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31/07/2024 | FRANCE | N°23BX03139

France | France, Cour administrative d'appel de BORDEAUX, Juge des référés, 31 juillet 2024, 23BX03139


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Les sociétés Dune Constructions, Sopreco et Cir Préfa ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux, sur le fondement de l'article R. 532-1 du code de justice administrative, de prescrire une expertise portant sur les conditions d'exécution du marché de construction du nouveau lycée situé sur le territoire de la commune de Créon.



Par une ordonnance n° 2302353 du 15 décembre 2023, la juge des référés du tribunal administrati

f de Bordeaux a fait droit à cette demande et a désigné M. A... B... en qualité d'expert.





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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Les sociétés Dune Constructions, Sopreco et Cir Préfa ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux, sur le fondement de l'article R. 532-1 du code de justice administrative, de prescrire une expertise portant sur les conditions d'exécution du marché de construction du nouveau lycée situé sur le territoire de la commune de Créon.

Par une ordonnance n° 2302353 du 15 décembre 2023, la juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux a fait droit à cette demande et a désigné M. A... B... en qualité d'expert.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 21 décembre 2023, la société Hobo Architecture, représentée par l'AARPI CLL Avocats, agissant par Me Caron, demande au juge des référés de la Cour :

1°) d'annuler l'ordonnance n° 2302353 du 15 décembre 2023 ;

2°) de rejeter la demande des sociétés Dune Constructions, Sopreco et Cir Préfa ;

3°) de mettre à la charge des sociétés Dune Constructions, Sopreco et Cir Préfa une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la mesure d'expertise qui a été sollicitée est inutile :

- d'une part, les sociétés Dune Constructions, Sopreco et Cir Préfa disposent de tous les éléments nécessaires aux fins de contester les pénalités qui leur ont été infligées avant une éventuelle saisine du juge du fond ou du comité consultatif de règlement amiable des différends relatifs aux marchés publics, aucun fait d'une technicité particulière ne nécessitant d'être préalablement établi par un homme de l'art puisque des constats d'huissier suffisent pour étayer leurs prétentions et l'application de pénalités n'est de nature qu'à soulever un débat d'ordre strictement juridique dont aucun expert judiciaire n'est susceptible de connaître. La question de savoir si un calendrier détaillé d'exécution a été établi selon les modalités définies au contrat relève manifestement du seul office du juge du fond et il en va de même de l'appréciation de l'exécution par le groupement titulaire du lot n° 1 de ses obligations contractuelles qui implique une qualification juridique des faits ;

- d'autre part, la requête initiale porte sur des faits qui ne pourront pas être de nature à démontrer le bien-fondé d'une action contentieuse au fond dès lors que les modalités d'établissement du calendrier d'exécution des travaux ont respecté les stipulations de l'article 5.3 du CCAP, qui permettaient de rendre définitif le calendrier élaboré par le titulaire de la mission OPC en dépit du désaccord du titulaire du marché et la date de démarrage des travaux fixée au 6 décembre 2021, au lieu du 6 octobre 2021, a pris en compte le recalage de la période de préparation du groupement d'entreprises, le recalage ayant permis de neutraliser l'impact de la notification échelonnée des autres entreprises. En outre, le calcul des pénalités prend déjà en compte le retard de livraison des plateformes et la pénurie de matériaux n'a guère affecté la réalisation de la structure de l'ouvrage réalisé à 95 % en béton alors qu'en revanche, l'essentiel des retards constatés en usine ainsi que sur site qui concerne la fabrication des éléments préfabriqués en béton est imputable au lot n° 1 ; la responsabilité des sociétés demanderesses dans le retard du chantier est indéniable ce qui justifie l'application de pénalités ;

- les éléments de mission n°s 3, 5 et 6 n'auraient pas dû être inclus dans la mission de l'expert.

Par des mémoires en défense, enregistré les 1er février 2024 et 29 mars 2024, la société Dune Constructions, la société Sopreco et la société Cir Préfa, représentées par la SELARL DGD, agissant par Me Delavoye, conclut, à titre principal, au rejet de la requête, à titre subsidiaire, à ce que la mission de l'expert soit précisée et, en outre, à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la société Hobo au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles font valoir que :

- à titre principal, la requête est irrecevable au regard de l'article R. 411-1 du code de justice administrative ;

- à titre subsidiaire,

- pour que des pénalités leur soient appliquées, il convient que le calendrier ait été établi conformément aux modalités du contrat, ce qui n'est pas le cas, et que le retard leur soit imputable, que tel n'est pas le cas puisque le retard de l'opération est principalement dû à la livraison tardive des plateformes, à la désignation échelonnée et tardive des entreprises titulaires des lots secondaires, à une situation économique exceptionnelle qui constitue un fait extérieur au groupement ;

- le contexte de ce dossier impose qu'un technicien puisse donner un éclairage objectif et impartial sur les contraintes d'exécution qui leur ont été imposées et qui entraînent des répercussions sur les modalités de réalisation des travaux que le groupement a en charge ; ainsi, le planning notifié par l'OS n° 2 ne tenait pas compte du fait qu'ab initio il était intenable du fait que les travaux préalables du lot VRD n'étaient pas terminés ;

- les éventuelles pénalités doivent être calculées sur la base de retards constatés par rapport aux dates définies dans le calendrier détaillé d'exécution ;

- le maître d'ouvrage a lui-même reconnu que le retard est imputable à une situation économique exceptionnelle ;

- les pénalités d'environ 1,4 M. qui leur ont été infligées atteignent un montant excessif au regard du montant du marché ;

- à titre infiniment subsidiaire, la mission de l'expert pourrait être précisée.

Par une ordonnance du 3 avril 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 30 avril 2024.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la commande publique ;

- le code de justice administrative.

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article R. 532-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés peut, sur simple requête et même en l'absence de décision administrative préalable, prescrire toute mesure utile d'expertise ou d'instruction. (...) ".

2. L'utilité d'une mesure d'instruction ou d'expertise qu'il est demandé au juge des référés d'ordonner sur le fondement de l'article R. 532-1 du code de justice administrative doit être appréciée, d'une part, au regard des éléments dont le demandeur dispose ou peut disposer par d'autres moyens et, d'autre part, bien que ce juge ne soit pas saisi du principal, au regard de l'intérêt que la mesure présente dans la perspective d'un litige principal, actuel ou éventuel, auquel elle est susceptible de se rattacher. A ce dernier titre, il ne peut faire droit à une demande d'expertise permettant d'évaluer un préjudice, en vue d'engager la responsabilité d'une personne publique, en l'absence manifeste, en l'état de l'instruction, de fait générateur, de préjudice ou de lien de causalité entre celui-ci et le fait générateur.

3. Par un acte d'engagement signé le 1er octobre 2021, la société anonyme d'économie mixte locale (SAEML) Bordeaux Métropole Aménagement, en sa qualité de mandataire de la région Nouvelle Aquitaine, a confié au groupement conjoint d'entreprises constitué de la société Dunes constructions, mandataire, et des sociétés Sopreco et Cir Préfa le macro-lot n° 1 " fondations, gros œuvre, charpente, murs, ossature bois, menuiseries extérieures " du marché de 38 lots portant sur la construction d'un lycée à Créon d'une surface totale d'environ 28 000 m2 pour un montant de 27 M. d'euros toutes taxes comprises. La maîtrise d'œuvre a été confiée à un groupement dont le mandataire est la société Hobo Architecture, également chargée d'une mission BIM et de la mission OPC. Ainsi que le stipulait l'article 5.1 du CCAP du marché, les travaux étaient prévus pour une durée de 24 mois pour une livraison de l'ouvrage prévue en décembre 2023 et le calendrier prévisionnel d'exécution prévoyait un délai d'exécution du lot n° 1 de 13,5 mois. Le marché du lot n° 1 a été notifié au groupement d'entreprises par un ordre de service du 5 octobre 2021 valant démarrage des travaux à compter du 6 octobre 2021, fixée ensuite au 6 décembre 2021 par l'avenant n° 2 au marché pour tenir compte de la prolongation de la phase préparatoire de deux mois. Les calendriers détaillés d'exécution ont été notifiés par OS n° 2 du 19 janvier 2022. Compte tenu des retards dans l'exécution des travaux du macro-lot n° 1, la livraison de l'ouvrage a dû être différée et des pénalités ont été précomptées sur les situations des entreprises à compter du mois de septembre 2022. Par une requête enregistrée le 4 mai 2023, le groupement d'entreprises a demandé au juge des référés de prescrire une expertise portant sur les conditions d'exécution du marché en cause. Par une ordonnance du 15 décembre 2023, la juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux a fait droit à cette demande et a désigné M. B... en qualité d'expert avec notamment pour mission de déterminer les causes techniques des retards dans l'exécution du marché. Dans le cadre de la présente instance, la société Hobo Architecture, mandataire du groupement de maîtrise d'œuvre, demande l'annulation de cette ordonnance au motif que l'expertise ainsi sollicitée serait inutile.

Sur la recevabilité de la requête :

4. L'irrecevabilité de la requête d'appel tirée, en application de l'article R. 411-1 du code de justice administrative, de ce que le mémoire d'appel se borne à reproduire le mémoire présenté en première instance, est opposable au requérant qui était défendeur devant le premier juge. Toutefois, le mémoire d'appel de la société Hobo Architecture ne constitue pas la seule reproduction de son mémoire en défense de première instance puisqu'elle énonce à nouveau l'argumentation qui lui paraissait devoir fonder le rejet de la demande d'expertise présentée par le groupement d'entreprises et critique également la mission confiée à l'expert. Une telle motivation répond aux conditions posées par l'article R. 411-1.

Sur le bien-fondé de l'ordonnance attaquée :

5. Si le planning des travaux a été établi, compte tenu d'un délai global d'exécution de 24 mois et du calendrier prévisionnel d'exécution joint au dossier de consultation des entreprises (DCE), et selon les modalités fixées au point 5.3 du CCAP, qui prévoit qu'en cas de désaccord non résolu entre les entreprises dix jours avant l'expiration de la période de préparation, le calendrier détaillé élaboré par l'OPC devient définitif, il résulte de l'instruction que le groupement d'entreprises titulaire du macro-lot n° 1 connaît des retards importants dans l'exécution des travaux lui incombant. Si le maître d'œuvre fait valoir que le recalage au 6 décembre 2021 a neutralisé l'impact de la notification échelonnée des autres entreprises, que le calcul des pénalités de retard prend en compte le retard de livraison des plateformes et réfute la pénurie de matériaux qui a, selon lui, principalement concerné la filière bois alors que la structure de l'ouvrage est à 95 % en béton pour conclure que les retards constatés en usine et sur site concernent la fabrication des éléments préfabriqués en béton relevant du lot n° 1, le groupement d'entreprises, dont le planning du 14 janvier 2022 ne correspondait pas à celui de son offre initiale, fait, quant à lui, valoir, que le retard dans l'exécution des travaux est principalement dû, d'une part, à la livraison tardive des plateformes dès lors que le planning du DCE ne prévoyait aucune coactivité du groupement avec l'entreprise titulaire du lot VRD, d'autre part, à la désignation échelonnée et tardive des entreprises titulaires des lots secondaires ce qui a empêché le groupement de concevoir et de produire les éléments préfabriqués dans des délais compatibles avec le planning et, enfin, à une situation économique exceptionnelle résultant de la pénurie de matériaux qui constitue un fait qui lui extérieur outre les problématiques d'innovation de conception.

6. Il s'ensuit que l'expertise demandée présente ainsi un caractère utile dès lors qu'elle porte sur des questions de fait relatives à l'importance et aux causes du retard dans l'exécution du macro-lot n° 1. Les circonstances alléguées sont susceptibles de se rattacher à une perspective contentieuse dès lors que les pénalités infligées au groupement d'entreprises sont calculées sur la base de retards constatés par rapport au planning d'exécution. Il résulte de ce qui précède que la société Hobo Architecture n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, la juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux a fait droit à la demande de désignation d'un expert.

Sur la demande de rectification de la mission confiée à l'expert :

7. La société Hobo Architecture demande que la mission confiée à l'expert soit rectifiée s'agissant des éléments de mission n° 3, 5 et 6 dès lors qu'ils renvoient à l'existence de non-conformités et de désordres, relatifs en conséquence à un litige distinct de celui auquel l'expertise sollicitée en première instance est susceptible de se rattacher, comme les sociétés Dune Constructions, Sopreco et Cir Préfa.

8. Le recueil d'éléments susceptibles d'éclairer le tribunal sur les responsabilités encourues et les préjudices subis consiste, pour l'expert, à donner un avis sur les retards dans l'exécution des travaux du lot n° 1 et non effectivement de dire si ces travaux présentent des désordres. Par suite, il y a de rectifier le périmètre de la mission de l'expert, comme indiqué à l'article 1er de la présente ordonnance.

Sur les frais de l'instance :

9. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions des parties présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : L'article 1er de l'ordonnance du 15 décembre 2023 définissant la mission de l'expert est rectifié comme suit :

M. A... B..., désigné comme expert, aura pour mission :

1°) de se rendre sur les lieux, d'entendre les parties et tous sachants, de prendre connaissance de tous documents utiles, notamment des pièces contractuelles à la bonne fin de l'expertise ;

2°) de rechercher et préciser les liens contractuels entre les parties, décrire les missions confiées par le maître de l'ouvrage au groupement de maîtrise d'œuvre et à chacun des constructeurs attrait à l'instance et d'annexer à son rapport les marchés, avenants, ordres de service et tous autres documents utiles

3°) de dresser un état descriptif technique précis des travaux réalisés et dire si ces travaux présentent des retards, et de dresser l'état exhaustif des moyens mis en œuvre par la société Cir Préfa pour satisfaire les besoins du chantier ;

4°) d'établir les évènements ayant entraîné la prolongation de la durée des travaux en précisant les circonstances dans lesquelles elle est survenue et ses conséquences ;

5°) de déterminer les causes techniques des retards du groupement d'entreprises et de chacun de ses membres, à l'exclusion de toute question de droit ;

6°) de concilier éventuellement les parties sur la base d'une transaction qui pourrait se révéler en cours d'expertise et d'engager éventuellement une médiation entre les parties ;

7°) d'une façon générale, recueillir tout élément et faire toutes autres constatations utiles de nature à éclairer le tribunal dans son appréciation des responsabilités éventuellement encourues et des préjudices subis.

Article 2 : L'ordonnance de la juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux n° 2302353 du 15 décembre 2023 est réformée en ce qu'elle a de contraire à la présente ordonnance.

Article 3 : Les conclusions présentées par les parties sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société Hobo Architecture, à la société Dune Constructions, à la société Sopreco, à la société Cir Préfa, à la région Nouvelle-Aquitaine, à la SAEML Bordeaux Métropole Aménagement et à la société Eiffage Route Sud-Ouest et à M. A... B..., expert.

Fait à Bordeaux, le 31 juillet 2024.

La présidente de la 6ème chambre,

Juge d'appel des référés,

Ghislaine Markarian

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 23BX03139


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 23BX03139
Date de la décision : 31/07/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Avocat(s) : CLL AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 01/09/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-07-31;23bx03139 ?
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