Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme D... E... A... a demandé au tribunal administratif de Poitiers d'annuler l'arrêté du 30 juin 2020 par lequel la préfète de la Vienne a refusé de lui délivrer un titre de séjour.
Par un jugement n° 2002162 du 13 janvier 2022, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 24 février 2022, Mme E... A..., représentée par Me Caliot, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Poitiers du 13 janvier 2022 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 30 juin 2020 de la préfète de la Vienne ;
3°) d'enjoindre à la préfète de la Vienne de lui délivrer un titre de séjour dans un délai de quinze jours à compter de la notification de la décision à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard ou, à titre subsidiaire et sous la même astreinte, de réexaminer sa situation dans le délai d'un mois et de lui délivrer, dans l'attente, dans un délai de quarante-huit heures suivant notification de la décision, une autorisation provisoire de séjour ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros à verser à son conseil en application des dispositions des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'arrêté est signé par une autorité incompétente car le signataire ne justifie pas d'une délégation de signature du préfet ;
- il est insuffisamment motivé ;
- il est entaché d'erreur d'appréciation dans la mise en œuvre des dispositions du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; elle est mère d'un enfant français, dont le père a la nationalité française, et a présenté des factures et des preuves de virements bancaires du père à son profit pour subvenir aux besoins de leur fille ; le père a versé une contribution sur le livret A ouvert au nom de sa fille ; sa fille est désormais scolarisée en maternelle ;
- il porte une atteinte disproportionnée à sa vie privée et familiale et méconnaît ainsi les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire en défense, enregistré le 23 août 2022, la préfète de la Vienne conclut au rejet de la requête de Mme E... A....
Elle fait valoir que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Mme E... A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 3 mars 2022.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée et le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 pris pour son application ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme B... C... a été entendu au cours de l'audience publique :
Considérant ce qui suit :
1. Mme E... A..., ressortissante comorienne née en juin 1991, est entrée sur le territoire français le 20 septembre 2018 sous couvert d'un visa D " étudiant ", valable jusqu'au 13 septembre 2019. Elle a été titulaire d'un titre de séjour mention " étudiant " valable du 14 septembre 2019 au 13 septembre 2020. Le 27 février 2020, elle a sollicité la délivrance d'un titre de séjour mention " vie privée et familiale " en qualité de parent d'enfant français. Par un arrêté du 30 juin 2020, la préfète de la Vienne a rejeté sa demande de titre de séjour. Mme E... A... relève appel du jugement du 13 janvier 2022 par lequel le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur les conclusions aux fins d'annulation :
2. Aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa version applicable à la date de l'arrêté en cause : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) / 6° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France, à la condition qu'il établisse contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins deux ans, sans que la condition prévue à l'article L. 313-2 soit exigée ; / Lorsque la filiation est établie à l'égard d'un parent, en application de l'article 316 du code civil, le demandeur, s'il n'est pas l'auteur de la reconnaissance de paternité ou de maternité, justifie que ce dernier contribue effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant, dans les conditions prévues à l'article 371-2 du même code, ou produit une décision de justice relative à la contribution à l'éducation et à l'entretien de l'enfant. Lorsque le lien de filiation est établi mais que la preuve de la contribution n'est pas rapportée ou qu'aucune décision de justice n'est intervenue, le droit au séjour du demandeur s'apprécie au regard du respect de sa vie privée et familiale et au regard de l'intérêt supérieur de l'enfant ; (...) ". Aux termes de l'article 316 du code civil : " Lorsque la filiation n'est pas établie dans les conditions prévues à la section I du présent chapitre, elle peut l'être par une reconnaissance de paternité ou de maternité, faite avant ou après la naissance. / La reconnaissance n'établit la filiation qu'à l'égard de son auteur. / Elle est faite dans l'acte de naissance, par acte reçu par l'officier de l'état civil ou par tout autre acte authentique. (...) ". Enfin, en application de l'article 371-2 du code civil, " Chacun des parents contribue à l'entretien et à l'éducation des enfants à proportion de ses ressources, de celles de l'autre parent, ainsi que des besoins de l'enfant. (...) ".
3. Mme E... A... a donné naissance le 17 avril 2019 à une fille, reconnue le 22 février 2019 par anticipation par un ressortissant français avec lequel la requérante n'est pas mariée. Compte tenu de ce mode d'établissement de filiation paternelle, Mme E... A... doit justifier remplir les conditions du premier mais aussi du second alinéa du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
4. D'une part, il ressort des pièces du dossier que Mme E... A..., mère de l'enfant, contribue effectivement à l'éducation et à l'entretien de sa fille, âgée de quatorze mois à la date de l'arrêté contesté, avec laquelle elle demeure à Poitiers. Il n'est pas contesté que cette enfant est française par filiation, de sorte que la requérante remplit les conditions posées au premier alinéa du 6° précité. D'autre part, si le père de l'enfant réside à Marseille, il ressort des attestations produites par la requérante que l'enfant voit régulièrement son père durant les vacances et les week-end. La requérante justifie des versements bancaires mensuels effectués par le père de sa fille, de 50 euros à 300 euros, sur la période allant de juillet 2020 à mars 2021, et établit qu'il a en outre effectué le 4 mai 2020 un virement de 100 euros sur le livret A ouvert au nom de l'enfant. Elle produit enfin des factures d'achat d'articles de puériculture réalisés par le père de son enfant en décembre 2019 et janvier et août 2020. Mme E... A... établit ainsi suffisamment la contribution de ce dernier à l'entretien et l'éducation de l'enfant.
5. Par suite, Mme E... A... remplissait les conditions de délivrance d'un titre de séjour sur le fondement du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il suit de là que Mme E... A... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande. Dès lors, il y a lieu, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, d'annuler l'arrêté du 30 juin 2020 et le jugement du 13 janvier 2022 du tribunal administratif de Poitiers.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
6. La présente décision implique nécessairement que l'autorité préfectorale délivre, sous réserve d'un changement dans les circonstances de fait, à Mme E... A... un titre de séjour " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Sur les conclusions relatives aux frais d'instance :
7. Mme E... A... bénéficie de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocate peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Caliot renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État, de mettre à la charge de l'État le versement de la somme de 1 500 euros au conseil de Mme E... A... au titre des frais non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2002162 du 13 janvier 2022 du tribunal administratif de Poitiers et l'arrêté du 30 juin 2020 de la préfète de la Vienne sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint à la préfète de la Vienne de délivrer à Mme E... A... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à Me Caliot la somme de 1 500 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... E... A..., à la préfète de la Vienne et au ministre de l'intérieur et des Outre-mer.
Délibéré après l'audience du 6 septembre 2022, à laquelle siégeaient :
Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, présidente,
M. Manuel Bourgeois, premier conseiller,
Mme Agnès Bourjol, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 27 septembre 2022.
La rapporteure,
Agnès C...La présidente,
Marie-Pierre BEUVE DUPUY
La greffière,
Sylvie HAYET
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des Outre-mer, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 22BX00634