Vu le recours, enregistré par courrier électronique le 30 décembre 2011 et régularisé par la production de l'original le 2 janvier 2012 au greffe de la cour, présenté par le ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'Etat, qui demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 0807672 du 24 novembre 2011 par lequel le tribunal administratif de Lille a prononcé la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de contribution additionnelle à l'impôt sur les sociétés auxquelles la SAS Cema a été assujettie au titre de l'exercice qu'elle a clos en 2003 ;
2°) de remettre à la charge de la SAS Cema les cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de contribution additionnelle à l'impôt sur les sociétés auxquelles elle avait été assujettie au titre de l'exercice qu'elle a clos en 2003 ;
3°) d'annuler les sommes mises à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et d'en ordonner le remboursement ;
----------------------------------------------------------------------------------------------------------
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Olivier Gaspon, premier conseiller,
- et les conclusions de M. Vladan Marjanovic, rapporteur public ;
1. Considérant que la société anonyme Cema a fait l'objet en 2004 d'une vérification de comptabilité portant sur la période du 1er janvier 2001 au 31 décembre 2003 ; qu'à l'issue de cette vérification, l'administration fiscale a réintégré dans le résultat de l'exercice clos le 31 août 2003 de la société anonyme Cema une indemnité de 1 500 000 euros versée à la société Semac, en exécution d'un avenant au bail commercial et d'un protocole d'accord financier conclus avec cette société le 28 août 2003, au motif que cette somme n'avait pas la nature d'une charge mais qu'elle correspondait à l'acquisition d'immobilisations incorporelles ; qu'à l'issue de cette procédure, des compléments d'impôt sur les sociétés et de contributions additionnelles à cet impôt ont été mis, au titre de l'année 2003, à la charge de la société par actions simplifiée Cema, qui avait absorbé la société anonyme Cema le 31 décembre 2004 ; que l'Etat relève appel du jugement du 24 novembre 2011 par lequel le tribunal administratif de Lille a prononcé la décharge de ces impositions supplémentaires établies au titre de l'année 2003 ;
Sur la recevabilité de la requête :
2. Considérant qu'aux termes de l'article R*200-18 du livre des procédures fiscales : " A compter de la notification du jugement du tribunal administratif qui a été faite au directeur du service de l'administration des impôts ou de l'administration des douanes et droits indirects qui a suivi l'affaire, celui-ci dispose d'un délai de deux mois pour transmettre, s'il y a lieu, le jugement et le dossier au ministre chargé du budget. /. Le délai imparti pour saisir la cour administrative d'appel court, pour le ministre, de la date à laquelle expire le délai de transmission prévu à l'alinéa précédent ou de la date de la signification faite au ministre. " ; qu'en application de l'article 1er du décret du 6 mars 1961 modifié, le directeur général des impôts -désormais directeur général des finances publiques- qui dispose d'une délégation permanente de signature du ministre pour signer les recours formés par l'administration devant le Conseil d'Etat, peut déléguer cette signature à un fonctionnaire placé sous son autorité ; que M. B... A..., administrateur des finances publiques, titulaire d'une délégation du directeur général des finances publiques par l'effet de l'article 2 de l'arrêté du 7 novembre 2011, publié au Journal officiel n° 0267 du 18 novembre 2011, avait qualité pour introduire, en matière d'assiette et de calcul des impôts, les recours formés par l'administration devant la cour administrative de céans ; que, par ailleurs, aucun texte législatif ou réglementaire ne subordonne la recevabilité d'un tel recours à l'administration centrale du ministère chargé du budget ; que la fin de non-recevoir opposée par la SAS Cema doit, par suite, être écartée ;
Sur le bien-fondé des impositions contestées :
3. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes du 2 de l'article 38 du code général des impôts, applicable en matière d'impôt sur les sociétés en vertu de l'article 209 du même code : " Le bénéfice net est constitué par la différence entre les valeurs de l'actif net à la clôture et à l'ouverture de la période dont les résultats doivent servir de base à l'impôt diminuée des suppléments d'apport et augmentée des prélèvements effectués au cours de cette période par l'exploitant ou par les associés. L'actif net s'entend de l'excédent des valeurs d'actif sur le total formé au passif par les créances des tiers, les amortissements et les provisions justifiés. " ; qu'aux termes de l'article 38 quinquies de l'annexe III au code général des impôts: " Les immobilisations sont inscrites au bilan pour leur valeur d'origine. Cette valeur d'origine s'entend : (...) pour les immobilisations créées par l'entreprise du coût d'acquisition des matières et fournitures consommées, augmenté de toutes les charges directes ou indirectes de production à l'exclusion des frais financiers " ;
4. Considérant que ne doivent suivre le régime fiscal des éléments incorporels de l'actif immobilisé de l'entreprise que les droits constituant une source régulière de profits et dotés d'une pérennité suffisante, lesquels peuvent par ailleurs faire l'objet d'une cession ;
5. Considérant que l'avenant au bail commercial consenti en 2001 et le protocole d'accord conclu le 28 août 2003 entre la société d'exploitation Maillard et Cie Semac, bailleur, et la société Cema, preneur et requérante, accordent au preneur un droit de préférence exclusif d'achat des locaux loués dès lors que le bailleur déciderait de les vendre, en limitant cet avantage dans le temps à l'échéance du bail renouvelé, soit le 31 décembre 2018 ; que le protocole d'accord prévoit également qu'il " ne sera pas tenu compte dans la détermination du prix de cession éventuelle de la valeur des travaux et constructions réalisés par le preneur " ; qu'en contrepartie de ces avantages la société Cema a versé, le 10 novembre 2003 et conformément aux termes du protocole précité, la somme de 1 500 000 euros ; que, par suite, si les droits exclusifs résultant des accords conclus le 28 août 2003 revêtent un caractère pérenne, ils ne constituent pas une source régulière de profit pour la société Cema ; qu'il résulte de ce qui précède que l'administration ne pouvait, comme elle l'a fait, réintégrer la somme de 1 500 000 euros dans le résultat de l'exercice clos en 2003 de la société Cema au motif qu'elle correspondait à l'acquisition d'immobilisations incorporelles ; qu'elle n'est donc pas fondée à se plaindre que c'est à tort que les premiers juges ont accordé à la société Cema la décharge des compléments d'impôt sur les sociétés et de contributions additionnelles à cet impôt auxquels elle a été assujettie au titre de l'exercice clos en 2003 ;
6. Considérant néanmoins, en second lieu, que l'administration peut changer de base légale à tout moment devant les juges du fond dès lors que cette substitution n'a pas pour effet de priver le contribuable des garanties de procédure prévues par la loi ; que l'administration, qui fait valoir en appel que, dès lors que la qualification d'acquisition d'actif incorporel immobilisé est écartée s'agissant de l'indemnité en cause de 1 500 000 euros, cette somme doit être qualifiée de charge non déductible du résultat de l'exercice clos en 2003, doit être regardée comme sollicitant, devant le juge d'appel, une substitution de base légale afin de faire application du 1. de l'article 39 du code général des impôts ; qu'il y a lieu de procéder à cette substitution dès lors qu'elle ne prive la société Cema d'aucune garantie de procédure prévue par la loi et que les faits motivant la position de l'administration sont les mêmes que ceux examinés antérieurement ;
7. Considérant qu'aux termes de l'article 39 du code général des impôts applicable en matière d'impôt sur les sociétés en vertu de l'article 209 du même code : " 1. Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant, sous réserve des dispositions du 5, notamment :1° Les frais généraux de toute nature (...) 5° Les provisions constituées en vue de faire face à des pertes ou charges nettement précisées et que les événements en cours rendent probables, à condition qu'elles aient été effectivement constatées dans les écritures de l'exercice (...) " ;
8. Considérant qu'il résulte de l'instruction que la société Cema a versé à son bailleur, la société d'exploitation Maillard et Cie Semac, le 10 novembre 2003, la somme de 1 500 000 euros en contrepartie du droit de préférence exclusif d'achat des locaux loués, valable jusqu'au 31 décembre 2018, dès lors que le bailleur déciderait de les vendre, et de la renonciation du bailleur, en cas de vente, à la valorisation des travaux et constructions réalisés par le preneur ; que cette indemnité ne constitue pas une charge exceptionnelle déductible des résultats de l'exercice clos en 2003 dès lors que sa contrepartie, seulement éventuelle, ne représente pas un intérêt certain, même futur, pour l'exploitation ; que, par ailleurs, elle ne constitue pas plus une provision pour charges futures probables car elle a été versée le 10 novembre 2003 et comptabilisée en charge dans les écritures relatives à l'exercice clos en 2003 ; qu'il suit de là, qu'en l'absence d'intérêt pour l'exploitation en 2003, l'administration est fondée à soutenir, dans le cadre de la substitution de base légale demandée et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'existence d'un éventuel acte anormal de gestion, que la somme en litige de 1 500 000 euros versée par la société Cema en exécution du protocole d'accord du 28 août 2003 ne constitue pas une dépense exposée dans l'intérêt de l'exploitation et qu'elle doit être réintégrée au résultat imposable de la société Cema au titre de l'exercice clos en 2003 ; que le ministre appelant est, dès lors, fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a déchargé la société Cema des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de contribution additionnelle à l'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre de l'exercice clos en 2003 ; qu'il y a lieu, pour ce motif, d'annuler le jugement attaqué ;
9. Considérant, toutefois, qu'il appartient à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par la société Cema tant devant la cour que devant le tribunal administratif de Lille ;
Sur la régularité de la procédure d'imposition :
10. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes du premier alinéa de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales : " L'administration adresse au contribuable une proposition de rectification qui doit être motivée de manière à lui permettre de formuler ses observations ou de faire connaître son acceptation " ; qu'une proposition de rectification est suffisamment motivée dès lors qu'elle indique clairement la nature des redressements envisagés, le montant de ces redressements distinctement par catégorie de revenus et par chef de redressements, l'impôt et l'année d'imposition, et que ces motifs sont suffisamment explicites pour permettre au contribuable d'engager une discussion contradictoire avec l'administration et de présenter utilement ses observations ; que la proposition de rectification du 14 novembre 2005, qui indique la nature de la rectification envisagée, l'impôt et l'année d'imposition et le montant du redressement, est, par suite, suffisamment motivée ; que, par ailleurs, l'avis de mise en recouvrement du 27 février 2007 adressé à la SAS Cema, redevable désormais de l'impôt, fait expressément référence à la proposition de rectification précitée et se trouve, par suite, suffisamment motivé ;
11. Considérant, en deuxième lieu, que l'erreur commise par l'administration en notifiant le redressement à la société absorbée plutôt que de l'adresser directement à la société absorbante est sans incidence sur la régularité de la procédure d'imposition si elle n'est pas de nature à provoquer une confusion sur la personne effectivement redevable de l'impôt ; qu'à cet égard, la circonstance que l'administration n'ait pas eu, au moment de l'envoi d'une notification de redressements à un contribuable, connaissance de l'intervention d'un jugement d'ouverture ou de clôture d'une procédure de liquidation judiciaire, information qu'elle est réputée acquérir au plus tard lors de la publication de l'avis correspondant au bulletin officiel des annonces civiles et commerciales, n'a pas d'effet sur la régularité de la notification de redressements, même si elle a pour effet d'interrompre, en application de l'article L. 189 du livre des procédures fiscales, la prescription prévue aux articles L. 169 et suivants du même livre ; que, si l'administration a adressé à la seule société anonyme Cema, radiée du registre du commerce et des sociétés, la proposition de rectification du 14 novembre 2005, à l'origine du présent litige, la SAS Cema a reçu la proposition de rectification et y a répondu, sans aucune confusion sur la personne effectivement redevable de l'impôt ; qu'ainsi, cette proposition de rectification a été régulièrement notifiée en l'espèce ;
Sur le bien-fondé des impositions contestées :
12. Considérant que, pour les motifs indiqués aux points 7. et 8. précédemment développés, l'indemnité en cause de 1 500 000 euros ne constitue pas une dépense exposée dans l'intérêt de l'exploitation au cours de l'exercice clos en 2003 ; que, par suite, elle devait être intégrée dans les résultats de la société requérante ;
13. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le ministre appelant est fondé à se plaindre que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a prononcé la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de contribution additionnelle à l'impôt sur les sociétés auxquelles la SAS Cema a été assujettie au titre de l'exercice qu'elle a clos en 2003 et à demander le rétablissement de ces impositions supplémentaires ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
14. Considérant qu'aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation " ;
15. Considérant qu'en vertu de ces dispositions, la cour ne peut pas faire bénéficier la partie tenue aux dépens ou la partie perdante du paiement par l'autre partie des frais qu'elle a exposés à l'occasion du litige soumis au juge ; que les conclusions présentées à ce titre par la société Groupe Lactalis doivent, dès lors, être rejetées ;
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 0807672 du 24 novembre 2011 du tribunal administratif de Lille est annulé.
Article 2 : Les cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de contribution additionnelle à l'impôt sur les sociétés auxquelles la SAS Cema a été assujettie au titre de l'exercice qu'elle a clos en 2003 sont remises à la charge de la société Groupe Lactalis.
Article 3 : Les conclusions de la société Groupe Lactalis présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société Groupe Lactalis et au ministre de l'économie et des finances.
Copie sera adressée au directeur chargé de la direction de contrôle fiscal Nord.
''
''
''
''
2
N°11DA02029