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09/09/2024 | FRANCE | N°24BX00800

France | France, Cour administrative d'appel de BORDEAUX, Juge des référés, 09 septembre 2024, 24BX00800


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. B... C... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux de condamner la chambre d'agriculture de la Gironde à lui verser une provision de 100 000 euros à valoir sur la réparation d'un préjudice lié à une discrimination à l'embauche.



Par une ordonnance n° 2303315 du 21 mars 2024, la juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.



Procédure devant la cour :



Par une requête enregistrée le 2 avril 2024, M. C..., représenté par Me Verdier, demande à la cour :



1°) d'annu...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... C... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux de condamner la chambre d'agriculture de la Gironde à lui verser une provision de 100 000 euros à valoir sur la réparation d'un préjudice lié à une discrimination à l'embauche.

Par une ordonnance n° 2303315 du 21 mars 2024, la juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 2 avril 2024, M. C..., représenté par Me Verdier, demande à la cour :

1°) d'annuler cette ordonnance du 21 mars 2024 de la juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux ;

2°) de faire droit à ses conclusions tendant à la condamnation de la chambre d'agriculture à lui verser la provision de 100 000 euros ;

3°) de mettre à la charge de la chambre d'agriculture la somme de 2 000 euros à verser à son avocat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

Il soutient que :

- le président de l'établissement a rejeté sa demande indemnitaire préalable en vue de la réparation du préjudice subi du fait de cette discrimination ; il a formé un recours indemnitaire ;

- le rejet de sa candidature à l'emploi de chargé d'études pratiques et produits œnologiques auprès de la chambre d'agriculture est motivé par son état de santé, ce qui constitue une discrimination à l'embauche d'un emploi public, prohibée par les textes ;

- aucune condition physique ni aucun état de santé particulier n'était requis pour occuper le poste ; la fiche de poste ne portait aucune mention en ce sens ; le sujet n'a pas été abordé au cours de l'entretien ; si cela avait été le cas, il aurait pu justifier de sa capacité à porter des caisses de raisin et des bouteilles de vin ; il a simplement expliqué lors de l'entretien les raisons pour lesquelles il avait dû quitter un précédent emploi en 2021 à la suite d'un accident du travail et il a exposé qu'après des séances de kinésithérapie, il était totalement remis ; le rejet de sa candidature est donc contraire au principe d'égalité garanti par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et constitue une discrimination pénalement répréhensible en application des articles 225-1 et 225-2 du code pénal dès lors que l'état physique ne répond pas à une exigence professionnelle essentielle et déterminante ; cette discrimination constitue une faute de nature à engager la responsabilité de l'établissement ;

- le premier juge ne pouvait, pour estimer que le poste supposait le port de charges lourdes, s'appuyer sur le témoignage de deux personnes liées à la chambre d'agriculture, bien que l'une d'elles ait indiqué une absence de lien, ce qui constitue une infraction pénale ; il sera fait application de l'article 40 du code de procédure pénale pour signaler ces faits ;

- il a perdu une chance sérieuse d'être recruté sur un poste de contractuel à durée indéterminée de droit public, son profit et ses compétences lui permettant d'occuper le poste ; il a perdu, ainsi, une chance de percevoir la rémunération associée à ce poste, soit 30 000 à 32 000 euros par an ; il a subi également un retentissement psychologique ; ces préjudices justifient la provision de 100 000 euros qu'il demande.

Par une décision du 25 avril 2024, M. C... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.

Par une ordonnance du 19 juillet 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 6 septembre 2024 à 12h00.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution et notamment son Préambule ;

- le code de procédure pénale ;

- le code rural et de la pêche maritime ;

- la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la cour a désigné Mme D... A... comme juge des référés en application du livre V du code de justice administrative.

Considérant ce qui suit :

1. Le 21 novembre 2022, la chambre d'agriculture de la Gironde a publié une offre d'emploi concernant le recrutement d'un(e) chargé(e) d'études pratiques et produits œnologiques. Six des candidatures reçues ont été sélectionnées et les candidats ont été reçus en entretien le 19 décembre 2022 par un jury composé de trois personnes, le directeur du pôle viticulture-œnologie, un œnologue consultant et la cheffe du département recherche et développement. A l'issue de cet entretien, trois des candidats ont été reçus pour un second entretien après lequel la chambre d'agriculture a recruté l'un des trois candidats. M. C... n'a pas été sélectionné pour participer au second entretien et, le 12 janvier 2023, sur sa demande, il a reçu un courriel de la cheffe du département recherche et développement, membre du jury, lui indiquant les motifs pour lesquels sa candidature n'avait pas été retenue à l'issue du premier entretien. S'estimant victime d'une discrimination à l'embauche à raison de son état de santé, il a saisi le président de la chambre d'agriculture d'une demande préalable indemnitaire rejetée par décision du 15 mars 2023. M. C... a alors saisi le tribunal administratif de Bordeaux d'un recours indemnitaire et d'un recours en référé aux fins d'obtenir une provision à valoir sur l'indemnisation du préjudice qu'il estime avoir subi. Dans la présente instance, il fait appel de l'ordonnance du 21 mars 2024 de la juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux portant rejet de sa demande de provision d'un montant de 100 000 euros.

2. Aux termes de l'article R. 541-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés peut, même en l'absence d'une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l'a saisi lorsque l'existence de l'obligation est non sérieusement contestable (...) ". Il résulte de ces dispositions que pour regarder une obligation comme non sérieusement contestable, il appartient au juge des référés de s'assurer que les éléments qui lui sont soumis par les parties sont de nature à en établir l'existence avec un degré suffisant de certitude. Dans ce cas, le montant de la provision que peut allouer le juge des référés n'a d'autre limite que celle résultant du caractère non sérieusement contestable de l'obligation dont les parties font état.

3. En application de l'article 1er de la loi du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, constitue une discrimination directe la situation dans laquelle, sur le fondement notamment de son état de santé, une personne est traitée de manière moins favorable qu'une autre ne l'est, ne l'a été ou ne l'aura été dans une situation comparable. L'article 2 de la même loi interdit " toute discrimination directe ou indirecte fondée sur un motif, notamment lié à l'état de santé, en matière d'accès à l'emploi, d'emploi, de formation professionnelle et de travail " et précise que " ce principe ne fait pas obstacle aux différences de traitement fondées sur les motifs visés à l'alinéa précédent lorsqu'elles répondent à une exigence professionnelle essentielle et déterminante et pour autant que l'objectif soit légitime et l'exigence proportionnée ". Aux termes de l'article 4 de cette loi : " Toute personne qui s'estime victime d'une discrimination directe ou indirecte présente devant la juridiction compétente les faits qui permettent d'en présumer l'existence. Au vu de ces éléments, il appartient à la partie défenderesse de prouver que la mesure en cause est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles ".

4. Il est constant qu'au cours de l'entretien du 19 décembre 2022, M. C... a indiqué avoir eu des problèmes de santé à la suite d'un accident du travail, consistant en des maux de dos. Il résulte par ailleurs des termes du courriel adressé le 12 janvier 2023 à M. C... par l'un des trois membres du jury, en réponse à sa demande de communication des motifs de rejet de sa candidature, que le profil et l'expérience du candidat correspondaient à ce que recherchait la chambre d'agriculture de la Gironde mais que le poste faisant l'objet du recrutement était considéré comme " très physique " et qu'il avait été décidé de ne pas le recruter sur ce poste compte tenu des problèmes de santé mentionnés par lui au cours de l'entretien du 19 décembre 2022. En faisant état de ces circonstances, et notamment du courriel qui lui a été adressé par l'un des membres du jury de recrutement, M. C... produit des éléments permettant de présumer que l'organisme recruteur a écarté sa candidature dès le premier entretien pour des raisons tenant à son état de santé alors qu'aucun élément objectif, tel qu'un certificat médical ni, surtout, un document émanant d'un médecin du travail, ne permettait de considérer que les caractéristiques du poste, en admettant même qu'il comporte le port de caisses de raisins et de bouteilles de vins, justifiaient une différence de traitement avec les trois autres candidats répondant à une exigence professionnelle essentielle et déterminante.

5. La chambre d'agriculture, soutenant que le courriel du 12 janvier 2023 ne traduit que la position personnelle de son auteur et non celle de l'ensemble du jury, fait valoir que le refus de la candidature de M. C... répond en réalité à des critères objectifs tenant au parcours et à l'expérience de l'intéressé. Toutefois, il résulte au contraire de l'instruction et notamment du compte rendu d'entretien relatant la position de chacun des trois membres du jury, que si les qualités professionnelles et le parcours de M. C..., comparés à ceux des autres candidats, ont été diversement appréciées par les membres du jury, les trois membres du jury soulignent leurs réserves tenant aux problèmes de santé dont il a fait état, l'un des membres du jury indiquant que " ce problème physique est clairement un handicap ". Si par ailleurs la chambre d'agriculture soutient que le poste comporte le port de charges lourdes, il ne résulte d'aucun élément de l'instruction et notamment pas de l'avis de recrutement, qui ne porte aucune indication sur ce point, que cet aspect du poste serait déterminant, le poste consistant principalement à organiser et réaliser des essais œnologiques, à coordonner des travaux sur les essais du département recherche et développement, à animer des dégustations d'essais, à participer à l'organisation et à la logistique du concours général agricole pour les vins de Bordeaux et à participer à la réponse à des appels à projets. Ainsi, et en l'absence de tout élément permettant d'estimer que les problèmes de santé, au demeurant mal identifiés, de M. C... auraient rendu son recrutement inadapté sur le poste concerné, et notamment en l'absence de tout élément permettant d'estimer que le port de charges lourdes aurait été une composante déterminante du poste, la discrimination fautive ayant conduit à écarter sa candidature ne peut pas être regardée comme sérieusement contestable en l'état de l'instruction.

6. S'agissant du préjudice que M. C... soutient avoir subi, il ne résulte pas de l'instruction, en l'état des éléments versés au dossier, que, quand bien même sa candidature était en concurrence avec trois autres candidatures, il n'aurait pas eu une chance sérieuse d'obtenir le poste, son profil et son expérience ayant été estimés en rapport avec les qualités attendues pour occuper le poste. Toutefois, M. C..., s'il soutient que la rémunération annoncée pour le poste était de l'ordre de 30 000 à 32 000 euros annuels, ne donne aucune précision sur sa situation et notamment, n'indique pas s'il est demandeur d'emploi indemnisé. Il n'apporte pas davantage de précision sur ses perspectives d'emploi sur d'autres postes correspondant à ses qualifications. Dans ces conditions, en l'état de l'instruction, pour tenir compte de la perte de chance qu'il a subie d'être recruté sur le poste offert par la chambre d'agriculture, de ses troubles dans ses conditions d'existence et de son préjudice moral, le préjudice ne peut être regardé comme non sérieusement contestable qu'à hauteur d'une somme de 2 000 euros.

7. Il résulte de ce qui précède que M. C... est fondé à soutenir que c'est à tort que la juge des référés du tribunal, par l'ordonnance attaquée, a rejeté l'intégralité des conclusions de sa demande et à demander la condamnation de la chambre d'agriculture à lui verser une provision de 2 000 euros.

8. Par ailleurs, il n'appartient pas au juge administratif de faire application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 40 du code de procédure pénale. Par suite, les conclusions de M. C... tendant à ce que la cour signale au procureur de la République une déclaration estimée fausse émanant de l'une des personnes dont la chambre d'agriculture a produit le témoignage en première instance ne peuvent être accueillies.

9. M. C... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Ainsi, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la chambre d'agriculture de la Gironde le versement à M. Verdier, avocat de M. C..., d'une somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991.

ORDONNE :

Article 1er : La chambre d'agriculture de la Gironde est condamnée à verser à M. C... une provision de 2 000 euros.

Article 2 : L'ordonnance du 21 mars 2024 de la juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux est réformée en ce qu'elle a de contraire à la présente ordonnance.

Article 3 : La chambre d'agriculture versera à Me Verdier, avocat de M. C..., la somme de 1 200 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. C... est rejeté.

Article 5 : La présente ordonnance sera notifiée à M. B... C... et à la chambre d'agriculture de la Gironde.

Fait à Bordeaux, le 9 septembre 2024

La juge des référés,

D... A...

La République mande et ordonne au préfet de la Gironde, en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente ordonnance.

2

No 24BX00800


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 24BX00800
Date de la décision : 09/09/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Avocat(s) : SCORE AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-09-09;24bx00800 ?
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