Vu la requête, enregistrée le 25 juin 2008 au greffe de la Cour administrative d'appel de Douai, présentée pour M. Tarak X, demeurant ..., par la SELARL Lescène, Vigier et Associés ; M. X demande au président de la Cour :
11) d'annuler le jugement n° 0801262, en date du 13 mai 2008, par lequel le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 7 mai 2008 du préfet de la Seine-Maritime prononçant à son égard une mesure de reconduite à la frontière et désignant la Tunisie comme pays de destination de cette mesure et à ce qu'il soit enjoint au préfet de la Seine-Maritime de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour ;
2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, ledit arrêté ;
M. X soutient :
- qu'il n'a pas été informé de la date à laquelle se tiendrait l'audience devant le Tribunal administratif de Rouen et n'a donc pu s'y rendre ; que la circonstance que son avocat y était présent n'est pas de nature à couvrir cette irrégularité, qui entache le jugement attaqué ;
- que l'arrêté attaqué est insuffisamment motivé ;
- que sa motivation comporte des erreurs, notamment s'agissant des conditions de son interpellation ; qu'il s'est en effet présenté spontanément à la préfecture dans le but de déposer une demande de titre de séjour et un rendez-vous pour l'après-midi même lui a été donné afin de lui permettre de fournir les pièces nécessaires pour compléter son dossier ; que c'est en se rendant à ce rendez-vous, qui était en réalité un piège, qu'il a été appréhendé ;
- que les conditions déloyales dans lesquelles il a été interpellé entachent l'arrêté attaqué d'illégalité ;
- qu'après avoir épousé une ressortissante française, il s'est vu délivrer un visa lui permettant d'entrer régulièrement en France et a été mis en possession d'une carte de séjour temporaire valable un an ; qu'à la suite d'un différend avec sa belle-famille, la vie commune a cessé ; qu'il s'est, par suite, vu refuser le renouvellement de son titre de séjour ; qu'une procédure de divorce a été mise en oeuvre, mais n'a pu aboutir en l'état ; que, parallèlement, l'exposant a noué une relation avec une ressortissante française avec laquelle il vit maritalement ; que, son divorce n'ayant pas été prononcé, il n'a pu épouser cette dernière, alors qu'ils ont tous deux un projet sérieux de vie commune ; qu'un retour dans son pays d'origine compromettrait la conduite d'une procédure de divorce ; qu'en ignorant la réalité de cette relation, le préfet de la Seine-Maritime a entaché son arrêté d'erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences qu'il comporte sur sa situation personnelle ;
- que, dans ces conditions, l'arrêté attaqué porte à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels il a été pris ; que le droit de divorcer dans le cadre d'une procédure accessible est au nombre des droits protégés par les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que ces stipulations ont, ainsi, été méconnues en l'espèce ;
Vu le jugement et l'arrêté attaqués ;
Vu l'ordonnance en date du 7 juillet 2008 par laquelle le président de la Cour administrative d'appel de Douai fixe la clôture de l'instruction au 29 août 2008 ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 13 août 2008 par télécopie, présenté par le préfet de la Seine-Maritime ; le préfet conclut au rejet de la requête ;
Le préfet soutient :
- que M. X n'est pas recevable à critiquer la régularité du jugement attaqué au motif qu'il n'aurait pas été convoqué à l'audience ; qu'il appartenait à son conseil de soulever ce moyen à l'audience devant le premier juge ; que l'avis d'audience doit être regardé comme ayant été régulièrement notifié à l'intéressé à l'adresse du centre de rétention administrative ;
- que l'intéressé n'avait pas invoqué de moyen contestant la légalité externe de l'arrêté attaqué en première instance ;
- que l'arrêté attaqué est suffisamment motivé tant en droit qu'en fait ;
- que la circonstance que le juge des libertés et de la détention ait regardé l'interpellation de M. X comme irrégulière s'avère sans incidence sur la légalité de l'arrêté de reconduite à la frontière en litige ;
- que M. X est séparé de son épouse, qui a demandé le divorce ; qu'il est célibataire, sans ressources, sans domicile certain, en situation de séjour irrégulier et n'apporte pas la preuve de ce qu'il serait dépourvu d'attaches familiales dans son pays d'origine ; qu'il n'apporte pas davantage la preuve du caractère stable et durable de la relation dont il se prévaut avec une ressortissante française ; que sa présence n'est pas indispensable à l'instruction de la procédure de divorce en cours ; que l'arrêté attaqué n'a ainsi pas porté au droit de l'intéressé au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels il a été pris et n'a, dès lors, pas méconnu l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Vu l'ordonnance en date du 14 août 2008 par laquelle le président de la Cour décide la réouverture de l'instruction ;
Vu la décision en date du 1er septembre 2008 du bureau d'aide juridictionnelle près le Tribunal de grande instance de Douai accordant à M. X l'aide juridictionnelle totale pour la présente procédure ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Vu le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, modifiée, relative à l'aide juridique et le décret
n° 91-1266 du 19 décembre 1991, modifié ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 24 novembre 2008 :
- le rapport de M. André Schilte, président de la Cour ;
- et les conclusions de M. Jacques Lepers, commissaire du gouvernement ;
Considérant que, par arrêté en date du 7 mai 2008, le préfet de la Seine-Maritime a décidé de reconduire M. X, ressortissant tunisien, né le 14 juin 1976, et entré en dernier lieu régulièrement en France le 31 août 2005, à la frontière et a désigné la Tunisie comme pays de destination de cette mesure, en se fondant sur les dispositions du 3° de l'article L. 511-1-II du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; que M. X forme appel du jugement en date du 13 mai 2008 par lequel le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de cet arrêté ;
Sur la régularité du jugement attaqué :
Considérant qu'aux termes de l'article L. 512-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : « (...) L'audience est publique. Elle se déroule sans conclusions du commissaire du gouvernement, en présence de l'intéressé, sauf si celui-ci dûment convoqué, ne se présente pas. L'étranger est assisté de son conseil s'il en a un (...) » ; qu'il résulte de ces dispositions que l'étranger qui a formé un recours contre l'arrêté ordonnant sa reconduite à la frontière doit, même s'il est assisté d'un avocat, être personnellement convoqué à l'audience ;
Considérant que ni les pièces du dossier, ni les seules mentions du jugement attaqué ne permettent de tenir pour établi que M. X, qui, alors qu'il avait été placé en rétention administrative, a été remis en liberté le jour même de l'enregistrement au greffe du tribunal administratif de sa demande, ait été régulièrement convoqué à l'audience du 13 mai 2008 par le Tribunal administratif de Rouen ; que, dès lors, M. X est recevable et fondé à soutenir que le jugement attaqué a été pris à la suite d'une procédure irrégulière ; que ce jugement doit donc être annulé ;
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. X devant le Tribunal administratif de Rouen ;
Sur la légalité de la mesure de reconduite à la frontière :
Considérant, en premier lieu, qu'il ressort de l'examen des motifs de l'arrêté attaqué que ceux-ci comportent l'énoncé des considérations de droit et de fait sur lesquelles se fonde la mesure de reconduite à la frontière prise à l'égard de M. X ; que, dès lors, le moyen tiré de l'insuffisante motivation dudit arrêté, qui, manque en fait, doit être écarté ;
Considérant, en deuxième lieu, qu'à supposer même que les motifs de l'arrêté attaqué comporteraient une erreur quant aux conditions dans lesquelles M. X s'est présenté à la préfecture de la Seine-Maritime avant d'être appréhendé, cette erreur n'a pas eu d'influence sur le prononcé par le préfet de la Seine-Maritime, qui aurait pris la même décision en se fondant sur les autres motifs mentionnés dans ledit arrêté, de la mesure d'éloignement à l'égard de l'intéressé ;
Considérant, en troisième lieu, que M. X n'établit pas que les conditions dans lesquelles il a été interpellé après avoir été invité à se présenter à la préfecture pour apporter des pièces justificatives sur ses conditions d'hébergement révèleraient un détournement de procédure entachant la légalité de la mesure de reconduite à la frontière ;
Considérant, en quatrième lieu, qu'aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : « (...) II - L'autorité administrative compétente peut, par arrêté motivé, décider qu'un étranger sera reconduit à la frontière dans les cas suivants : (...) 3° Si l'étranger fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français exécutoire prise depuis au moins un an (...) » ; qu'il ressort des pièces du dossier que M. X a fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français qui a été prise le 2 février 2007 par le préfet des Alpes-Maritimes, soit depuis au moins un an à la date à laquelle l'arrêté de reconduite à la frontière attaqué a été pris, et qui est demeurée exécutoire après le rejet par le Tribunal administratif de Nice le 25 mai 2007 du recours pour excès de pouvoir que l'intéressé avait formé à son encontre ; qu'il entrait donc dans le cas prévu par les dispositions précitées de l'article L. 511-1-II du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile permettant au préfet de la Seine-Maritime de décider qu'il serait reconduit à la frontière ;
Considérant, en dernier lieu, qu'aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : « 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui » ; que si M. X fait état de ce qu'il vit maritalement avec une ressortissante française, avec laquelle il a formé un projet de mariage qui n'a pu se concrétiser compte tenu de ce que la procédure de divorce engagée par son épouse n'a pas abouti, l'intéressé n'a apporté aucun élément, hormis une attestation d'hébergement qui ne mentionne pas la date à laquelle la vie commune aurait commencé, de nature à établir l'ancienneté, ni même la réalité de cette situation ; que l'intéressé n'établit, ni d'ailleurs n'allègue, qu'il serait dépourvu d'attaches familiales dans son pays d'origine, dans lequel il a habituellement vécu, selon ses déclarations, jusqu'à l'âge de 24 ans et dans lequel il est retourné ; qu'ainsi, compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce et eu égard, en outre, aux conditions du séjour de M. X en France, qui a la possibilité de se faire représenter dans le cadre de la procédure de divorce en cours, l'arrêté de reconduite à la frontière attaqué n'a pas porté au droit de l'intéressé au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels il a été pris et n'a, dès lors, par méconnu les stipulations précitées de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; qu'il ne ressort pas davantage, pour les mêmes motifs, des pièces du dossier que l'arrêté de reconduite à la frontière attaqué soit entaché d'erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences qu'il comporte sur la situation personnelle de l'intéressé ;
Sur la légalité de la désignation du pays de destination de cette mesure :
Considérant que si M. X a présenté des conclusions tendant à l'annulation de ladite décision, il n'a assorti celles-ci d'aucun moyen ; que lesdites conclusions doivent, dès lors, être rejetées ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. X n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêté du préfet de la Seine-Maritime en date du 7 mai 2008 prononçant à son égard une mesure de reconduite à la frontière et désignant la Tunisie comme pays de destination de cette mesure ; que, dès lors, les conclusions aux fins d'injonction qu'il a présentées doivent être rejetées ;
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 0801262 du magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Rouen en date du 13 mai 2008 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. X devant le président du Tribunal administratif de Rouen et le surplus des conclusions de sa requête sont rejetés.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. Tarak X et au ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire.
Copie sera transmise au préfet de la Seine-Maritime.
N°08DA00978 2