La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

16/04/2025 | FRANCE | N°24BX02692

France | France, Cour administrative d'appel de BORDEAUX, 2ème chambre, 16 avril 2025, 24BX02692


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... G... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 17 novembre 2023 par lequel le préfet de la Gironde a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter délai le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi.



Par un jugement n° 2400945 du 15 octobre 2024, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.



Procédure devant la cour

administrative d'appel :



Par une requête, enregistrée le 15 novembre 2024, M. G..., représenté par

Me...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... G... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 17 novembre 2023 par lequel le préfet de la Gironde a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter délai le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi.

Par un jugement n° 2400945 du 15 octobre 2024, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour administrative d'appel :

Par une requête, enregistrée le 15 novembre 2024, M. G..., représenté par

Me Cesso, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 15 octobre 2024 ;

2°) d'annuler l'arrêté du 17 novembre 2023 du préfet de la Gironde ;

3°) d'enjoindre au préfet de la Gironde de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " ou, à défaut, de procéder au réexamen de sa situation dans un délai d'un mois à compter de la notification de la décision à intervenir, et dans l'attente de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- l'administration devra justifier d'une délégation régulière accordée par le préfet au signataire de l'arrêté en litige ;

- le refus de séjour a méconnu l'article L. 423-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors que le préfet n'établit pas que la reconnaissance de paternité de son enfant française serait frauduleuse, alors qu'il n'avait pas connaissance de l'existence de son enfant auparavant ; en outre il participe à l'entretien et à l'éducation de cette enfant depuis la reconnaissance de paternité en 2021, soit plus de deux ans avant le refus du préfet ;

- cette décision porte une atteinte disproportionnée à son droit de mener une vie privée et familiale normale tel que protégé par les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et méconnaît les dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dès lors qu'il vit depuis 2016 en France, où résident des membres de sa famille, dont sa compagne et sa fille française née en 2010 , qu'il a reconnue en 2021 dès qu'il a appris son existence ;

- ce refus est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle et familiale ;

- ce refus contrevient à l'intérêt supérieur de son enfant protégé par l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant, alors que si sa fille a été placée auprès des services de l'aide sociale à l'enfance du fait de la fragilité de sa mère, il a noué avec elle des liens qui la sécurisent ;

- il était protégé contre une mesure d'éloignement dès lors qu'il remplissait les conditions pour se voir délivrer un titre de séjour de plein droit ;

- la mesure d'éloignement porte une atteinte disproportionnée à son droit de mener une vie privée et familiale normale tel que protégé par les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;

- elle méconnaît l'intérêt supérieur de son enfant protégé par l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.

Par un mémoire en défense enregistré le 4 février 2025, le préfet de la Gironde conclut au rejet de la requête et s'en remet à ses écritures de première instance.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme C... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. G..., ressortissant marocain né en 1986, a déposé le 29 juin 2023 une demande de titre de séjour en se prévalant de sa qualité de parent d'une enfant française née le 30 octobre 2010, qu'il a reconnue le 8 octobre 2021. Le préfet de la Gironde, par un arrêté du

17 novembre 2023, a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi. M. G... relève appel du jugement du 15 octobre 2024 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

2. Aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". Il résulte de ces stipulations, qui peuvent être utilement invoquées à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir, que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant. Elles sont applicables non seulement aux décisions qui ont pour objet de régler la situation personnelle d'enfants mineurs mais aussi à celles qui ont pour effet d'affecter, de manière suffisamment directe et certaine, leur situation.

3. En premier lieu, M. G... a expliqué la tardiveté de sa reconnaissance de paternité le 8 octobre 2021 sur une enfant née en octobre 2010 par le fait que, lorsqu'il est retourné au Maroc au début de l'année 2010, il ignorait que sa compagne dont il venait de se séparer, qui était elle-même en instance de divorce depuis 2008, était enceinte, et qu'il ne l'a retrouvée que beaucoup plus tard en 2021, et n'a appris qu'alors sa paternité. Si le préfet met en doute ces allégations, son signalement auprès du procureur de la République est resté sans suite et la démonstration n'est pas apportée que cette reconnaissance serait frauduleuse.

4. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 423-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France et qui établit contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil, depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins deux ans, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. " Aux termes de l'article L. 423-8 du même code : " Pour la délivrance de la carte de séjour prévue à l'article L. 423-7, lorsque la filiation est établie à l'égard d'un parent en application de l'article 316 du code civil, le demandeur, s'il n'est pas l'auteur de la reconnaissance de paternité ou de maternité, doit justifier que celui-ci contribue effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant, dans les conditions prévues à l'article 371-2 du code civil, ou produire une décision de justice relative à la contribution à l'éducation et à l'entretien de l'enfant. / Lorsque le lien de filiation est établi mais que la preuve de la contribution n'est pas rapportée ou qu'aucune décision de justice n'est intervenue, le droit au séjour du demandeur s'apprécie au regard du respect de sa vie privée et familiale et au regard de l'intérêt supérieur de l'enfant. ". Aux termes de l'article 371-2 du code civil : " Chacun des parents contribue à l'entretien et à l'éducation des enfants à proportion de ses ressources, de celles de l'autre parent, ainsi que des besoins de l'enfant. (...) ".

5. Aux termes de l'article 375 du même code, dans sa rédaction alors en vigueur : " Si la santé, la sécurité ou la moralité d'un mineur non émancipé sont en danger, ou si les conditions de son éducation ou de son développement physique, affectif, intellectuel et social sont gravement compromises, des mesures d'assistance éducative peuvent être ordonnées par justice (...) ". Aux termes de l'article 375-3 du même code, dans sa rédaction alors en vigueur :

" Si la protection de l'enfant l'exige, le juge des enfants peut décider de le confier : / (...) 3° A un service départemental de l'aide sociale à l'enfance (...) ". Aux termes de l'article 375-7 du même code : " Les père et mère de l'enfant bénéficiant d'une mesure d'assistance éducative continuent à exercer tous les attributs de l'autorité parentale qui ne sont pas inconciliables avec cette mesure (...) ". Aux termes de l'article 375-8 du même code : " Les frais d'entretien et d'éducation de l'enfant qui a fait l'objet d'une mesure d'assistance éducative continuent d'incomber à ses père et mère (...), sauf la faculté pour le juge de les en décharger en tout ou en partie ". Il résulte de ces dispositions que la circonstance qu'un enfant de nationalité française a fait l'objet d'une mesure d'assistance éducative ne fait pas obstacle, par elle-même, à ce que son père ou sa mère étrangers puisse obtenir un titre de séjour en tant que parent de cet enfant s'il contribue effectivement à son entretien et à son éducation conformément aux décisions de justice en définissant les modalités.

6. Il ressort des pièces du dossier de première instance que M. G... a repris la vie commune avec Mme F..., mère de sa fille, qu'ils ont fait ensemble le 8 octobre 2021 une déclaration de changement du nom de l'enfant, puis le 31 mai 2023 une déclaration d'exercice conjoint de l'autorité parentale, et que si par un jugement du 26 septembre 2023, le juge des enfants a renouvelé le placement en assistance éducative de la jeune B... compte tenu de la persistance des fragilités maternelles, il a pris acte de la construction naissante d'un lien avec le père, " à travailler de façon plus fréquente ", et du souhait de la jeune fille de retourner vivre avec ses parents lorsqu'ils seront mieux logés.

7. Si compte tenu du caractère très récent de cette décision juridictionnelle à la date de la décision du préfet du 17 novembre 2023, M. G... ne pouvait apporter beaucoup d'éléments établissant l'exécution de cette décision, il ressort cependant des attestations de visite à sa fille en juillet et août 2023 établies par la maison d'enfants François Constant, des quelques factures d'achats notamment de vêtements, ainsi que des photographies et de la lettre de la jeune B... elle-même, produites pour la première fois en appel, que le lien avec son père était effectivement en cours de constitution. Au regard des difficultés rencontrées par la jeune fille au cours de son parcours familial et scolaire et des fragilités maternelles, M. G... est fondé à soutenir que la décision préfectorale est contraire à l'intérêt supérieur de B... et méconnaît ainsi l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant.

8. Il résulte de ce qui précède que le jugement et la décision refusant un titre de séjour à M. G... doivent être annulés, et qu'il y a lieu d'enjoindre au préfet de délivrer à celui-ci une carte de séjour, dans un délai de trois mois à compter de la notification de la présente décision.

9. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros à verser à M. G... sur le fondement de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : La décision du préfet de la Gironde du 17 novembre 2023 et le jugement du 15 octobre 2024 du tribunal administratif de Bordeaux sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au préfet de la Gironde de délivrer à M. G... un titre de séjour en qualité de parent d'enfant français dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : L'Etat versera à M. G... une somme de 1 200 euros sur le fondement de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... G..., au ministre de l'intérieur et au préfet de la Gironde.

Délibéré après l'audience du 25 mars 2025 à laquelle siégeaient :

Mme Catherine Girault, présidente,

Mme Sabrina Ladoire, présidente-assesseure,

M. D... E..., président- assesseur.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 avril 2025.

L'assesseur le plus ancien,

D... E...La présidente, rapporteure

Catherine C...

La greffière,

Virginie Guillout

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 24BX02692


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 24BX02692
Date de la décision : 16/04/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme GIRAULT
Rapporteur ?: Mme Catherine GIRAULT
Rapporteur public ?: Mme ISOARD
Avocat(s) : CESSO

Origine de la décision
Date de l'import : 20/04/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-04-16;24bx02692 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award