Vu le recours, enregistré le 2 février 2000 au greffe de la Cour administrative d'appel de Douai, sous les nos00DA00163 et 00DA00341, présenté par le MINISTRE DE L'EQUIPEMENT, DES TRANSPORTS ET DU LOGEMENT ; le ministre demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 9702346 du 25 novembre 1999 par lequel le Tribunal administratif de Lille a fait partiellement droit à la demande de l'indivision X tendant à la réparation des préjudices occasionnés à sa propriété par les opérations de remembrement conduites sur la commune de Leffrinckoucke (Nord) afin d'implanter la rocade littorale et par la présence dudit ouvrage public routier ;
2°) de condamner l'indivision X à supporter les frais de l'expertise, taxés et liquidés à la somme de 9 973 francs (1 520,37 euros) ;
3°) de condamner l'indivision X à lui verser une somme de 5 000 francs (762,25 euros) au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;
Il soutient, à titre principal, que la demande présentée par l'indivision X devant le Tribunal administratif de Lille était irrecevable, les pièces du dossier étant insuffisantes pour établir que les héritiers de Mme Monique X étaient toujours propriétaires indivis de l'exploitation de Leffrinckoucke ; qu'en outre, faute pour l'indivision X d'avoir contesté devant la commission départementale d'aménagement foncier l'attribution des parcelles ZA 2 et ZC 10 de ladite commune dans le cadre des opérations de remembrement, sa demande indemnitaire présentée directement devant le juge était irrecevable ; à titre subsidiaire, que c'est à tort que le Tribunal a considéré que l'allongement de parcours allégué revêtait un caractère anormal ouvrant droit à indemnisation ; que, dans l'hypothèse où la Cour considérait qu'il s'agit d'un dommage anormal, le préjudice correspondant devrait être apprécié au regard des améliorations que le remembrement a apporté à la situation globale de l'exploitation ; qu'enfin, contrairement à ce qu'a estimé le Tribunal, les intérêts sur la somme de 18 850 francs que l'Etat a été condamné à verser à l'indivision X n'étaient dus au plus tôt qu'à compter de la date d'enregistrement de sa demande ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 19 mai 2000, présenté pour l'indivision X, constituée de Mme Brigitte Y née X, demeurant ...,
Mme Sabine Z née X, demeurant ...,
M. Michel Y et Mlle Thérèse-Marie Y, demeurant tous deux ..., M. et Mme Yves Y, demeurant ..., ainsi que de M. et Mme Philippe A, demeurant ..., par Me Marmu ; elle conclut au rejet du recours et, par la voie de l'appel incident, à ce qu'il soit fait droit à sa demande de première instance, ainsi qu'à la condamnation de l'Etat à lui verser une somme de 40 000 francs (6 097,96 euros) au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; elle soutient, à titre principal, que le recours du ministre est irrecevable comme tardif ; à titre subsidiaire au fond, elle réitère l'argumentation développée en première instance ; elle y ajoute que, de par sa connaissance des circonstances qui ont précédé l'action contentieuse, l'administration est malvenue de soutenir qu'elle n'aurait pas saisi la commission départementale d'aménagement foncier ; que son intérêt à agir est parfaitement établi ; que le préjudice allégué est réel et ressort clairement du rapport de l'expert ;
Vu l'ordonnance en date du 19 février 2004 par laquelle le président de la 2ème chambre de la cour administrative d'appel de Douai fixe la clôture de l'instruction au 22 mars 2004 à
16 heures 30 ;
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu la loi du 28 pluviôse an VIII ;
Vu la loi n° 62-933 du 8 août 1962 complémentaire à la loi d'orientation agricole et notamment son article 10, modifié par le VI de l'article 28 de la loi n° 80-502 du 4 juillet 1980 ;
Vu le code rural ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 26 octobre 2004 à laquelle siégeaient M. Gipoulon, président de chambre, Mme Signerin-Icre, président-assesseur et Mme Eliot, conseiller :
- le rapport de Mme Signerin-Icre, président-assesseur ;
- les observations de Me Marmu, pour l'indivision X ;
- et les conclusions de M. Paganel, commissaire du gouvernement ;
Considérant que, par un recours enregistré au greffe sous le n°00DA00341, LE MINISTRE DE L'EQUIPEMENT, DES TRANSPORTS ET DU LOGEMENT forme appel du jugement en date du 25 novembre 1999 par lequel le Tribunal administratif de Lille a condamné l'Etat à verser à l'indivision X une indemnité au titre de la perte de valeur vénale subie par sa propriété consécutivement aux opérations de remembrement conduites sur la commune de Leffrinckoucke (Nord) afin d'implanter la rocade littorale et à raison de la présence dudit ouvrage public routier ; que l'indivision X demande, par la voie de l'appel incident, qu'il soit fait droit à la demande d'indemnisation de l'intégralité de ses préjudices qu'elle a présentée devant les premiers juges ; que le document enregistré au greffe sous le n°00DA00163 constitue en réalité le double du recours présenté par le ministre et enregistré sous le n°00DA00341 ; que ce document doit être rayé des registres du greffe de la Cour et joint au recours n°00DA00341, sur lequel il est statué par le présent arrêt ;
Sur la recevabilité de la demande présentée par l'indivision X devant le Tribunal administratif de Lille :
Considérant, en premier lieu, que si le ministre soutient que la composition de l'indivision X n'était pas certaine à la date de l'enregistrement de sa demande devant le tribunal administratif au motif que certains membres avaient pu céder leurs droits de propriétaire indivis depuis le 2 juillet 1993, date à laquelle l'acte notarié versé au dossier pour justifier de sa qualité pour agir a été dressé, il ne produit, à l'appui de cette allégation, aucun élément permettant à la Cour d'en examiner le bien-fondé ;
Considérant, en second lieu, qu'aux termes de l'article 2-4 du code rural alors en vigueur : Les décisions prises par la commission communale d'aménagement foncier peuvent être portées par les intéressés (...) devant la commission départementale d'aménagement foncier ; qu'aux termes de l'article 2-7 de ce code : La commission départementale d'aménagement foncier a qualité pour modifier les opérations décidées par la commission communale ou intercommunale d'aménagement foncier. Ses décisions peuvent, à l'exclusion de tout recours administratif, faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir (...) devant le tribunal administratif ; qu'il résulte de ces dispositions que les recours administratifs devant la commission communale d'aménagement foncier puis la commission départementale d'aménagement foncier constituent des recours administratifs obligatoires préalables aux recours contentieux formés contre les décisions relatives au remembrement ;
Considérant qu'aux termes de l'article 10 de la loi du 8 août 1962, modifié par le VI de l'article 28 de la loi du 4 juillet 1980, alors en vigueur : Lorsqu'un remembrement est réalisé en application du présent article, les dispositions du chapitre III du titre 1er du livre 1er du code rural sont applicables. Toutefois, sont autorisées les dérogations aux dispositions de l'article 19 du code rural qui seraient rendues inévitables en raison de l'implantation de l'ouvrage et des caractéristiques de la voirie mise en place à la suite de sa réalisation. Les dommages qui peuvent en résulter pour certains propriétaires et qui sont constatés à l'achèvement des opérations de remembrement sont considérés comme des dommages de travaux publics. ;
Considérant qu'il résulte de l'ensemble des dispositions qui précèdent que, lorsqu'un remembrement est effectué en vue de la réalisation d'un grand ouvrage public et qu'il apparaît inévitable de déroger aux dispositions de l'article 19 du code rural, les propriétaires pour lesquels, du fait de ces dérogations, des préjudices subsistent au terme des opérations de remembrement, sont fondés à demander au maître de l'ouvrage réparation des dommages résultant de ces opérations, constatés à l'issue de celles-ci, à titre de dommages de travaux publics ; que les commissions communales et départementales d'aménagement foncier, qui sont dépourvues de compétence pour allouer des indemnités portant réparation de ces préjudices, ne peuvent connaître de demandes tendant à l'attribution de telles indemnités ; que, toutefois, la nature et l'étendue des dommages, dans la mesure où ils résultent de dérogations apportées aux règles qui s'appliquent aux opérations de remembrement, ne peuvent être constatées qu'une fois que la procédure administrative de remembrement a été menée à son terme ; qu'il suit de là que le juge administratif ne peut être éventuellement saisi d'une demande de réparation des dommages pouvant subsister, à titre de dommages de travaux publics, qu'après que les opérations de remembrement ont été préalablement contestées devant la commission départementale d'aménagement foncier aux fins de supprimer ou, à tout le moins de réduire, les dommages subis ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Lille a estimé que l'indivision X était recevable, en application des dispositions précitées, à saisir directement la juridiction administrative en l'absence de toute saisine préalable de la commission départementale d'aménagement foncier d'une demande tendant à l'indemnisation des préjudices subis par elle en conséquence des opérations de remembrement de la commune de Leffrinckoucke effectué en vue de la réalisation de l'ouvrage public précité ;
Considérant, toutefois, qu'il appartient à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par l'indivision X devant le Tribunal administratif de Lille ; que ladite indivision se prévaut expressément en appel , dans son mémoire susvisé auquel le ministre n'a pas répliqué, qu'elle avait donné mandat aux locataires de son exploitation aux fins de saisir en son nom la commission départementale d'aménagement foncier du Nord d'une contestation relative aux parcelles qui lui ont été attribuées dans le cadre des opérations de remembrement de la commune de Leffrinckoucke, et que cette commission a, par décision en date du 4 octobre 1990, invité ses représentants à présenter une demande d'indemnisation à l'Etat en application de l'article 10 précité de la loi du 8 août 1962 ; qu'il résulte de l'instruction que l'indivision X a d'ailleurs, en conséquence de cette décision, adressé le
21 septembre 1993 une demande d'indemnisation au directeur départemental de l'équipement du département du Nord ; que, dès lors, le ministre n'est pas fondé à se plaindre que les premiers juges aient partiellement fait droit aux conclusions dont ils étaient saisis ;
Sur le montant du préjudice subi par l'indivision X :
Considérant que le ministre soutient à titre subsidiaire que les premiers juges ont surévalué le préjudice subi par l'indivision X ; que celle-ci demande, par la voie de l'appel incident, qu'il soit fait droit à ses conclusions de première instance tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 355 000 francs (54 119,40 euros) correspondant à la perte de valeur vénale de sa propriété telle qu'elle a été évaluée par l'expert désigné par le juge des référés du Tribunal administratif de Lille ;
Considérant, d'une part, qu'il résulte de l'instruction, que l'implantation de la rocade littorale a eu pour effet de scinder l'exploitation agricole dont il s'agit, jusqu'alors constituée de terres d'un seul tenant représentant une surface de 57ha 26a 7ca, en deux parcelles cadastrées ZC 10 et ZA 2, de surfaces respectives de 45ha 64a et de 8ha 19a 60ca, l'accès jusqu'alors direct à la parcelle ZA 2 ne pouvant désormais se faire que moyennant un détour par le chemin départemental n° 79 peu adapté au passage d'engins agricoles de grand gabarit ;
Considérant, d'autre part, qu'il résulte également de l'instruction que, comme le ministre le fait valoir, les opérations de remembrement ont permis d'améliorer notablement les contours de la parcelle ZC 10, parcelle principale de la propriété où est implanté le corps de ferme et qui comportait jusqu'alors de nombreuses excroissances, et de raccourcir la distance séparant le centre de l'exploitation de la limite Sud-Est de ladite parcelle, ces deux améliorations étant de nature à rendre son exploitation à l'aide de matériels modernes plus aisée ;
Considérant qu'il suit de là que, compte tenu des données de l'espèce, il sera fait une juste appréciation du préjudice subi par l'indivision X en conséquence des opérations de remembrement ayant permis l'implantation de la rocade littorale en l'évaluant à la somme de
30 000 euros ; qu'ainsi, l'indivision X est fondée à soutenir qu'en fixant à la somme de
18 850 francs (2 873,66 euros) le montant de la condamnation de l'Etat, le Tribunal n'a pas fait une juste appréciation des circonstances de l'espèce ; qu'il y a lieu de réformer en conséquence le jugement attaqué ;
Sur les intérêts :
Considérant qu'ainsi que l'ont estimé les premiers juges et contrairement à ce que soutient le ministre en appel, l'indivision X a droit, ainsi qu'elle le demande, aux intérêts sur la somme de 30 000 euros à compter du 1er juillet 1994, date de réception par l'Etat de sa première demande d'indemnisation ;
Sur les frais de l'expertise :
Considérant qu'eu égard à ce qui précède, les frais de l'expertise, taxés et liquidés à la somme de 9 973 francs (1 520,37 euros), doivent être laissés à la charge de l'Etat ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que l'article L. 761-1 du code de justice administrative dispose que : Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. ;
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de condamner l'Etat à verser à l'indivision X une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
DÉCIDE :
Article 1er : Les productions n°00DA00163 seront rayées du registre du greffe de la Cour pour être jointes au recours n°00DA00341.
Article 2 : Le recours du MINISTRE DE L'EQUIPEMENT, DES TRANSPORTS ET DU LOGEMENT est rejeté.
Article 3 : La somme de 2 873,66 euros que l'Etat a été condamné à verser, par le jugement n° 9702346 du Tribunal administratif de Lille en date du 25 novembre 1999, à l'indivision X est portée à la somme de 30 000 euros.
Article 4 : L'article 1er du jugement n° 9702346 susvisé est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 5 : L'Etat versera à l'indivision X une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
Article 6 : Le surplus du recours incident de l'indivision X est rejeté.
Article 7 : Le présent arrêt sera notifié au MINISTRE DE L'EQUIPEMENT, DES TRANSPORTS, DE L'AMENAGEMENT DU TERRITOIRE, DU TOURISME ET DE LA MER, à Mme Brigitte Y née X, à Mme Sabine Z née X, à M. Michel Y, à Mlle Thérèse-Marie Y, à M. et Mme Yves Y, ainsi qu'à M. et Mme Philippe A.
Copie sera transmise au préfet du Nord.
Délibéré après l'audience du 26 octobre 2004, à laquelle siégeaient :
- M. Gipoulon, président de chambre,
- Mme Signerin-Icre, président-assesseur,
- Mme Eliot, conseiller,
Lu en audience publique, le 9 novembre 2004.
Le rapporteur,
Signé : C. SIGNERIN-ICRE
Le président de chambre,
Signé : J.F. GIPOULON
Le greffier,
Signé : G. VANDENBERGHE
La République mande et ordonne au ministre de l'équipement, des transports, de l'aménagement du territoire, du tourisme et de la mer en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme
Le Greffier
G. VANDENBERGHE
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Nos00DA00163,00DA00341