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03/06/2025 | FRANCE | N°23BX00573

France | France, Cour administrative d'appel de BORDEAUX, 3ème chambre, 03 juin 2025, 23BX00573


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler, d'une part, la décision de la préfète de la Gironde du 23 mars 2021 ordonnant la saisie par les services de police de toutes les armes, munitions et leurs éléments en sa possession quelle que soit leur catégorie, lui interdisant d'acquérir ou de détenir des armes, munitions et leurs éléments quelle que soit leur catégorie, inscrivant cette interdiction au fichier national des interdits d'acquisition et de dét

ention d'armes, d'autre part, la décision de la préfète de la Gironde du 24 mars ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler, d'une part, la décision de la préfète de la Gironde du 23 mars 2021 ordonnant la saisie par les services de police de toutes les armes, munitions et leurs éléments en sa possession quelle que soit leur catégorie, lui interdisant d'acquérir ou de détenir des armes, munitions et leurs éléments quelle que soit leur catégorie, inscrivant cette interdiction au fichier national des interdits d'acquisition et de détention d'armes, d'autre part, la décision de la préfète de la Gironde du 24 mars 2022 ordonnant la saisie définitive des armes et munitions lui appartenant, prévoyant la vente ou la cession de ces armes et munitions et lui interdisant d'acquérir ou de détenir des armes, munitions et leurs éléments quelle que soit leur catégorie.

Par un jugement n°s 2103257, 2201982 du 9 janvier 2023, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté ces demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés les 28 février 2023, 5 avril 2024 et 27 juin 2024, M. A..., représenté par Me Boulé, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler le jugement du 9 janvier 2023 du tribunal administratif de Bordeaux ;

2°) d'annuler les décisions de la préfète de la Gironde des 23 mars 2021 et 24 mars 2022 ;

3°) de condamner l'État à lui verser une somme totale de 9 300 euros en réparation de ses préjudices matériel et moral ;

4°) de mettre à la charge de l'État une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- ses conclusions indemnitaires, qui tendent à la réparation des préjudices subis du fait de la vente de ses armes intervenue le 6 mai 2023, ne pouvaient pas être présentées au cours de la première instance et sont donc recevables ;

- ces conclusions sont fondées ; cette vente, intervenue en dépit de la suspension de la vente par le juge des référés du tribunal administratif, a porté atteinte à son droit de propriété et à son droit à un recours effectif ; il a subi un préjudice matériel lié à la modicité du prix de vente de ces armes ; il a également subi un préjudice moral ;

- les décisions en litige reposent sur une erreur d'appréciation ; il présente une personnalité calme, empreinte de sérénité et de maîtrise de soi ; il a une longue expérience de la pratique et de l'enseignement des arts martiaux ; la circonstance qu'il ait renouvelé ses demandes de restitution de ses armes ne révèle pas un harcèlement à l'égard de l'administration ; il convient de tenir compte du fait qu'il a été définitivement relaxé des poursuites engagées à son encontre pour dénonciation de faits imaginaires ; il produit plusieurs certificats médicaux concordants attestant de la compatibilité de son état de santé avec la détention d'armes et de munitions.

Par des mémoires, enregistrés les 11 mai 2023 et 27 mai 2024, le préfet de la Gironde conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- les conclusions indemnitaires de M. A... sont nouvelles en appel et, par suite, irrecevables ; en tout état de cause, la vente des armes de l'intéressé ne revêt pas un caractère fautif ;

- les moyens invoqués par l'appelant à l'appui de la contestation des décisions en litige ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 28 juin 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 6 septembre 2024.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la sécurité intérieure ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy,

- les conclusions de M. Julien Dufour, rapporteur public,

- et les observations de Me Pétard, substituant Me Boulé, représentant M. A....

Considérant ce qui suit :

1. Par un arrêté du 23 mars 2021, la préfète de la Gironde, sur le fondement des articles L. 312-7, L. 312-10 et L. 312-16 du code de la sécurité intérieure, a ordonné la saisie des armes et munitions et leurs éléments en possession de M. A..., a interdit à ce dernier d'acquérir ou de détenir des armes, des munitions et leurs éléments et a inscrit cette inscription au fichier national des interdits d'acquisition et de détention d'armes. Par un second arrêté du 24 mars 2022, la préfète de la Gironde, sur le fondement du deuxième aliéna de l'article L. 312-9 du même code, a ordonné la saisie définitive des armes et munitions appartenant à M. A... et a prévu leur vente. M. A... relève appel du jugement du 9 janvier 2023 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté ses demandes tendant à l'annulation de ces arrêtés et demande à la cour de condamner l'État à lui verser une somme de 9 300 euros en réparation de ses préjudices matériel et moral qu'il estime avoir subis du fait de la vente aux enchères publiques de ses armes intervenue le 6 mai 2023.

Sur la fin de non-recevoir opposée par le préfet de la Gironde :

2. Ainsi que le fait valoir le préfet de la Gironde, les conclusions indemnitaires de M. A... sont nouvelles en appel et, par suite, irrecevables. Elles ne peuvent, par suite, qu'être rejetées.

Sur la légalité des arrêtés de la préfète de la Gironde des 23 mars 2021 et 24 mars 2022 :

3. Aux termes de l'article L. 312-7 du code de la sécurité intérieure : " Si le comportement ou l'état de santé d'une personne détentrice d'armes, de munitions et de leurs éléments présente un danger grave pour elle-même ou pour autrui, le représentant de l'État dans le département peut lui ordonner, sans formalité préalable ni procédure contradictoire, de les remettre à l'autorité administrative, quelle que soit leur catégorie. ". Aux termes de l'article R. 312-67 du même code : " Le préfet ordonne la remise ou le dessaisissement de l'arme ou de ses éléments dans les conditions prévues aux articles L. 312-7 ou L. 312-11 lorsque : 3° Il résulte de l'enquête diligentée par le préfet que le comportement du demandeur ou du déclarant est incompatible avec la détention d'une arme (...) ".

4. Aux termes de l'article L. 312-9 du code de la sécurité intérieure : " La conservation de l'arme, des munitions et de leurs éléments remis ou saisis est confiée pendant une durée maximale d'un an aux services de la police nationale ou de la gendarmerie nationale territorialement compétents. / Durant cette période, le représentant de l'État dans le département décide, après que la personne intéressée a été mise à même de présenter ses observations, soit la restitution de l'arme, des munitions et de leurs éléments, soit leur saisie définitive. / Les armes, munitions et leurs éléments définitivement saisis en application du précédent alinéa sont vendus aux enchères publiques. Le produit net de la vente bénéficie aux intéressés ". Aux termes de l'article R. 312- 69 de ce code : " Avant de prendre la décision prévue au deuxième alinéa de l'article L. 312-9, le préfet invite la personne qui détenait l'arme et les munitions à présenter ses observations, notamment quant à son souhait de les détenir à nouveau et quant aux éléments propres à établir que son comportement ou son état de santé ne présente plus de danger grave et immédiat pour elle-même ou pour autrui, au vu d'un certificat médical délivré par un médecin spécialiste mentionné à l'article R. 312-6 ".

5. Enfin, aux termes de l'article L. 312-10 du même code : " Il est interdit aux personnes dont l'arme, les munitions et leurs éléments ont été saisis en application de l'article L. 312-7 ou de l'article L. 312-9 d'acquérir ou de détenir des armes, munitions et leurs éléments, quelle que soit leur catégorie. / (...) . Aux termes de l'article L. 312-16 de ce code : " Un fichier national automatisé nominatif recense : 1° Les personnes interdites d'acquisition et de détention d'armes, de munitions et de leurs éléments en application des articles L. 312-10 et L. 312-13 (...) ".

6. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que M. A... a sollicité le 4 janvier 2021 le renouvellement de l'autorisation de détention de quatorze armes à feu qu'il possédait dans le cadre de la pratique du tir sportif. La décision lui accordant le renouvellement sollicité lui a été adressé sous pli recommandé. Lors de la réception du pli, le 6 mars 2021, M. A... a constaté que le courrier avait été ouvert par erreur par La Poste. Par un courriel du 7 mars 2021, il a signalé au préfet de la Gironde son inquiétude, estimant que, du fait de cette ouverture du pli, n'importe qui avait pu prendre connaissance des documents qu'il contenait, et évoquant un risque de cambriolage, d'usurpation d'identité, de falsification en vue de l'achat frauduleux d'armes ou de " manipulation politique ". Par un deuxième courriel adressé le 8 mars 2021 au ministre de l'intérieur, M. A... a expliqué avoir été inquiété et menacé, l'année précédente, par les services de renseignement intérieur en représailles à son refus de leur donner accès au fichier des adhérents de son association d'arts martiaux, puis a fait état de l'ouverture du pli contenant la décision renouvelant son autorisation de détention d'armes à feu, a indiqué être " particulièrement en danger " en raison, notamment, du risque d'attaque dont lui-même ou son épouse pourrait être l'objet, et a évoqué à nouveau une " manipulation politique ". Par un nouveau courriel adressé le 10 mars 2021 à l'inspection générale de la police nationale, M. A... s'est plaint du refus des services de police d'enregistrer sa plainte à la suite de l'ouverture du pli ci-dessus mentionné, a évoqué le risque encouru par lui-même ou son épouse qu'un individu mal intentionné les menace à l'aide d'un couteau au cours d'une promenade de leur chien pour les obliger à lui donner les armes et munitions en leur possession, a qualifié ce risque d' " agression à la Charlie Hebdo " et a précisé avoir transmis des " informations croustillantes " à un procureur et à un journaliste. Le même jour, en fin de journée, M. A... a été découvert, allongé et la main ensanglantée, dans un parc. Il a indiqué qu'alors qu'il promenait son chien, un individu encagoulé lui avait asséné un premier coup de couteau dans le dos puis un second coup de couteau dans une main, placée devant sa gorge en guise de protection, et avait ensuite pris la fuite en criant notamment " Allah Akbar ". Si M A... a, par un jugement correctionnel du tribunal judiciaire de Bordeaux du 27 octobre 2021, été relaxé, au bénéfice du doute, des poursuites engagées à son encontre pour dénonciation de faits imaginaires entrainant des recherches inutiles, cette prétendue agression, sans aucun témoin, correspond exactement à celle que le requérant indiquait risquer dans son courriel du jour même. Enfin, selon le rapport établi le 19 mars 2021 par une commissaire divisionnaire de la direction départementale de la sécurité publique de la Gironde, M. A..., entendu le 18 mars 2021 dans les locaux des services de police, s'est montré agité, s'est dit victime des services de police et a indiqué qu'il envisageait de médiatiser le fait qu'on retienne ses armes.

7. Le comportement et les propos tenus par M. A... à partir du 7 mars 2021, à la suite d'un incident anodin, révèlent un état psychique particulièrement instable et agité, et l'expertise psychiatrique diligentée le 1er avril 2021 a d'ailleurs relevé des traits de personnalité obsessionnelle. Si le requérant produit des certificats médicaux établis en avril 2021 par deux médecins généralistes et un psychiatre selon lesquels son état physique et psychique ne serait pas incompatible avec la détention d'armes à feu, ces certificats sont rédigés en termes convenus et il ne ressort pas des pièces que leurs auteurs suivaient régulièrement M. A... au cours de la période en cause. Dans ces conditions, en édictant l'arrêté du 23 mars 2021 au motif que le comportement de M. A... faisait craindre une action individuelle potentiellement dangereuse pour lui-même ou autrui si ses armes restaient en sa possession, la préfète de la Gironde ne s'est pas livrée à une inexacte application des dispositions précitées de l'article L. 312-7 du code de la sécurité intérieure.

8. En second lieu, le préfet de la Gironde affirme, sans être contredit sur ce point, que, postérieurement à l'édiction de l'arrêté du 23 mars 2021, M. A... a adressé plus de soixante-dix courriels aux services de la préfecture. Il produit une partie de ces messages, qui reviennent notamment sur l'incident du 6 mars 2021, à savoir l'ouverture du pli contenant la décision de renouvellement d'autorisation de détention d'armes à feu, et dont la tonalité générale traduit la persistance d'un sentiment de persécution. Dans ces conditions, et alors même que le requérant produit des certificats médicaux, en particulier une évaluation psychiatrique du 2 février 2023, selon lesquels son état de santé n'est pas incompatible avec la détention d'armes, la préfète de la Gironde n'a pas commis d'erreur d'appréciation en estimant que son comportement, au vu en particulier de la multiplication de ses messages et leur tonalité, présentait toujours un danger grave et immédiat pour lui-même ou pour autrui. Il s'ensuit que l'arrêté du 24 mars 2022 ne repose pas sur une inexacte application des dispositions précitées du deuxième aliéna de l'article L. 312-9 du code de la sécurité intérieure.

9. Il résulte de tout de ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté ses demandes. Ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, par suite, être accueillies.

DECIDE :

Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet de la Gironde.

Délibéré après l'audience du 13 mai 2025 à laquelle siégeaient :

M. Laurent Pouget, président,

Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, présidente-assesseure,

Mme Valérie Réaut, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 3 juin 2025.

La rapporteure,

Marie-Pierre Beuve Dupuy

Le président,

Laurent Pouget Le greffier,

Christophe Pelletier

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 23BX00573


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 23BX00573
Date de la décision : 03/06/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. POUGET
Rapporteur ?: Mme Marie-Pierre BEUVE-DUPUY
Rapporteur public ?: M. DUFOUR
Avocat(s) : BOULÉ

Origine de la décision
Date de l'import : 07/06/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-06-03;23bx00573 ?
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