La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

10/03/2022 | FRANCE | N°21BX03196

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 1ère chambre, 10 mars 2022, 21BX03196


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... C... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler l'arrêté du 19 mai 2021 par lequel le préfet du Gers l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays à destination duquel il pourrait être reconduit et l'a interdit de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans.

Par un jugement n° 2102961 du 25 mai 2021, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande.

Procédure devant la

cour :

Par une requête, enregistrée le 30 juillet 2021, M. C..., représenté par Me Sarasquet...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... C... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler l'arrêté du 19 mai 2021 par lequel le préfet du Gers l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays à destination duquel il pourrait être reconduit et l'a interdit de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans.

Par un jugement n° 2102961 du 25 mai 2021, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 30 juillet 2021, M. C..., représenté par Me Sarasqueta, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 25 mai 2021 ;

2°) d'annuler l'arrêté du préfet du Gers du 19 mai 2021 ;

3°) et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- le jugement est irrégulier dès lors que le magistrat, d'une part, a omis de viser deux moyens et, d'autre part, n'a pas répondu à ces moyens ;

- l'arrêté est signé par une autorité incompétente ;

- il est insuffisamment motivé, ce qui révèle un défaut d'examen réel et sérieux de sa situation ;

- la décision portant obligation de quitter le territoire français est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de sa situation ;

- elle est également entachée d'une erreur manifeste d'appréciation des conséquences qu'elle emporte sur sa situation personnelle ;

- la décision portant refus de délai de départ volontaire est illégale en raison de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;

- elle est entachée d'un défaut d'examen réel et sérieux de sa situation personnelle ;

- elle est entachée d'une erreur de droit en ce que le préfet a méconnu l'étendue de sa compétence ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de sa situation personnelle au regard des dispositions des articles L. 612-2 3° et L. 612-3 2° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la décision fixant le pays de renvoi est illégale en raison de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français sans délai ;

- la décision portant interdiction de retour est illégale en raison de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français sans délai ;

- elle est entachée d'une erreur d'appréciation au regard des dispositions des articles L. 612-6 et L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle méconnaît les dispositions de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'une erreur d'appréciation au regard de sa situation personnelle.

M. C... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 1er juillet 2021.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Le rapport de Mme B... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. C..., ressortissant albanais né le 25 avril 1995, est entré irrégulièrement en France le 27 mars 2015. A la suite du rejet de sa demande d'asile, il a fait l'objet, le 19 mai 2016, d'une première obligation de quitter le territoire français, qui a été exécutée le 11 février 2017. M. C..., entré une nouvelle fois en France de façon irrégulière, a fait l'objet, le 5 février 2018, d'une deuxième obligation de quitter le territoire français, qui a été exécutée le 14 février 2018, et, le 17 décembre 2019, d'une troisième qui a été annulée par le tribunal administratif de Pau pour vice de procédure. Il a été interpellé en mai 2021 dans le cadre d'une enquête pour trafic de produits stupéfiants et n'a pas été en mesure de présenter des documents sous le couvert desquels il aurait été autorisé à séjourner en France. Par un arrêté du 19 mai 2021, le préfet du Gers lui a fait obligation de quitter sans délai le territoire français, a fixé le pays de renvoi et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans. M. C... relève appel du jugement du 25 mai 2021 par lequel le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Il ressort des pièces du dossier de première instance que M. C... avait soulevé le moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'arrêté attaqué. Le premier juge a omis de se prononcer sur ce moyen, qui n'était pas inopérant. Par suite son jugement est irrégulier et doit être annulé.

3. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. C... devant le tribunal administratif de Toulouse.

Sur la légalité de l'arrêté du préfet du Gers :

4. D'une part, par un arrêté du 18 novembre 2020, publié le 20 novembre 2020 au recueil des actes administratifs spécial n°32-2020-137, le préfet du Gers a donné délégation à Mme Edwige Darracq, secrétaire générale de la préfecture et signataire des décisions attaquées, à l'effet de signer tous arrêtés et décisions relevant des attributions de l'Etat dans le département, y compris les mesures prévues par le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire des décisions contenues dans l'arrêté litigieux manque en fait et doit être écarté.

5. D'autre part, l'arrêté attaqué vise les textes dont il est fait application, mentionne les faits relatifs à la situation personnelle et administrative de M. C... et indique avec précision les raisons pour lesquelles le préfet du Gers lui a fait obligation de quitter sans délai le territoire français, a fixé le pays de renvoi et lui a interdit le retour sur le territoire français pour une durée de deux ans. Ces indications, qui n'étaient pas stéréotypées et qui ont permis à M. C... de comprendre et de contester les mesures prises à son encontre, étaient suffisantes alors même que cet arrêté ne mentionne pas sa relation avec une ressortissante française qui attendrait un enfant et ne comporte pas d'indication sur les risques qu'il encourrait en cas de retour dans son pays d'origine. Par suite, le moyen tiré de la motivation insuffisante de l'arrêté contesté doit être écarté.

En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :

6. M. C... fait valoir qu'il réside chez son frère et sa belle-sœur, titulaires de cartes de séjour temporaires valides, qu'il est très proche des enfants du couple et que sa sœur vit également en France. Toutefois, M. C... séjournait irrégulièrement en France, alors qu'il avait déjà fait l'objet de précédentes mesures d'éloignement, et il est entré récemment sur le territoire, après avoir vécu plus de vingt ans en Albanie où il n'est pas dépourvu d'attaches. En outre, l'intéressé ne démontre ni la réalité ni la stabilité de son concubinage avec une ressortissante française par la seule production d'une attestation non circonstanciée établie par celle-ci. Dans ces conditions, le préfet ne peut être regardé comme ayant fait une appréciation manifestement erronée de la situation de M. C... en lui faisant obligation de quitter le territoire français ni comme ayant fait une appréciation manifestement erronée des conséquences de cette mesure sur sa situation personnelle.

En ce qui concerne la décision refusant l'octroi d'un délai de départ volontaire :

7. En premier lieu, la décision portant obligation de quitter le territoire français n'étant pas entachée des illégalités alléguées, l'appelant n'est pas fondé à exciper de son illégalité à l'appui de sa contestation de la décision portant refus de délai de départ volontaire.

8. En deuxième lieu, il ne ressort ni des pièces du dossier, ni des termes de la décision contestée que le préfet du Gers n'aurait pas procédé à un examen particulier de la situation de l'intéressé avant de lui refuser l'octroi d'un délai de départ volontaire alors même que l'arrêté ne mentionne pas sa relation avec une ressortissante française qui serait enceinte, alors au demeurant qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet aurait été informé de cette relation qui est très récente. Par suite, le moyen ainsi soulevé doit être écarté.

9. Il ne ressort pas davantage des pièces du dossier que le préfet n'aurait pas exercé son pouvoir d'appréciation quant à l'opportunité d'accorder un délai de départ volontaire à M. C.... Le moyen tiré, pour ce motif, de l'erreur de droit qu'aurait commise le préfet doit donc être écarté.

10. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 612-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Par dérogation à l'article L. 612-1, l'autorité administrative peut refuser d'accorder un délai de départ volontaire dans les cas suivants :(...) 3° Il existe un risque que l'étranger se soustraie à la décision portant obligation de quitter le territoire français dont il fait l'objet. ". L'article L. 612-3 du même code dispose que : " Le risque mentionné au 3° de l'article L. 612-2 peut être regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants : (...) 2° L'étranger s'est maintenu sur le territoire français au-delà de la durée de validité de son visa ou, s'il n'est pas soumis à l'obligation du visa, à l'expiration d'un délai de trois mois à compter de son entrée en France, sans avoir sollicité la délivrance d'un titre de séjour ; (...) ".

11. Il ressort des pièces du dossier que M. C... s'est maintenu en France au-delà d'un délai de trois mois à compter de sa dernière entrée en France sans avoir sollicité la délivrance d'un titre de séjour. Il entrait ainsi dans le cas où, en application des dispositions précitées du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet pouvait légalement considérer qu'il existait un risque qu'il se soustraie à l'obligation de quitter le territoire français. Par ailleurs, les seules circonstances rappelées ci-dessus tenant à sa situation personnelle ne permettent pas de considérer que ce risque n'était pas caractérisé à la date de la décision attaquée. Par suite, la décision portant refus de délai de départ volontaire ne peut être regardée comme étant entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de la situation de M. C... au regard des dispositions des 3° de l'article L. 612-3 et 2° de l'article L. 612-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

En ce qui concerne la décision fixant le pays de renvoi :

12. La décision portant obligation de quitter le territoire français n'étant pas entachée des illégalités alléguées, l'appelant n'est pas fondé à exciper de son illégalité à l'appui de sa contestation de la décision fixant le pays de renvoi.

En ce qui concerne la décision portant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans :

13. En premier lieu, la décision portant obligation de quitter le territoire français n'étant pas entachée des illégalités alléguées, l'appelant n'est pas fondé à exciper de son illégalité à l'appui de sa contestation de l'interdiction de retour sur le territoire français.

14. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, l'autorité administrative assortit la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour ". En vertu de l'article L. 612-10 du même code : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. ".

15. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentale : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

16. Compte tenu de la situation de M. C... ainsi qu'elle a été exposée précédemment, et notamment du caractère récent tant de sa présence en France que de la liaison avec une ressortissante française qu'il invoque, de l'absence d'une intégration particulière en France, et de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet de deux précédentes mesures d'éloignement, certes exécutées en 2017 et 2018, le préfet du Gers ne peut être regardé comme ayant porté une atteinte excessive à son droit au respect de sa vie privée et familiale, ni comme ayant entaché sa décision d'une erreur d'appréciation en lui faisant interdiction de revenir en France pour une durée de deux ans. Par suite, et alors même qu'il ne constitue pas une menace pour l'ordre public, les moyens tirés de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'erreur manifeste dans l'appréciation de sa situation personnelle doivent être écartés.

17. Il résulte de tout ce qui précède que M. C... n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêté du préfet du Gers du 19 mai 2021. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de rejeter ses conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2102961 du 25 mai 2021 du magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse est annulé.

Article 2 : La demande présentée par M. C... devant le tribunal administratif de Toulouse et ses conclusions d'appel sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... C... et au ministre de l'intérieur.

Une copie en sera adressée au préfet du Gers.

Délibéré après l'audience du 3 février 2022, à laquelle siégeaient :

Mme Marianne Hardy, présidente,

Mme Fabienne Zuccarello, présidente-assesseure,

Mme Charlotte Isoard, première conseillère.

Rendu public par mise à dispositions au greffe le 10 mars 2022.

La présidente-rapporteure,

Marianne B...La présidente-assesseure,

Fabienne Zuccarello

La greffière,

Stéphanie Larrue

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

N°21BX03196 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 21BX03196
Date de la décision : 10/03/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : Mme HARDY
Rapporteur ?: Mme Marianne HARDY
Rapporteur public ?: M. ROUSSEL
Avocat(s) : SARASQUETA

Origine de la décision
Date de l'import : 22/03/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2022-03-10;21bx03196 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award