Vu, I, sous le n° 11DA01045, la requête enregistrée au greffe de la cour administrative d'appel de Douai le 4 juillet 2011, présentée pour le MINISTRE DE L'ECONOMIE, DE L'INDUSTRIE ET DE L'EMPLOI, par Me Moreau, avocat ; le ministre demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 0707809 du 25 mai 2011 par lequel le tribunal administratif de Lille a condamné l'Etat, solidairement avec France Télécom à verser une somme de 55 000 euros à M. Gérard A en réparation des préjudices que celui-ci a subis du fait du blocage de sa carrière ;
2°) de rejeter la demande de M. A tendant à la condamnation solidaire de l'Etat et de France Telecom au versement d'une somme de 166 000 euros en réparation des préjudices qu'il a subis du fait du blocage de sa carrière ;
Vu, II, sous le n° 11DA01180, la requête enregistrée par télécopie le 20 juillet 2011 et régularisée par la production de l'original le 25 juillet 2011, présentée pour M. Gérard B, demeurant ..., par Me Bineteau, avocat ; M. B demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 0707809 du 25 mai 2011 du tribunal administratif de Lille en tant qu'il a limité à 55 000 euros la somme que l'Etat et France Télécom ont été condamnés solidairement à lui verser en réparation des préjudices qu'il a subis du fait du blocage de sa carrière ;
2°) de condamner l'Etat et France Télécom au versement d'une somme de 185 564 euros en réparation des préjudices qu'il a subis du fait du blocage de sa carrière, augmentée des intérêts au taux légal à compter de la demande préalable, capitalisés en application de l'article 1154 du code civil s'ils sont dus pour une année entière ;
3°) de mettre à la charge solidaire de l'Etat et France Télécom la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
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Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu la note en délibéré, enregistrée par télécopie le 10 décembre 2012 et régularisée par la production de l'original le 12 décembre 2012, présenté pour M. B ;
Vu la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ;
Vu la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat ;
Vu la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 relative à l'organisation du service public de la poste et des télécommunications ;
Vu les décrets nos 93-514 à 93-519 du 25 mars 1993, modifiés ;
Vu le décret n° 2004-1300 du 26 novembre 2004 relatif aux dispositions statutaires applicables à certains corps de fonctionnaires de France Télécom ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Muriel Milard, premier conseiller,
- les conclusions de Mme Corinne Baes Honoré, rapporteur public,
- les observations de Me Perez, avocat, substituant Me Bineteau, pour M. B ;
1. Considérant que les requêtes susvisées sont dirigées contre un même jugement ; qu'il y a lieu de les joindre pour qu'il y soit statué par un seul arrêt ;
Sur les conclusions d'appel provoqué de France Télécom :
2. Considérant que les conclusions de la société France Télécom tendant à ce qu'il soit fait une répartition inégale de la somme à payer à M. B en imputant la majeure partie de la charge indemnitaire à l'État ne sont dirigées que contre ce dernier ; que, dès lors, les conclusions de France Télécom ont le caractère d'un appel provoqué ; que n'ayant pas été présentées devant les premiers juges, les conclusions susanalysées de France Télécom, ont le caractère de conclusions nouvelles en appel et sont, par suite irrecevables ;
Sur la responsabilité de l'Etat et de France Télécom :
3. Considérant qu'aux termes de l'article 29 de la loi du 2 juillet 1990, relative à l'organisation du service public des Postes et Télécommunications : " Les personnels de La Poste et de France Telecom sont régis par des statuts particuliers, pris en application de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires et de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat (...) " ; qu'aux termes de l'article 29-1 de la loi du 2 juillet 1990, dans sa rédaction issue de la loi du 26 juillet 1996 : " Au 31 décembre 1996, les corps de fonctionnaires de France Telecom sont rattachés à l'entreprise nationale France Telecom et placés sous l'autorité de son président qui dispose des pouvoirs de nomination et de gestion à leur égard. Les personnels fonctionnaires de France Telecom demeurent soumis aux articles 29 et 30 de la présente loi. / L'entreprise nationale France Telecom peut procéder jusqu'au 1er janvier 2002 à des recrutements externes de fonctionnaires pour servir auprès d'elle en position d'activité (...) " ;
4. Considérant qu'en vertu de l'article 26 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat : " En vue de favoriser la promotion interne, les statuts particuliers fixent une proportion de postes susceptibles d'être proposés au personnel appartenant déjà à l'administration (...), non seulement par voie de concours (...) mais aussi par la nomination de fonctionnaires (...) suivant l'une des modalités ci-après : / 1° Examen professionnel ; / 2° Liste d'aptitude établie après avis de la commission paritaire du corps d'accueil (...) " ;
5. Considérant, d'une part, que la possibilité offerte aux fonctionnaires qui sont demeurés dans les corps dits de " reclassement " de France Telecom de bénéficier, au même titre que les fonctionnaires ayant choisi d'intégrer les nouveaux corps dits de " reclassification " créés en 1993, de mesures de promotion organisées en vue de pourvoir des emplois vacants proposés dans ces corps de " reclassification ", ne dispensait pas le président de France Telecom, avant le 1er janvier 2002, de faire application des dispositions de la loi du 11 janvier 1984 relatives au droit à la promotion interne dans le cadre des corps de " reclassement " ; qu'il appartenait, en outre, au ministre chargé des Postes et Télécommunications de veiller de manière générale au respect par France Telecom de ce droit à la promotion interne, garanti aux fonctionnaires " reclassés " comme aux fonctionnaires " reclassifiés " de l'exploitant public par les dispositions combinées de la loi du 2 juillet 1990 et de la loi du 11 janvier 1984 ;
6. Considérant, d'autre part, que le législateur, en décidant par les dispositions précitées de l'article 29-1 de la loi du 2 juillet 1990, résultant de la loi du 26 juillet 1996, que les recrutements externes de fonctionnaires par France Telecom cesseraient au plus tard le 1er janvier 2002, n'a pas entendu priver d'effet, après cette date, les dispositions de l'article 26 de la loi du 11 janvier 1984 relatives au droit à la promotion interne à l'égard des fonctionnaires " reclassés " ; que, par suite, les décrets régissant les statuts particuliers des corps de " reclassement ", en ce qu'ils n'organisaient pas de voies de promotion interne autres que celles liées aux titularisations consécutives aux recrutements externes et privaient en conséquence les fonctionnaires " reclassés " de toute possibilité de promotion interne, sont devenus illégaux à compter de la cessation des recrutements externes le 1er janvier 2002 ; qu'en faisant application de ces décrets illégaux et en refusant de prendre toute mesure de promotion interne au bénéfice des fonctionnaires " reclassés " après cette date, le président de France Telecom a, de même, commis une illégalité ; que des promotions internes pour les fonctionnaires " reclassés " non liées aux recrutements externes ne sont redevenues possibles, au sein de France Telecom, que par l'effet du décret du 24 novembre 2004 relatif aux dispositions statutaires applicables à certains corps de fonctionnaires de France Telecom ;
7. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les illégalités constitutives de fautes commises par France Télécom, en tant qu'employeur et par l'Etat, en tant qu'autorité de tutelle, sont de nature à engager la responsabilité solidaire de ces derniers et à ouvrir droit à réparation au profit du requérant à raison des préjudices dont il peut établir l'existence et le lien de causalité avec la faute de l'administration ;
Sur les préjudices :
8. Considérant qu'il ne résulte pas de l'instruction, contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, que M. B, fonctionnaire de l'administration des Postes et Télécommunications ayant accédé au grade d'agent d'exploitation du service des lignes puis de conducteur des travaux du service des lignes (CDTXSL) 15 mars 1977, aurait eu, compte tenu des appréciations portées sur sa manière de servir, et alors même qu'il remplissait les conditions statutaires pour être promu, une chance sérieuse d'accéder au corps de chef de secteur puis de chef de district, si des promotions dans ce corps avaient été organisées au bénéfice des fonctionnaires " reclassés " après 1993 ; que l'Etat et la société France Telecom sont par suite fondés à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Lille a accordé une somme de 50 000 euros à M. B au titre de ses préjudices professionnels, financiers et de retraite ;
9. Considérant que M. B est en droit, toutefois, de prétendre au versement d'une indemnité au titre du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence à raison des fautes commises par France Télécom et l'Etat, consistant à priver de manière générale les fonctionnaires " reclassés " de toute possibilité de promotion interne ; que le tribunal administratif a fait une juste appréciation de ces préjudices en les évaluant globalement à une somme de 5 000 euros ;
Sur les intérêts et la capitalisation :
10. Considérant qu'en application des dispositions de l'article 1153 du code civil, M. B a droit aux intérêts au taux légal sur la somme précédemment accordée à compter de la date de ses premières demandes sur le principal soit le 6 juin 2007 ; qu'en application des dispositions de l'article 1154 du même code, lesdits intérêts seront capitalisés et porteront eux-mêmes intérêts à compter du 22 avril 2011, date à laquelle la capitalisation a été demandée pour la première fois, dès lors qu'il s'est écoulé à cette date au moins une année depuis la demande préalable, la capitalisation s'accomplissant à nouveau à l'expiration de chaque échéance annuelle ultérieure ;
11. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'Etat est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille l'a condamné solidairement avec France Télécom à verser à M. B une somme de 50 000 euros au titre de ses préjudices professionnels, financiers et de retraite ; que doit être rejetée, par voie de conséquence, la requête de M. B ; que les conclusions d'appel provoqué présentées par France Télécom sont rejetées ; que, toutefois, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. B le versement de la somme que demande la société France Télécom au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
DÉCIDE :
Article 1er : La somme de 55 000 euros que l'Etat et la société France Telecom ont été condamnés solidairement à verser à M. B en réparation de ses préjudices est ramenée à 5 000 euros. Cette somme portera intérêt au taux légal à compter du 6 juin 2007. Ces intérêts seront capitalisés à la date du 22 avril 2011 puis à chaque échéance annuelle et porteront eux-mêmes intérêts.
Article 2 : Le jugement n° 0707809 du 25 mai 2011 du tribunal administratif de Lille est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de M. B est rejeté.
Article 4 : Le surplus des conclusions de l'appel incident de l'Etat et l'appel provoqué de la société France Télécom sont rejetés.
Article 5 : Les conclusions de la société France Télécom présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. Gérard B, au MINISTRE DE L'ÉCONOMIE ET DES FINANCES et à la société France Télécom.
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