Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... B... a demandé au tribunal administratif de Poitiers d'annuler l'arrêté du
6 décembre 2021 par lequel la préfète de la Vienne lui a fait obligation de quitter sans délai le territoire français, a fixé le pays de renvoi et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée de deux ans.
Par un jugement n° 2103232 du 13 juillet 2022, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 5 août 2022, M. B..., représenté par Me Menard, demande à la cour :
1°) de lui accorder le bénéfice de l'aide juridictionnelle, à titre provisoire ;
2°) d'annuler le jugement du 13 juillet 2022 du tribunal administratif de Poitiers ;
3°) d'annuler l'arrêté de la préfète de la Vienne du 6 décembre 2021 ;
4°) d'enjoindre à la préfète de la Vienne de réexaminer son droit au séjour dans le délai de quinze jours à compter de la notification de la décision à intervenir, et de lui délivrer dans l'attente de ce réexamen une autorisation provisoire de séjour, sous astreinte de 50 euros par jour de retard ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros en application de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative, dont distraction au profit de son avocat sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Il soutient que :
- le jugement n'est pas suffisamment motivé en ce qui concerne les réponses aux moyens dirigés contre l'interdiction de retour sur le territoire français ;
- la secrétaire générale de la préfecture ne disposait pas d'une délégation régulière de la préfète de la Vienne pour signer l'arrêté en litige ;
- cet arrêté est entaché d'un défaut de motivation, laquelle se révèle stéréotypée et sans analyse de sa situation personnelle ou d'analyse juridique spécifique s'agissant de l'interdiction de retour pendant une durée de deux ans ;
- la mesure d'éloignement a méconnu l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors qu'il vit en France depuis l'âge de neuf ans de manière continue, contrairement à ce qu'indique le tribunal ;
- l'obligation de quitter le territoire méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors qu'il établit que son père et sa fratrie, dont un de ses frères d'ailleurs de nationalité française, résident régulièrement en France et qu'il a conservé des liens avec eux, comme en attestent les documents qu'il produit, et alors qu'il n'a plus d'attache dans son pays d'origine qu'il a quitté il y a plus de trente ans ;
- la décision fixant le pays de renvoi a méconnu l'article 3 de la convention précitée car elle contrevient au respect de son droit de mener une vie privée et familiale en France ;
- l'interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée de deux ans n'est pas justifiée dès lors qu'il établit être entré en France avant l'âge de treize ans.
Par un mémoire en défense, enregistré le 2 février 2023, le préfet de la Vienne conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Le bureau d'aide juridictionnelle près le Tribunal judiciaire de Bordeaux, par une décision n° 2022/011736 en date du 13 octobre 2022, a admis M. B... au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de M. F... E... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., ressortissant gabonais né le 30 septembre 1978, est entré en France en 1987. Il a pu bénéficier de titres de séjour entre 2005 et 2013 puis du 29 octobre 2019 au 28 octobre 2020. Il a ensuite été incarcéré au centre pénitentiaire de Poitiers entre le 4 juin et 4 novembre 2021. Par un arrêté du 6 décembre 2021, la préfète de la Vienne lui a fait obligation de quitter sans délai le territoire français, a fixé le pays de renvoi et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée de deux ans. M. B... relève appel du jugement du 13 juillet 2022 par lequel le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur les conclusions tendant au bénéfice de l'aide juridictionnelle, à titre provisoire :
2. M. B... ayant été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau de l'aide juridictionnelle près le Tribunal judiciaire de Bordeaux du 13 octobre 2022, ses conclusions tendant au bénéfice de l'aide juridictionnelle, à titre provisoire, ont perdu leur objet.
Sur la régularité du jugement :
3. Les premiers juges, qui n'étaient pas tenus de répondre à la totalité des arguments avancés par M. B..., ont indiqué de manière suffisamment précise les motifs pour lesquels ils ont écarté les moyens dirigés contre la décision portant interdiction de retour sur le territoire français. Par suite, M. B... n'est pas fondé à soutenir que le jugement serait entaché d'irrégularité.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
En ce qui concerne l'arrêté en son ensemble :
4. Ainsi que l'a relevé le tribunal, la préfète de la Vienne a, par un arrêté n° 2021-SG-DCPPAT-021 du 27 août 2021, régulièrement publié le même jour au recueil des actes administratifs de la préfecture de ce département, donné délégation à Mme D... A..., sous-préfète, secrétaire générale de la préfecture de la Vienne, à l'effet de signer l'ensemble des décisions entrant dans le champ du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Une telle délégation n'est ni trop générale, ni trop imprécise. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire des actes attaqués ne peut qu'être écarté.
En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :
5. En premier lieu, la décision contestée vise l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que les articles L. 611-1 et L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il ressort des termes de la décision contestée que la préfète de la Vienne a relevé que l'intéressé a obtenu des titres de séjour du 25 avril 2005 au 21 mars 2013 et du 29 octobre 2019 au 28 octobre 2020. Elle indique également les condamnations pénales prononcées à l'encontre du requérant, comporte des éléments sur sa situation personnelle et familiale et conclut que la mesure d'éloignement ne porte pas au droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée. Dans ces conditions, la décision portant obligation de quitter le territoire français comporte l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation doit être écarté.
6. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Ne peuvent faire l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français : (...) 2° L'étranger qui justifie par tous moyens résider habituellement en France depuis qu'il a atteint au plus l'âge de treize ans ; (...). ".
7. M. B... soutient qu'il ne peut faire l'objet d'une mesure d'éloignement dès lors qu'il est entré en France le 10 août 1987 à l'âge de neuf ans. Toutefois, et d'une part, les attestations de scolarité, établies le 13 décembre 2021, postérieurement à la décision en litige, indiquant qu'il a été scolarisé dans une école primaire à Amiens au cours de l'année scolaire 1985-1986 puis dans un collège à Amiens de 1987 à 1992, ne permettent pas à elle seules d'établir que M. B... résidait en France de manière habituelle et continue depuis l'âge de treize ans, alors au demeurant qu'il indique être entré en France le 10 août 1987. Par ailleurs si le requérant se prévaut d'une attestation de pôle emploi, établie le 25 juillet 2022 faisant état de son inscription à pôle emploi à partir du 18 mai 2016, d'une attestation d'un bailleur social indiquant qu'il a été locataire de 2006 à 2013, d'un relevé de la caisse d'allocations familiales précisant qu'il ne perçoit plus de prestations depuis 2013, de rendez-vous au centre hospitalier de Poitiers à partir de 2013, et d'un relevé de carrière faisant état d'activités salariés à partir de l'année 2000, il ne produit aucun élément démontrant sa présence habituelle en France entre 1992 et 2000. Dans ces conditions, à l'exception d'une attestation rédigée par sa sœur et qui n'est pas revêtue d'une force probante suffisante, les autres pièces produites par le requérant, ne sont pas de nature à établir sa présence au cours de la période dont il se prévaut. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être écarté.
8. En troisième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".
9. M. B... se prévaut de la durée de sa présence en France depuis plus de trente ans où résident régulièrement son père et toute sa fratrie. Toutefois, les attestations, peu circonstanciées, qu'il produit émanant de son père et de sa sœur ne démontrent pas qu'il entretiendrait avec eux des liens anciens, intenses et stables sur le territoire alors que, comme l'ont relevé à juste titre les premiers juges, il a déclaré lors de son audition par les services de police " ne plus avoir de contact " avec eux. Célibataire, sans enfant à charge et sans domicile connu, M. B... a fait l'objet de multiples interpellations par les services de police entre les années 2014 et 2021 et il a été condamné à deux reprises par le tribunal judiciaire de Poitiers en 2020 et 2021 à des peines d'emprisonnement ferme, notamment pour des menaces de mort sur son ex-compagne et pour menace de crime ou de délit contre les personnes ou les biens à l'encontre d'un chargé de mission de service public. Enfin, il n'est pas dépourvu de toute attache dans son pays d'origine où réside sa mère. Par suite, compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce et notamment de ce que le requérant représente une menace pour l'ordre public, l'arrêté de la préfète de la Vienne n'a pas porté au droit de l'intéressé au respect de sa vie familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels a été pris ledit arrêté et n'a donc pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Pour les mêmes motifs, la décision attaquée n'est pas entachée d'erreur manifeste d'appréciation.
En ce qui concerne la décision fixant le pays de renvoi :
10. En premier lieu, la décision contestée mentionne l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et relève que M. B... n'établit pas qu'en cas de retour dans son pays d'origine, il courrait des risques d'être exposé à des peines ou traitements contraires à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Ainsi, la préfète qui n'était pas tenue de mentionner l'ensemble des éléments de la situation personnelle de M. B..., a énoncé les considérations de fait et de droit sur lesquelles la décision fixant le pays de destination de la mesure d'éloignement est fondée. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation doit être écarté.
11. En deuxième lieu, M. B... fait valoir que la décision fixant le pays de destination ne prend pas en compte sa situation familiale et l'empêche de mener une vie privée et familiale normale. Toutefois, pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 9, ce moyen ne peut qu'être écarté.
En ce qui concerne la décision portant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans :
12. En premier lieu, il ressort des termes de la décision attaquée que, pour prononcer à l'encontre de l'appelant une interdiction de retour sur le territoire, la préfète de la Vienne a relevé que M. B... constituait une menace pour l'ordre public, qu'il était célibataire et sans enfant et ne justifiait pas d'une intégration particulière dans la société française. Par suite, la décision en litige est suffisamment motivée, la préfète n'étant nullement tenue de faire état de l'ensemble des éléments caractérisant la situation personnelle de l'intéressé.
13. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, l'autorité administrative assortit la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour ". Et aux termes de l'article L. 612-10 du même code : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. / Il en est de même pour l'édiction et la durée de l'interdiction de retour mentionnée à l'article L. 612-8 ainsi que pour la prolongation de l'interdiction de retour prévue à l'article L. 612-11 ".
14. Compte tenu de ce qui a été dit au point 9, l'interdiction de retour d'une durée de deux ans prononcée à l'encontre de M. B... ne peut être regardée comme ayant été prise en méconnaissance des dispositions des articles L. 612-6 et L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
15. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande d'annulation de l'arrêté de la préfète de la Vienne du 6 décembre 2021. Ses conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte ainsi que celles tendant à l'application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 ne peuvent, par voie de conséquence, qu'être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de M. B... tendant au bénéfice de l'aide juridictionnelle, à titre provisoire.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de M. B... est rejeté.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée au préfet de la Vienne.
Délibéré après l'audience du 9 février 2023 à laquelle siégeaient :
M. Jean-Claude Pauziès, président,
Mme Christelle Brouard-Lucas, présidente-assesseure,
Mme Birsen Sarac-Deleigne, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 2 mars 2023.
La présidente-assesseure,
Christelle Brouard-LucasLe président-rapporteur,
Jean-Claude E...
La greffière,
Marion Azam-Marche
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, chacun en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
N° 22BX02102 2