Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Poitiers, d'une part, d'annuler l'arrêté du 31 août 2018 par lequel le ministre de l'éducation nationale a mis fin à ses fonctions dans l'emploi de secrétaire général du centre national d'enseignement à distance (CNED) à compter du 1er septembre 2018, d'autre part, d'annuler la décision du 9 janvier 2019 par laquelle il lui a refusé le bénéfice de la protection fonctionnelle, enfin, de condamner l'Etat à lui verser la somme de 107 520 euros, majorée des intérêts au taux légal capitalisés, en réparation des préjudices subis en raison de son éviction du poste de secrétaire général du CNED.
Par un jugement n° 1900565 du 28 janvier 2021, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 19 mars 2021 et 5 mars 2023, M. B..., représenté par Me Laplagne, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Poitiers du 28 janvier 2021 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 31 août 2018 du ministre de l'éducation nationale ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'éducation nationale de la jeunesse et des sports de reconstituer sa carrière et ses droits sociaux à compter de la date de son éviction ;
4°) d'annuler la décision du 9 janvier 2019 du ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse ;
5°) de condamner l'Etat à lui verser une somme de 107 520 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 19 septembre 2018 et capitalisation de ces intérêts ;
6°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
En ce qui concerne l'arrêté du 31 août 2018 :
- il est insuffisamment motivé, s'agissant d'une mesure de détachement sur un emploi fonctionnel ;
- il est entaché d'un vice de procédure dès lors qu'il n'a pas été mis à même de consulter son dossier dans un délai suffisant avant l'édiction de l'arrêté, en méconnaissance de l'article 65 de la loi du 22 avril 1905 ;
- il est entaché d'erreur manifeste d'appréciation ;
- il est entaché de détournement de pouvoir ;
En ce qui concerne la décision du 9 janvier 2019 :
- le refus de lui accorder la protection fonctionnelle, alors qu'il a subi des faits de harcèlement moral de la part du directeur général du CNED et de son directeur de cabinet, méconnaît les dispositions des articles 6 quinquiès et 11 de la loi du 13 juillet 1983 et est entaché d'erreur d'appréciation ;
En ce qui concerne le préjudice :
- le harcèlement moral qu'il a subi constitue une faute lui ouvrant droit à réparation ;
- il est fondé à réclamer l'indemnisation de son préjudice moral et des troubles dans ses conditions d'existence à hauteur de 20 000 euros, de sa perte de rémunération à hauteur de 86 520 euros et des frais exposés pour assurer sa défense à hauteur de 1 000 euros.
Par deux mémoires en défense enregistrés les 2 janvier et 4 avril 2023, le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- les moyens tirés de l'erreur manifeste d'appréciation et du détournement de pouvoir dont serait entaché l'arrêté du 31 août 2018 relèvent d'une cause juridique nouvelle en appel et sont donc irrecevables ;
- le moyen tiré du vice de procédure dont serait entaché l'arrêté du 31 août 2018 est inopérant ;
- les autres moyens soulevés par M. B... ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 23 juin 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 15 septembre 2023 à 12h00.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'éducation ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi de finances du 22 avril 1905 ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Laurent Pouget a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., attaché d'administration hors classe, a été nommé et détaché sur l'emploi de secrétaire général du Centre national d'enseignement à distance (CNED) à compter du 1er juin 2017. Lors d'un entretien en date du 27 février 2018, le directeur général du CNED l'a informé qu'il était envisagé de mettre fin à son détachement dans cet emploi en raison de dysfonctionnements dans l'encadrement des services placés sous son autorité ayant engendré une perte de confiance de la part de sa hiérarchie. Par un arrêté du 31 août 2018, le ministre de l'éducation nationale a mis fin à son détachement dans l'emploi de secrétaire général du CNED à compter du 1er septembre 2018, l'a réintégré dans son corps d'origine, l'a affecté sur un emploi de chargé de mission au CNED jusqu'au 30 septembre 2018 et a prononcé sa mutation, à compter du 1er octobre 2018, dans l'académie de Poitiers. Le 13 septembre 2018, M. B... a demandé à bénéficier de la protection fonctionnelle, ce qui lui a été refusé par une décision du 9 janvier 2019 du ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse. M. B... relève appel du jugement du 28 janvier 2021 par lequel le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 31 août 2018 et de la décision du 9 janvier 2019 du ministre de l'éducation nationale et à la condamnation de l'Etat à lui verser une somme de 107 520 euros en principal.
Sur le bien-fondé du jugement :
En ce qui concerne la légalité de l'arrêté du 31 août 2018 :
2. Aux termes de l'article R. 426-10 du code de l'éducation : " Le directeur du Centre national d'enseignement à distance est nommé par décret pris sur proposition des ministres chargés de l'éducation et de l'enseignement supérieur (...) Le directeur est assisté d'un secrétaire général nommé sur sa proposition par les ministres chargés de l'éducation et de l'enseignement supérieur (...) ". Aux termes de l'article R. 426-11 du même code : " Tout fonctionnaire nommé à l'emploi de secrétaire général du Centre national d'enseignement à distance peut se voir retirer cet emploi dans l'intérêt du service ".
3. En premier lieu, M. B... reprend en appel, dans des termes similaires et sans critique utile du jugement, le moyen invoqué en première instance tiré du défaut de motivation de l'arrêté du 31 août 2018. Il n'apporte ainsi aucun élément de droit ou de fait nouveau à l'appui de ce moyen, auquel les premiers juges ont suffisamment et pertinemment répondu. Il y a lieu, dès lors, d'écarter ce moyen par adoption des motifs retenus par le tribunal administratif de Poitiers.
4. En deuxième lieu, et d'une part, aux termes de l'article 65 de la loi du 22 avril 1905 portant fixation du budget des dépenses et des recettes de l'exercice 1905 : " Tous les fonctionnaires civils et militaires, tous les employés et ouvriers de toutes administrations publiques ont droit à la communication personnelle et confidentielle de toutes les notes, feuilles signalétiques et tous autres documents composant leur dossier, soit avant d'être l'objet d'une mesure disciplinaire ou d'un déplacement d'office, soit avant d'être retardé dans leur avancement à l'ancienneté ". En vertu de ces dispositions, un agent public faisant l'objet d'une mesure prise en considération de sa personne, qu'elle soit ou non justifiée par l'intérêt du service, doit être mis à même de demander la communication de son dossier, en étant averti en temps utile de l'intention de l'autorité administrative de prendre la mesure en cause.
5. En l'espèce, M. B... fait valoir que s'il a été invité formellement par un courrier du 13 août 2018 à consulter son dossier le 29 août 2018 à 15h, cette mesure n'était que de pure forme dès lors que cette possibilité lui était ouverte deux jours seulement avant l'édiction de la décision mettant fin à son détachement et alors qu'un avis de vacance de son poste avait été publié dès le 24 juillet 2018. Il ressort cependant des pièces du dossier que M. B... avait été informé par le directeur général du CNED de son intention d'engager une procédure de retrait d'emploi dans l'intérêt du service au cours de deux réunions qui se sont tenues les 12 et 27 février 2018 et qu'il a été, le 8 mars 2018, formellement invité à présenter ses observations sur le compte rendu de cette seconde réunion, lequel mentionnait que " le dossier de carrière de M. B... sera mis à la disposition de celui-ci et il pourra le consulter au cours de la procédure ". Dans ces conditions, et sans que le requérant puisse utilement faire valoir qu'il n'a pas été informé " officiellement " de l'engagement d'une procédure visant à mettre fin à son détachement par un courrier émanant des services du ministère de l'éducation nationale, il ne peut être regardé comme n'ayant pas été mis à même de consulter son dossier dans des conditions régulières.
6. En troisième lieu, pour les motifs exposés au point 9, il ne ressort pas des pièces du dossier que la décision de mettre fin au détachement de M. B... aurait été prise pour des raisons étrangères à l'intérêt du service et, par suite, le moyen tiré de ce que cette décision serait entachée d'un détournement de pouvoir doit être écarté.
En ce qui concerne la légalité de la décision du 9 janvier 2019 :
7. Aux termes de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel (...) ". L'article 11 de la même loi dispose : " I.-A raison de ses fonctions et indépendamment des règles fixées par le code pénal et par les lois spéciales, le fonctionnaire ou, le cas échéant, l'ancien fonctionnaire bénéficie, dans les conditions prévues au présent article, d'une protection organisée par la collectivité publique qui l'emploie à la date des faits en cause ou des faits ayant été imputés de façon diffamatoire. (...) IV.-La collectivité publique est tenue de protéger le fonctionnaire contre les atteintes volontaires à l'intégrité de la personne, les violences, les agissements constitutifs de harcèlement, les menaces, les injures, les diffamations ou les outrages dont il pourrait être victime sans qu'une faute personnelle puisse lui être imputée. Elle est tenue de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté (...) ". Ces dispositions établissent à la charge de l'administration une obligation de protection de ses agents dans l'exercice de leurs fonctions, à laquelle il ne peut être dérogé que pour des motifs d'intérêt général. Cette obligation de protection a pour objet, non seulement de faire cesser les attaques auxquelles l'agent est exposé, mais aussi d'assurer à celui-ci une réparation adéquate des torts qu'il a subis. La mise en œuvre de cette obligation peut notamment conduire l'administration à assister son agent dans l'exercice des poursuites judiciaires qu'il entreprendrait pour se défendre. Il appartient dans chaque cas à l'autorité administrative compétente de prendre les mesures lui permettant de remplir son obligation vis-à-vis de son agent, sous le contrôle du juge et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce.
8. Il appartient à l'agent public qui soutient avoir été victime de faits constitutifs de harcèlement moral, lorsqu'il entend contester le refus opposé par l'administration dont il relève à une demande de protection fonctionnelle fondée sur de tels faits de harcèlement, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles d'en faire présumer l'existence. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile. Pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'administration auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral. Pour être qualifiés de harcèlement moral, ces agissements doivent être répétés et excéder les limites de l'exercice normal du pouvoir hiérarchique.
9. D'une part, M. B... soutient avoir fait l'objet d'un harcèlement moral à compter de la nomination d'un nouveau directeur de cabinet du directeur général en septembre 2017, moins de trois mois après sa prise de fonctions comme secrétaire général du CNED. Toutefois, il ressort des pièces du dossier qu'au cours d'une réunion du 4 octobre 2017, le directeur général du CNED a fait part à M. B... de ses inquiétudes en raison des difficultés rencontrées par ce dernier dans ses fonctions de secrétaire général pour assurer le pilotage de certains dossiers, régler les problématiques affectant des directions du centre et porter la parole de la direction de l'établissement sur des sujets politiquement sensibles. Il n'apparait pas que les reproches faits à cette occasion à la manière de servir de M. B..., qui s'appuyaient sur des faits que ne contredit pas l'appelant et dont rien n'indique qu'ils avaient un lien avec l'arrivée du nouveau directeur de cabinet, aient excédé les limites de l'exercice normal du pouvoir hiérarchique. De même, alors que le requérant soutient que le directeur de cabinet a commis des ingérences en s'adressant directement aux services relevant de sa responsabilité et en intervenant sur des dossiers ne relevant pas de ses compétences, il résulte des éléments du dossier que le rôle attribué au directeur de cabinet au sein du CNED est transversal et peut ainsi le conduire à intervenir de façon directe auprès des différentes directions du centre, y compris celles placées sous l'autorité du secrétaire général et que, par ailleurs, certaines des interventions du directeur de cabinet résultaient d'une réactivité insuffisante du secrétaire général. En outre, l'appelant ne conteste pas qu'il était convié à l'ensemble des réunions stratégiques de l'établissement. Si la communication au sein de la direction du CNED n'a pas été exemplaire, ce que le directeur général a d'ailleurs admis dans un courrier du 9 février 2018, il ne ressort pas des pièces du dossier que le mal-être vécu par l'appelant dans l'exercice de ses fonctions résulte d'une volonté de lui nuire de la part de l'administration au-delà des difficultés relationnelles entre les intéressés. En particulier, il ne ressort pas des pièces du dossier que l'engagement par le directeur général du CNED de la procédure visant à mettre fin aux fonctions de M. B..., recruté en vertu des dispositions précitées de l'article R 426-11 du code de l'éducation sur un emploi essentiellement révocable et dont le maintien est notamment subordonné à l'existence d'un lien de confiance entre le directeur et le secrétaire général, soit intervenu au regard de considérations étrangères à l'intérêt du service.
10. D'autre part, il ressort des pièces du dossier que M. B... a bénéficié d'un aménagement des conditions de son départ lui permettant de disposer de plusieurs mois pour retrouver un poste et d'être accompagné dans ses démarches. L'affectation provisoire en tant que chargé de mission dont il a fait l'objet du 1er septembre au 30 septembre 2018 a par ailleurs répondu à son propre souhait de ne pas être affecté dans son académie d'origine, Rennes, qu'il aurait dû rejoindre en raison de sa réintégration dans son corps d'origine, et de demeurer à Poitiers pour des raisons familiales. Contrairement à ce que soutient le requérant, elle ne présentait donc aucunement un caractère vexatoire. Enfin, la dégradation de l'état de santé psychologique de l'intéressé, dont font état les certificats médicaux qu'il produit, ne permet pas par elle-même de tenir pour établi que cette dégradation aurait pour cause des faits constitutifs d'un harcèlement plutôt que la dégradation générale du climat de travail dans lequel il évoluait.
11. Dans ces conditions, s'il est constant qu'une situation conflictuelle s'est progressivement installée entre M. B... et les autres membres de la direction du CNED et s'est nettement aggravée à compter du déclenchement de la procédure de retrait d'emploi, les éléments de fait rapportés par le requérant ne permettent pas de faire présumer l'existence d'un harcèlement moral justifiant que lui soit accordée la protection fonctionnelle. Par suite, M. B... n'est pas fondé à soutenir que le refus de lui accorder le bénéfice de cette protection méconnaîtrait les dispositions des articles 6 quinquiès et 11 de la loi du 13 juillet 1983, ni qu'il serait entaché d'erreur d'appréciation.
12. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté ses conclusions à fin d'annulation. Ses conclusions d'appel doivent donc être rejetées ainsi que, par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction.
En ce qui concerne les conclusions indemnitaires :
13. Il résulte de ce qui a été précédemment exposé qu'en mettant fin au détachement de M. B... dans l'emploi de secrétaire général du CNED à compter du 1er septembre 2018 et en lui refusant le bénéficie de la protection fonctionnelle, le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse n'a commis aucune faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat. Par suite, les conclusions indemnitaires du requérant ne peuvent qu'être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que M. B... demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse.
Délibéré après l'audience du 3 octobre 2023 à laquelle siégeaient :
M. Laurent Pouget, président,
Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, présidente-assesseure,
M. Manuel Bourgeois, premier conseiller,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 24 octobre 2023.
La présidente-assesseure,
Marie-Pierre Beuve Dupuy
Le président,
Laurent Pouget Le greffier,
Anthony Fernandez
La République mande et ordonne au ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 21BX01173