Vu la requête, enregistrée le 12 septembre 2005 au greffe de la Cour administrative d'appel de Douai, présentée pour M. Bernard X, demeurant ..., par Me Desurmont ; M. X demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 0303490 en date du 30 juin 2005 par lequel le Tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles il a été assujetti au titre des années 1997 et 1998 dans les rôles de la commune d'Orchies, ainsi que des pénalités y afférentes ;
2°) de prononcer la décharge demandée ;
3°) de condamner l'Etat à lui verser une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Il soutient que la procédure d'imposition est irrégulière, dès lors qu'il n'a pas bénéficié de la garantie d'un débat contradictoire du fait du recours injustifié à la procédure d'évaluation d'office de ses bénéfices alors qu'il était incarcéré ; que, contrairement à ce qu'a jugé le Tribunal administratif, il apporte la preuve du caractère exagéré et approximatif de la reconstitution de chiffre d'affaires par le vérificateur ; que c'est à tort que les premiers juges n'ont pas tenu compte de sa critique dirigée contre la reprise par le service des éléments contenus dans la procédure pénale alors que le principe d'indépendance des procédures aurait commandé que le service apporte lui-même la démonstration de la réalité des faits qu'il retient ; que la méthode utilisée par l'administration pour reconstituer son chiffre d'affaires est excessivement sommaire et radicalement viciée ; que les impositions qui lui ont été assignées étaient mal fondées, dès lors que la reconstitution des achats revendus de stupéfiants pour les années 1997 et 1998 dont la détermination est partiellement erronée, ne tient pas compte des importations ayant déjà fait l'objet de revente en 1996 et de la consommation personnelle de sa compagne ; que les prix de revente retenus par l'administration sont théoriques et font abstraction des commissions versées aux revendeurs ; que c'est à tort que lui a été refusée la déduction des amendes douanières ; que les pénalités qui lui ont été appliquées ne sont pas motivées ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 29 mars 2006, présenté par le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie ; il conclut au rejet de la requête ; il soutient que le requérant a été mis en demeure par lettre du 22 octobre 1999 dont il a accusé réception, de souscrire ses déclarations de revenus bien qu'une telle formalité ne fût pas imposée au service ; que le requérant ne justifie pas avoir entrepris une quelconque démarche pour disposer des informations et documents nécessaires à l'établissement de ses déclarations ; que l'incarcération ne constitue pas un cas de force majeure mettant le contribuable dans l'impossibilité de régulariser sa situation ; que le requérant a pu bénéficier d'un débat contradictoire, dès lors qu'il a eu durant son incarcération des entretiens avec le vérificateur et qu'il n'est pas établi qu'il aurait été dans l'impossibilité de faire appel à un conseil de son choix ; que les recettes de M. X ont été, en l'absence de déclaration de ses revenus, évaluées à partir des renseignements communiqués par l'autorité judiciaire et par les déclarations du contribuable ; que l'administration s'est attachée aux seules constatations de fait effectuées par le juge pénal ; que le requérant, qui a été imposé conformément aux dispositions de l'article L. 190 du livre des procédures fiscales, n'apporte aucun élément de preuve à l'appui de ses allégations ; que les amendes douanières qui ont été infligées au requérant ne constituent pas un emploi des bénéfices de l'entreprise et ne peuvent, dès lors, être regardées comme des charges ; que s'agissant des intérêts de retard de l'article 1727 du code général des impôts, ceux-ci ne constituent pas une sanction au sens de l'article 1er de la loi du 11 juillet 1979 et ne sont donc pas concernés par l'obligation de motivation ; que s'agissant de la majoration de l'article 1728 du même code, sa motivation répond aux conditions exigées par la loi dans la mesure où le vérificateur a précisé le fondement légal de la sanction, le taux applicable et les éléments de fait sur lesquels elle reposait, à savoir le non-dépôt de la déclaration dans le délai imparti, après une première mise en demeure ; qu'aucune sanction de mauvaise foi n'a été appliquée au requérant ;
Vu le mémoire en réplique, enregistré le 13 septembre 2006, présenté pour M. X, qui conclut aux mêmes fins que sa requête, par les mêmes moyens ; il soutient, en outre, qu'il ne pouvait faire usage de la faculté prévue à l'article 97 du code de procédure pénale pour disposer des documents nécessaires à l'établissement de ses déclarations, dès lors qu'en application des dispositions de l'article 179 du code de procédure pénale, le juge d'instruction était, à la date où cette demande de communication de pièces pouvait être formulée, dessaisi de ses pouvoirs ; que pour rejeter la déductibilité des amendes douanières, l'administration se réfère à tort à la notion de charges nécessitées par l'exercice de la profession telle qu'inscrite à l'article 93-1 du code général des impôts alors que cette notion n'est pas applicable en matière de bénéfices industriels et commerciaux, ici en litige ; qu'en application du principe de proportionnalité reconnu par la jurisprudence constitutionnelle qui implique que le montant global des sanctions prononcées à l'encontre d'une personne ne dépasse pas le montant le plus élevé de l'une des sanctions qu'elle encourt, il ne peut être condamné au paiement de l'amende fiscale prévue par l'article 1728-3 du code général des impôts ; que la motivation du requérant lorsqu'il exerçait cette entreprise était purement sentimentale et non spéculative ;
Vu le mémoire, enregistré le 26 septembre 2006, et le certificat de dégrèvement, enregistré le 12 octobre 2006, présentés par le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie ; il conclut au non-lieu à statuer à concurrence du dégrèvement accordé et au rejet du surplus des conclusions de la requête, par les mêmes moyens ; il soutient, en outre, que l'erreur de calcul dans l'appréciation des frais kilométriques se traduit par une légère diminution des bases taxables mais ne remet pas en question la validité de la méthode de reconstitution ; qu'il n'appartient pas au juge administratif d'apprécier la conformité de l'article 1728-3° du code général des impôts à un principe constitutionnel ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la Constitution ;
Vu la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 ;
Vu le code des douanes ;
Vu le code de procédure pénale ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience,
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 17 octobre 2006 à laquelle siégeaient Mme Câm Vân Helmholtz, président de chambre, M. Patrick Minne et M. Manuel Delamarre, premiers conseillers :
- le rapport de M. Patrick Minne, premier conseiller ;
- et les conclusions de M. Olivier Mesmin d'Estienne, commissaire du gouvernement ;
Sur l'étendue du litige :
Considérant que, par décision en date du 9 octobre 2006, postérieure à l'introduction de la requête, le directeur des services fiscaux du Nord-Lille a prononcé le dégrèvement, en droits et pénalités, à concurrence d'une somme de 360 euros, de la cotisation supplémentaire d'impôt sur le revenu à laquelle M. X a été assujetti au titre de l'année 1997 ; que les conclusions de la requête de M. X relatives à cette imposition sont, dans cette mesure, devenues sans objet ;
Sur le surplus des conclusions :
En ce qui concerne la régularité de la procédure d'imposition :
Considérant qu'aux termes de l'article L. 73 du livre des procédures fiscales : « Peuvent être évalués d'office : 1° Le bénéfice imposable des contribuables qui perçoivent des revenus provenant d'entreprises industrielles, commerciales ou artisanales (…), lorsque la déclaration annuelle prévue à l'article 53 A du code général des impôts n'a pas été déposée dans le délai légal (…) » ;
Considérant que M. X soutient que l'administration ne pouvait pas mettre en oeuvre la procédure d'évaluation d'office prévue par les dispositions précitées au motif que l'incarcération dont il a fait l'objet l'a empêché de souscrire dans le délai légal ses déclarations de résultats des exercices 1997 et 1998 ; qu'il n'établit toutefois pas que cette incarcération a constitué un cas de force majeure l'ayant mis dans l'impossibilité de satisfaire à ses obligations déclaratives dès lors qu'il n'a effectué aucune démarche en vue de la souscription des déclarations après la réception, le
5 novembre 1999, de deux mises en demeure de régulariser sa situation ; que le requérant n'établit pas avoir demandé au juge d'instruction la communication de pièces contenues dans le dossier pénal utiles à l'établissement de ses déclarations de résultats ; que, s'il soutient que le juge d'instruction n'aurait pu, en tout état de cause, accéder à une telle demande le 5 novembre 1999, date à laquelle ce magistrat était dessaisi par l'effet de l'ordonnance de renvoi devant le Tribunal correctionnel du 30 avril 1999, rien ne s'opposait à ce qu'il demandât la communication des pièces utiles au président du Tribunal de grande instance ; que M. X qui ne conteste pas avoir pu, à trois reprises, avoir un entretien sur les lieux de sa détention avec le vérificateur, n'établit pas avoir été privé de la garantie d'un débat contradictoire du fait du recours injustifié à la procédure d'évaluation d'office de ses bénéfices ; qu'il n'est, par suite, pas fondé à soutenir que la procédure d'imposition est entachée d'irrégularité ;
En ce qui concerne le bien-fondé des impositions :
Considérant qu'aux termes de l'article L. 193 du livre des procédures fiscales : « Dans tous les cas où une imposition a été établie d'office, la charge de la preuve incombe au contribuable qui demande la décharge ou la réduction de l'imposition » ;
Considérant, en premier lieu, que pour reconstituer la quantité de produits stupéfiants commercialisés par M. X telle qu'elle ressortait des renseignements donnés par le contribuable lui-même ou contenus dans le rapport de l'administration des douanes et repris par le Tribunal correctionnel de Lille dans son jugement du 24 juin 1999, l'administration a retenu les prix d'achat communiqués par l'administration des douanes et les prix de vente indiqués par le contribuable ; que le principe d'indépendance des procédures ne s'oppose pas à ce que l'administration fiscale puisse se fonder sur les constatations opérées par les services des douanes et l'autorité judiciaire pour reconstituer le montant des revenus tirés de la revente de produits stupéfiants ; que, si M. X soutient que les recettes retenues procèdent d'une méthode de reconstitution excessivement sommaire et même radicalement viciée dans la mesure où la consommation personnelle de stupéfiants par sa compagne et le montant des commissions versées à un tiers doivent venir en diminution des quantité et valeur des produits revendus, il n'apporte aucune justification de ses entrées et sorties de marchandises ou des commissions versées ; que la seule circonstance que les frais kilométriques exposés pour la réalisation de son activité aient fait l'objet d'une erreur d'évaluation n'est pas de nature à remettre en cause, dans son principe, la méthode suivie ; que, par suite, M. X n'apporte pas la preuve qui lui incombe de l'exagération du chiffre d'affaires reconstitué par le service ;
Considérant, en deuxième lieu, que les amendes pénales et douanières auxquelles
M. X a été condamné ne peuvent être regardées, en raison du caractère personnel de la condamnation prononcée à son encontre, comme des charges nécessitées par l'exercice de la profession pour l'application du 1 de l'article 39 du code général des impôts ; que, par suite, l'administration était fondée à refuser la déduction des sommes correspondant à ces amendes pour déterminer le montant des bénéfices nets des deux exercices en litige ;
Considérant, en dernier lieu, que M. X ne peut utilement se prévaloir des paragraphes nos 3 à 5 de la documentation administrative n° 13-O-134 dès lors qu'en énonçant que le juge de l'impôt doit valablement tenir pour établie la matérialité des constatations effectuées par la juridiction pénale, l'interprétation administrative ainsi exprimée n'ajoute pas à la loi ;
En ce qui concerne les pénalités :
Considérant qu'aux termes de l'article 1728 du code général des impôts : « 1. Lorsqu'une personne physique ou morale ou une association tenue de souscrire une déclaration ou de présenter un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'un des impôts, droits, taxes, redevances ou sommes établis ou recouvrés par la direction générale des impôts s'abstient de souscrire cette déclaration ou de présenter un acte dans les délais, le montant des droits mis à la charge du contribuable ou résultant de la déclaration ou de l'acte déposé tardivement est assorti de l'intérêt de retard visé à l'article 1728 et d'une majoration de 10 % (…)
3. La majoration visée au 1 est portée à 40 % lorsque le document n'a pas été déposé dans les trente jours suivant la réception d'une mise en demeure notifiée par pli recommandé d'avoir à le produire dans ce délai (…) » ; qu'aux termes de l'article L. 80 D du livre des procédures fiscales : « Les décisions mettant à la charge des contribuables des sanctions fiscales sont motivées au sens de la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l'amélioration des relations entre l'administration et le public » ;
Considérant, en premier lieu, que par la notification de redressements du 6 avril 2000, l'administration a indiqué au requérant que les redressements seraient assortis de la majoration de
40 % prévue par l'article 1728 du code général des impôts « puisque aucune déclaration n'a été déposée dans les trente jours de la première mise en demeure » ; que cette motivation vise le texte applicable et décrit avec une précision suffisante les faits à l'origine de la sanction ;
qu'ainsi, M. X n'est pas fondé à soutenir que les pénalités qui lui ont été appliquées ont été insuffisamment motivées ;
Considérant, en deuxième lieu, que le principe constitutionnel de proportionnalité des peines invoqué par M. X ne trouve, en tout état de cause, à s'appliquer que lorsqu'un même agissement imputable à la personne condamnée est réprimé par plusieurs textes ; que les pénalités instaurées par les dispositions précitées de l'article 1728 ont pour seul objet de sanctionner un défaut ou un retard de déclaration fiscale ; que les amendes douanières prévues par les articles 414 et 435 du code des douanes auxquelles a été condamné M. X par jugement du 24 juin 1999 ont pour objet de réprimer le délit d'importation en contrebande de produits stupéfiants ; que le défaut de déclaration de résultats et l'importation en contrebande étant des agissements distincts pouvant donner lieu au prononcé de sanctions différentes, M. X n'est pas fondé à soutenir qu'en application du principe de proportionnalité, le montant global des sanctions prononcées à son encontre ne pouvait excéder le montant maximal de l'amende douanière de 1 109 000 francs à laquelle il a été condamné par jugement correctionnel ;
Considérant, en troisième lieu, que la circonstance que l'activité délictueuse d'achat et de revente de stupéfiants pratiquée par M. X aurait été exercée notamment à des fins non spéculatives est sans incidence sur le bien-fondé de la pénalité pour défaut ou retard de déclarations seule en litige ;
Considérant, en dernier lieu, que les intérêts de retard de l'article 1727 du code général des impôts, qui ne constituent pas une sanction au sens de l'article 1er de la loi du 11 juillet 1979, n'ont pas à être motivés ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. X n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande de décharge ;
Sur l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que M. X demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;
DÉCIDE :
Article 1er : A concurrence de la somme de 360 euros, en ce qui concerne la cotisation supplémentaire à l'impôt sur le revenu à laquelle a été assujetti M. Bernard X au titre de l'année 1997, il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête de M. Bernard X.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de M. Bernard X est rejeté.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. Bernard X et au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Copie sera transmise au directeur de contrôle fiscal Nord.
N° 05DA01188 2