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22/10/2024 | FRANCE | N°24BX00104

France | France, Cour administrative d'appel de BORDEAUX, 5ème chambre, 22 octobre 2024, 24BX00104


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :



La société Arkolia invest 91 a demandé au tribunal administratif de Bordeaux :



1°) d'annuler l'arrêté du 21 novembre 2022 par lequel la préfète de la Gironde a rejeté sa demande d'autorisation de défricher 19,7177 ha de bois situés sur le territoire de la commune de Sainte-Hélène en vue de la réalisation d'une centrale photovoltaïque au sol ;



2°) d'enjoindre au préfet de la Gironde de délivrer l'autorisation sollicitée dans un dé

lai de deux mois à compter du jugement à intervenir sous astreinte de 500 euros par jour de retard ;



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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Arkolia invest 91 a demandé au tribunal administratif de Bordeaux :

1°) d'annuler l'arrêté du 21 novembre 2022 par lequel la préfète de la Gironde a rejeté sa demande d'autorisation de défricher 19,7177 ha de bois situés sur le territoire de la commune de Sainte-Hélène en vue de la réalisation d'une centrale photovoltaïque au sol ;

2°) d'enjoindre au préfet de la Gironde de délivrer l'autorisation sollicitée dans un délai de deux mois à compter du jugement à intervenir sous astreinte de 500 euros par jour de retard ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'arrêté contesté n'est pas suffisamment motivé au regard des exigences des articles L. 211-2 et L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration ;

- le préfet a relevé, en s'appuyant sur le 8° de l'article L. 341-5 du code forestier, que le projet n'avait pas obtenu de dérogation à l'interdiction de destruction d'espèces protégées ; il a ainsi méconnu le principe d'indépendance des législations qui s'applique entre les règles du code forestier et celles relatives à la destruction des espèces protégées ; en tout état de cause, le projet n'est pas susceptible de porter atteinte à des espèces protégées ; le risque d'impact sur l'avifaune, les insectes et les amphibiens doit être relativisé dès lors que des facteurs de perturbations existent déjà sur le site et que des mesures de réduction des impacts sont prévues ; les impacts résiduels sont qualifiés de nuls pour la plupart des espèces citées par le préfet à l'exception des espèces d'insectes pour la seule phase d'exploitation ;

- l'opération de défrichement ne porte pas davantage atteinte aux intérêts visés au 9° de l'article L. 341-5 du code forestier ; le risque allégué par le préfet repose sur la seule présence de la centrale solaire, pas sur le défrichement ; au surplus, il n'est pas établi que l'implantation d'une centrale photovoltaïque en milieu forestier aggraverait le risque d'incendie ; pour certains spécialistes, les aménagements en zones boisées contribuent même à réduire la propagation des feux ; en tout état de cause, des mesures d'évitement et de réduction sont prévues ; ces mesures sont suffisantes pour prévenir le risque d'incendie.

Par une ordonnance n° 2300348 du 12 janvier 2024, enregistrée au greffe de la cour le même jour, le président du tribunal administratif de Bordeaux, constatant le dessaisissement du tribunal en application de l'article R. 311-6 du code de justice administratif, a transmis le dossier de la demande à la cour.

Procédure devant la cour :

Par un mémoire enregistré le 28 juin 2024, le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens invoqués par la société requérante ne sont pas fondés.

Par un mémoire enregistré le 15 juillet 2024, la société Arkolia Invest 91 conclut aux mêmes fins que dans sa requête par les mêmes moyens.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'environnement ;

- le code forestier ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Elisabeth Jayat,

- les conclusions de M. Sébastien Ellie, rapporteur public,

- et les observations de Me Louis, représentant la société Arkolia invest 91.

Considérant ce qui suit :

1. Le 24 mai 2022, la société Arkolia invest 91 a déposé un dossier de demande d'autorisation de défrichement de 19,7177 ha de bois sur le territoire de la commune de Sainte-Hélène en vue de la création d'un parc photovoltaïque d'une surface clôturée de 16 ha, pour une puissance totale de 13,49 mégawatts-crête. Par arrêté du 21 novembre 2022, la préfète de la Gironde a refusé de lui délivrer cette autorisation. La société a saisi le tribunal administratif de Bordeaux d'une demande tendant à l'annulation de cet arrêté de refus. Par une ordonnance du 12 janvier 2024, le président du tribunal administratif de Bordeaux, constatant le dessaisissement du tribunal en application de l'article R. 311-6 du code de justice administratif, a transmis le dossier de la demande à la cour.

2. Pour refuser l'autorisation sollicitée, la préfète s'est fondée sur les 8° et 9° de l'article L. 341-5 du code de l'environnement et a considéré, d'une part, que le projet, situé dans le massif des Landes de Gascogne, était de nature à porter atteinte à des espèces animales protégées et, d'autre part qu'il était de nature à favoriser un risque d'incendie.

3. Aux termes de l'article L. 341-5 du code forestier : " L'autorisation de défrichement peut être refusée lorsque la conservation des bois et forêts ou des massifs qu'ils complètent, ou le maintien de la destination forestière des sols, est reconnu nécessaire à une ou plusieurs des fonctions suivantes : (...) 8° A l'équilibre biologique d'une région ou d'un territoire présentant un intérêt remarquable et motivé du point de vue de la préservation des espèces animales ou végétales et de l'écosystème ou au bien-être de la population ; 9° A la protection des personnes et des biens et de l'ensemble forestier dans le ressort duquel ils sont situés contre les risques naturels, notamment les incendies (...) ".

4. S'agissant, en premier lieu, du motif tiré du 8° de l'article L. 341-5 du code forestier, la préfète a relevé que le site à défricher abritait plusieurs espèces protégées pour lesquelles la destruction d'animaux ou d'habitats était interdite, que la société pétitionnaire ne disposait pas d'une dérogation à cette interdiction et que l'opération comportait des effets résiduels concernant la fauvette pitchou, l'engoulevent d'Europe, le fadet des laîches, le grand capricorne et les amphibiens.

5. D'une part, les articles L. 411-1 et L. 411-2 du code de l'environnement organisent un régime juridique spécifique en vue de la protection du patrimoine naturel. Toute dérogation aux interdictions édictées par l'article L. 411-1 doit faire l'objet d'une autorisation particulière délivrée par l'autorité compétente, à moins que l'opération considérée ne relève d'une autorisation environnementale, ce qui n'est pas le cas en l'espèce. Le titulaire de l'autorisation délivrée sur le fondement distinct de l'article L. 341-3 du code forestier, au titre de la législation sur les bois et forêts, est également tenu d'obtenir, en tant que de besoin, une telle dérogation au titre de la législation sur la protection du patrimoine naturel. Si l'autorité administrative compétente pour délivrer l'autorisation au titre de l'article L. 341-3 du code forestier a connaissance, notamment au vu de l'étude d'impact jointe à la demande d'autorisation qui doit en principe faire apparaître l'existence d'espèces protégées dans la zone concernée, des risques éventuels auxquels sont exposées certaines espèces protégées, et peut alors alerter le pétitionnaire sur la nécessité de se conformer à la législation sur la protection du patrimoine naturel, en revanche, elle ne peut légalement subordonner la délivrance de l'autorisation sollicitée au titre de la législation relative aux bois et forêts au respect de cette législation sur la protection du patrimoine naturel. Ainsi, l'absence d'une dérogation à l'interdiction de destruction des espèces protégées ne peut légalement justifier le refus opposé à la société Arkolia invest 91.

6. D'autre part, il ressort des pièces du dossier, et notamment de l'étude d'impact, que le réseau hydrographique du secteur sera évité, ainsi qu'une zone tampon de plusieurs mètres autour des habitats, que le calendrier des travaux de déboisement et de débroussaillage sera adapté pour commencer entre octobre et février, en dehors de la période de nidification des oiseaux et de reproduction des amphibiens et que le chantier doit se dérouler sans interruption et par bande, d'est en ouest, en vue d'éviter de piéger les espèces et de leur permettre de fuir les zones de chantier et de favoriser leur dispersion vers les espaces naturels voisins. Le pétitionnaire a également prévu de débroussailler en coupant la végétation à 20 cm de hauteur pour réduire le risque de mortalité des amphibiens et reptiles notamment. Il est également prévu par la société pétitionnaire l'évitement des chênaies abritant le grand capricorne et la mise en défend des zones sensibles, notamment les landes à molinie bleue, habitat du fadet des laîches, et le suivi du chantier par un écologue, ainsi qu'une vigilance spécifique pour veiller à ce que le passage des engins de chantier ne crée pas d'ornière favorable aux amphibiens. L'étude d'impact conclut à un impact résiduel très faible ou nul sur les espèces. En admettant que cette estimation soit sous-évaluée et que le déroulement de l'opération soit de nature à entraîner un risque suffisamment caractérisé de destruction d'individus ou d'habitats pour les espèces concernées, notamment la fauvette pitchou, l'engoulevent d'Europe, le fadet des laîches, le grand capricorne et les amphibiens, cette circonstance, si elle est de nature à justifier que soit présentée une demande de dérogation au titre de l'article L. 411-2 du code de l'environnement, ne suffit en revanche pas pour permettre d'estimer qu'il en résulterait une remise en cause de l'équilibre biologique de la région ou du territoire concerné dès lors que le défrichement ne porte que sur une faible partie du massif forestier des Landes de Gascogne et du boisement de la commune et que, selon les indications non contestées de l'étude d'impact, les espèces protégées présentes peuvent se déployer sur les secteurs favorables situés autour du projet. Dans ces circonstances, il ne ressort pas des pièces du dossier que le projet, qui est situé dans la zone rouge du plan de prévention des risques technologiques de l'établissement ArianeGroup, classé " Seveso ", et à plus de 7 km de la zone Natura 2000 et de la ZNIEFF la plus proche, serait de nature à détruire un boisement nécessaire, par lui-même ou par la continuité qu'il assure avec les espaces alentour, à l'équilibre biologique d'une région ou d'un territoire présentant un intérêt remarquable et motivé du point de vue de la préservation des espèces animales ou végétales et de l'écosystème au sens des dispositions précitées.

7. S'agissant, en second lieu, du motif tiré du 9° de l'article L. 341-5 du code forestier, il ressort des pièces du dossier que le projet est situé dans le massif des Landes de Gascogne, composé essentiellement de pins maritimes particulièrement inflammables, à Sainte-Hélène, dans un secteur classé, ainsi que l'indique le procès-verbal contradictoire de reconnaissance des bois à défricher établi le 13 juillet 2022 par la direction départementale des territoires et de la mer, en zone d'aléa " fort " sur une échelle de cinq niveaux d'aléas de " très faible " à " très fort " par le plan interdépartemental de protection des forêts contre les incendies 2019-2029 approuvé le 16 septembre 2020, document d'approche générale de la problématique feux de forêt à l'échelle du territoire des départements de Dordogne, de Gironde, des Landes et du Lot-et-Garonne ayant pour objet de recenser l'ensemble des actions, schémas et plans intervenant dans la protection des forêts contre les incendies. Toutefois, il ressort aussi des pièces du dossier et notamment de l'étude d'impact, que le site ne présente pas de difficulté d'accès par le réseau de voirie et que la société pétitionnaire a suivi les recommandations du service départemental d'incendie et de secours en prévoyant le débroussaillement et le maintien en état débroussaillé des parcelles boisées en périphérie de la centrale sur une largeur de 50 mètres, l'aménagement d'une piste périphérique externe engravée d'une largeur de 5 mètres reliée au réseau de voirie existant et permettant aux services de lutte contre l'incendie d'accéder au site et d'une piste interne de même largeur traversant la centrale, le fauchage annuel de la strate herbacée sous les panneaux solaires, l'installation d'une citerne de 120 m3 à proximité de l'entrée du site avec une possibilité de branchement depuis l'extérieur de la clôture, l'installation de coupe-circuits en amont des postes de distribution et des onduleurs pour les isoler électriquement et l'équipement de chaque local électrique d'un extincteur à poudre de six litres pouvant être utilisé par les sapeurs-pompiers en cas de départ de feu. Le dossier de demande prévoit également que toutes les données utiles à l'intervention et notamment le numéro d'astreinte, les personnes à contacter en cas d'incident, les plans et le positionnement des organes de coupure, seront transmises au service départemental d'incendie et de secours et que les plans numériques géoréférencés des infrastructures seront fournis au groupement d'intérêt public Aménagement du territoire et gestion des risques, pour diffusion aux services concernés. Si le ministre fait état d'une douzaine de départs de feu survenus dans l'enceinte d'un parc photovoltaïque entre 2015 et 2023 dans le massif des Landes de Gascogne, dont la plupart ne se sont d'ailleurs pas propagés à l'extérieur du site, ces informations ne sont pas assorties de précision sur les mesures qui avaient été prises par les exploitants et aucun des éléments versés au dossier, et notamment pas d'éléments émanant des services de lutte contre l'incendie ne permettent de considérer que les mesures prises en l'espèce par la société Arkolia invest 91, et notamment celles visant à créer une discontinuité entre le site et les boisements proches, ne permettraient pas de réduire significativement le risque de propagation d'un feu ni d'intervenir utilement pour arrêter un incendie qui prendrait naissance sur le site. Par suite, la société Arkolia invest 91 est fondée à soutenir que le refus d'autorisation de défrichement qui lui a été opposé est entaché d'une erreur d'appréciation au regard des dispositions du 9° de l'article L. 341-5 du code forestier.

8. Il résulte de ce qui précède qu'aucun des motifs de refus sur lesquels s'est appuyée l'administration n'est de nature à justifier légalement la décision prise. Sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'autre moyen invoqué, la société Arkolia est, par suite, fondée à demander l'annulation de l'arrêté préfectoral du 21 novembre 2022.

9. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution (...) ". Aux termes de l'article L. 911-2 du même code : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette nouvelle décision doit intervenir dans un délai déterminé (...) ".

10. L'annulation d'un refus d'autorisation n'impliquant en principe pas la délivrance de l'autorisation réclamée mais ayant seulement pour effet de ressaisir l'administration, laquelle a pour unique obligation de se prononcer à nouveau sur la demande, il y a lieu d'enjoindre au préfet de la Gironde de réexaminer la demande d'autorisation de défrichement présentée par la société Arkolia invest 91 et de prendre une nouvelle décision dans le délai de trois mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.

11. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat le versement à la société Arkolia invest 91 d'une somme de 1 500 euros au titre des frais à l'instance, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : L'arrêté de la préfète de la Gironde du 21 novembre 2022 est annulé.

Article 2 : Il est enjoint au préfet de la Gironde de réexaminer la demande d'autorisation de défrichement de la société Arkolia invest 91 et de prendre une nouvelle décision dans le délai de trois mois suivant la notification du présent arrêt.

Article 3 : L'Etat versera à la société Arkolia invest 91 la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société Arkolia invest 91, au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire et au préfet de la Gironde.

Délibéré après l'audience du 1er octobre 2024 à laquelle siégeaient :

Mme Elisabeth Jayat, présidente,

M. Nicolas Normand, président assesseur,

Mme Clémentine Voillemot, première conseillère,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 22 octobre 2024.

Le président assesseur,

Nicolas NormandLa présidente-rapporteure,

Elisabeth Jayat

La greffière,

Virginie Santana

La République mande et ordonne à la ministre de l'agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt, en ce qui la concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 24BX00104


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 24BX00104
Date de la décision : 22/10/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme JAYAT
Rapporteur ?: Mme Elisabeth JAYAT
Rapporteur public ?: M. ELLIE
Avocat(s) : CABINET LPA-CGR AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 23/04/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-10-22;24bx00104 ?
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