Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme M... I... épouse F... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler la décision du 18 mars 2021 par laquelle la préfète de la Gironde a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de destination et lui a interdit de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans.
Par un jugement n° 2103518 du 2 novembre 2021, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, des pièces et un mémoire, enregistrés le 17 janvier 2022, le 18 mai 2022 et le 2 juin 2022, Mme I..., représentée par Me Haas, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 2 novembre 2021 ;
2°) d'annuler la décision du 18 mars 2021 par laquelle la préfète de la Gironde a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de destination et lui a interdit de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans ;
3°) d'enjoindre à la préfète de la Gironde de lui délivrer un titre de séjour ou, de procéder au réexamen de sa situation, dans le délai d'un mois, sous astreinte de 80 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros en application des articles 37 alinéa 2 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement est entaché d'irrégularité dès lors que l'arrêté du 18 mars 2021 ne lui a jamais été communiqué ;
- la décision méconnait le 7° de l'article L. 313-11, l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle méconnait l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant et est entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;
- elle méconnait l'article R. 311-2-1 du code de l'entrée et du séjour et du droit d'asile et repose sur une erreur manifeste d'appréciation.
Par un mémoire en défense, enregistré le 20 avril 2022, la préfète de la Gironde conclut au rejet de la requête.
Elle soutient qu'aucun des moyens n'est fondé.
Mme I... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 16 décembre 2021.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme H... K...,
- et les observations de Me Haas, représentant Mme I....
Considérant ce qui suit :
1. Mme I... épouse F..., ressortissante albanaise née le 1er juin 1988, est entrée en France au mois de juin 2012, avec son époux et leur fille ainée âgée de deux ans. Elle a fait l'objet de trois mesures d'éloignement en mai 2013, octobre 2016 et avril 2017, puis a sollicité, le 7 septembre 2018, la délivrance d'un premier titre de séjour sur le fondement des dispositions de l'article L. 313-11 7° et de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un premier jugement du 30 décembre 2020, le tribunal administratif de Bordeaux a annulé la décision du 1er octobre 2019 par laquelle la préfète de la Gironde avait classé sans suite sa demande et a enjoint à cette autorité de procéder à l'enregistrement de sa demande de titre de séjour. Puis par un arrêté du 18 mars 2021, la préfète de la Gironde a refusé de lui délivrer le titre sollicité, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de destination et lui a interdit le retour sur le territoire français pour une durée de deux ans. Mme I... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler ces décisions. Elle relève appel du jugement du 2 novembre 2021 rejetant sa demande.
Sur la régularité du jugement :
2. Il est constant que Mme I... n'a pas été destinataire de l'arrêté du 18 mars 2021 en raison d'un retour de ce courrier dans les services de la préfecture sur lequel a été apposé la mention " n'habite pas à l'adresse indiquée ". L'intéressée a eu seulement connaissance de l'existence de cette décision lors d'une demande de renouvellement de son récépissé adressée à la préfecture. Or le tribunal s'est fondé notamment, pour rejeter la demande de Mme I..., sur cet arrêté qu'il a obtenu à la suite d'une mesure d'instruction faite à la préfecture. Il appartenait en l'espèce au tribunal de communiquer à Mme I... ce document pour permettre à celle-ci de présenter ses observations. Par suite, Mme I... est fondée à soutenir que le jugement attaqué a été rendu sur une procédure irrégulière et à en demander l'annulation.
3. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur les conclusions présentées par Mme I... devant le tribunal administratif de Bordeaux et devant la cour.
Sur la légalité de la décision du 18 mars 2021 :
En ce qui concerne la décision portant refus de titre de séjour :
4. En premier lieu, il ressort de la consultation du site internet de la préfecture, librement accessible, que la préfète de la Gironde a, par un arrêté du 7 décembre 2020 régulièrement publié au recueil des actes administratifs n°33-2020-196 du même jour, donné délégation à M. B... E..., directeur des migrations et de l'intégration, signataire de l'arrêté litigieux, à l'effet de signer, notamment, toutes décisions prises en application des dispositions législatives et réglementaires du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, en cas d'absence ou d'empêchement de M. C... du Payrat, de Mme de Vernhet et de Mme D.... Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de la décision contestée doit être écarté comme manquant en fait.
5. En deuxième lieu, la décision attaquée vise les textes dont il est fait application, notamment les articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, le règlement CE n°1987/2006 du parlement européen et du conseil du 20 décembre 2006 et le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Elle mentionne notamment l'entrée irrégulière de l'intéressée au mois de juin 2012 et son maintien sur le territoire en dépit de trois mesures d'éloignement prononcées à son encontre aux mois de mai 2013, octobre 2016 et avril 2017, la situation de son mari en infraction à une mesure d'éloignement du 3 février 2017, la scolarisation de ses enfants en France, la présence en France de membres de sa famille admis à séjourner en qualité de réfugiés et l'absence d'élément justifiant son insertion dans la société française. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation en droit comme en fait doit être écarté.
6. En troisième lieu, aux termes des dispositions de l'article
L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors applicable : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...)7° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'intéressé, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine, sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, sans que la condition prévue à l'article L. 313-2 soit exigée. L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République (...) ".
7. Il ressort des pièces du dossier que si Mme I... est entrée en France au mois de juin 2012 et justifie de près de neuf ans de présence ininterrompue en France à la date de la décision attaquée, elle n'a jamais obtenu de titre de séjour et s'est maintenue sur le territoire en dépit et au mépris de trois mesures d'éloignement édictées à son encontre. Mme I... fait valoir que deux de ses enfants âgés de onze et cinq ans sont scolarisés en France, toutefois rien ne fait obstacle à ce que ces derniers l'accompagnent en Albanie où ils pourront poursuivre leur scolarité. En outre, si Mme I... soutient que toutes ses attaches familiales se situeraient sur le territoire français où résident sa grand-mère, son père, sa sœur, son frère, sa belle-sœur et son neveu qui bénéficient du statut de réfugiés, d'une part cette circonstance ne lui confère aucun droit particulier au séjour et d'autre part, rien ne fait obstacle à ce que sa cellule familiale se reconstitue en Albanie dès lors que son époux, également de nationalité albanaise, est actuellement en séjour irrégulier sur le territoire où il s'est d'ailleurs lui aussi maintenu en infraction à une mesure d'éloignement édictée le 3 février 2017, et que leurs trois enfants ont vocation à les suivre. Enfin, si Mme I... fait valoir que sa présence serait indispensable dès lors que son père est atteint d'une pathologie grave et handicapante, d'une part les certificats médicaux qu'elle produit, attestant de la perte d'autonomie de son père, sont anciens, et d'autre part, il ressort de la fiche de consultation du fichier national des étrangers que ce dernier réside à Albi excluant ainsi qu'elle puisse lui apporter une aide quotidienne alors qu'elle réside en Gironde. Il résulte de ce qui précède que la décision attaquée ne méconnaît pas les dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, et ne porte pas, au regard des buts poursuivis, une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale tel que garanti par les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Pour les mêmes motifs, Mme I... n'est pas fondée à soutenir que la préfète de la Gironde aurait fait une appréciation manifestement erronée de sa situation personnelle.
8. En quatrième lieu, Mme I..., qui se prévaut de la durée de son séjour en France, de la scolarisation de ses enfants, de la présence régulière de sa proche famille à laquelle a été reconnue la qualité de réfugié, et de la nécessité de sa présence auprès de son père atteint d'une pathologie handicapante, ne justifie d'aucune circonstance humanitaire ou d'aucun motif exceptionnel au sens des dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors applicable. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de ces dispositions doit être écarté.
9. En cinquième et dernier lieu, aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale (...) ".
10. La décision en litige n'a ni pour objet ni pour effet de séparer les enfants de A... I... de l'un ou l'autre de leurs parents dès lors que l'époux de Mme I..., qui se trouve en situation irrégulière en France peut suivre son épouse dans le pays dont ils ont tous deux la nationalité. En outre, comme il a été dit ci-dessus, si la requérante soutient que ses enfants, et notamment sa fille ainée, sont scolarisés de manière ininterrompue en France depuis l'arrivée de la famille en 2012, rien ne fait obstacle à ce que ces derniers accompagnent leurs parents en Albanie où ils pourront poursuivre leur scolarité. Par suite, la décision contestée, portant refus de titre de séjour, ne porte pas atteinte à l'intérêt supérieur des enfants de la requérante et ne méconnaît pas les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :
11. Il résulte de ce qui précède que Mme I... n'est pas fondée à soutenir que la mesure d'éloignement prise à son encontre serait privée de base légale du fait de l'illégalité de la décision lui refusant un titre de séjour.
En ce qui concerne la décision fixant le pays de destination :
12. Il résulte de ce qui précède que Mme I... n'est pas fondée à soutenir que la décision fixant le pays de destination prise à son encontre serait privée de base légale du fait de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français.
En ce qui concerne la décision portant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans :
13. En premier lieu, la décision attaquée vise les dispositions du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dont elle fait application, énonce que la requérante est mariée et mère de trois enfants, que sa famille est hébergée par une association et qu'elle n'a aucune activité salariée. Elle relève que si elle est bien présente en France depuis 2012, elle s'est précédemment soustraite à trois mesures d'éloignement édictées à son encontre les 30 mai 2013, 3 octobre 2016 et 3 février 2017. Par suite, la préfète ayant indiqué les considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision attaquée, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de cette décision doit être écarté.
14. En deuxième lieu, si Mme I... soutient que l'ancienneté de sa présence, la scolarisation de ses enfants de manière interrompue depuis leur arrivée en 2012, ainsi que la présence de nombreux membres de sa famille en situation régulière sur le territoire français constituent des circonstances humanitaires justifiant que ne soit pas prononcée d'interdiction de retour à son encontre, il ressort des pièces du dossier que celle-ci est entrée irrégulièrement en France puis s'y est maintenue en infraction à trois mesures d'éloignement édictées à son encontre les 30 mai 2013, 3 octobre 2016 et 3 février 2017. Dans ces conditions, alors que la requérante s'est volontairement soustraite à l'exécution de trois précédentes mesures d'éloignement prononcées à son encontre, l'interdiction de retour de deux ans sur le territoire français édictée à son encontre n'apparait pas porter, au regard des buts poursuivis, une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale tel que garanti par les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Pour les mêmes motifs, la préfète de la Gironde n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation en édictant à l'encontre de Mme I... une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans. Au demeurant, si elle s'y croit fondée, la requérante aura la possibilité, conformément aux dispositions précitées, de demander l'abrogation de la décision attaquée après avoir exécuté la décision portant obligation de quitter le territoire français dans le délai imparti de deux mois suivant l'expiration du délai de départ volontaire.
15. En troisième lieu, comme dit précédemment, il n'existe aucun obstacle à la poursuite de la scolarisation des enfants de la requérante en Albanie. Dès lors la décision en litige ne méconnait pas les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
16. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions aux fins d'annulation de la décision du 18 mars 2021 de la préfète de la Gironde doivent être rejetées.
Sur les conclusions aux fins d'injonction :
17. Le présent arrêt, qui rejette les conclusions aux fins d'annulation présentées par Mme I..., n'appelle aucune mesure d'exécution. Par suite, ses conclusions aux fins d'injonction doivent être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
18. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme demandée par Mme I... au titre des frais qu'il a exposés et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du 2 novembre 2021 du tribunal administratif de Bordeaux est annulé.
Article 2 : La demande présentée par Mme I... devant le tribunal administratif de Bordeaux et ses conclusions d'appel sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme M... I... épouse F... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera délivrée à la préfète de la Gironde.
Délibéré après l'audience du 9 juin 2022 à laquelle siégeaient :
Mme Fabienne Zuccarello, présidente,
Mme Christelle Brouard-Lucas, première conseillère,
Mme Charlotte Isoard, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 5 juillet 2022.
La présidente-rapporteure,
Fabienne K... L'assesseure la plus ancienne,
Mme J... L...
La greffière,
Marion Azam Marche
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 22BX00202