Vu la requête, enregistrée le 9 décembre 2002, présentée pour M. Michel X, demeurant ..., par la société civile professionnelle d'avocats Bonutto Becavin et Robert ; M. X demande à la Cour :
1') d'annuler le jugement n° 99-2168 en date du 25 septembre 2002 par lequel le Tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande tendant à la condamnation de la commune de Grand-Couronne à l'indemniser des préjudices qu'il a subis du fait de la perte de son emploi ;
2°) de condamner la commune de Grand-Couronne à lui payer 80 493,08 euros en réparation de ses préjudices ;
3°) de condamner ladite commune à lui payer la somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Il soutient que sa demande au tribunal administratif, précédée de la saisine du conseil des prud'hommes était recevable ; qu'il était agent public dès lors qu'il exerçait les fonctions de responsable de la société d'économie mixte locale ; qu'il ne pouvait donc être licencié par la société d'économie mixte aux seuls motifs que celle-ci allait être dissoute et l'exploitation de ses activités reprises par la commune de Grand-Couronne ; que la société d'économie mixte fonctionnait comme un service public administratif de septembre 1992 à décembre 1995 ; que le financement public était prépondérant ; que le conseil municipal fixait la participation demandée aux usagers ; que la commune était depuis fin 1994 actionnaire à 80 % ; qu'elle était le véritable gestionnaire du complexe sportif ; que le complexe sportif a été exploité comme un service public administratif en régie à compter de janvier 1996, alors qu'il n'a été licencié que le
2 mai 1996 ; que la commune devait reprendre tous les contrats des personnels ; que la commune s'est substituée à la société d'économie mixte pour lui notifier son licenciement ; qu'il est le seul salarié de la SEML auquel aucun emploi n'a été proposé au sein du complexe sportif alors que son poste n'a pas été supprimé ; que le véritable motif est d'ordre politique ; que la commune qui était tenue de le reclasser ne lui a pas fait une offre d'emploi sérieuse ; que la commune a commis une faute ; qu'elle doit réparer son préjudice évalué à deux années de salaires ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 10 janvier 2003, présenté pour la commune de Grand-Couronne représentée par son maire en exercice, par Me Weyl, avocat, qui conclut au rejet de la requête et à la condamnation de M. X à lui payer la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; elle soutient que la demande formulée par M. X devant le conseil des prud'hommes ne peut valoir réclamation préalable, dès lors qu'elle ne comportait aucun élément permettant à la commune de prendre position ; qu'il n'est pas établi que la demande formulée par M. X devant le conseil des prud'hommes portait sur le même montant et avait le même objet ; que la commune n'ayant pas procédé au licenciement de M. X, la requête de ce dernier dirigée contre elle est irrecevable ; que
M. X était salarié de droit privé ; que les dispositions de l'article L. 122-12 du code du travail ne s'appliquent pas lors de la reprise par une collectivité publique d'un service précédemment exploité par une personne morale de droit privé ; que les décisions prises par la commune en vue de réorganiser le fonctionnement de la piscine n'ont fait l'objet d'aucune contestation ; que la commune s'est bornée à informer le public de ce projet ; que les personnels ont été repris dans le respect des textes ; que M. X a refusé l'offre qui lui a été faite, alors que la commune n'avait aucune obligation envers lui et n'était notamment pas tenue de le reclasser ; qu'aucune faute ne peut lui être imputée ; que M. X ne justifie pas l'évaluation de son préjudice ;
Vu la lettre en date du 9 novembre 2004 par laquelle le président de la 3ème chambre a informé les parties en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative que la solution du litige était susceptible d'être fondée sur le moyen relevé d'office tiré de ce que le litige ne ressortit pas à la compétence de la juridiction administrative en tant que M. X se prévaut des dispositions de l'article L. 122-12 du code du travail ;
Vu les observations, enregistrées le 15 novembre 2004, présentées pour la commune de Grand-Couronne qui fait valoir qu'elle a soulevé le moyen tiré de l'inapplicabilité de l'article
L. 122-12 du code du travail à la situation en cause ;
Vu les observations, enregistrées le 19 novembre 2004, présentées pour M. X qui soutient que s'il ne peut être expressément fait référence aux dispositions de l'article L. 122-12 du code du travail, il maintient que la commune a repris l'ensemble de l'activité de la SEML ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des collectivités territoriales ;
Vu le code du travail ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 30 novembre 2004 à laquelle siégeaient M. Daël, président de la Cour, M. Couzinet, président de chambre, M. Berthoud, président-assesseur, Mme Brenne et M. Soyez, premiers conseillers :
- le rapport de Mme Brenne, premier conseiller ;
- les observations de Me Bouédo-René, avocat, pour la commune de Grand-Couronne ;
- et les conclusions de M. Michel, commissaire du gouvernement ;
Considérant que la commune de Grand-Couronne avait fondé avec des personnes de droit privé une société d'économie mixte locale (SEML) dénommée SEML , ayant pour objet la gestion, l'exploitation, l'entretien, les opérations d'aménagement, la mise en valeur par tout moyen des équipements du stade nautique ; que par contrat en date du
26 octobre 1994 elle a confirmé l'affermage à ladite SEML de l'exploitation du stade nautique ; qu'eu égard aux difficultés économiques de la SEML, ayant exigé dès le 26 octobre 1994 un renforcement de ses fonds propres par augmentation du capital social de 14 500 actions intégralement souscrites par la commune, faisant ainsi passer la participation de cette dernière dans ledit capital social de 51 à 80 %, la commune a dénoncé ce contrat avec effet du
1er janvier 1996 et décidé de reprendre l'exploitation du stade nautique, la SEML conservant dans le cadre d'une convention précaire le suivi des contrats et engagements qu'elle avait souscrits, moyennant remboursement par la commune des sommes payées à ce titre par la SEML ; que M. X, directeur de la SEML, a été licencié pour motif économique, le
2 mai 1996, par le président de ladite société ; qu'il a saisi le Conseil des prud'hommes de Rouen d'une action tendant à ce que la commune de Grand-Couronne et la SEML soient condamnées à lui payer la somme de 528 000 francs en réparation du préjudice résultant de son licenciement ; que la commune de Grand-Couronne ayant conclu à l'incompétence du Conseil des prud'hommes en tant que l'action de M. X était dirigée contre elle, ledit conseil, sur la demande de M. X, a radié l'affaire au cours de son audience du 7 octobre 1997 ; que
M. X relève appel du jugement en date du 25 septembre 2002 par lequel le Tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande tendant à ce que la commune soit condamnée à lui payer la somme de 528 000 francs en réparation de son préjudice ;
Sur la régularité du jugement attaqué :
Considérant, en premier lieu, que, contrairement à ce que soutient la commune de
Grand-Couronne, l'action engagée par M. X devant le Conseil des prud'hommes de Rouen, en tant qu'elle était dirigée contre ladite commune avait le même objet que celle dont il a saisi le Tribunal administratif de Rouen le 26 novembre 1999 ;
Considérant, en second lieu, que si, devant le conseil des prud'hommes, la commune de Grand-Couronne s'est bornée à déposer des conclusions tendant à ce que cette juridiction se déclare incompétente pour connaître de l'affaire, le silence gardé par ladite commune sur le bien fondé de la demande d'indemnité qui lui était ainsi adressée, a fait naître une décision implicite de rejet ; que, par suite, c'est à tort que le Tribunal administratif de Rouen a rejeté la demande de M. X comme irrecevable faute que le contentieux ait été lié par la commune ;
Considérant qu'il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée devant le Tribunal administratif de Rouen par M. X ;
Sur les conclusions indemnitaires :
En tant que M. X se prévaut de sa qualité d'agent public depuis le
27 septembre 1993 :
Considérant, en premier lieu, que la société d'économie mixte dénommée SEML est une personne morale de droit privé ; que M. X, qui n'était pas fonctionnaire détaché dans cette société, n'est pas fondé à soutenir qu'en qualité de directeur de ladite société il aurait eu la qualité d'agent public ;
Considérant, en deuxième lieu, qu'il résulte de l'instruction que le capital de la
SEML , constituée entre la commune de Grand-Couronne, huit sociétés de droit privé et trois personnes physiques, était partagé entre ces différents actionnaires ; que la société était administrée par un conseil d'administration comportant des représentants des personnes morales de droit privé et des personnes physiques ; que la seule circonstance que le conseil municipal de Grand-Couronne avait fixé le montant des tarifs d'entrée au stade nautique ainsi que le montant de la subvention que la commune verserait à la SEML n'est pas à elle seule de nature à faire regarder la SEML comme agissant pour le compte de la commune de Grand-Couronne ; que si postérieurement au 1er janvier 1996, la convention précaire passée entre la commune et la SEML a eu pour effet de transférer la gestion de l'équipement nautique à la commune, et si la direction de cet équipement a été placée sous l'autorité du directeur des services techniques de la commune, il ne résulte pas de l'instruction que M. X, lequel a gardé les fonctions de directeur de la SEML, ait reçu une affectation exclusive et permanente dans le service public administratif de la commune gérant en régie l'équipement nautique, ni qu'il ait été subordonné pour l'exercice des fonctions dont il conservait la responsabilité au directeur des services techniques de la commune ; que, par suite, M. X n'est pas fondé à soutenir que dès l'origine et au plus tard à compter du 1er janvier 1996, la commune de Grand-Couronne devait être regardée comme son employeur ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. X n'est pas fondé à demander la condamnation de la commune de Grand-Couronne à l'indemniser du préjudice résultant de son licenciement, en tant qu'il aurait la qualité d'agent public ;
En tant que M. X se prévaut des dispositions de l'article L. 122-12 du code du travail :
Considérant qu'aux termes du second alinéa de l'article L. 122-12 du code du travail : S'il survient une modification dans la situation juridique de l'employeur, notamment par succession, vente, fusion, transformation de fonds, mise en société, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l'entreprise ; que si ces dispositions, interprétées au regard de la directive n° 77/187/CEE du
14 février 1977, imposent le maintien des contrats de travail en cours y compris dans le cas où l'entité économique transférée constitue un service public administratif dont la gestion, jusqu'ici assurée par une personne privée, est reprise par une personne morale de droit public normalement liée à son personnel par des rapports de droit public, elles n'ont pas pour effet de transformer la nature juridique des contrats de travail en cause, qui demeurent des contrats de droit privé tant que le nouvel employeur public n'a pas placé les salariés dans un régime de droit public ; que le juge judiciaire est, par suite, seul compétent pour statuer sur les litiges nés du refus de l'un ou l'autre des deux employeurs successifs de poursuivre l'exécution de ce contrat de travail, qui ne mettent en cause, jusqu'à la mise en oeuvre du régime de droit public évoqué plus haut, que des rapports de droit privé ;
Considérant qu'à la date de son licenciement, M. X était exclusivement régi par le contrat de travail qu'il avait conclu lors de son recrutement avec la SEML ; que s'il fait valoir que son licenciement trouve son origine dans le transfert de l'activité de la SEML à la commune de Grand-Couronne, qui a repris la gestion de l'équipement nautique en régie directe, et que la commune est tenue de réparer les conséquences dommageables de son licenciement, faute pour elle de lui avoir proposé un emploi au sein du service chargé de la gestion de l'équipement nautique ou un autre emploi de niveau équivalent au sein de la commune, l'action ainsi engagée contre la commune ne met en cause, faute pour cette dernière d'avoir placé le requérant dans un régime de droit public, que les rapports de droit privé nés du contrat de travail initialement conclu avec la SEML ; que la juridiction administrative est, par suite, incompétente pour en connaître ;
Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ;
Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la commune de Grand-Couronne qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, soit condamnée à payer à M. X la somme qu'il demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;
Considérant qu'en application de ces mêmes dispositions, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de condamner M. X à verser à la commune de Grand-Couronne une somme de 700 euros en remboursement des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du Tribunal administratif de Rouen en date du
25 septembre 2002 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. X devant le Tribunal administratif de Rouen et le surplus de sa requête d'appel sont rejetés.
Article 3 : M. X est condamné à verser à la commune de Grand-Couronne une somme de 700 euros en remboursement des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. X, à la commune de Grand-Couronne et au ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.
Copie sera transmise au préfet de la Seine-Maritime.
Délibéré après l'audience du 30 novembre 2004 à laquelle siégeaient :
- M. Daël, président de la Cour,
- M. Couzinet, président de chambre,
- M. Berthoud, président-assesseur,
- Mme Brenne, premier conseiller,
- M. Soyez, premier conseiller,
Lu en audience publique le 14 décembre 2004.
Le rapporteur,
Signé : A. BRENNE
Le président de la Cour,
Signé : S. DAËL
Le greffier,
Signé : G. VANDENBERGHE
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme
Le Greffier
M. T. LEVEQUE
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N°02DA01006