Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. E... B... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 3 août 2023 par lequel le préfet de la Gironde a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi, et d'enjoindre au préfet de lui délivrer un titre de séjour.
Par un jugement n° 2306831 du 18 mars 2024, le tribunal a annulé l'arrêté
du 3 août 2023 et a enjoint au préfet de délivrer un titre de séjour à M. B... sur le fondement des dispositions de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 12 avril 2024, le préfet de la Gironde demande à la cour d'annuler ce jugement et de rejeter la demande présentée par M. B... devant le tribunal.
Il soutient que :
- les circonstances que M. B... résiderait en France depuis 2016, qu'il a signé un contrat à durée indéterminée en qualité de mécanicien et que le frère du requérant vive en France, au demeurant en situation irrégulière, ne relèvent pas de motifs exceptionnels lui ouvrant droit au séjour ; il ne justifie pas être isolé dans son pays d'origine, le Sénégal, où résident son épouse et son enfant, ni avoir établi des liens familiaux et sociaux sur le territoire français ; il n'a respecté ni la durée de son visa de court séjour, ni l'obligation de quitter le territoire français
du 15 juin 2020 confirmée en dernier lieu par la cour le 8 août 2022, ni l'avis défavorable
des services de la main d'œuvre étrangère en date du 4 novembre 2022 sur sa demande d'autorisation de travail ; ses ressources inférieures au SMIC ne lui permettent pas d'assumer ses besoins quotidiens.
Par un mémoire en défense enregistré le 28 mai 2024, M. B..., représenté par Me Le Guédard, conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge de l'Etat le versement au profit de son conseil d'une somme de 1 500 euros au titre des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi
du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Il fait valoir que :
- il dispose d'un contrat de travail et d'une ancienneté au travail depuis plus de 24 mois et est présent depuis plus de sept ans, ce qui répond aux critères de la circulaire
du 28 novembre 2012 ;
- ses bulletins de salaire se réfèrent au SMIC et le total de ses ressources est même supérieur en tenant compte des heures supplémentaires, si bien que l'avis défavorable du service de la main d'œuvre étrangère repose sur une appréciation erronée ;
- les conditions irrégulières de son séjour sont inopérantes pour une admission exceptionnelle, justifiée par son insertion professionnelle depuis 4 ans ;
- la décision méconnaît également l'article L.423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, eu égard à la durée de sa présence et à son intégration, alors que le préfet n'a pas examiné la nature de ses liens avec son pays d'origine, et que ses parents sont décédés ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle.
Par une décision du 13 juin 2024, le bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Bordeaux a accordé à M. B... l'aide juridictionnelle à hauteur de 55 %.
Par ordonnance du 21 juin 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 25 juillet 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention franco-sénégalaise du 1er août 1995 relative à la circulation et au séjour des personnes et l'accord franco-sénégalais du 23 septembre 2006 relatif à la gestion concertée des flux migratoires ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme D...,
- et les observations de Mme F..., cheffe de la section contentieux du bureau de l'éloignement et de l'ordre public de la direction de l'immigration, représentant le préfet de la Gironde.
Considérant ce qui suit :
1. M. E... G... B..., ressortissant sénégalais né le 27 octobre 1982, est entré sur le territoire français le 24 septembre 2016 sous couvert d'un visa de court séjour délivré par les autorités allemandes. Il a sollicité le 26 juillet 2019 un titre de séjour en raison de son état de santé, sur le fondement de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 15 juin 2020, la préfète de la Gironde a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français et a fixé le pays de renvoi, décision confirmée par jugement n° 2004362 du tribunal administratif de Bordeaux
du 27 janvier 2021 et par ordonnance n° 21BX03532 de la cour administrative d'appel de Bordeaux du 8 août 2022. Le 11 mai 2022, M. B... a sollicité son admission exceptionnelle au séjour dans le cadre des dispositions de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, demande rejetée par un arrêté du 3 août 2023, qui lui a fait obligation de quitter le territoire français. Le préfet de la Gironde relève appel du jugement
du 18 mars 2024 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a annulé cet arrêté et lui a enjoint de délivrer à M. B... le titre de séjour salarié sollicité.
2. Aux termes du paragraphe 42 de l'article 4 de l'accord franco-sénégalais
du 23 septembre 2006 susvisé, dans sa rédaction issue du point 31 de l'avenant signé
le 25 février 2008 : " Un ressortissant sénégalais en situation irrégulière en France peut bénéficier, en application de la législation française, d'une admission exceptionnelle au séjour se traduisant par la délivrance d'une carte de séjour temporaire portant : - soit la mention "salarié" s'il exerce l'un des métiers mentionnés dans la liste figurant en annexe IV de l'Accord et dispose d'une proposition de contrat de travail ; / - soit la mention "vie privée et familiale" s'il justifie de motifs humanitaires ou exceptionnels ". Aux termes de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir peut se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié ", " travailleur temporaire " ou " vie privée et familiale ", sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1 ". Il résulte de ces dispositions combinées que le préfet saisi d'une demande d'admission exceptionnelle au séjour par un ressortissant sénégalais en situation irrégulière, est conduit par l'effet de l'accord du 23 septembre 2006 modifié, à faire application de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
3. Lorsqu'un étranger sollicite une admission au séjour sur le fondement de
l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, il appartient à l'autorité administrative de vérifier, dans un premier temps, si l'admission exceptionnelle au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard de motifs exceptionnels, et à défaut, dans un second temps, s'il est fait état de motifs exceptionnels de nature à permettre la délivrance d'une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié " ou " travailleur temporaire ".
4. Pour annuler l'arrêté attaqué, le tribunal, qui a reconnu l'absence de circonstances humanitaires, s'est borné à relever que le requérant exerce depuis le 10 février 2020 l'activité de mécanicien au sein de la SARL Pessac Automobile Services, en contrat à durée indéterminée, pour laquelle il fournit l'ensemble des bulletins de salaire correspondants, ainsi qu'un certificat de travail attestant qu'il a été formé à la mécanique générale par la voie de l'apprentissage
de 1998 à 2007. Le tribunal a estimé que ces éléments constituent, à eux seuls, des motifs exceptionnels justifiant son admission au séjour au titre du travail.
5. En premier lieu, il n'est pas établi ni même allégué que l'emploi de mécanicien automobile occupé sans autorisation par M. B... figurerait sur la liste des métiers de l'annexe IV à l'accord franco-sénégalais pour lesquels la situation de l'emploi n'est pas opposable.
6. En deuxième lieu, le certificat de formation en apprentissage en mécanique générale produit devant le tribunal émane d'un garagiste de Dakar et a été établi en 2009. La présence de M. B... sur le territoire français n'est attestée que depuis 2017, et son contrat de travail depuis février 2020. Dès lors qu'un étranger ne détient aucun droit à l'exercice par le préfet de son pouvoir de régularisation, il ne peut utilement se prévaloir des orientations générales contenues dans la circulaire du ministre de l'intérieur du 28 novembre 2012 pour l'exercice de ce pouvoir. Par suite, ni l'ancienneté de résidence, ni celle de travail ne peuvent être utilement invoquées pour soutenir que le préfet aurait commis une erreur manifeste d'appréciation au regard de ces orientations.
7. En troisième lieu, M. B... fait valoir que les services de la main d'œuvre se sont mépris sur le niveau de ses ressources en rejetant la demande d'autorisation de travail présentée en 2021 par son employeur, la société Pessac Automobiles Services, au motif que la rémunération était inférieure au SMIC. Il ressort des bulletins de salaire qu'il produit que s'ils se réfèrent au SMIC, ils portent en 2020, année précédant la demande, des déductions pour activité partielle qui conduisent à un niveau de rémunération effectivement inférieur au salaire minimum, même après prise en compte de quelques heures supplémentaires. Quand bien même cette situation pourrait s'expliquer par le contexte économique durant la crise liée à l'épidémie de Covid-19, l'avis des services de la main d'œuvre n'est ainsi pas entaché d'une erreur de fait. Si par la suite, M. B... a été rémunéré au niveau du SMIC, cette circonstance ne lui ouvrait pas nécessairement un droit au travail et au séjour. Au regard de l'ensemble de la situation de l'intéressé, dont l'épouse et l'enfant résident au Sénégal et qui ne doit son ancienneté de résidence qu'au non-respect d'une obligation de quitter le territoire français du 15 juin 2020, le préfet est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal a considéré, pour annuler son arrêté, que l'emploi occupé depuis près de 3 ans à la date de la décision attaquée constituerait un motif exceptionnel ouvrant droit au séjour pour M. B... sur le fondement de l'article L.435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile .
8. Il appartient à la cour, saisie par l'effet dévolutif de l'appel, de se prononcer sur les autres moyens soulevés par M. B... devant le tribunal et la cour.
9. Par un arrêté n° 33-2023-03-31-00005 du 31 mars 2023, régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture de la Gironde le même jour et librement consultable sur le site internet de la préfecture, la préfète a donné délégation à M. A... C..., directeur des migrations et de l'intégration, signataire de l'arrêté en litige, à l'effet de signer, notamment, toutes décisions en matière de droit au séjour relevant des livres II, IV et VIII (partie législative et réglementaire) du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et, en matière d'éloignement, toutes décisions prises en application des livres II, IV, V, VI, VII et VIII (partie législative et réglementaire) du même code. Par suite, le moyen tiré d'une incompétence de M. C... pour signer l'arrêté ne peut qu'être écarté.
10. Contrairement à ce qui est soutenu, la motivation de l'arrêté n'est pas stéréotypée ni insuffisante, et démontre, nonobstant l'erreur matérielle sur la date du dépôt de la demande, que la situation de M. B... a été entièrement examinée.
11. La présence de M. B... depuis plus de six ans sur le territoire français et son insertion professionnelle ne suffisent pas, alors que son épouse et son enfant résident au Sénégal et que M. B... pourrait y valoriser ses compétences en mécanique, à caractériser une atteinte disproportionnée au droit de M. B... au respect de sa vie privée. Le moyen tiré d'une méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne peut, par suite, qu'être écarté.
12. Il résulte de ce qui précède que la décision attaquée n'est pas entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences pour l'intéressé.
13. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de la Gironde est fondé à demander l'annulation du jugement et le rejet de la demande de M. B.... Par suite, les conclusions
de M. B... tendant à l'application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ne peuvent qu'être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du 18 mars 2024 est annulé.
Article 2 : La demande de M. B... devant le tribunal et le surplus de ses conclusions d'appel sont rejetés.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, à M. E... B... et à Me Le Guédard. Copie en sera adressée au préfet de la Gironde.
Délibéré après l'audience du 10 septembre 2024 à laquelle siégeaient :
Mme Catherine Girault, présidente,
Mme Anne Meyer, présidente-assesseure,
M. Antoine Rives, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 3 octobre 2024.
La présidente-assesseure
Anne Meyer
La présidente, rapporteure,
Catherine D...La greffière,
Virginie Guillout
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 24BX00943