Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de la Guadeloupe d'annuler la décision implicite par lequel le préfet de la Guadeloupe a rejeté sa demande du 8 octobre 2020 tendant à la délivrance d'une carte de résident sur le fondement de l'article L. 413-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Par une ordonnance n° 2300068 du 2 février 2023, le président du tribunal administratif de la Guadeloupe a rejeté la demande de M. A....
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 15 mars 2023, M. A..., représenté par Me Cotellon, demande à la cour :
1°) d'annuler cette ordonnance du 2 février 2023 du président du tribunal administratif de la Guadeloupe ;
2°) d'annuler le rejet implicite de sa demande du 8 octobre 2020 ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Guadeloupe de lui délivrer une carte de résident sur le fondement de l'article L. 413-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- en vertu de l'article R. 421-2 du code de justice administrative, son recours devant le tribunal administratif n'était pas tardif, en l'absence d'accusé de réception de sa demande mentionnant les délais et voies de recours ; en tout état de cause, la délivrance de la carte pluriannuelle le 16 novembre 2022 valait refus explicite de la délivrance d'une carte de résident, ce qui faisait courir un nouveau délai de recours expirant le 16 janvier 2023 ;
- l'article L. 312-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile a été méconnu, le préfet étant tenu de saisir la commission du titre de séjour, dès lors qu'il réside en Guadeloupe depuis 18 ans, dont 17 en situation régulière ; il a ainsi été privé d'une garantie ;
- le refus attaqué est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de l'article L. 413-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; il justifie de 17 titres de séjour consécutifs, de l'existence d'une vie familiale en Guadeloupe, de ressources suffisantes et d'un logement stable, et d'avoir participé avec assiduité et sérieux au stage civique requis par la République française.
Par un mémoire enregistré le 6 septembre 2023, le préfet de la Guadeloupe conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que :
- le recours de première instance de M. A... était bien tardif ; en outre, le 6 novembre 2020, il s'est vu remettre un récépissé de demande de carte de séjour valable jusqu'au 15 mai 2021 ; il était donc informé de ce qu'une carte de séjour pluriannuelle allait lui être délivrée et ne peut soulever une décision implicite de rejet ;
- le moyen tiré du défaut de saisine de la commission du titre de séjour est inopérant, dès lors que M. A... n'a fait l'objet d'aucun refus de séjour ;
- en tout état de cause, M. A... ne remplissait pas les conditions pour se voir délivrer une carte de résident.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme C... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B... A..., de nationalité haïtienne, né en 1977, est entré irrégulièrement en France en 2004, mais se trouve en situation régulière en Guadeloupe depuis le
16 novembre 2004, d'abord sous le couvert de cartes de séjour " vie privée et familiale " annuelles, puis de cartes de séjour pluriannuelles de deux ans, la dernière étant valable jusqu'au 15 novembre 2024. Par courrier du 6 août 2022, il a sollicité la délivrance d'une carte de résident de 10 ans. La préfecture n'a pas apporté de réponse explicite à cette demande mais lui a délivré, le 16 novembre 2022, une nouvelle carte pluriannuelle. M. A... relève appel de l'ordonnance du président du tribunal administratif de la Guadeloupe du 2 février 2023, qui a rejeté pour tardiveté, sur le fondement de l'article R. 222-1 du code de justice administrative, son recours dirigé contre la décision implicite de refus du préfet de la Guadeloupe de lui délivrer une carte de résident.
Sur la régularité de l'ordonnance attaquée :
2. D'une part, aux termes de l'article R. 421-1 du code de justice administrative : " La juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée. (...) ". Aux termes de l'article R. 421-2 du même code : " Sauf disposition législative ou réglementaire contraire, dans les cas où le silence gardé par l'autorité administrative sur une demande vaut décision de rejet, l'intéressé dispose, pour former un recours, d'un délai de deux mois à compter de la date à laquelle est née une décision implicite de rejet. Toutefois, lorsqu'une décision explicite de rejet intervient avant l'expiration de cette période, elle fait à nouveau courir le délai de recours. / La date du dépôt de la demande à l'administration, constatée par tous moyens, doit être établie à l'appui de la requête. (...) ". Aux termes de l'article R. 421-5 dudit code : " Les délais de recours contre une décision administrative ne sont opposables qu'à la condition d'avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision. ".
3. D'autre part, aux termes de l'article L. 112-6 du code des relations entre le public et l'administration : " Les délais de recours ne sont pas opposables à l'auteur d'une demande lorsque l'accusé de réception ne lui a pas été transmis ou ne comporte pas les indications exigées par la réglementation. / Le défaut de délivrance d'un accusé de réception n'emporte pas l'inopposabilité des délais de recours à l'encontre de l'auteur de la demande lorsqu'une décision expresse lui a été régulièrement notifiée avant l'expiration du délai au terme duquel est susceptible de naître une décision implicite. ".
4. Enfin, aux termes de l'article R. 432-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Le silence gardé par l'autorité administrative sur les demandes de titres de séjour vaut décision implicite de rejet. ". Aux termes de l'article R. 432-2 du même code : " La décision implicite de rejet mentionnée à l'article R. 432-1 naît au terme d'un délai de quatre mois. (...) ".
5. Il ressort des pièces du dossier, et notamment de l'accusé de réception produit, que la préfecture a reçu le courrier de demande de carte de résident de dix ans de M. A... le 8 août 2022, demande pour laquelle il n'est pas contesté qu'il n'a pas reçu d'accusé de réception comportant l'indication des voies et délais de recours. Contrairement à ce que fait valoir le préfet, la circonstance que M. A... ait été informé, dès le 6 novembre 2020, de ce qu'une carte de séjour pluriannuelle allait lui être délivrée à compter du 16 novembre 2020, renouvelable jusqu'au 15 novembre 2024, est sans incidence sur la naissance, le
9 décembre 2022, d'une décision implicite de rejet de sa demande de délivrance d'une carte de résident. En outre, le renouvellement de sa carte pluriannuelle, effectué le 16 novembre 2022, ne peut être regardé comme une décision expresse de refus d'attribution d'une carte de résident. Dans ces conditions, à la date d'enregistrement de son recours devant le tribunal administratif de la Guadeloupe, soit le 17 janvier 2023, et en l'absence de l'accusé de réception prévu par les dispositions de l'article L. 112-6 du code des relations entre le public et l'administration, M. A... n'était pas tardif à contester la décision implicite de refus de délivrance d'une carte de dix ans qui lui a été opposée le 9 décembre 2022. Par suite, le requérant est fondé à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le président du tribunal administratif de la Guadeloupe a rejeté sa demande pour irrecevabilité.
6. Il y a lieu d'annuler cette ordonnance, d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de la Guadeloupe.
Sur la légalité de la décision implicite du préfet de la Guadeloupe :
Sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen :
7. Aux termes de l'article L. 413-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La première délivrance de la carte de résident prévue aux articles L. 423-6, L. 423-10 ou L. 423-16, de la carte de résident portant la mention " résident de longue durée-UE" prévue aux articles L. 421-12, L. 421-25, L. 424-5, L. 424-14 ou L. 426-19, ainsi que de la carte de résident permanent prévue à l'article L. 426-4 est subordonnée à l'intégration républicaine de l'étranger dans la société française, appréciée en particulier au regard de son engagement personnel à respecter les principes qui régissent la République française, du respect effectif de ces principes et de sa connaissance de la langue française qui doit être au moins égale à un niveau défini par décret en Conseil d'Etat. Pour l'appréciation de la condition d'intégration, l'autorité administrative saisit pour avis le maire de la commune dans laquelle l'étranger réside. Cet avis est réputé favorable à l'expiration d'un délai de deux mois à compter de la saisine du maire par l'autorité administrative (...) ". L'article L. 426-19 renvoie à l'article L.426-17, lequel prévoit que : " L'étranger qui justifie d'une résidence régulière ininterrompue d'au moins cinq ans en France au titre d'une carte de séjour temporaire ou pluriannuelle ou d'une carte de résident, de ressources stables, régulières et suffisantes pour subvenir à ses besoins et d'une assurance maladie se voit délivrer, sous réserve des exceptions prévues à l'article L. 426-18, une carte de résident portant la mention " résident de longue durée-UE " d'une durée de dix ans.
(...) Les ressources mentionnées au premier alinéa doivent atteindre un montant au moins égal au salaire minimum de croissance. Sont prises en compte toutes les ressources propres du demandeur, indépendamment des prestations familiales et des allocations prévues à l'article L. 262-1 du code de l'action sociale et des familles ainsi qu'aux articles L. 5423-1, L. 5423-2 et L. 5423-3 du code du travail (...) ".
8. M. A... se prévaut de ce qu'il réside en Guadeloupe depuis 2004. Il établit y être en séjour régulier depuis le 16 novembre 2004, d'abord sous le couvert de cartes de séjour annuelles " vie privée et familiale " l'autorisant à travailler, puis, comme cela a été dit ci-dessus, de cartes de séjour pluriannuelles de deux ans, la première lui ayant été délivrée le
16 novembre 2020 et ayant été renouvelée jusqu'au 15 novembre 2024, soit en tout 17 titres de séjour consécutifs. Il fait également valoir qu'il a construit une vie privée et familiale stable, puisqu'il vit en Guadeloupe avec sa compagne, également haïtienne et disposant d'une carte de séjour pluriannuelle " vie privée et familiale " l'autorisant à travailler et valide jusqu'en
mai 2023, et leurs deux enfants, l'aîné étant né en Haïti en 2005, ce qui démontre une relation stable de longue durée avec sa compagne, leur fils cadet étant né aux Abymes en août 2014. Il indique également qu'il dispose de ressources suffisantes et d'un logement stable, puisqu'il exerce la profession de carreleur en intérim chez Adecco pour un salaire mensuel de 2 200 euros et que la famille dispose d'un logement pour lequel le loyer est de 350 euros par mois. Il fait enfin valoir que ces éléments démontrent qu'il est bien intégré dans la société française, comme en atteste d'ailleurs sa participation " avec assiduité et sérieux " à la formation civique du contrat d'intégration républicaine établi le 12 novembre 2020. Le préfet ne conteste aucun de ces faits ou allégations, non plus que la connaissance de la langue française de M. A....
9. Dans ces conditions et dans les circonstances particulières de l'espèce telles qu'elles viennent d'être exposées, le préfet de la Guadeloupe, qui n'indique pas en quoi l'intéressé, qui n'entre pas dans les exceptions prévues à l'article L.426-18, ne remplirait pas les conditions pour la délivrance d'une carte de résident de longue durée-UE, a commis une erreur manifeste dans l'appréciation de la situation personnelle et familiale du requérant en rejetant sa demande de carte de résident présentée sur le fondement des dispositions de l'article L. 413-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
10. Il résulte de ce qui précède que M. A... est fondé à demander l'annulation de la décision implicite de refus opposée par le préfet de la Guadeloupe à sa demande de carte de résident.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
11. Le motif d'annulation retenu par le présent arrêt implique que le préfet de la Guadeloupe délivre à M. A... une carte de résident de longue durée-UE, dans le délai de
deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Sur les frais liés à l'instance :
12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à M. A... sur le fondement des dispositions de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : L'ordonnance n° 2300068 du président du tribunal administratif de la Guadeloupe du 2 février 2023 est annulée.
Article 2 : Le refus implicite opposé par le préfet à la demande de carte de résident de M. A... est annulé.
Article 3 : Il est enjoint au préfet de la Guadeloupe de délivrer à M. A... une carte de résident de longue durée-UE, dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera à M. A... la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., au ministre de l'intérieur et des outre-mer et au préfet de la Guadeloupe.
Délibéré après l'audience du 10 octobre 2023 à laquelle siégeaient :
Mme Catherine Girault, présidente,
Mme Anne Meyer, présidente-assesseure,
Mme Florence Rey-Gabriac, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 9 novembre 2023.
La rapporteure,
Florence C...
La présidente,
Catherine GiraultLa greffière,
Virginie Guillout
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N°23BX00735