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09/01/2025 | FRANCE | N°24BX01011

France | France, Cour administrative d'appel de BORDEAUX, Juge des référés, 09 janvier 2025, 24BX01011


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La communauté d'agglomération du Sud (CASUD) a demandé au juge des référés du tribunal administratif de La Réunion, sur le fondement de l'article R. 541-1 du code de justice administrative, de condamner à titre principal, d'une part, la société commerciale et industrielle de matériels d'équipements (SCIME) à lui verser, à titre provisionnel, la somme totale de 1 476 824,92 euros, et d'autre part, la société AFHYMAT à lui verser, à titre provisionnel, la somme totale

de 885 386,92 euros.



Par une ordonnance n° 2301001 du 11 mars 2024, le juge des ré...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La communauté d'agglomération du Sud (CASUD) a demandé au juge des référés du tribunal administratif de La Réunion, sur le fondement de l'article R. 541-1 du code de justice administrative, de condamner à titre principal, d'une part, la société commerciale et industrielle de matériels d'équipements (SCIME) à lui verser, à titre provisionnel, la somme totale de 1 476 824,92 euros, et d'autre part, la société AFHYMAT à lui verser, à titre provisionnel, la somme totale de 885 386,92 euros.

Par une ordonnance n° 2301001 du 11 mars 2024, le juge des référés du tribunal administratif de La Réunion a condamné la société SCIME à verser à la CASUD, à titre provisionnel, les sommes de 591 438 euros et 3 957, 84 euros, et a rejeté le surplus des demandes de la CASUD.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 23 avril 2024, la SCIME, représentée par

Me Cerveaux, demande au juge des référés :

1°) de réformer l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de

La Réunion du 11 mars 2024 ;

2°) de mettre à la charge de la CASUD une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la restitution du prix du marché ne pouvait être ordonnée par le juge des référés du tribunal alors que la résiliation du contrat n'a été ni demandée ni préalablement prononcée par la CASUD ; cette dernière ne justifiait ainsi d'aucune créance non sérieusement contestable dans son principe ;

- le juge des référés ne pouvait la condamner à la restitution le prix du marché sur le fondement de la garantie des vices cachés instituée par l'article 1641 du code civil alors que l'expert a estimé que les désordres affectant les véhicules sont la conséquence exclusive d'un vice de conception au niveau de l'installation de la grue imputable à la société AFHYMAT qui n'a pas respecté les préconisations du fabricant ; en outre, la CASUD a réalisé une pré-réception avant la mise en montage des accessoires sur les véhicules et des vérifications en application de l'article 22.1 du cahier des clauses administratives générales des marchés publics de fournitures courantes et de services (CCAG-FCS) de 2009 ; le prix payé ne peut être restitué qu'à condition que la chose soit elle-même restituée ;

- les véhicules fournis par la SCIME à la CASUD étaient conformes aux prescriptions contractuelles prévues au cahier des clauses particulières (CCP) du marché ; elle n'a pas manqué à son obligation contractuelle de dispenser une formation aux futurs utilisateurs des véhicules ; elle a tenté à plusieurs reprises de trouver une solution aux problèmes rencontrés en effectuant plusieurs réparations sur les véhicules, notamment avec une entreprise de soudure ;

- les désordres constatés sur les véhicules ont été, en partie, liés à une mauvaise utilisation des camions par les agents de la CASUD et son exploitant, la SUDEC ;

- la société AFHYMAT a commis des fautes à l'origine de la survenance des désordres ; premièrement, elle a fourni des notices d'instructions imprécises ou ne comportant pas des informations pourtant indispensables à la bonne utilisation des accessoires montés sur les véhicules ; deuxièmement, elle a fait le choix d'un montage des accessoires potentiellement dangereux pour les utilisateurs lors des opérations de manipulation de la grue et des béquilles ; troisièmement, elle a monté les accessoires sur les véhicules sans respecter les directives de carrossage fournies par le constructeur IVECO ; en conséquence, la société AFHYMAT doit assumer intégralement les conséquences matérielles et financières du litige ; une procédure a d'ailleurs été intentée à son encontre devant le tribunal mixte de commerce d'Amiens.

Par un mémoire en défense, enregistré le 2 septembre 2024, la société AFHYMAT, représentée par Me d'Halluin, conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que la requête qui se borne à solliciter la réformation de l'ordonnance attaquée sans contenir de conclusions au fond est irrecevable.

Par un mémoire en défense, enregistré le 6 septembre 2024, la communauté d'agglomération du Sud (CASUD), représentée par Me Benjamin, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 4 000 euros soit mise à la charge de la SCIME sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'allocation d'une provision à hauteur du prix du marché n'était pas subordonnée à la résiliation ou à la résolution préalable du contrat ;

- la condamnation sur le fondement de la garantie des vices cachés et sur l'engagement contractuel de la SCIME est fondée.

Par une ordonnance du 9 septembre 2024, la clôture d'instruction a été fixée en dernier lieu au 11 octobre 2024 à 12 heures.

Le président de la cour a désigné M. Anthony Duplan, premier conseiller, pour statuer comme juge des référés en application des dispositions du livre V du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code de la commande publique ;

- le code de justice administrative ;

Considérant ce qui suit :

1. Par acte d'engagement du 14 octobre 2020, la communauté d'agglomération du Sud (CASUD) a conclu avec la société commerciale et industrielle de matériels d'équipements (SCIME) un marché relatif à l'acquisition et la livraison de six mini camions de 7,5 tonnes équipés d'une benne, d'une grue auxiliaire et d'un grappin, destinés à l'enlèvement des déchets végétaux et des encombrants sur plusieurs communes du territoire communautaire, pour un montant de 591 438 euros hors taxe (HT). Les véhicules, de marque IVECO, ont été livrés le 22 juin 2021 après avoir été aménagés par la société AFHYMAT, entreprise de carrosserie, puis mis à la disposition de la société publique locale SUDEC dans le cadre du contrat de prestations de services en quasi-régie conclu avec la CASUD. Après avoir constaté des défaillances sur les véhicules, la CASUD a saisi le tribunal administratif de La Réunion qui a prescrit une expertise par ordonnance du 13 avril 2022. L'expert a remis son rapport le 12 décembre 2022. Sur la base de ce rapport, la CASUD a saisi le juge des référés du tribunal pour demander la condamnation de la SCIME à lui verser, à titre provisionnel, la somme totale de 591 438 euros correspondant à la restitution du prix payé pour les six véhicules, ainsi que la condamnation de cette même société et de la société AFHYMAT à lui verser, à hauteur de 50 % chacune, les sommes de 1 766 816 euros et 3 957,84 euros, au titre des surcoûts d'exploitation subis par la SUDEC et pris en charge par la CASUD, et des frais d'expertise. La CASUD a demandé, à titre subsidiaire, que la SCIME soit désignée comme seule débitrice de ces deux dernières provisions. Par une ordonnance du 11 mars 2024, le juge des référés du tribunal a condamné la SCIME à verser à la CASUD, à titre provisionnel, les sommes de 591 438 euros et 3 957,84 euros.

Sur la recevabilité de la demande de première instance :

2. Ainsi que l'a relevé à juste titre le juge des référés du tribunal, la circonstance que la CASUD n'a pas procédé à la résiliation du marché qui l'unissait à la SCIME lequel a, du reste, été entièrement exécuté, ne faisait pas obstacle à ce que cet établissement public sollicite, sur le fondement de l'article R. 541-1 du code de justice administrative, la condamnation du titulaire du marché à lui verser une provision au titre des désordres affectant les véhicules livrés et des préjudices en résultant.

Sur le bien-fondé de l'ordonnance attaquée :

3. Aux termes de l'article R. 541-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés peut, même en l'absence d'une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l'a saisi lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable. ". Il résulte de ces dispositions que, pour regarder une obligation comme non sérieusement contestable, il appartient au juge des référés de s'assurer que les éléments qui lui sont soumis par les parties sont de nature à en établir l'existence avec un degré suffisant de certitude.

En ce qui concerne la restitution du prix du marché :

4. D'une part, aux termes de l'article 1641 du code civil : " Le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus. ". Selon l'article 1643 du même code : " Il est tenu des vices cachés, quand même il ne les aurait pas connus, à moins que, dans ce cas, il n'ait stipulé qu'il ne sera obligé à aucune garantie. ". Aux termes de l'article 1645 de ce code : " Si le vendeur connaissait les vices de la chose, il est tenu, outre la restitution du prix qu'il en a reçu, de tous les dommages et intérêts envers l'acheteur. ". Les règles résultant de ces dispositions relatives à la garantie des vices cachés, sont applicables à un marché de fournitures.

5. Il résulte de l'instruction que, dès le 17 juillet 2021, soit moins d'un mois après la livraison des véhicules équipés par la SCIME en exécution du marché de fournitures passé avec la CASUD, la SUDEC, exploitant, a constaté des désordres affectant les véhicules, consistant en des fissures et des déformations au niveau des châssis et du faux châssis de la grue, ainsi que des desserrages des fixations du faux châssis de la benne. Il résulte également de l'instruction, notamment du rapport d'expertise dressé le 12 décembre 2022, que les véhicules livrés à la CASUD, sur lesquels avait été assemblé un système de grue et grappin dépourvu de la solidité requise, n'avaient pas été conçus dans les règles de l'art, conformément aux directives de carrossage fournies par le fabriquant IVECO. Ce vice de conception dont l'expert estime qu'il n'était pas décelable lors de la livraison des véhicules, était inconnu de la CASUD, acheteur non professionnel, lors de la conclusion de la vente. En outre, si la SCIME justifie avoir fait réaliser des travaux de réparation des véhicules auprès d'une entreprise de soudure, il résulte du rapport d'expertise que ces réparations n'ont non seulement pas permis une remise en service des véhicules défectueux, lesquels ne sont, à ce jour, toujours pas utilisables, mais ont aggravé les désordres. Dans ces conditions, la demande de la CASUD remplit les conditions d'engagement de la garantie par l'acheteur des vices cachés de la chose vendue.

6. D'autre part, compte tenu de la gravité du vice de conception, la circonstance, à la supposer établie, que les utilisateurs des camions auraient commis des erreurs dans le mode d'utilisation des véhicules ou dans la manipulation de la grue lors des opérations d'enlèvement, ne révèle pas en l'espèce un comportement fautif de la CASUD ou de l'exploitant qui permettrait d'engager leur responsabilité dans la survenance des désordres. A cet égard, il résulte du mémoire technique joint par la SCIME à l'appui de son offre qu'elle s'engageait à assurer notamment une formation d'une durée de deux jours pour les conducteurs et les mécaniciens sur le site de la CASUD. Or il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise, que les futurs utilisateurs n'ont pas bénéficié de la formation selon la durée et le contenu contractuellement prévus, laquelle formation leur aurait permis de prendre immédiatement conscience de l'inadaptation des matériels proposés.

7. Enfin, il résulte des dispositions, citées au point 4, de l'article 1645 du code civil une présomption irréfragable de connaissance par le vendeur professionnel du vice de la chose vendue, qui l'oblige à réparer l'intégralité de tous les dommages en résultant. Ainsi, la SCIME qui est un professionnel averti ne peut utilement soutenir que le vice affectant les véhicules engagerait la responsabilité de l'entreprise de carrosserie AFHYMAT, en charge de la fourniture et du montage de l'ensemble des accessoires des véhicules litigieux.

8. Dans ces conditions, c'est à bon droit que le juge des référés du tribunal a estimé que la CASUD était fondée à soutenir, en se prévalant, d'une part, de l'engagement contractuel pris par la SCIME de livrer des véhicules puissants et endurants pour assurer l'enlèvement des déchets végétaux et des encombrants sur les points de collecte du territoire communautaire et, d'autre part, du régime de la garantie des vices cachés, que la restitution par la SCIME du prix payé pour les six véhicules, à savoir 591 438 euros, était constitutive d'une obligation non sérieusement contestable.

En ce qui concerne les frais d'expertise :

9. Il résulte de l'instruction que, par une ordonnance du 31 janvier 2023, les frais d'expertise ont été liquidés et taxés à la somme de 3 957,84 euros et mis à la charge de la CASUD. La SCIME ne critique pas en appel le caractère non sérieusement contestable de cette créance à son égard. Dans ces conditions, il y a lieu de confirmer l'ordonnance attaquée en tant qu'elle a mis à la charge de la requérante une somme provisionnelle correspondant à ces frais d'expertise.

10. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par la société AFHYMAT, que la SCIME n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de La Réunion l'a condamnée à verser à la CASUD, à titre provisionnel, les sommes de

591 438 euros et 3 957,84 euros.

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L 761-1 du code de justice administrative :

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la CASUD qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que demande la SCIME au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la requérante une somme de 1 500 euros à verser à la CASUD au titre des frais de même nature.

ORDONNE :

Article 1er : La requête de la société SCIME est rejetée.

Article 2 : La société SCIME versera à la CASUD une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à la société commerciale et industrielle de matériels d'équipement (SCIME), à la communauté d'agglomération du Sud (CASUD), et à la société AFHYMAT.

Fait à Bordeaux, le 9 janvier 2025.

Le juge d'appel des référés,

Anthony Duplan

La République mande et ordonne au préfet de La Réunion en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 24BX01011


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 24BX01011
Date de la décision : 09/01/2025
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Avocat(s) : CERVEAUX

Origine de la décision
Date de l'import : 19/01/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-01-09;24bx01011 ?
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