Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de La Réunion d'annuler la décision du 30 septembre 2020 par laquelle la directrice interrégionale des missions des services pénitentiaires de l'outre-mer lui a alloué un montant de 330 euros au titre de la prime exceptionnelle versée à certains agents publics soumis à des sujétions exceptionnelles pour faire face à l'épidémie de covid-19, ensemble la décision implicite rejetant son recours gracieux du 27 octobre 2020, et qu'il soit enjoint à l'administration que cette prime lui soit versée à hauteur de 1 000 euros.
Par un jugement du 13 décembre 2022, le tribunal administratif de La Réunion a annulé la décision du 30 septembre 2020 de la directrice interrégionale des missions des services pénitentiaires de l'outre-mer, ensemble la décision implicite de rejet du recours gracieux de Mme A..., en tant qu'elles ne font pas droit à la demande d'allocation du taux n° 2 de la prime exceptionnelle " covid 19 ", soit 660 euros, a enjoint au garde des sceaux, ministre de la justice d'attribuer à Mme A... le taux n° 2 de ladite prime et de lui verser en conséquence la somme complémentaire de 330 euros, et a rejeté le surplus des conclusions de la demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 15 février 2023, le garde des sceaux, ministre de la justice demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 13 décembre 2022 du tribunal administratif de La Réunion ;
2°) de rejeter la demande présentée par Mme A... devant le tribunal administratif de La Réunion.
Il soutient que :
- c'est à tort que le tribunal s'est fondé sur des documents syndicaux pour établir que le critère du nombre de jours d'absence permettait de déterminer le taux de la prime à allouer à Mme A... ;
- le critère du nombre de jours d'absence ne guide pas à lui seul l'attribution de la prime ; il convient de rechercher si la requérante a effectivement connu un surcroît significatif de sa charge de travail ;
- les sujétions auxquelles Mme A... a été soumise n'ont pas conduit à un surcroît significatif de sa charge de travail.
Par un mémoire en défense enregistré le 26 octobre 2023, Mme A..., représentée par Me Noël, conclut au rejet de la requête, à la mise à la charge de l'État d'une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, et demande à la cour, par la voie de l'appel incident, de réformer le jugement en ce qu'il a rejeté sa demande tendant au versement d'une somme de 1 000 euros correspondant au taux n° 3 de la prime exceptionnelle " covid 19 ".
Elle soutient que :
- la requête est irrecevable en application de l'article R. 811-1 du code de justice administrative, le tribunal ayant statué en premier et dernier ressort ;
- le critère du surcroît significatif de la charge de travail est corrélé au temps de travail des agents ; le ministre de la justice ne peut écarter le critère du nombre de jours d'absence pourtant choisi par la direction de l'administration pénitentiaire pour déterminer à quel taux allouer la prime litigieuse ;
- elle a été absente moins de 16 jours entre le 16 mars et le 15 mai 2020, ce qui justifie que la prime litigieuse lui soit allouée au taux n° 2 ; s'il ressort du listing produit par le ministre de la justice qu'elle aurait été placée 17 jours en autorisation d'absence exceptionnelle, 11 de ces absences étaient en réalité des jours de télétravail ;
- en tout état de cause, elle a connu un accroissement significatif de sa charge de travail justifiant l'application du taux n° 2 pour déterminer le montant de sa prime ;
- à titre incident, le jugement du tribunal doit être réformé au motif qu'il retient, à tort, que l'autorité administrative n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation en refusant de lui octroyer la prime litigieuse au taux n° 3 compte tenu de son travail exceptionnel et identifié par le chef de service durant la période de référence.
Par une ordonnance du 8 février 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 8 avril 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 2020-473 du 25 avril 2020 ;
- le décret n° 2020-570 du 14 mai 2020 ;
- le code de la sécurité intérieure ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy,
- les conclusions de M. Julien Dufour, rapporteur public,
- et les observations de Me Latour, substituant Me Noël, représentant Mme A....
Considérant ce qui suit :
1. Mme A... est conseillère pénitentiaire d'insertion et de probation à la maison d'arrêt de Saint-Pierre, à La Réunion. Par une décision du 30 septembre 2020 qui lui a été notifiée le 27 octobre suivant, la directrice interrégionale de la mission des services pénitentiaires de l'outre-mer lui a alloué un montant de 330 euros au titre du taux n° 1 de la prime exceptionnelle " covid 19 " prévue par le décret du 14 mai 2020 et versée à certains agents civils et militaires de la fonction publique de l'État et de la fonction publique territoriale soumis à des sujétions exceptionnelles pour assurer la continuité des services publics dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire déclaré pour faire face à l'épidémie de covid-19. Par une lettre du 27 octobre 2020, Mme A... a présenté un recours gracieux contre cette décision en demandant que le montant de la prime qui lui a été allouée soit porté au taux n° 3 ou, à défaut, au taux n° 2. Ce recours gracieux a été implicitement rejeté. Par un jugement du 13 décembre 2022, le tribunal administratif de La Réunion a annulé la décision du 30 septembre 2020 de la directrice interrégionale des missions des services pénitentiaires de l'outre-mer et la décision implicite de rejet du recours gracieux de Mme A... en tant qu'elles ne font pas droit à la demande d'allocation du taux n° 2 de la prime exceptionnelle " covid 19 ", soit 660 euros, a enjoint au garde des sceaux, ministre de la justice d'attribuer à Mme A... ce taux de prime et de lui verser en conséquence la somme complémentaire de 330 euros, et a rejeté le surplus des conclusions de la demande. Le garde des sceaux, ministre de la justice relève appel de ce jugement. Par la voie de l'appel incident, Mme A... demande à la cour de réformer le même jugement en ce qu'il a rejeté sa demande tendant au versement d'une somme de 1 000 euros correspondant au taux n° 3 de la prime exceptionnelle " covid 19 ".
Sur la compétence de la cour :
2. Aux termes de l'article R. 811-1 du code de justice administrative : " Toute partie présente dans une instance devant le tribunal administratif ou qui y a été régulièrement appelée, alors même qu'elle n'aurait produit aucune défense, peut interjeter appel contre toute décision juridictionnelle rendue dans cette instance. (...) / 8° Sauf en matière de contrat de la commande publique sur toute action indemnitaire ne relevant pas des dispositions précédentes, lorsque le montant des indemnités demandées n'excède pas le montant déterminé par les articles R. 222-14 et R. 222-15 ; ".
3. La demande de première instance de Mme A... tendant à l'annulation des décisions de la direction de l'administration pénitentiaire relatives à la prime exceptionnelle " covid 19 " et au versement de la somme qu'elle estime lui être due au titre de cette prime, sans que soit mise en cause la responsabilité de la personne publique qui l'emploie, ne saurait être considérée comme une action indemnitaire au sens du 8o de l'article R. 811-1 du code de justice administrative. Par suite, la cour de céans est compétente pour connaître du présent litige.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
4. Aux termes de l'article 1er du décret n° 2020-570 du 14 mai 2020 : " En application de l'article 11 de la loi du 25 avril 2020 susvisée, le présent décret détermine les conditions dans lesquelles l'État, les collectivités territoriales et leurs établissements publics et groupements d'intérêt public (...) peuvent verser une prime exceptionnelle à ceux de leurs agents particulièrement mobilisés pendant l'état d'urgence sanitaire déclaré en application de l'article 4 de la [loi] du 23 mars 2020 susvisée afin de tenir compte d'un surcroît de travail significatif durant cette période. / Les bénéficiaires de la prime exceptionnelle sont nommément désignés à cet effet dans les conditions prévues par le présent décret. ". Aux termes de l'article 3 de ce décret : " Sont considérés comme particulièrement mobilisés au sens de l'article 1er les personnels pour lesquels l'exercice des fonctions a, en raison des sujétions exceptionnelles auxquelles ils ont été soumis pour assurer la continuité du fonctionnement des services, conduit à un surcroît significatif de travail, en présentiel ou en télétravail ou assimilé. ". Aux termes de l'article 7 de ce décret : " Pour l'État, ses établissements publics et ses groupements d'intérêts publics, les bénéficiaires de la prime exceptionnelle et le montant alloué sont déterminés par le chef de service ou l'organe dirigeant ayant autorité sur les personnels. / Le montant de la prime est modulable comme suit, en fonction notamment de la durée de la mobilisation des agents : / - taux n° 1 : 330 euros ; / - taux n° 2 : 660 euros ; / - taux n° 3 : 1 000 euros. / La prime exceptionnelle fait l'objet d'un versement unique. ".
5. Il résulte de ces dispositions qu'une prime exceptionnelle peut être octroyée, par l'administration, aux agents particulièrement mobilisés et ayant connu un surcroît d'activité pour assurer la continuité des services publics dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire déclaré pour faire face à l'épidémie de covid-19. Le montant de cette prime, qui comporte trois taux, est modulable en fonction, notamment, de la durée de mobilisation des agents.
6. Lorsqu'un texte prévoit l'attribution d'un avantage sans avoir défini l'ensemble des conditions permettant de déterminer à qui l'attribuer parmi ceux qui sont en droit d'y prétendre ou de fixer le montant à leur attribuer individuellement, l'autorité compétente peut, qu'elle dispose ou non en la matière du pouvoir réglementaire, encadrer l'action de l'administration, dans le but d'en assurer la cohérence, en déterminant, par la voie de lignes directrices, sans édicter aucune condition nouvelle, des critères permettant de mettre en œuvre le texte en cause, sous réserve de motifs d'intérêt général conduisant à y déroger et de l'appréciation particulière de chaque situation. Dans ce cas, la personne en droit de prétendre à l'avantage en cause peut se prévaloir, devant le juge administratif, de telles lignes directrices si elles ont été publiées.
7. Pour annuler les décisions contestées, le tribunal a considéré qu'en attribuant le taux n° 1 de la prime litigieuse à Mme A..., la direction de l'administration pénitentiaire avait méconnu le critère, fixé à la suite de réunions avec des organisations syndicales, déterminant le montant de la prime exceptionnelle " covid-19 " en fonction du nombre de jours d'absence, retenant, pour les agents autres que les personnels de surveillance affectés en établissement, le taux n° 2 de 660 euros en cas d'absences inférieures ou égales à 16 jours et le taux n° 1 de 330 euros en cas d'absences comprises entre 17 et 30 jours. Toutefois, il ne ressort pas des pièces du dossier que la direction de l'administration pénitentiaire aurait elle-même formalisé et publié de telles lignes directrices. Par suite, et contrairement à ce qu'on retenu les premiers juges, Mme A... ne peut utilement se prévaloir de la méconnaissance du critère susmentionné résultant uniquement des énonciations contenues dans des documents syndicaux retranscrivant les échanges ayant eu lieu entre les syndicats et l'administration pénitentiaire.
8. Il appartient dès lors à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mme A... en première instance et en appel.
9. Il ressort des pièces du dossier que, durant la période de l'état d'urgence sanitaire, Mme A... a connu un surcroît significatif de sa charge de travail lié en particulier à la nécessité de rédiger en urgence des rapports sur des détenus éligibles à une réduction de peine en vue d'augmenter le taux de sorties des détenus et de créer ainsi une zone de confinement au sein de la maison d'arrêt de Saint-Pierre. L'investissement, le professionnalisme et le sens du service public dont la requérante a fait preuve durant cette période ont été unanimement salués par ses supérieurs hiérarchiques. Il ressort également des pièces du dossier que durant la période en cause, une organisation spécifique avait été mise en place par la direction locale du service pénitentiaire d'insertion et de probation. Ainsi, chaque jour ouvré, l'une seulement des trois conseillères d'insertion et de probation de l'antenne milieu fermé de la maison d'arrêt de Saint-Pierre intervenait en présentiel, la deuxième conseillère étant placée en télétravail en " permanence de renfort " et la troisième conseillère étant placée en autorisation d'absence exceptionnelle. Si la direction de l'administration pénitentiaire produit un document selon lequel Mme A... aurait été absente durant 17,5 journées au cours de la période de référence, il résulte des plannings de travail de l'intéressée que ledit document recense à tort 11 jours de télétravail comme des absences, de sorte que la requérante n'a en réalité été absente que 6,5 journées au cours de la période en cause. Toutefois, si Mme A... indique avoir réalisé des heures supplémentaires les jours où elle intervenait en présentiel, elle ne donne aucune indication quant à son temps de travail durant les jours de télétravail et ne soutient pas qu'elle aurait été appelée à intervenir durant les " permanences de renfort ". Dans ces conditions, Mme A... ne démontre pas qu'eu égard à l'ampleur et à la durée de sa mobilisation, la décision en litige lui octroyant le taux n° 1 de la prime exceptionnelle " covid 19 ", soit une somme de 330 euros, serait entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.
10. Il résulte de tout ce qui précède, d'une part, que le garde des sceaux, ministre de la justice est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de La Réunion a annulé les décisions contestées et lui a enjoint d'attribuer à Mme A... le taux n° 2 de la prime exceptionnelle " covid 19 " et de lui verser à ce titre la somme complémentaire de 330 euros, d'autre part, que l'appel incident présenté par Mme A... tendant à ce qu'il soit enjoint à l'administration de lui octroyer le taux n° 3 de ladite prime, soit une somme de 1 000 euros, doit être rejeté.
11. Enfin, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'État, qui n'a pas dans la présente instance la qualité de partie perdante, le versement de quelque somme que ce soit au titre des frais exposés par Mme A... et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2100225 du 13 décembre 2022 du tribunal administratif de La Réunion est annulé.
Article 2 : La demande présentée par Mme A... devant le tribunal administratif de La Réunion, ensemble ses conclusions d'appel, sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au garde des sceaux, ministre de la justice et à Mme B... A....
Délibéré après l'audience du 18 mars 2025 à laquelle siégeaient :
M. Laurent Pouget, président,
Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, présidente-assesseure,
Mme Valérie Réaut, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 9 avril 2025.
La rapporteure,
Marie-Pierre Beuve-DupuyLe président,
Laurent Pouget
Le greffier,
Christophe Pelletier
La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
N° 23BX00432 2