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31/05/2022 | FRANCE | N°19BX04541

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 2ème chambre, 31 mai 2022, 19BX04541


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... D... et Mme C... D... ont demandé au tribunal administratif de Poitiers de condamner la commune de Niort à leur verser la somme totale de 900 000 euros HT en réparation des préjudices qu'ils estiment avoir subis du fait des travaux engagés par cette collectivité à proximité de leur commerce.

Par un jugement n° 1702455 du 1er octobre 2019, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 2

7 novembre 2019 et 6 juillet 2021, M. B... D..., Mme C... D... et la SARL Créations D..., repr...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... D... et Mme C... D... ont demandé au tribunal administratif de Poitiers de condamner la commune de Niort à leur verser la somme totale de 900 000 euros HT en réparation des préjudices qu'ils estiment avoir subis du fait des travaux engagés par cette collectivité à proximité de leur commerce.

Par un jugement n° 1702455 du 1er octobre 2019, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 27 novembre 2019 et 6 juillet 2021, M. B... D..., Mme C... D... et la SARL Créations D..., représentés par Me Coll, demandent à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Poitiers du 1er octobre 2019 ;

2°) de condamner la commune de Niort à leur verser la somme de 900 000 euros HT, à parfaire, assortie des intérêts à compter de la réception de leur réclamation préalable ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Niort une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- le jugement a été rendu en méconnaissance du principe du contradictoire ; les premiers juges n'ont pas pris en compte leur mémoire en réplique, qui n'a pas été communiqué ;

- la responsabilité de la commune de Niort est engagée en raison du défaut d'entretien normal des ouvrages publics constitués par la rue Victor Hugo et la galerie du Donjon ;

- les travaux sur ces ouvrages n'ont pas été exécutés correctement ; la responsabilité de la commune est engagée du fait de l'absence de mesures adéquates pour assurer la bonne exécution des travaux ;

- ils ont subi un préjudice direct et certain dont ils sont fondés à demander réparation à hauteur de 850 000 euros résultant de la perte de chiffre d'affaires, évaluée à 25 000 euros par an jusqu'en 2010, puis à 75 000 euros par an par la suite, soit un total de 425 000 euros ; le préjudice d'atteinte portée à leur réputation et lié à l'obligation de fermer leur commerce doit être évalué à 425 000 euros ; ils ont également subi un préjudice moral et des troubles dans leurs conditions d'existence du fait de l'inertie de la commune, en réparation desquels une somme de 50 000 euros doit leur être allouée.

Par un mémoire en défense, enregistré le 1er juillet 2020, la commune de Niort, représentée par Me Caradeux, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge des requérants une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement est régulier ; l'absence de communication d'un mémoire en réplique ne peut être sanctionnée que si elle a préjudicié aux droits de la partie qui se prévaut de cette irrégularité ;

- sa responsabilité ne peut être retenue s'agissant des nuisances engendrées par les travaux effectués sur la galerie du Donjon, ensemble immobilier privé qui n'est pas affecté à un service public ; les travaux réalisés sur la galerie du Donjon ne constituant pas des travaux publics, elle ne saurait être tenue responsable de la fermeture du passage de la galerie, qui a été décidée pour des raisons de sécurité par le syndicat des copropriétaires de l'immeuble ;

- sa responsabilité est susceptible d'être engagée uniquement au titre des travaux d'aménagement réalisés sous sa maîtrise d'ouvrage entre 2010 et 2012 rue Victor Hugo ; cependant, les dommages dont la réparation est demandée ne peuvent être imputés à ces travaux ; la boutique n'avait pas d'accès sur la rue Victor Hugo, dont elle était distante de près de 100 mètres ; les requérants ne justifient d'aucun préjudice anormal et spécial ; la société connaissait des problèmes financiers constants depuis 1998 et les requérants ne démontrent pas, par des documents comptables probants, la réalité des pertes de chiffre d'affaires avancées ; les requérants ne sauraient solliciter une indemnisation au titre d'une prétendue perte de chiffre d'affaires pour l'année 2015, leur commerce ayant cessé toute activité dès février 2015 ;

- le préjudice moral invoqué n'est pas démontré, et n'est pas en lien avec les travaux en cause ; les requérants ne sauraient prétendre à une indemnisation au titre d'une prétendue inertie de la commune alors qu'ils se sont abstenus de présenter une demande d'indemnisation à la commission d'indemnisation amiable mise en place préventivement.

Par ordonnance du 17 septembre 2021, la clôture d'instruction a été fixée au 22 octobre 2021.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme E... A...,

- les conclusions de Mme Kolia Gallier, rapporteure publique,

- et les observations de Me Gallgis, représentant la commune de Niort.

Considérant ce qui suit :

1. M. et Mme D... exploitaient un commerce de réparation, transformation, création, fabrication et vente de bijoux dans un local situé 9 rue Sainte-Marthe à Niort, faisant partie de la galerie commerçante du Donjon reliant la rue Sainte-Marthe et la rue Victor-Hugo. En avril 2010, la commune de Niort, l'établissement public foncier (EPF) Poitou-Charentes et la communauté d'agglomération de Niort ont conclu une convention d'adhésion de projet relative à l'OPAH-RU (Opération Programmée d'Amélioration de l'Habitat et de Renouvellement Urbain) " Cœur de ville ". L'EPF Poitou-Charentes a acquis plusieurs cellules commerciales de la galerie du Donjon, qui ont ensuite été cédées à la société 2IMA, chargée de la réhabilitation de la galerie commerçante du Donjon. Par ailleurs, la commune de Niort a, entre 2010 et 2012, fait réaliser des travaux de transformation en voie piétonnière de la rue Victor Hugo. M. et Mme D... ont cessé leur activité le 13 février 2015, après avoir cédé leur fonds de commerce à la société 2IMA.

2. Par un courrier du 6 septembre 2017 reçu le 8 septembre suivant, M. et Mme D... ont adressé à la commune de Niort une réclamation indemnitaire tendant à la réparation des préjudices qu'ils imputaient aux travaux réalisés dans le secteur de la bijouterie qu'ils exploitaient et dans la galerie commerçante du Donjon. A la suite de la décision du 22 septembre 2017 de rejet de cette réclamation, ils ont saisi le tribunal administratif de Poitiers d'une demande tendant à la condamnation de la commune de Niort à leur verser une somme totale de 900 000 euros en réparation de leurs préjudices. M. et Mme D... et la société Créations D... relèvent appel du jugement du 1er octobre 2019 par lequel le tribunal administratif de Poitiers a rejeté cette demande.

Sur la régularité du jugement attaqué :

3. Aux termes de l'article R. 611-1 du code de justice administrative : " La requête et les mémoires, ainsi que les pièces produites par les parties, sont déposés ou adressées au greffe. / La requête, le mémoire complémentaire annoncé dans la requête et le premier mémoire de chaque défendeur sont communiqués aux parties avec les pièces jointes dans les conditions prévues aux articles R. 611-3, R. 611-5 et R. 611-6. / Les répliques, autres mémoires et pièces sont communiqués s'ils contiennent des éléments nouveaux. ". Il résulte de ces dispositions, destinées à garantir le caractère contradictoire de l'instruction, que la méconnaissance de l'obligation de communiquer un mémoire ou une pièce contenant des éléments nouveaux est en principe de nature à entacher la procédure d'irrégularité. Il n'en va autrement que dans le cas où il ressort des pièces du dossier que, dans les circonstances de l'espèce, cette méconnaissance n'a pu préjudicier aux droits des parties.

4. Les appelants ne peuvent utilement faire valoir que le jugement attaqué serait irrégulier faute pour le tribunal d'avoir communiqué à la commune de Niort leur mémoire en réplique enregistré le 10 septembre 2019, alors que le tribunal a visé et analysé ce mémoire, et qu'à supposer une méconnaissance du contradictoire établie, elle n'était susceptible de préjudicier qu'à la commune de Niort. Contrairement à ce que qui est soutenu, il ne ressort pas des termes du jugement attaqué que le tribunal n'aurait pas tenu compte de ce mémoire pour apprécier le bien-fondé de leur demande.

Au fond :

5. Même en l'absence de faute, le maître d'ouvrage ainsi que, le cas échéant, le maître d'œuvre et l'entrepreneur chargés des travaux sont responsables vis-à-vis des tiers des dommages causés à ceux-ci par l'exécution de travaux publics, à moins que ces dommages ne soient imputables à un cas de force majeure ou à une faute de la victime. Il appartient aux tiers à une opération de travaux publics qui entendent obtenir réparation des dommages qu'ils estiment avoir subis à cette occasion d'établir le lien de causalité entre cette opération et les dommages invoqués. Ces tiers ne sont pas tenus de démontrer le caractère grave et spécial du préjudice qu'ils subissent lorsque le dommage présente un caractère accidentel.

6. En premier lieu, il résulte de l'instruction que les travaux de réhabilitation de la galerie du Donjon, effectués sous la maîtrise d'ouvrage de la société 2IMA, n'ont pas été réalisés pour le compte de la commune de Niort. La responsabilité de la commune ne saurait dès lors être engagée sur le fondement des principes ci-dessus rappelés à raison des préjudices que les appelants imputent à ces travaux.

7. En deuxième lieu, les travaux publics de rénovation de la rue Victor Hugo effectués pour le compte de la commune de Niort, à l'égard desquels M. et Mme D... avaient la qualité de tiers, ont été réalisés entre 2010 et 2012. Les appelants ne sauraient ainsi imputer à ces travaux les baisses de chiffres d'affaires qu'ils allèguent avoir subies jusqu'en 2009. Les requérants n'apportent par ailleurs aucun élément de nature à établir que, du fait de ces travaux, l'accès à leur bijouterie, située à l'intersection de la rue Sainte-Marthe et de la galerie du Donjon et à environ cent mètres de la rue Victor Hugo, aurait été rendu excessivement difficile. Il n'est pas davantage établi que les désordres dont ils font état, à savoir des dégradations de la vitrine et des panneaux de leur magasin, des nuisances sonores et une obstruction des canalisations, auraient été causés par ces travaux. Enfin, la commune de Niort ne saurait être tenue pour responsable de la décision prise en juillet 2010 par le syndic de la galerie du Donjon de fermer le passage par la galerie du Donjon en provenance de la rue Victor Hugo. Dans ces conditions, et alors en outre que les requérants ne produisent aucune pièce de nature à démontrer la réalité des pertes de chiffres d'affaires qu'ils affirment avoir subies également à partir de 2010, il n'est pas établi que l'exécution des travaux publics en cause aurait engendré pour les intéressés un dommage grave et spécial au sens des principes rappelés ci-dessus.

8. En dernier lieu, les requérants reprennent en appel leurs conclusions tendant à l'indemnisation d'un préjudice moral qu'ils imputent à une prétendue inertie de la commune de Niort, qui n'aurait pris aucune initiative pour leur permettre de minimiser les préjudices subis. Cependant, et comme l'a relevé le tribunal, la commune de Niort n'est pas responsable des préjudices matériel et financier que les requérants affirment avoir subis. Leurs conclusions ne peuvent par suite être accueillies.

9. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner la recevabilité des conclusions d'appel en tant qu'elles sont présentées par la société Créations D..., que les requérants ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté la demande de première instance.

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la commune de Niort, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement de quelque somme que ce soit au titre des frais exposés par M. et Mme D... et la société Créations D... et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées par la commune de Niort sur le fondement des mêmes dispositions.

DECIDE :

Article 1er : La requête de M. et Mme D... et de la société Créations D... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de la commune de Niort présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... D..., à Mme C... D..., à la SARL Créations D... et à la commune de Niort.

Délibéré après l'audience du 3 mai 2022 à laquelle siégeaient :

Mme Catherine Girault, présidente,

Mme Anne Meyer, présidente-assesseure

Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, première conseillère

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 31 mai 2022.

La rapporteure,

Marie-Pierre Beuve A...La présidente

Catherine GiraultLa greffière,

Virginie Guillout

La République mande et ordonne au préfet des Deux-Sèvres en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

No 19BX04541


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 19BX04541
Date de la décision : 31/05/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme GIRAULT
Rapporteur ?: Mme Marie-Pierre BEUVE-DUPUY
Rapporteur public ?: Mme GALLIER
Avocat(s) : SELARL CARADEUX CONSULTANTS - INTERBARREAUX

Origine de la décision
Date de l'import : 14/06/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2022-05-31;19bx04541 ?
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