Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Eveha Services Administration, société par actions simplifiée, a demandé au tribunal administratif de Limoges de prononcer la restitution d'un crédit d'impôt recherche au titre de l'année 2016 à hauteur de 143 910 euros.
Par un jugement n° 1701308 du 27 juin 2019, le tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés les 27 août 2019 et 20 octobre 2020, la société Eveha Services Administration, représentée par Me Fraignieau, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Limoges du 27 juin 2019 ;
2°) de donner acte du dégrèvement de 69 930 euros accordé en cours d'instance ;
3°) de prononcer la restitution du crédit d'impôt recherche au titre de l'année 2016 à hauteur de 73 980 euros ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'administration fiscale a fondé sa décision de rejet partiel de sa réclamation contentieuse présentée au titre de l'année 2016 sur les commentaires des experts relatifs aux dépenses engagées pour les programmes 14 et 15 en 2015, sans avoir examiné les dépenses engagées au titre de l'année 2016 ; ce raisonnement par analogie n'est pas pertinent et porte atteinte aux droits de la défense, en tant que principe général du droit et principe à valeur constitutionnelle ;
- l'éligibilité des programmes 14 et 15 au crédit d'impôt recherche pour l'année 2015 n'a pu être valablement expertisée par le ministère de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche dès lors que la lettre de nomination des experts ne visait pas l'année 2015 et que le dépôt de la déclaration du crédit d'impôt recherche 2015 est postérieur de plusieurs mois à la saisine pour expertise du ministère de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche ; le rejet partiel de la réclamation afférente au crédit d'impôt recherche 2016, en ce qu'il est fondé sur une procédure de contrôle du crédit d'impôt recherche 2015 présentant de nombreuses incohérences, est dénué de fondement ;
- les premiers juges se sont bornés à appliquer le raisonnement de l'administration fiscale, sans indiquer de façon précise et exhaustive, en quoi les programmes 14 et 15 n'étaient pas innovants ;
- il existe des indices forts de l'éligibilité des dépenses liées aux programmes 14 et 15 pour l'année 2016 tels que l'avis du comité consultatif du crédit d'impôt recherche du 15 janvier 2019 ;
- la mise en œuvre des programmes 14 et 15 ne relève pas du développement de matériels et techniques déjà existants et correspond bien à une démarche de recherche et développement ; ces projets ont pour but de répondre à des problématiques non prises en compte dans le cadre de l'état de l'art actuel ;
- les opérations de recherche et de développement du programme 15 sont localisées en France ou au sein de l'Union européenne et non au Moyen-Orient, en Asie et en Afrique et entrent donc, du point de la vue de la territorialité, dans le champ de l'article 244 quater B du code général des impôts ; toutes les conventions de collaboration de recherche à l'international sont conclues avec des établissements publics français et leur exécution relève exclusivement du droit français ; une large part des opérations 2016 du programme 15 a été matériellement exécutée en France ou au sein de l'Union européenne ; même si certains travaux de recherche entrepris au titre du programme 15 concernent des " Etats tiers ", l'exécution matérielle d'une part non négligeable de ceux-ci a été réalisée soit en France, soit au sein de l'Union européenne ;
- contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges, la décision de rejet partiel de sa réclamation contentieuse au titre de l'année 2016 n'est fondée ni sur la recherche d'une " amélioration considérable ", ni sur celle d'une " amélioration substantielle " au sens de l'article 49 septies F de l'annexe III du code général des impôts.
Par des mémoires en défense enregistrés les 17 juin 2020 et 17 novembre 2020, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au non-lieu à statuer à hauteur de la restitution de crédit d'impôt accordée en cours d'instance et au rejet du surplus des conclusions de la requête.
Il soutient que :
- il a accordé en cours d'instance un remboursement partiel de crédit d'impôt recherche à hauteur de 69 930 euros ;
- les moyens soulevés par la société requérante ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme A...,
- les conclusions de M. Gueguein, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. La société par actions simplifiée (SAS) Eveha Services Administration est la société mère du groupe fiscalement intégré dont fait partie la SAS Eveha, spécialisée dans la recherche archéologique, notamment l'archéologie préventive. Le 22 juin 2017, la société Eveha Services Administration a sollicité pour le compte de sa filiale la SAS Eveha le remboursement d'un crédit d'impôt recherche au titre de l'année 2016 à hauteur de 2 669 312 euros. Par une décision du 25 juillet 2017, l'administration a partiellement accepté sa demande en lui accordant un remboursement de crédit d'impôt à hauteur de 2 525 402 euros. La société Eveha Services Administration relève appel du jugement du 27 juin 2019 par lequel le tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande de restitution du crédit d'impôt au titre de l'année 2016 à hauteur de 143 910 euros.
Sur l'étendue du litige :
2. Par décision du 8 juin 2020 intervenue postérieurement à l'introduction de la requête, l'administration fiscale a accordé à la société Eveha Services Administrations un remboursement de crédit d'impôt recherche au titre de l'année 2016 pour un montant de 69 930 euros. Les conclusions de la requête sont, dans cette mesure, devenues sans objet. Il n'y a, par suite, pas lieu d'y statuer.
Sur le crédit d'impôt restant en litige :
3. En premier lieu, contrairement à ce que soutient la société requérante, il ne ressort pas des termes de la décision de rejet partiel de sa réclamation contentieuse du 25 juillet 2017 que l'administration se serait fondée sur des éléments recueillis au cours d'un contrôle portant sur les années antérieures, notamment le rapport d'expertise du ministère de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche (MENESR) relatif au crédit d'impôt recherche sollicité par la société au titre de l'année 2015, pour rejeter partiellement sa réclamation relative au crédit d'impôt recherche au titre de l'année 2016. La décision mentionne expressément la déclaration 2069-A de crédit d'impôt recherche au titre de l'année 2016 déposée par la société Eveha le 18 mai 2017 et le dossier justificatif des travaux de recherche et de développement déclarés au titre du crédit d'impôt recherche 2016 communiqué par la société le 18 juillet 2017 à la suite d'une demande de renseignements complémentaires formulée par le service. Il ne ressort pas donc pas de ses termes que l'administration fiscale se serait fondée sur d'autres éléments que ceux fournis par la société Eveha au soutien de sa demande de crédit d'impôt recherche au titre de l'année 2016. En tout état de cause, il résulte de l'instruction que la société avait reçu communication du rapport d'expertise du MENESR et en connaissait, dès lors, les termes. Par suite, et alors même que l'administration aurait pris en compte des éléments de l'analyse que le MENESR a portée en 2015 sur les programmes 14 et 15, elle n'est pas fondée à soutenir que l'administration fiscale n'aurait pas examiné ses dépenses engagées au titre de l'année 2016 et aurait ainsi porté atteinte aux droits de la défense.
4. En deuxième lieu, aux termes de l'article 244 quater B du code général des impôts : " I.-Les entreprises industrielles et commerciales ou agricoles imposées d'après leur bénéfice réel ou exonérées en application des articles 44 sexies, 44 sexies A, 44 septies, 44 octies, 44 octies A, 44 duodecies, 44 terdecies à 44 quindecies peuvent bénéficier d'un crédit d'impôt au titre des dépenses de recherche qu'elles exposent au cours de l'année. (...) ". Aux termes de l'article 49 septies F de l'annexe 3 à ce code : " Pour l'application des dispositions de l'article 244 quater B du code général des impôts, sont considérées comme opérations de recherche scientifique ou technique : / a. Les activités ayant un caractère de recherche fondamentale, qui pour apporter une contribution théorique ou expérimentale à la résolution des problèmes techniques, concourent à l'analyse des propriétés, des structures, des phénomènes physiques et naturels, en vue d'organiser, au moyen de schémas explicatifs ou de théories interprétatives, les faits dégagés de cette analyse ; / b. Les activités ayant le caractère de recherche appliquée qui visent à discerner les applications possibles des résultats d'une recherche fondamentale ou à trouver des solutions nouvelles permettant à l'entreprise d'atteindre un objectif déterminé choisi à l'avance. / Le résultat d'une recherche appliquée consiste en un modèle probatoire de produit, d'opération ou de méthode ; / c. Les activités ayant le caractère d'opérations de développement expérimental effectuées, au moyen de prototypes ou d'installations pilotes, dans le but de réunir toutes les informations nécessaires pour fournir les éléments techniques des décisions, en vue de la production de nouveaux matériaux, dispositifs, produits, procédés, systèmes, services ou en vue de leur amélioration substantielle. Par amélioration substantielle, on entend les modifications qui ne découlent pas d'une simple utilisation de l'état des techniques existantes et qui présentent un caractère de nouveauté. "
5. Il appartient au juge de l'impôt de constater, au vu de l'instruction dont le litige qui lui est soumis a fait l'objet, qu'une entreprise remplit ou non les conditions lui permettant de se prévaloir de l'avantage fiscal institué par l'article 244 quater B du code général des impôts.
6. Il résulte de l'instruction que la SAS Eveha, filiale de la société Eveha Services Administration, est spécialisée dans la recherche archéologique et intervient en France et à l'étranger, notamment dans le domaine de l'archéologie préventive. A ce titre, elle bénéficie depuis 2007 d'un agrément du MENESR pour l'exécution de fouilles archéologiques préventives sur le territoire national. Ses travaux sont répartis en quinze programmes eux-mêmes répertoriés en cinq axes principaux : les habitats et sociétés, l'archéologie religieuse et funéraire, la culture matérielle, l'aménagement et l'exploitation des milieux, les méthodes et modélisations des systèmes archéologiques. L'axe " Méthodes et modélisations des systèmes archéologiques " comporte le programme n° 14 " Analyse et modélisation des systèmes archéologiques " et le programme n° 15 " Développement de la recherche à l'international ", dont les dépenses ont été exclues par l'administration fiscale du calcul du crédit d'impôt recherche au titre de l'année 2016 au motif que ces programmes n° 14 et n° 15 ne relevaient ni de la recherche fondamentale, ni de la recherche appliquée, ni du développement expérimental.
En ce qui concerne le programme n°14 :
7. Il résulte de l'instruction qu'il se divise en deux sous-programmes : " Photogrammétrie et traitement de l'imagerie numérique " et " Enregistrement et traitement des données de fouilles " dont les recherches ont pour objet de développer la photogrammétrie à grande échelle pour permettre une adaptation aux contraintes du terrain et une précision adaptée aux enjeux archéologiques en ayant notamment recours à des drones civils, de créer une interface par navigateur web permettant de générer des cartes et plans de situation de sites dès la phase de préparation d'un projet archéologique, de mettre au point une méthode et le matériel nécessaire permettant de localiser précisément dans l'espace subaquatique différents éléments archéologiques et/ou cibles repères pour la photogrammétrie, de combiner les modèles numériques de terrain relevés sur le terrain et ceux fournis par l'Institut national de l'information géographique et forestière pour parvenir à une seule image exploitable à grande échelle et pouvoir en extraire des vues 3D, de créer un logiciel de modélisation des données archéologiques " Enkidu " et de traiter ces données dans un système d'information globalisé " SIG ". Toutefois, il résulte de l'instruction que les recherches relatives à la photogrammétrie, à l'interface web de création des cartes et plans de situation de sites ainsi que la combinaison des modèles numériques de terrain se bornent à développer et combiner des matériels et des techniques existants. Par ailleurs, il ne résulte pas de l'instruction que la mise au point des logiciels " Enkidu " et " SIG " requiert l'usage de procédés originaux. Enfin, si la " fiche de projet " relative aux relevés topographiques subaquatiques évoque la recherche et le développement d'un outil innovant qu'il sera possible de breveter et de vendre à d'autres entreprises, elle ne comporte de précisions ni sur la méthode employée ni sur le type d'outil envisagé. Dans ces conditions, ces opérations, qui ne présentent pas un caractère de nouveauté, ne peuvent être regardées comme des activités de recherche et de développement au sens des dispositions précitées de l'article 49 septies F de l'annexe 3 au code général des impôts.
En ce qui concerne le programme n°15 :
8. D'une part, les missions réalisées par la société Eveha sur des sites de fouilles à l'étranger, pour lesquelles la société requérante produit des fiches détaillées, ne révèlent pas la mise en œuvre d'opérations de recherche et de développement au sens de l'article 49 septies F de l'annexe 3 au code général des impôts. Par ailleurs, si ce programme n° 15, à l'instar du programme n° 14, s'inscrit dans le cadre du Laboratoire commun (LabCom) Géo-Héritage issu d'un partenariat entre la société Eveha et l'Unité mixte de recherche 5133 Archéorient dépendante du CNRS et de l'université Lyon 2, il résulte de l'instruction que les axes de recherche de ce LabCom portent, d'une part, sur une optimisation mécanique et ergonomique des appareillages utilisés et sur les systèmes d'acquisition des données, notamment en géophysique, par l'accroissement de la mobilité et du rendement des appareils géophysiques existants en créant des systèmes tractés adaptés aux différentes conditions de terrain et, d'autre part, sur la mise au point d'une utilisation unifiée et d'une exploitation approfondie des différentes sources de données (géophysiques, géomorphologiques et archéologiques) et l'intégration de métadonnées comparables au sein d'un système d'information globalisé. Ces recherches visent à développer des matériels et des techniques existants sans qu'il soit fait usage de procédés originaux. Dans ces conditions, ces opérations, qui ne présentent pas un caractère de nouveauté, ne peuvent être regardées comme des activités de recherche et de développement au sens des dispositions précitées de l'article 49 septies F de l'annexe 3 au code général des impôts.
9. D'autre part, en vertu du 49ème alinéa du II de l'article 244 quater B du code général des impôts selon lequel " Pour être éligibles au crédit d'impôt mentionné au premier alinéa du I, les dépenses prévues aux a à k doivent être des dépenses retenues pour la détermination du résultat imposable à l'impôt sur le revenu ou à l'impôt sur les sociétés dans les conditions de droit commun et, à l'exception des dépenses prévues aux e, e bis, j et des frais mentionnés aux 4° et 5° du k, correspondre à des opérations localisées au sein de l'Union européenne ou dans un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen ayant conclu avec la France une convention d'assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l'évasion fiscales ", seules les entreprises qui localisent leurs activités effectives de recherche sur le territoire d'un Etat membre de l'Union européenne ou, sous conditions, sur le territoire des Etats parties à l'accord sur l'Espace économique européen peuvent bénéficier de ce crédit d'impôt. Si la société requérante a bénéficié en cours d'instance d'une restitution de crédit d'impôt pour des opérations du programme n° 15 réalisées en Europe, elle ne peut en revanche bénéficier du crédit d'impôt pour les opérations menées dans des Etats tiers dès lors que les activités effectives de recherche ont été menées sur le territoire de ces Etats et non en France comme elle le prétend en se bornant à faire état de ce que les conventions de collaboration de recherche à l'international sont conclues avec des établissements publics français, de ce que leur exécution relève du droit français et de ce qu'une large part des opérations du programme n° 15 sont réalisées dans un Etat de l'Union européenne.
10. Il résulte de tout de ce qui précède que les dépenses restant en litige afférentes aux programmes n° 14 et 15 ne sont pas éligibles au crédit d'impôt recherche. Par suite, la SAS Eveha Services Administration n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande pour ce qui concerne les sommes restant en litige.
Sur les frais liés au litige :
11. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme demandée par la SAS Eveha Services Administration au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête de la société Eveha Services Administration, à concurrence de la restitution du crédit d'impôt recherche prononcée par l'administration fiscale au titre de l'année 2016 d'un montant de 69 930 euros.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Eveha Services Administration et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.
Copie en sera adressée pour information au directeur du contrôle fiscal Sud-Ouest.
Délibéré après l'audience du 11 janvier 2022 à laquelle siégeaient :
Mme Elisabeth Jayat, présidente,
Mme Laury Michel, première conseillère,
Mme Birsen Sarac-Deleigne, première conseillère,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 8 février 2022.
La rapporteure,
Laury A...
La présidente,
Elisabeth Jayat
La greffière,
Virginie Santana
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la relance en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 19BX03455