Vu la requête, enregistrée au greffe de la Cour administrative d'appel de Douai le
15 février 2008 par télécopie et confirmée par courrier original le 19 février 2008, présentée par le PREFET DES YVELINES ; le préfet demande au président de la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 0800128, en date du 21 janvier 2008, par lequel le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Rouen a annulé son arrêté du 16 janvier 2008 décidant de reconduire M. Fraj X, ressortissant tunisien, à la frontière et lui a enjoint de délivrer à l'intéressé une carte de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale » ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. X devant le président du Tribunal administratif de Rouen ;
Le préfet soutient que si M. X a été mis en possession d'un visa Schengen de type « C » d'une durée de validité de 18 jours qui lui a été délivré le 4 novembre 2002 par les autorités autrichiennes, il a déclaré n'être entré en France que le 18 novembre 2003, soit après l'expiration de la validité de ce visa ; que l'intéressé a donc pu à bon droit faire l'objet d'un arrêté de reconduite à la frontière sur le fondement du 1° de l'article L. 511-1-II du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et que le premier juge a donc retenu à tort que l'intéressé justifiait d'une entrée régulière sur le territoire français ; que, par ailleurs, contrairement à ce qu'a estimé le magistrat désigné du tribunal administratif, M. X ne remplissait pas les conditions posées par le 4° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile pour prétendre de plein droit à la délivrance d'une carte de séjour temporaire, dès lors qu'il n'était pas en possession du visa de séjour d'une durée de validité de trois mois à l'obtention duquel l'article L. 311-7 du même code subordonne cette délivrance ; que l'intéressé ne remplissait pas davantage les conditions posées par l'article L. 211-2-1 du même code pour obtenir le visa requis auprès de l'autorité préfectorale, étant entré en France irrégulièrement et ne justifiant pas d'une durée de vie commune supérieure à six mois avec son épouse ; qu'enfin, le premier juge a retenu à tort une méconnaissance, par l'arrêté de reconduite à la frontière attaqué, des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dès lors que M. X n'établit pas l'ancienneté alléguée de son séjour et qu'il n'est pas isolé dans son pays d'origine, où demeurent sa mère, un frère et une soeur ; que rien ne l'empêche de solliciter, dès son retour en Tunisie, la délivrance d'un visa de long séjour en sa qualité de conjoint de ressortissante française ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu l'ordonnance en date du 28 février 2008 par laquelle le président de la Cour administrative d'appel de Douai fixe la clôture de l'instruction au 10 avril 2008 ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 11 avril 2008 par télécopie et confirmé par courrier original le 14 avril 2008, présenté pour M. Fraj X, demeurant ..., par Me Alouani ; M. X conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 1 500 euros soit mise à la charge de l'Etat sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; M. X soutient que le premier juge a retenu à juste titre la méconnaissance, par l'arrêté de reconduite à la frontière attaqué, des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; qu'en effet, l'exposant est l'époux d'une ressortissante française avec laquelle il vit depuis mars 2007 ; qu'il prend en charge l'entretien et l'éducation des enfants de celle-ci ; que le préfet ne conteste pas sérieusement la continuité de son séjour en France depuis 2002 ; qu'il produit un certificat médical attestant de sa présence en France durant la période de validité de son visa ; qu'en cas de retour dans son pays d'origine, sa famille serait inexorablement divisée, compte tenu de ce que les formalités nécessaires à l'obtention d'un visa de long séjour seraient particulièrement longues ; que, par ailleurs, l'arrêté attaqué est insuffisamment motivé au regard des exigences posées par les articles 1er et 3 de la loi du 11 juillet 1979, modifiée ;
Vu l'ordonnance du 11 avril 2008 portant réouverture de l'instruction ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Vu le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
Vu la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979, modifiée, relative à la motivation des actes administratifs et à l'amélioration des relations entre l'administration et le public ;
Vu la décision du président de la Cour en date du 15 octobre 2007 prise en vertu de l'article
R. 222-33 du code de justice administrative, désignant M. Albert Lequien en tant que juge des reconduites à la frontière ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 2 mai 2008 :
- le rapport de M. Albert Lequien, magistrat désigné ;
- et les conclusions de M. Olivier Mesmin d'Estienne, commissaire du gouvernement ;
Considérant que, pour annuler, par jugement en date du 21 janvier 2008, l'arrêté en date du 16 janvier 2008 du PREFET DES YVELINES décidant de reconduire M. X, ressortissant tunisien, né le 30 juin 1973, à la frontière, le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Rouen a estimé qu'eu égard à l'entrée régulière en France de l'intéressé, sous couvert d'un visa Schengen, et à ses déclarations quant à la réalité de sa vie commune avec son épouse, de nationalité française et qui indiquait être enceinte, l'arrêté attaqué avait, dans ces conditions, été pris en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que le PREFET DES YVELINES forme appel de ce jugement ;
Considérant qu'aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : « 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui » ; qu'il ressort des pièces du dossier et notamment des éléments d'information fournis par le PREFET DES YVELINES que si M. X a été mis en possession le 4 novembre 2002 d'un visa Schengen de court séjour, il n'a pas toutefois été en mesure de justifier être entré en France avant l'expiration, le 24 novembre 2002, de la durée de validité de ce document, ayant lui-même déclaré à l'administration être entré en France le 18 novembre 2003 ; que l'attestation établie par un médecin le 11 mars 2008 qu'il produit devant la Cour dans le but de justifier de sa présence en France durant la période de validité de son visa n'est pas à elle seule de nature à permettre à l'intéressé de justifier d'une entrée régulière sur le territoire français ; qu'en outre, le mariage de M. X avec une ressortissante française présentait, à la date à laquelle l'arrêté de reconduite à la frontière attaqué a été pris, un caractère récent, puisque ne datant que d'à peine plus de trois mois et que la vie commune avec l'intéressée n'a commencé au plus tôt, aux dires mêmes de cette dernière, qu'au mois de mars 2007 ; que M. X n'établit pas, au surplus, que son épouse serait enceinte ; qu'il n'est, par ailleurs, pas contesté que M. X n'est pas dépourvu d'attaches familiales dans son pays d'origine, où demeurent sa mère, un frère et une soeur ; que, dans ces circonstances, eu égard à la durée, à la supposer même continue, et aux conditions du séjour de M. X en France et malgré les efforts d'intégration dont il aurait fait montre et les capacités d'insertion professionnelle qui seraient les siennes, l'arrêté de reconduite à la frontière attaqué n'a pas porté au droit de l'intéressé, alors même que la cellule familiale serait temporairement séparée, en cas de retour de celui-ci dans son pays d'origine, dans l'attente de l'obtention du visa requis, au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels il a été pris ; que, dès lors, le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Rouen s'est fondé à tort sur le motif tiré de la méconnaissance des stipulations précitées de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales pour annuler ledit arrêté ;
Considérant qu'il appartient toutefois au juge d'appel, saisi de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens présentés par M. X tant devant le président du Tribunal administratif de Rouen que devant le président de la Cour ;
Sur la légalité de la mesure de reconduite à la frontière :
Considérant, au préalable, qu'aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : « (...) II - L'autorité administrative compétente peut, par arrêté motivé, décider qu'un étranger sera reconduit à la frontière dans les cas suivants : 1° Si l'étranger ne peut justifier être entré régulièrement en France, à moins qu'il ne soit titulaire d'un titre de séjour en cours de validité (...) » ; que M. X n'a pas été en mesure, ainsi qu'il a été dit, de justifier d'une entrée régulière et n'était titulaire d'aucun titre de séjour ; qu'il entrait ainsi dans le cas visé par les dispositions précitées autorisant le PREFET DES YVELINES à décider qu'il serait reconduit à la frontière ;
Considérant, en premier lieu, que si l'obligation de motiver les mesures portant reconduite à la frontière d'un étranger, qui résulte notamment du II précité de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, implique que ces décisions comportent l'énoncé des éléments de droit et de fait qui fondent la mise en oeuvre de la procédure d'éloignement, l'autorité administrative n'est pas tenue de préciser en quoi la situation particulière de l'intéressé ne fait pas obstacle à la mise en oeuvre de cette procédure ; qu'il ressort, en l'espèce, de l'examen des motifs de l'arrêté attaqué que ceux-ci mentionnent, sous le visa du 1° de l'article L. 511-1-II du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, que M. X ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français ; que ces motifs comportent ainsi l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la mesure de reconduite à la frontière prise à l'égard de M. X ; que, par suite, et alors même que ceux-ci ne reprennent pas l'ensemble des éléments caractérisant la vie privée et familiale de l'intéressé et ne font, en particulier, pas état de son mariage avec une ressortissante française, ni de l'existence d'une communauté de vie effective avec celle-ci, ledit arrêté répond aux exigences de motivation posées tant par les dispositions de l'article L. 511-1-II du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que par celles des articles 1er et 3 de la loi susvisée du 11 juillet 1979, modifiée ;
Considérant, en second lieu, qu'aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : « Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale » est délivrée de plein droit : (...) 4° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, marié avec un ressortissant de nationalité française, à condition que la communauté de vie n'ait pas cessé depuis le mariage, que le conjoint ait conservé la nationalité française et, lorsque le mariage a été célébré à l'étranger, qu'il ait été transcrit préalablement sur les registres de l'état civil français ; (...) 7° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'intéressé, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine, sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, sans que la condition prévue à l'article L. 311-7 soit exigée. L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République (...) » ; qu'aux termes de l'article L. 311-7 du même code : « Sous réserve des engagements internationaux de la France et des exceptions prévues par les dispositions législatives du présent code, l'octroi de la carte de séjour temporaire et celui de la carte de séjour « compétences et talents » sont subordonnés à la production par l'étranger d'un visa pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois » ; qu'enfin, aux termes du sixième alinéa de l'article L. 211-2-1 du même code : « Lorsque la demande de visa de long séjour émane d'un étranger entré régulièrement en France, marié en France avec un ressortissant de nationalité française et que le demandeur séjourne depuis plus de six mois avec son conjoint, la demande de visa de long séjour est présentée à l'autorité administrative compétente pour la délivrance d'un titre de séjour » ; que, d'une part, il résulte des dispositions précitées que la délivrance de plein droit d'une carte de séjour temporaire au ressortissant étranger conjoint d'un ressortissant français est subordonnée à l'obtention d'un visa de séjour d'une durée supérieure à trois mois ; qu'il est constant que M. X n'était pas en possession d'un tel visa et ne se trouvait pas, dès lors qu'il n'a pas été en mesure de justifier d'une entrée régulière en France, dans le cas prévu par le sixième alinéa précité de l'article L. 211-2-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile permettant de prétendre à la délivrance de ce document sur le territoire français ; qu'il n'est, par suite, pas fondé à soutenir qu'il aurait été, à la date à laquelle l'arrêté attaqué a été pris, en situation de se voir délivrer de plein droit une carte de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale » sur le fondement des dispositions précitées du 4° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; que, d'autre part et ainsi qu'il a été dit précédemment, l'arrêté de reconduite à la frontière attaqué n'a pas porté au droit de M. X au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels il a été pris ; que cet arrêté n'a, dès lors, pas méconnu les dispositions précitées du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
Considérant, en troisième lieu, que, compte tenu de ce qui a été dit quant à la vie privée et familiale de M. X et eu égard à la durée et aux conditions de son séjour, l'arrêté de reconduite à la frontière attaqué n'est pas entaché, malgré les efforts d'intégration dont il aurait fait preuve et les perspectives d'insertion professionnelle qui seraient les siennes, d'erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences qu'il comporte sur la situation personnelle de l'intéressé ;
Sur la légalité de la désignation du pays de destination de cette mesure :
Considérant, en premier lieu, que les motifs de l'arrêté attaqué mentionnent que M. X est de nationalité tunisienne et qu'il n'établit pas qu'il serait exposé dans ce pays ou tout autre pays dans lequel il établirait être légalement admissible à des traitements contraires aux stipulations de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que, dès lors, en tant qu'il désigne le pays de destination de la mesure d'éloignement prise à l'égard de l'intéressé, ledit arrêté répond aux exigences de motivation posées par les dispositions susmentionnées de la loi susvisée du 11 juillet 1979, modifiée ;
Considérant, en second lieu, que si M. X soutient qu'en tant qu'il désigne la Tunisie comme pays de destination de la mesure de reconduite à la frontière prise à son égard, l'arrêté attaqué serait entaché d'une illégalité interne, il n'assortit son moyen d'aucune précision de nature à permettre au juge d'appel d'en apprécier le bien-fondé ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le PREFET DES YVELINES est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Rouen a annulé son arrêté en date du 16 janvier 2008 décidant de reconduire M. X à la frontière et que la demande présentée par l'intéressé devant le président du Tribunal administratif de Rouen, tendant à l'annulation dudit arrêté et de la décision désignant le pays de renvoi, à ce qu'il soit enjoint, sous astreinte, au PREFET DES YVELINES de lui délivrer une carte de séjour temporaire et à ce qu'il soit fait application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, doit être rejetée ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, en la présente instance, la partie perdante, la somme que M. X demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 0800128 du magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Rouen en date du 21 janvier 2008 est annulé.
Article 2 : La demande et les conclusions respectivement présentées par M. X devant le président du Tribunal administratif de Rouen et devant le président de la Cour sont rejetées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire et à M. Fraj X.
Copie sera adressée au PREFET DES YVELINES.
N°08DA00297 2