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31/07/2024 | FRANCE | N°24BX00624

France | France, Cour administrative d'appel de BORDEAUX, Juge des référés, 31 juillet 2024, 24BX00624


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La société Géodis a demandé au juge des référés, sur le fondement de l'article R. 541-1 du code de justice administrative, de condamner le centre hospitalier universitaire de la Martinique (CHUM) à lui verser, à titre de provision, d'une part, la somme de 1 450 053,88 euros correspondant aux intérêts moratoires dus suite au retard de paiement de factures, d'autre part, une indemnité forfaitaire de recouvrement d'un montant total de 339 440 euros.



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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Géodis a demandé au juge des référés, sur le fondement de l'article R. 541-1 du code de justice administrative, de condamner le centre hospitalier universitaire de la Martinique (CHUM) à lui verser, à titre de provision, d'une part, la somme de 1 450 053,88 euros correspondant aux intérêts moratoires dus suite au retard de paiement de factures, d'autre part, une indemnité forfaitaire de recouvrement d'un montant total de 339 440 euros.

Par une ordonnance n° 2300034 du 26 février 2024, le président du tribunal administratif de la Martinique a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrés le 12 mars 2024, la SAS Géodis FF France, représentée par la SCP CGCB et associés, agissant par Me Aldigier, demande au juge des référés de la Cour :

1°) d'annuler l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de la Martinique du 26 février 2024 ;

2°) de condamner le centre hospitalier universitaire de la Martinique (CHUM) à lui verser, à titre de provision, d'une part, la somme de 1 362 639,59 euros correspondant aux intérêts moratoires dus suite au retard de paiement de factures, d'autre part, une indemnité forfaitaire de recouvrement d'un montant total de 339 440 euros.

3°) de mettre à la charge du CHUM une somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- elle justifie d'une obligation qui n'est pas sérieusement contestable et qui est établie avec un degré suffisant de certitude ;

- les dispositions des articles 37 et 39 de la loi n° 2013-100 du 28 janvier 2013 et les articles 1er et 2 du décret n° 2013-269 du 29 mars 2013, repris au code de la commande publique, instituent des règles de fond relatives au déclenchement du délai ; la date de réception de la facture est prise en compte lorsque la date de réception de cette facture est certaine et que l'exécution des prestations est antérieure ou concomitante à la réception de la facture ; l'exécution de la prestation est à prendre en compte lorsque la date de réception de la facture est incertaine ou que l'exécution des prestations est postérieure à la réception de la facture ;

- il appartient à l'acheteur de constater la date de réception de la facture et la date d'exécution des prestations ; à défaut, la date de réception est présumée tenir lieu de date de réception et il appartient au titulaire d'établir la preuve de l'existence de la facture, du principe de sa réception par l'acheteur et de sa date d'émission ;

- en l'espèce, toutes les factures sont produites, sont datées, comportent la date d'exécution des prestations, chaque facture ayant été émise postérieurement à l'exécution des prestations et a été mise à disposition le jour de son émission sur le portail IRIS avant d'être déposée en main propre au service liquidation du CHU ; le CHU ne conteste pas les avoir reçues et les a réglées ; en tout état de cause, le CHU n'ayant pas rapporté la preuve de la date de réception des factures, c'est la date des factures augmentée de deux jours qui doit être prise en compte comme date non sérieusement contestable ;

- si le CHU a fait valoir, devant le premier juge, que le titulaire aurait dû émettre une facture par mois et non une facture après chaque prestation, l'acheteur confond les règles relatives à la présentation des demandes de paiement prévues à l'article 6.2 du CCAP et celles relatives aux modalités de règlement prévues à l'article 6.3 du même CCAP ; ainsi, si les factures devaient être présentées prestation par prestation, leur règlement devait être effectué mensuellement sans attendre l'expiration d'un délai de 50 jours propre à chaque facture ;

- elle est par suite fondée à demander le paiement des intérêts de retard au taux de 8 % ainsi qu'une indemnité de 40 euros par facture au titre de l'indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement.

Par un mémoire en défense, enregistré le 16 mai 2024, le centre hospitalier universitaire de la Martinique (CHUM), représenté par la SELARL Alonso Garcia, agissant par Me Alonso Garcia, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 5 000 euros soit mise à la charge de la société Géodis sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que :

- le juge des référés a constaté à juste titre que la société requérante se fondait sur la date d'émission de chacune des factures ; la société requérante se fonde désormais sur cette date augmentée de deux jours ; cette demande manque toujours en droit et en fait dès lors que la règle de calcul prenant pour base la date de la demande de paiement augmentée de deux jours ne trouve pas à s'appliquer en cas de contestation et il appartient au créancier d'apporter la preuve de la date de réception et de la date de décaissement et la réalité des retards de paiement qu'il invoque ;

- en l'espèce, la demande est mal fondée ;

- en outre, et ainsi que l'a jugé le premier juge, la demande manque en droit dès lors qu'elle méconnaît le mécanisme contractuel de paiement par acompte mensuel et que, dans ce cas, le délai de paiement ne peut courir qu'à compter de la demande de paiement de l'acompte mensuel et non à compter de la date de réception de chaque facture prise isolément ;

- l'obligation dont se prévaut la requérante est dès lors sérieusement contestable.

Par une ordonnance du 16 mai 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 18 juin 2024.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code des marchés publics ;

- le code de la commande publique ;

- la loi n° 2013-100 du 28 janvier 2013 ;

- le décret n° 2013-269 du 29 mars 2013 ;

- le cahier des clauses administratives générales applicable aux marchés publics de fournitures courantes et de services (CCAG-FCS) approuvé par l'arrêté du 19 janvier 2009 ;

- le code de justice administrative ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article R. 541-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés peut, même en l'absence d'une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l'a saisi lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable. ". Il résulte de ces dispositions que, pour regarder une obligation comme non sérieusement contestable, il appartient au juge des référés de s'assurer que les éléments qui lui sont soumis par les parties sont de nature à en établir l'existence avec un degré suffisant de certitude.

2. La société Géodis s'est vu attribuer le 13 juillet 2016 les trois lots d'un marché public à bons de commandes passé en application de l'article 77 du code des marchés publics portant sur l'exécution des formalités de douane, de régie et de transport pour les opérations d'import-export aériennes et maritimes du CHU de la Martinique. Il n'est pas contesté que les marchés ont été exécutés et que les factures émises par la société Géodis ont été réglées. Après avoir adressé une réclamation demeurée sans réponse, la société Géodis a sollicité, à titre de provision, le versement de la somme de 1 450 053,88 euros correspondant, selon elle, aux intérêts dus en raison du paiement tardif des 8 514 factures qu'elle a émises à compter du 1er janvier 2018, outre la somme totale de 339 440 euros correspondant à l'indemnité forfaitaire de recouvrement. La société Géodis relève appel de l'ordonnance du 26 février 2024 par laquelle le président du tribunal administratif de la Martinique a rejeté sa demande et sollicite désormais, en appel, et à titre de provision, la somme de 1 362 639,59 euros correspondant aux intérêts moratoires dus suite au retard de paiement de ses factures et une indemnité forfaitaire de recouvrement d'un montant total de 339 440 euros.

3. D'une part, aux termes de l'article 37 de la loi du 28 janvier 2013 portant diverses dispositions d'adaptation de la législation au droit de l'Union européenne en matière économique et financière, repris désormais à l'article L. 2192-10 du code de la commande publique en vigueur depuis le 1er avril 2019 : " Les sommes dues en principal par un pouvoir adjudicateur, (...), en exécution d'un contrat ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation, ou la délégation d'un service public sont payées, en l'absence de délai prévu au contrat, dans un délai fixé par décret qui peut être différent selon les catégories de pouvoirs adjudicateurs./ Le délai de paiement prévu au contrat ne peut excéder le délai fixé par décret ". Et selon l'article 39 de cette même loi, figurant désormais à l'article L. 2192-12 du code de la commande publique : " Le retard de paiement fait courir, de plein droit et sans autre formalité, des intérêts moratoires à compter du jour suivant l'expiration du délai de paiement ou l'échéance prévue au contrat./Ces intérêts moratoires sont versés au créancier par le pouvoir adjudicateur./Les collectivités territoriales, leurs établissements publics et leurs groupements ainsi que les établissements publics de santé sont remboursés par l'Etat, de façon récursoire, de la part des intérêts moratoires versés imputable à un comptable de l'Etat./Le taux des intérêts moratoires est fixé par décret. ".

4. D'autre part, aux termes de l'article 1er du décret du 29 mars 2013 relatif à la lutte contre les retards de paiement dans les contrats de la commande publique, repris désormais à l'article R. 2192-10 du code de la commande publique en vigueur depuis le 1er avril 2019 : " Le délai de paiement prévu au premier alinéa de l'article 37 de la loi du 28 janvier 2013 susvisée est fixé (...) à cinquante jours pour les établissements publics de santé (...) ". Aux termes de l'article 2 de ce même décret : " I. - Le délai de paiement court à compter de la date de réception de la demande de paiement par le pouvoir adjudicateur (...). / Toutefois : 1° Le délai de paiement court à compter de la date d'exécution des prestations, lorsque la date de réception de la demande de paiement est incertaine ou antérieure à cette date ; (...) 3° Lorsqu'est prévue une procédure de constatation de la conformité des prestations aux stipulations contractuelles, le contrat peut prévoir que le délai de paiement court à compter de la date à laquelle cette conformité est constatée, si cette date est postérieure à la date de réception de la demande de paiement. (...) II- La date de réception de la demande de paiement ne peut faire l'objet d'un accord contractuel entre le pouvoir adjudicateur et son créancier. / La date de réception de la demande de paiement et la date d'exécution des prestations sont constatées par les services du pouvoir adjudicateur ou, le cas échéant, par le maître d'œuvre ou la personne habilitée à cet effet. A défaut, c'est la date de la demande de paiement augmentée de deux jours qui fait foi. En cas de litige, il appartient au créancier d'apporter la preuve de cette date. (...) ". L'article 8 de ce même décret prévoit que : " I - (...). Les intérêts moratoires courent à compter du jour suivant l'échéance prévue au contrat ou à l'expiration du délai de paiement jusqu'à la date de mise en paiement du principal incluse. ".

5. Aux termes des stipulations du 6.2 du CCAP des marchés conclus par le CHUM avec la société Géodis relatives à la " présentation des demandes de paiement " : " Les factures seront émises après l'exécution de chaque prestation conformément aux prix indiqués dans le BPU. / Lorsque le titulaire remet au pouvoir adjudicateur une demande de paiement, en trois exemplaires, il y joint les pièces nécessaires à la justification du paiement. / Les demandes de paiement sont datées et comportent, outre les mentions légales, les indications suivantes : (...) ". Selon les stipulations du point 6.3 du même CCAP relatives aux " modalités de règlement du prix " : " (...) Le règlement du prix s'effectue par acompte mensuel sur la base de constats contradictoires de la réalisation des prestations le mois précédent par le titulaire. ".

6. Il résulte de l'instruction que la société Géodis ne conteste pas le règlement par le CHUM de ses 8 514 factures émises à compter du 1er janvier 2018 mais fait valoir qu'elles l'ont été avec retard. Toutefois, pour établir le retard de paiement allégué, la société Géodis produit un tableau mentionnant la seule date d'émission de l'ensemble de ces factures dont elle soutient qu'elles ont été émises postérieurement à la date d'exécution des prestations et réglées par le CHUM au-delà du délai de cinquante jours, imparti aux établissements publics de santé pour procéder au règlement des factures ainsi qu'il résulte des dispositions d'ordre public précitées aux points 3 et 4. Or, et selon ces mêmes dispositions, le délai de paiement ne peut courir qu'à compter de la réception de la demande de paiement et, contrairement à ce que soutient la société requérante, il lui appartient, en cas de litige, comme en l'espèce, d'apporter la preuve de la date de réception de cette demande, sans qu'elle puisse utilement se prévaloir du II de l'article 2 du décret du 29 mars 2013 prévoyant qu'en l'absence de constatation de la date de réception de la demande de paiement et de la date d'exécution des prestations, il convient de retenir la date de la demande de paiement augmentée de deux jours. A cet égard, si la société Géodis ajoute que chaque facture était mise à disposition du CHU le jour de son émission sur le portail Iris, elle n'établit pas l'existence de cette transmission alors que le CHU conteste cette mise à disposition et indique que les factures étaient adressées par voie postale au bureau des agents chargés de la liquidation.

7. En outre, la société Géodis invoque également les stipulations contractuelles de l'article 6.2 du CCAP des marchés en litige précitées au point 5, et soutient que le règlement de ses factures présentées prestation par prestation devaient être réglées dans le délai d'un mois comme le prévoyait l'article 6.3 du CCAP. Toutefois, si le contrat prévoit en l'espèce un délai de paiement inférieur à celui prévu par l'article 37 de la loi du 28 janvier 2013 pour les établissements publics de santé, il résulte des stipulations de l'article 6.3 du CCAP que le règlement du prix s'effectue par acompte mensuel qui doit faire l'objet d'une demande de paiement conformément aux stipulations de l'article 11.2 du CCAG-FCS applicable aux marchés en cause et le délai de paiement ne peut là également courir qu'à compter de la date de réception de la demande de paiement de l'acompte mensuel, que la société Géodis n'établit pas davantage.

8. Il résulte de ce qui précède que la société Géodis n'établit pas la date de ses demandes de paiement, ni d'ailleurs davantage les dates de paiement effectif de ses factures reprises dans son tableau, et par suite la réalité des retards de paiement qu'elle impute au CHUM. Il suit de ce qui vient d'être exposé que la société Géodis ne saurait soutenir détenir à l'encontre du CHUM une créance non sérieusement contestable d'un montant de 1 362 639,59 euros correspondant aux intérêts moratoires dus suite au retard de paiement de ses factures et, dès lors que le retard de paiement n'est pas établi, d'une créance non sérieusement contestable d'un montant total de 339 440 euros correspondant à une indemnité forfaitaire de recouvrement. Par conséquent, elle n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de la Martinique a rejeté sa demande.

9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge du CHUM, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, à verser à la société Géodis. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de cette dernière une somme de 2 000 euros à verser au CHUM sur le même fondement.

DECIDE :

Article 1er : La requête de la société Géodis est rejetée.

Article 2 : La société Géodis versera au CHUM une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société Géodis et au centre hospitalier universitaire de Martinique (CHUM).

Fait à Bordeaux, le 31 juillet 2024.

La présidente de la 6ème chambre,

Juge d'appel des référés,

Ghislaine Markarian

La République mande et ordonne au préfet de la Martinique en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 24BX00624


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 24BX00624
Date de la décision : 31/07/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Avocat(s) : SELARL ANTOINE ALONSO GARCIA AVOCAT

Origine de la décision
Date de l'import : 01/09/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-07-31;24bx00624 ?
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