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31/07/2024 | FRANCE | N°23BX02758

France | France, Cour administrative d'appel de BORDEAUX, Juge des référés, 31 juillet 2024, 23BX02758


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La société d'exploitation de la clinique Les eaux claires a demandé au juge des référés, sur le fondement de l'article R. 541-1 du code de justice administrative, de condamner le centre hospitalier universitaire de la Guadeloupe à lui verser, à titre de provision, une somme de 1 545 000 euros hors taxes, assortie des intérêts au taux légal majoré de cinq points à compter de la date d'exigibilité de chaque facture et de dix points à compter de la sommation de payer du 24

mai 2023.



Par une ordonnance n° 2300609 du 24 octobre 2023, le juge des référ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société d'exploitation de la clinique Les eaux claires a demandé au juge des référés, sur le fondement de l'article R. 541-1 du code de justice administrative, de condamner le centre hospitalier universitaire de la Guadeloupe à lui verser, à titre de provision, une somme de 1 545 000 euros hors taxes, assortie des intérêts au taux légal majoré de cinq points à compter de la date d'exigibilité de chaque facture et de dix points à compter de la sommation de payer du 24 mai 2023.

Par une ordonnance n° 2300609 du 24 octobre 2023, le juge des référés du tribunal administratif de la Guadeloupe a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 7 novembre 2023 et 20 mars 2024, la société d'exploitation de la clinique Les eaux claires, représentée par Me Lucas-Baloup, demande au juge des référés de la Cour :

1°) d'annuler l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de la Guadeloupe du 24 octobre 2023 ;

2°) de condamner le centre hospitalier universitaire de la Guadeloupe (CHUG) à lui verser, à titre de provision, d'une part, la somme de 1 055 000 euros, assortie des intérêts au taux légal majoré de cinq points à compter de la date d'exigibilité de chaque facture et de dix points à compter de la sommation de payer du 24 mai 2023 ;

3°) de mettre à la charge du CHUG une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les éventuels dépens.

Elle soutient que :

- le juge des référés ne pouvait lui opposer l'absence de production de factures portant la mention " service fait " pour juger la créance incertaine dès lors, qu'au regard de l'article 20 du décret relatif à la gestion budgétaire et comptable publique, cette mention est apposée par l'ordonnateur et, qu'en l'espèce, le CHUG refuse de reconnaître sa créance ;

- elle produit toutes les pièces justificatives permettant d'attester le bien-fondé et le montant exact de sa créance à l'égard du CHUG à savoir la convention en cause, le détail du calcul permettant d'aboutir au forfait à facturer, les preuves que le CHUG a demandé et obtenu d'utiliser les blocs opératoires de la clinique et les documents déposés sur Chorus à la demande du CHUG soit chaque facture mensuelle émise sur la base du calcul détaillé du prix des vacations ainsi que le tableau récapitulatif des vacations réalisées ;

- bien que la convention n'exprime pas les forfaits applicables aux vacations, elle expose le détail du coût d'une facturation d'une vacation selon la spécialité chirurgicale justifiant la mise à disposition d'un bloc opératoire ;

- elle a par ailleurs produit des documents internes pour justifier sa créance ;

- il est déloyal de la part du CHUG de refuser le paiement de sommes établies sur la base des mêmes calculs que les factures qu'il a précédemment acquittées ;

- elle dispose ainsi d'une créance à l'égard du CHUG et satisfait aux conditions de l'article R. 541-1 du code de justice administrative ;

- elle ajoute que :

- le président de la SAS est habilité en vertu des statuts à agir en justice et il l'est, en tout état de cause, en vertu des dispositions de l'article L. 225-56 du code de commerce ;

- le moyen nouveau tiré du défaut d'intérêt pour agir de la clinique n'est pas recevable dès lors qu'il est invoqué après l'expiration du délai d'appel et manque en fait ;

- le moyen critiquant la prise en compte par l'ordonnance attaquée de l'absence de factures portant la mention " service fait " doit être regardé comme soulevant l'inexactitude matérielle des faits retenus, la requête reposant sur une lecture conforme de l'ordonnance qui demande à la clinique de produire des documents comportant des mentions que seul le CHUG peut apposer.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 21 février 2024 et 16 avril 2024, le centre hospitalier universitaire de la Guadeloupe (CHUG), représenté par la SCP UGGC, agissant par Me Dal Farra, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 10 000 euros soit mise à la charge de la société d'exploitation de la clinique Les eaux claires sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que :

- à titre principal :

- ainsi qu'il a été soutenu en première instance, la demande de provision est irrecevable faute pour la requérante d'avoir produit la délibération donnant à son président en exercice qualité pour ester en justice ;

- la requête est également irrecevable en ce qu'elle est, au moins pour partie, dépourvue d'intérêt pour agir dès lors, d'une part, qu'une partie substantielle des sommes demandées ne pourrait être due qu'au GIE Star société d'anesthésistes et que, d'autre part, une partie du surplus des sommes demandées ne pourrait être due qu'à la banque publique d'investissement à laquelle la clinique a cédé ses créances ;

- à titre subsidiaire :

- les moyens nouveaux sont inopérants : s'agissant de la dénaturation des faits et pièces du dossier par le premier juge, alléguée par la requérante, le moyen est inopérant ; s'agissant de l'erreur de droit également invoquée, le moyen ainsi formulé est inopérant car il n'établit pas le caractère incontestablement fondé de la créance invoquée ; au surplus, le moyen est encore inopérant en ce qu'il résulte d'une lecture erronée de l'ordonnance attaquée ;

- en ce qui concerne le caractère sérieusement de la demande de provision :

- la créance n'est pas justifiée dans son principe ;

- la créance n'est pas justifiée dans son montant ;

- une partie substantielle des créances alléguées ne saurait en tout état de cause faire l'objet d'un règlement à la clinique.

Par une ordonnance du 16 mai 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 18 juin 2024.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu le code de justice administrative.

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article R. 541-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés peut, même en l'absence d'une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l'a saisi lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable. ". Il résulte de ces dispositions que, pour regarder une obligation comme non sérieusement contestable, il appartient au juge des référés de s'assurer que les éléments qui lui sont soumis par les parties sont de nature à en établir l'existence avec un degré suffisant de certitude.

2. Par une convention de partenariat signée le 22 mars 2021, et dans le cadre de l'épidémie de Covid 19, le centre hospitalier universitaire de la Guadeloupe (CHUG) a conclu avec la clinique Les Eaux claires, l'autorité régionale de santé de Guadeloupe et le GIE Star société d'anesthésistes une convention de transfert temporaire d'activité d'une partie de la chirurgie programmée au CHU vers le bloc opératoire de la clinique Les Eaux claires. Cette convention a été exécutée du 1er mai 2021 jusqu'à sa résiliation à compter du 1er décembre 2022. La société Clinique Les eaux claires soutient que le CHUG a cessé le règlement des prestations exécutées en application de cette convention à compter du mois de janvier 2022 et, par courrier du 30 novembre 2022, a réclamé au CHUG le paiement de la somme de 1 545 000 euros. A la suite d'une demande de paiement adressée le 24 mai 2023 par un commissaire de justice, demeurée vaine, la société Clinique Les eaux claires a sollicité du juge des référés, sur le fondement de l'article R. 541-1 du code de justice administrative, la condamnation du CHUG à lui verser, à titre de provision, la somme de 1 545 000 euros assortie des intérêts. Dans le cadre de la présente instance, elle relève appel de l'ordonnance du 24 octobre 2023, par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Guadeloupe a rejeté sa demande et, compte tenu des paiements effectués au titre des mois de mars, avril et mai 2022, ramène sa demande de provision à la somme de 1 055 000 euros.

3. Aux termes de l'article 2 de la convention, relatif à l'engagement des parties : " (...) Les interventions sont réalisées par le personnel médical du CHUG, sous la responsabilité du chef de service de la spécialité concernée. (...). Pour ce faire " Les Eaux claires " s'engagent à - fournir des vacations opératoires hebdomadaires le matin de 7 à 13 heures (...) ; - assurer les consultations de pré-anesthésie ; - mettre à disposition le personnel et l'environnement nécessaires pour réaliser l'anesthésie (médecin anesthésiste référent, infirmière anesthésiste)(...) ; - organiser la présence d'une infirmière pour la réalisation de l'acte (circulante) ; -organiser le bio-nettoyage entre chaque patient et en fin de programme ; - donner accès au logiciel de programmation de consultations d'anesthésie et programmation opératoire pour les orthopédistes, internes et cadres de santé du CHUG ; - mettre en place avec les praticiens du CHUG la procédure de pré-admission et d'hospitalisation ; (...). / Le CHUG s'engage à : - transmettre le programme nominatif des patients pour la semaine (...) ; - approvisionner les Eaux Claires avec les dispositifs médicaux implantables retenus par le chirurgien ; - assurer la facturation des actes réalisés sur la base des documents fournis par la clinique ; - garantir le paiement des prestations assurées par la clinique Les Eaux Claires et la société des anesthésistes dans un délai de 30 jours ; accepter le refinancement des créances auprès d'un organisme de refinancement et d'en assurer les charges afférentes au-delà d'un délai de 30 jours. / (...) ".

4. Aux termes de l'article 3 de cette même convention, relatif aux dispositions financières : " La clinique Les Eaux claires s'engage à mettre à disposition une salle selon les besoins du CHUG et la disponibilité des salles du bloc opératoire pour la durée d'une vacation entre 7 h et 13 h équipée en moyens humains et matériels en dehors des équipements mis à disposition par le CHUG définis dans l'article 2 et de l'IADE gérée par l'équipe des anesthésistes. / Les anesthésistes mettent à disposition le personnel nécessaire à un tarif de 2 000 euros hors taxes par vacation. Le personnel médical est rétribué par le CHUG. La facturation est assurée par la clinique Les Eaux Claires et le reversement des honoraires est assuré par la clinique auprès du groupement des anesthésistes. ".

5. Il résulte de l'instruction que, pour justifier sa créance au titre des mois de janvier, février et juin à octobre 2022 d'un montant de 1 055 000 euros, la société requérante produit divers documents tels un tableau établi par ses soins faisant état de 108 vacations hebdomadaires réparties selon les spécialités médicales, un tableau de bord de facturation également établi par ses soins reprenant le partage entre les dépenses de la clinique et celles des anesthésistes accompagné de justificatifs des programmes opératoires hebdomadaires. Ces pièces, qui ne présentent pas de valeur probante suffisante, comportent en outre, ainsi que le relève le CHUG en défense, de nombreuses incohérences tant en ce qui concerne le nombre des vacations réellement exécutées au regard notamment des chiffres repris dans les " bilans de vacations et facturation associée " pour les mois de janvier, février et juillet 2022, que la réalité même de ces vacations dès lors que les " programmes opératoires " joints sont incomplets, imprécis ou inexacts puisqu'y figurent notamment des interventions programmées à 13 h alors que la mise à disposition du bloc opératoire était prévue de 7 heures à 13 heures.

6. En outre, si la convention comporte explicitement le tarif des prestations d'anesthésie de 2 000 euros hors taxes par vacation, elle ne comporte en revanche aucune autre stipulation relative à la tarification des prestations exécutées par la Clinique lors de ces vacations pour la mise à disposition du bloc opératoire avec ses moyens humains et matériels. Si la société requérante soutient qu'elle a appliqué le tarif forfaitaire par spécialité convenu oralement avec le directeur général du CHUG alors en place, le CHUG conteste, en défense, les modalités de facturation fixées ainsi unilatéralement alors, au demeurant, et ainsi que le relève ce dernier, que la société requérante s'est référée aux Groupes Homogènes de Séjour (GHS) de 2023 pour établir une facturation de prestations réalisées en 2022.

7. Alors que la société requérante invoque elle-même la loyauté des relations contractuelles et oppose au CHUG l'interdiction de l'enrichissement sans cause, la convention et l'interprétation de ses stipulations soulèvent une difficulté sérieuse. L'obligation dont se prévaut la société requérante ne peut ainsi être regardée comme n'étant pas sérieusement contestable dans son principe et son montant alors que les dispositions de l'article R. 541-1 du code de justice administrative ne permettent au juge des référés d'accorder une provision que lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable. Par suite, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les fins de non-recevoir soulevées par le GHUG, la société Clinique Les eaux claires n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le juge des référés du tribunal administratif de Guadeloupe a rejeté sa demande de provision.

8. Les conclusions de la requête relatives aux dépens ne peuvent qu'être rejetés, en l'absence de dépens exposés dans cette instance.

9. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la société Clinique Les eaux claires une somme de 2 000 euros à verser au CHUG au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces dispositions font en revanche obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge du CHUG, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme réclamée au même titre par la société requérante.

DECIDE :

Article 1er : La requête de la société Clinique Les eaux claires est rejetée.

Article 2 : La société Clinique Les eaux claires versera au CHUG une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société Clinique Les eaux claires et au centre hospitalier universitaire de la Guadeloupe (CHUG).

Fait à Bordeaux, le 31 juillet 2024.

La présidente de la 6ème chambre,

Juge d'appel des référés,

Ghislaine Markarian

La République mande et ordonne au préfet de la Guadeloupe en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 23BX02758


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 23BX02758
Date de la décision : 31/07/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Avocat(s) : LUCAS-BALOUP

Origine de la décision
Date de l'import : 01/09/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-07-31;23bx02758 ?
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