verser une somme de 50 000 euros, avec intérêts de droit à compter
du 30 décembre 2016, correspondant à l'indemnité octroyée à M. B... A... en réparation des préjudices subis par ce dernier suite à l'accident survenu à la centrale nucléaire de production d'électricité (CNPE) de Golfech le 15 octobre 2008.
Par un jugement n° 1701083 du 27 mai 2019, le tribunal administratif de Toulouse
a condamné la société EDF à verser au FGTI la somme de 50 000 euros, assortie des intérêts
de retard à compter du 30 décembre 2016, et a mis à la charge de la société EDF une somme
de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 18 juillet 2019, la société EDF, représenté par Me Ruff, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Toulouse ;
2°) de rejeter la demande présentée par le FGTI devant le tribunal administratif ;
3°) de mettre à la charge du FGTI une somme de 5 000 euros au titre de
l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la demande de première instance était irrecevable ; en vertu de l'article 706-11 du code de procédure pénale, le FGTI ne peut exercer un recours subrogatoire contre la personne responsable du dommage que dans la limite du montant de la réparation mise à la charge de cette personne ; or, elle n'a pas été déclarée civilement responsable du dommage subi par M. A... ; de plus, le montant définitif de la réparation du dommage n'a pas été définitivement fixé, la juridiction judiciaire s'étant déclarée incompétente sur ce point et les consorts A... n'ayant pas saisi la juridiction administrative ; le montant de l'indemnité fixée par la Commission d'indemnisation des victimes d'infractions (CIVI) n'est pas opposable au responsable du dommage ; l'action du FGTI ne peut être que postérieure à une décision définitive reconnaissant la responsabilité civile d'EDF et allouant une indemnisation définitive
à M. A... en réparation de ses préjudices ; or, l'arrêt de la Cour de cassation du 7 mars 2019 n'a pas tranché la question de sa responsabilité ;
- le jugement s'est fondé, de manière contradictoire, sur un jugement de relaxe pour conclure à sa responsabilité ; de plus, alors que la juridiction pénale a mis en évidence une faute personnelle de son salarié, le jugement attaqué l'a déclarée responsable sans qualifier la faute personnelle qu'elle aurait commise ; le jugement est ainsi insuffisamment motivé ;
- concernant le montant de la condamnation, le jugement n'explicite pas laquelle des règles relatives à la responsabilité des personnes publiques qu'il aurait mise en œuvre ; au demeurant, depuis la loi du 9 août 2004, elle est une personne morale de droit privé ; l'évaluation faite par le tribunal du dommage de M. A... à la somme de 50 000 euros versée à titre de provision par le FGTI confère une cohérence artificielle à l'action engagée par le FGTI, qui était irrecevable.
Par ordonnance du 21 décembre 2020, la clôture d'instruction a été fixée
au 2 février 2021.
Un mémoire a été produit pour le Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions (FGTI) le 7 septembre 2021.
Des mémoires ont été produits pour la société EDF les 20 et 24 septembre 2021.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de procédure pénale ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy,
- les conclusions de Mme Kolia Gallier, rapporteure publique,
Considérant ce qui suit :
1. Le 15 octobre 2008, alors qu'il assistait à la remise en fonctionnement
d'un transformateur électrique à la centrale nucléaire de production d'électricité (CNPE) de Golfech, M. B... A... a été grièvement brûlé par l'explosion de ce transformateur. L'agent de la société EDF chargé de consignation du site a, par un jugement
du 5 novembre 2013 du tribunal correctionnel de Montauban, été reconnu coupable de l'infraction de blessures involontaires ayant entraîné une incapacité totale de travail de plus de trois mois. Par ce même jugement, confirmé en appel, le tribunal correctionnel de Montauban a relaxé la société EDF des poursuites pénales dont elle faisait l'objet et rejeté l'action civile des consorts A... contre cette société au motif que la juridiction judiciaire n'était pas compétente pour en connaître. Par une décision du 26 juin 2015, confirmée sur ce point en appel et en cassation, la commission des victimes d'infractions (CIVI) prévue à l'article 706-4 du code de procédure pénale a alloué à M. A... une indemnité provisionnelle de 50 000 euros en réparation du dommage corporel causé par l'infraction commise le 5 novembre 2013 par l'agent de la société EDF. Le fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions (FGTI) a versé cette somme à M. A... le 21 juillet 2015. La société EDF relève appel du jugement du 27 mai 2019 par lequel le tribunal administratif de Toulouse, saisi par le FGTI d'une action subrogatoire sur le fondement de l'article 706-11 du code de procédure pénale, l'a condamnée à verser à ce fonds une somme de 50 000 euros avec intérêts au taux légal à compter du 30 décembre 2016.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. En premier lieu, contrairement à ce que soutient la société EDF, le jugement attaqué a explicité, à son point 5, le régime de responsabilité dont il faisait application, et est ainsi suffisamment motivé sur ce point. L'erreur que le tribunal aurait, selon la société EDF, commise dans la mise en œuvre de ce régime de responsabilité n'affecte pas la régularité du jugement, mais son bien-fondé.
3. En second lieu, si la société EDF soutient que le jugement attaqué serait entaché d'une contradiction de motifs, cette argumentation est relative au bien-fondé du jugement et non pas à sa régularité.
Sur la recevabilité de la demande de première instance :
4. En vertu de l'article 706-3 et 706-4 du code de procédure pénale, toute personne ayant subi un préjudice résultant de faits, volontaires ou non, qui présentent le caractère matériel d'une infraction, peut, lorsque certaines conditions sont réunies, obtenir la réparation intégrale des dommages qui résultent des atteintes à la personne auprès de la commission d'indemnisation des victimes d'infractions (CIVI), juridiction civile. L'indemnité accordée par la commission est, en application de l'article 706-9 du même code, versée par le fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions (FGTI). Le premier alinéa de l'article 706-11 dudit code dispose que le fonds est " subrogé dans les droits de la victime pour obtenir des personnes responsables du dommage causé par l'infraction ou tenues à un titre quelconque d'en assurer la réparation totale ou partielle le remboursement de l'indemnité ou de la provision versée par lui, dans la limite du montant des réparations à la charge desdites personnes ". Il résulte de ces dispositions que le fonds de garantie, lorsqu'il a indemnisé un dommage causé par une infraction, peut exercer un recours subrogatoire à l'encontre non seulement de l'auteur de cette infraction mais également de toute personne tenue de réparer le dommage.
5. Les dommages résultant de l'exécution de travaux publics ne peuvent engager, envers les personnes qui y participent, la responsabilité du maître de l'ouvrage ou de l'entrepreneur que s'il est établi qu'ils sont imputables à la faute de ces derniers.
6. Il résulte de la combinaison des dispositions et principes précités que le maître d'ouvrage, tenu, sous réserve de la démonstration d'une faute, de réparer les préjudices subis par le participant à une opération de travaux publics victime de blessures dans le cadre de cette participation, est au nombre des personnes à qui le FGTI peut réclamer le remboursement de l'indemnité ou de la provision qu'il a versée à ce participant à raison des mêmes blessures, dans la limite du montant à la charge de ce maître d'ouvrage. Contrairement à ce que soutient la société EDF, la circonstance que la victime n'ait pas elle-même recherché la responsabilité du maître d'ouvrage devant la juridiction administrative et qu'aucune décision juridictionnelle n'ait ainsi condamné celui-ci à réparer ses préjudices, ne saurait faire obstacle à ce que le FGTI, subrogé de plein droit dans les droits de la victime à concurrence de la somme qu'il lui a versée à titre d'indemnisation, forme un recours subrogatoire contre le maître d'ouvrage.
7. Compte tenu de ce qui a été dit, la fin de non-recevoir opposée par la société EDF à la demande de première instance du FGTI ne peut qu'être écartée.
Au fond :
En ce qui concerne la responsabilité de la société EDF à raison du dommage subi
par M. A... :
8. Ainsi que l'ont relevé les premiers juges, lors de l'accident en cause, M. A..., qui assistait à la remise en fonctionnement du transformateur électrique n°3 de la centrale nucléaire de Golfech en qualité d'employé de la société AEW, chargée de procéder à des travaux sur cet équipement, avait la qualité de participant à la réalisation de travaux concourant à la mission de service public de production d'électricité et revêtant ainsi un caractère public.
9. Il résulte de l'instruction que l'accident qui s'est produit lors de cette remise en fonctionnement est imputable à une faute commise par un agent de la société EDF, qui n'a pas respecté le protocole relatif aux essais et à la remise sous tension d'un transformateur. Cette faute, commise par un préposé de la société EDF dans l'exercice de ses fonctions, engage la responsabilité pour faute de ladite société. La requérante ne saurait utilement se prévaloir, pour atténuer sa responsabilité à l'égard de la victime, de la faute personnelle éventuellement commise par son agent.
10. Dans ces conditions, en application des principes énoncés au point 5, la responsabilité de la société EDF est engagée à raison des conséquences dommageables de l'accident survenu le 15 octobre 2008.
En ce qui concerne l'évaluation des préjudices subis par M. A... :
11. L'étendue des réparations incombant au maître d'ouvrage du fait d'un dommage de travaux publics dont la responsabilité lui est imputée ne dépend pas de l'évaluation faite par l'autorité judiciaire dans un litige dans lequel cette personne n'était pas partie mais doit être déterminée par le juge administratif compte tenu des règles afférentes à la responsabilité des maîtres d'ouvrages à raison de dommages de travaux publics.
12. Il résulte de l'instruction, notamment de l'expertise médicale diligentée par la CIVI, que M. A..., grièvement brûlé lors de l'accident du 15 octobre 2008, a subi, du fait de la faute de la société EDF ci-dessus relevée, un déficit fonctionnel temporaire partiel total durant les périodes d'hospitalisation et de cure, soit du 15 octobre 2008 au 30 janvier 2009, du 24 avril au 17 mai 2009, du 9 octobre au 1er novembre 2009 et les 22 mars et 20 et 21 décembre 2010. Il a également subi un déficit fonctionnel temporaire évalué à 45 % au titre de la période allant
du 31 janvier au 23 avril 2009, à 30 % au titre de la période allant du 18 mai au 8 octobre 2009,
à 20 % au titre des périodes allant du 2 novembre 2009 au 21 mars 2010 puis du 1er avril au 19 décembre 2010 et enfin à 15% au titre de la période allant du 22 décembre 2010
au 21 décembre 2011, date de sa consolidation. Il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en l'évaluant à 6 200 euros.
13. M. A... a également enduré, notamment du fait des douleurs liées à ses graves brûlures, d'importantes souffrances physiques et psychiques, évaluées par l'expertise ci-dessus mentionnée à 4,5 sur 7. Ce préjudice peut être évalué à 10 000 euros.
14. M. A..., qui présentait des brûlures sur 30 % de la surface corporelle et notamment sur les mains, et qui conserve, après consolidation des cicatrices de ces brûlures, une raideur des doigts, a en outre subi des préjudices esthétiques temporaire et définitif, respectivement évalués à 3 sur 7 et à 2,5 sur 7 par l'expert. Il sera fait une juste appréciation de ces préjudices en les évaluant à la somme globale de 5 000 euros.
15. M. A... conserve enfin, du fait de l'accident survenu le 15 octobre 2008, un déficit fonctionnel permanent évalué par l'expertise précitée à 22 % en raison des séquelles cicatricielles et d'une raideur des doigts. Compte tenu de l'âge de l'intéressé à la date de sa consolidation, 51 ans, ce préjudice peut être évalué à 33 000 euros.
16. L'évaluation de ces seuls préjudices de M. A..., telle que faite par le présent arrêt, s'élève à une somme totale de 54 200 euros, soit un montant supérieur à l'indemnité de 50 000 euros versée par le FGTI. Il suit de là que c'est à juste titre que les premiers juges ont considéré que le FGTI, subrogé dans les droits de M. A... à concurrence de la somme
de 50 000 euros qu'il lui a versée, était fondé à demander versement de cette somme, assortie des intérêts à compter du 30 décembre 2016, date de réception de sa réclamation.
17. Il résulte de tout ce qui précède que la société EDF n'est pas fondée à se plaindre
de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse l'a condamnée à verser au FGTI une somme de 50 000 euros assortie des intérêts à compter du 30 décembre 2016. Ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, par suite, qu'être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société EDF est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société anonyme Electricité de France et au Fonds
de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions.
Copie en sera adressée à M. A....
Délibéré après l'audience du 28 septembre 2021 à laquelle siégeaient :
Mme Brigitte Phémolant, présidente,
Mme Anne Meyer, présidente-assesseure,
Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 20 octobre 2021.
La rapporteure,
Marie-Pierre Beuve Dupuy
La présidente,
Brigitte PhémolantLe greffier,
Fabrice Benoit
La République mande et ordonne à la ministre de la transition écologique en ce qui la concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 19BX03031