Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... B... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler la décision du 21 février 2019 par laquelle le directeur de l'École nationale de la magistrature lui a infligé un blâme.
Par un jugement n° 1901311 du 7 octobre 2019, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés le 3 novembre 2020 et le 23 août 2022, M. B..., représenté par Me Genty, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 7 octobre 2019 ;
2°) d'annuler la décision du directeur de l'École nationale de la magistrature du 21 février 2019 ;
3°) d'enjoindre au directeur de l'École nationale de la magistrature de retirer ce blâme et toute référence à celui-ci de son dossier administratif ;
4°) de mettre à la charge de l'École nationale de la magistrature la somme de 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement attaqué n'est pas suffisamment motivé concernant le moyen tiré de l'absence d'information du droit de consulter son dossier ;
- ce jugement n'est pas suffisamment motivé s'agissant du moyen tiré de la récusation irrégulière du défenseur qu'il avait désigné ; en effet, l'article 62 du décret du 4 mai 1972 relatif à l'École nationale de la magistrature est inconstitutionnel dès lors qu'il est contraire à l'article 34 de la Constitution ; par ailleurs, cet article, repris par le règlement intérieur de l'École nationale de la magistrature, qui interdit aux auditeurs d'être assistés d'une personne autre qu'un avocat ou un membre du corps judiciaire, est contraire à la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, laquelle est applicable aux auditeurs de justice ;
- la procédure de discipline suivie était irrégulière dès lors que le respect des droits de la défense a été méconnu ; en effet, il n'a disposé que de dix jours pour préparer sa défense ;
- le blâme qui lui a été infligé méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors qu'il se fonde sur des courriers confidentiels ;
- le directeur de l'École nationale de la magistrature a commis une erreur d'appréciation en considérant que les courriels du 26 janvier 2019 et du 28 janvier 2019 étaient fautifs.
Par des mémoires en défense enregistrés le 20 juin 2022 et le 16 septembre 2022, l'École nationale de la magistrature, représentée par Me Ruffié, conclut au rejet de la requête et demande de mettre à la charge de M. B... la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et 13 euros au titre du remboursement du droit de plaidoirie.
Elle fait valoir que les moyens de M. B... ne sont pas fondés.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle par une décision du 3 septembre 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la Constitution ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 72-355 du 4 mai 1972 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme D... A...,
- les conclusions de M. Romain Roussel, rapporteur public,
- les observations de Me Eizaga, représentant M. B..., et de Me Ruffié, représentant l'École nationale de la magistrature.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., nommé auditeur de justice par un arrêté du 8 janvier 2018 du garde des sceaux, ministre de la justice, a suivi sa scolarité à l'École nationale de la magistrature. Par une décision du 21 février 2019, le directeur de l'École nationale de la magistrature a infligé un blâme à M. B.... L'intéressé relève appel du jugement du 7 octobre 2019 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision.
Sur la régularité du jugement :
2. Aux termes de l'article 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ".
3. En premier lieu, il résulte des motifs figurant au point 8 du jugement attaqué que les premiers juges ont expressément écarté le moyen tiré de ce que le requérant n'aurait pas été informé de son droit à prendre connaissance de son dossier, en rappelant notamment que la copie des pièces fondant la procédure disciplinaire était jointe au courrier de convocation du 11 février 2019, qu'il avait déjà consulté son dossier le 25 octobre 2018 à l'occasion d'une précédente procédure disciplinaire et qu'il avait été mis en mesure d'en demander la communication alors même qu'il n'aurait pas été explicitement informé de ce droit. Ces éléments permettaient à M. B... de comprendre que les premiers juges ont estimé qu'il n'avait été privé d'aucune garantie. Par suite, le moyen tiré de l'irrégularité du jugement en raison de l'insuffisante motivation de la réponse à ce moyen doit être écarté.
4. En second lieu, à l'appui de son moyen tiré de l'irrégularité de la procédure en raison de la récusation illégale du défendeur qu'il avait choisi, M. B... a invoqué l'inconstitutionnalité et l'illégalité de l'article 62 du décret du 4 mai 1972 relatif à l'École nationale de la magistrature, sur le fondement duquel le directeur de l'École nationale de la magistrature a refusé, par un courrier du 12 février 2019, qu'il soit assisté par le défendeur qu'il avait choisi lors de son audition disciplinaire. Il résulte des points 5 et 6 du jugement attaqué que le tribunal administratif a répondu aux deux branches de ce moyen, et estimé que l'article 62 du décret du 4 mai 1972 n'était ni inconstitutionnel, ni illégal. Il a ainsi nécessairement écarté le moyen tiré de l'irrégularité de la procédure en raison de la récusation du défendeur choisi par M. B.... Ainsi, ce dernier, qui a été mis à même de comprendre les motifs pour lesquels les premiers juges écartaient son moyen et de les contester utilement, n'est pas fondé à soutenir que le jugement attaqué serait insuffisamment motivé sur ce point. Par suite, le moyen tiré de l'irrégularité du jugement sur ce point doit être écarté.
Sur la légalité de la décision du 21 février 2019 :
5. En premier lieu, aux termes de l'article 62 du décret du 4 mai 1972 relatif à l'École nationale de la magistrature : " Aucune des sanctions disciplinaires ne peut être prononcée sans que l'auditeur de justice n'ait été convoqué, mis en mesure de prendre connaissance de son dossier et des pièces justifiant la mise en œuvre de poursuites disciplinaires et d'être personnellement entendu en ses explications. / L'auditeur de justice poursuivi peut se faire assister par un membre du corps judiciaire ou un avocat ".
6. Les auditeurs de justice sont rattachés au corps judiciaire, se trouvent dans une situation probatoire et provisoire et n'ont ainsi pas la qualité de fonctionnaires. Par conséquent, ni les dispositions de l'article 34 de la Constitution, qui réservent à la loi la fixation des règles concernant les garanties fondamentales accordées aux fonctionnaires civils et militaires de l'État, ni celles de l'article 19 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, laquelle ne s'applique pas aux agents ayant la qualité de stagiaires, aux termes duquel " (...) Le fonctionnaire à l'encontre duquel une procédure disciplinaire est engagée a droit à la communication de l'intégralité de son dossier individuel et de tous les documents annexes et à l'assistance de défenseurs de son choix (...) " ne leur sont applicables. Ainsi, M. B... ne peut utilement se prévaloir de ce que les dispositions de l'article 62 du décret du 4 mai 1972 relatif à l'École nationale de la magistrature, sur lesquelles s'est fondé le directeur de l'École nationale de la magistrature pour refuser qu'il soit assisté par une personne n'étant ni un membre du corps judiciaire, ni un avocat, seraient contraires à l'article 34 de la Constitution ou à l'article 19 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires. A cet égard, la circonstance que le site internet de l'École nationale de la magistrature indique que les auditeurs de justice relèvent en partie de la loi du 13 juillet 1983 est sans incidence sur les règles applicables aux auditeurs de justice en matière de discipline. Par suite, le moyen tiré de l'irrégularité de la procédure en raison de la récusation de la personne choisie par M. B... pour l'assister, qui n'appartenait pas aux catégories de personnes strictement définies par les dispositions citées ci-dessus de l'article 62 du décret du 4 mai 1972 relatif à l'École nationale de la magistrature, doit être écarté.
7. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier que M. B... a reçu un courrier le convoquant à un entretien dans le cadre d'une procédure disciplinaire le 11 février 2019, soit dix jours avant son audition. Ainsi que l'ont relevé les premiers juges, les faits motivant la procédure disciplinaire étaient clairement exposés dans ce courrier, auquel était joint la copie des pièces qui fondaient l'engagement de cette procédure. Les éléments reprochés au requérant étant ainsi nettement identifiés et circonscrits, le délai de dix jours entre cette convocation et l'entretien du 21 février 2019 était suffisant pour permettre à M. B... de préparer utilement sa défense et faire valoir ses éventuelles observations, alors même qu'un délai de quinze jours serait prévu pour une audition devant le conseil de discipline, qu'un délai plus important lui aurait été accordé lors d'une précédente procédure disciplinaire, ou encore que cette période correspondait à celle de préparation des examens qui se sont déroulés du 26 février au 1er mars 2019. Par ailleurs, il ne résulte d'aucun texte ni principe qu'un délai minimal de quinze jours doive être accordé à un agent pour préparer sa défense dans le cadre d'une procédure disciplinaire, contrairement à ce que M. B... soutient. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des droits de la défense doit être écarté.
8. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier que le délégué interministériel à la sécurité a spontanément, par un courrier du 5 février 2019, communiqué au directeur de l'École nationale de la magistrature les deux courriels des 26 et 28 janvier 2019 que M. B... lui avait adressés. En se fondant sur ces courriels pour prononcer la sanction prise à l'encontre du requérant, le directeur de l'École nationale de la magistrature n'a ainsi pas méconnu le droit de l'intéressé au respect de sa correspondance, dès lors que lesdits courriels lui ont été transmis par leur destinataire qui a souhaité porter à sa connaissance leur contenu. Au surplus, bien que ces courriels aient été libellés " Confidentiel " par M. B..., il ressort clairement des termes de ces envois que le requérant les a adressés en sa qualité d'auditeur de justice de l'École nationale de magistrature au délégué interministériel à la sécurité routière en sa qualité de représentant du gouvernement. Par suite, le moyen tiré de ce que la sanction disciplinaire en cause a été infligée à M. B... en méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.
9. Enfin, aux termes l'article 60 du décret du 4 mai 1972 relatif à l'École nationale de la magistrature : " Les sanctions disciplinaires applicables aux auditeurs sont : 1° L'avertissement ou le blâme ; / 2° L'exclusion temporaire pour une durée d'un mois au plus, avec ou sans retenue de tout ou partie du traitement ; / 3° L'exclusion définitive. / Le blâme et l'exclusion temporaire intervenant au cours des stages dans les juridictions peuvent en outre motiver le changement d'affectation de l'auditeur intéressé ". Le juge de l'excès de pouvoir exerce un contrôle normal sur les questions de savoir si les faits reprochés à un agent public constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes.
10. Le directeur de l'École nationale de la magistrature a infligé un blâme à M. B... aux motifs que, par les courriels du 26 et du 28 janvier 2019 adressés au délégué interministériel à la sécurité routière, le requérant a fait preuve d'une désobligeance et d'une discourtoisie incompatible avec les devoirs des auditeurs de justice qui se préparent à exercer des fonctions de magistrat, que son comportement était de nature à nuire gravement à l'image de l'École nationale de la magistrature et de l'institution judiciaire et que, par conséquent, le manquement de M. B... à son obligation de délicatesse était caractérisé.
11. Il ressort des pièces du dossier que lors d'une intervention du délégué interministériel à la sécurité routière le 17 juillet 2018 à l'École nationale de la magistrature, M. B... a pris la parole. A la demande de l'administration de cette école, qui lui demandait " un retour " sur son interpellation par M. B..., ce délégué interministériel à la sécurité routière a, par un courriel du 22 juillet 2018, indiqué qu'il avait trouvé les propos de l'intéressé inappropriés, tant sur le fond que sur la forme. M. B... ayant pris connaissance de ce courriel, il a adressé au délégué interministériel à la sécurité routière deux courriels les 26 et 28 janvier 2019. Il ressort de ces correspondances que le requérant a utilisé, à l'égard du délégué interministériel à la sécurité routière, des termes désobligeants, méprisants et irrespectueux. Quel qu'ait été le contexte justifiant selon l'intéressé l'envoi de ces courriels, le ton employé par M. B..., qui se prévalait de sa qualité d'auditeur de justice, était de nature à caractériser une faute. Le directeur de l'École nationale de la magistrature n'a pas fait une inexacte appréciation des faits en considérant que le comportement de M. B... était susceptible de porter atteinte à l'image de cette école, et plus largement à celle de l'institution judiciaire, et à caractériser un manquement à son devoir de délicatesse. Par ailleurs, eu égard aux faits reprochés au requérant, la sanction du blâme n'était pas disproportionnée, contrairement à ce qu'il soutient. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision du 21 février 2019 serait entachée d'erreurs d'appréciation doit être écarté.
12. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.
Sur l'injonction :
13. Le présent arrêt, qui rejette les conclusions à fin d'annulation présentées par M. B..., n'implique aucune mesure particulière d'exécution. Par suite, ses conclusions présentées à fin d'injonction doivent être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'École nationale de la magistrature, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que M. B... demande sur ce fondement. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge M. B... une somme 1 500 euros à verser à l'École nationale de la magistrature, en application de ces mêmes dispositions.
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : M. B... versera à l'École nationale de la magistrature une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... B... et à l'École nationale de la magistrature.
Délibéré après l'audience du 27 octobre 2022 à laquelle siégeaient :
Mme Marianne Hardy, présidente,
Mme Christelle Brouard-Lucas, présidente-assesseure,
Mme Charlotte Isoard, première conseillère,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 novembre 2022.
La rapporteure,
Charlotte A...La présidente,
Marianne Hardy
La greffière,
Marion Azam Marche
La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
N° 20BX03588 2