Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société EGB d'Eu a demandé au tribunal administratif d'Amiens de condamner la communauté de communes de l'Abbevillois à lui verser une indemnité globale de 1 023 033 euros toutes taxes comprises en réparation des préjudices subis du fait de son éviction du lot n° 2 " gros oeuvre ", relatif au marché de construction d'un " dépôt bus " sur le territoire de la commune d'Abbeville et de mettre à la charge de la commune la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 1101971 du 21 janvier 2014, le tribunal administratif d'Amiens a condamné la communauté de communes de l'Abbevillois à verser à la société EGB d'Eu une indemnité de 63 034 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 10 mai 2011 et a mis à la charge de l'établissement public de coopération intercommunale une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 21 mars 2014 et 24 novembre 2015, la communauté de communes de l'Abbevillois, représentée par la SCP Van A...- Duponchelle - Missiaen, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter la demande de la société EGB d'Eu ;
3°) de mettre à la charge de la société EGB d'Eu la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la société EGB Eu n'a pas demandé devant les premiers juges l'annulation de la décision du 7 juin 2011 par laquelle le président de la communauté de communes de l'Abbevillois a rejeté sa demande indemnitaire préalable ;
- l'attribution de la note de 4,5 sur 5 à l'un des sous-critères résulte non d'un changement dans le règlement du marché mais d'une simple erreur ;
- la société EGB qui aurait dû obtenir la note de 2,5 sur 5 compte tenu de la qualité inférieure de son offre, ne pouvait obtenir le marché ;
- l'exécutif et les cadres de la collectivité ont été relaxés du chef d'inculpation de favoritisme par le juge judiciaire ;
- la demande indemnitaire de la société EGB d'Eu reposant sur la perte de marge bénéficiaire est infondée et les préjudices invoqués sont excessifs.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 7 novembre 2014 et 22 décembre 2015, la société EGB d'Eu, représentée par la SCP Frison et associés, conclut au rejet de la requête, à titre incident à ce que la communauté de communes de l'Abbevillois soit condamnée à lui verser une indemnité totale de 1 023 033 euros toutes taxes comprises, à la mise à la charge de l'établissement public de la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, et, à titre subsidiaire, à ce qu'une expertise comptable et financière soit ordonnée par la cour.
Elle soutient que :
- ses conclusions indemnitaires sont recevables ;
- les moyens de la requête ne sont pas fondés ;
- sa demande indemnitaire doit être réévaluée par la cour à la somme de 1 023 033 euros.
Par une ordonnance du 2 décembre 2015, la clôture d'instruction a été fixée au 23 décembre 2015.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des marchés publics ;
- le code de justice administrative.
Les parties on été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Hadi Habchi, premier conseiller,
- les conclusions de M. Jean-Michel Riou, rapporteur public,
- et les observations de Me C...A..., représentant la communauté de communes de l'Abbevillois, et celles de Me D...B..., représentant la société EGB d'Eu.
1. Considérant qu'à la suite d'un avis d'appel public à la concurrence publié le 30 octobre 2009, la communauté de communes de l'Abbevillois a lancé une procédure adaptée de passation d'un marché portant sur la construction d'un " dépôt bus " situé dans le centre-ville de la commune d'Abbeville ; que le lot n°2 relatif au gros oeuvre du marché a été attribué à la société Balestra au cours du premier trimestre 2010 ; qu'en 2011, la société EGB d'Eu, concurrent évincé, a demandé au tribunal administratif d'Amiens de condamner la communauté de communes à l'indemniser du préjudice subi du fait de son éviction irrégulière ; que l'établissement public de coopération intercommunale relève appel du jugement du 21 janvier 2014 par lequel le tribunal administratif d'Amiens l'a condamnée à verser à la société EGB d'Eu une indemnité de 63 034 euros, assortie des intérêts au taux légal ; que, par la voie de l'appel incident, la société intimée demande à la cour de porter l'indemnité en réparation des préjudices subis à la somme de 1 023 033 euros toutes taxes comprises, assortie des intérêts au taux légal à compter du 9 mai 2011 ;
Sur la fin de non-recevoir opposée par la communauté de communes à la demande de première instance :
2. Considérant qu'il est constant que la société EGB d'Eu a lié le contentieux en sollicitant préalablement mais sans succès auprès de l'administration le versement d'une indemnité en réparation de son éviction du marché qu'elle estime irrégulière ; que sa demande présentée devant le tribunal administratif d'Amiens qui tendait à la même fin était recevable alors même qu'elle n'a pas sollicité l'annulation du rejet de sa réclamation indemnitaire ; que, par suite, la fin de non-recevoir opposée par la communauté de communes de l'Abbevillois doit être rejetée ;
Sur l'irrégularité de l'éviction de la société intimée :
3. Considérant, d'une part, que l'article 53 du code des marchés publics alors en vigueur, et rendu applicable au marché en litige en vertu des stipulations de l'article 4-2 du règlement de la consultation établi par la communauté de communes de l'Abbevillois : " I. - Pour attribuer le marché au candidat qui a présenté l'offre économiquement la plus avantageuse, le pouvoir adjudicateur se fonde : / 1° Soit sur une pluralité de critères non discriminatoires et liés à l'objet du marché, notamment la qualité, le prix, la valeur technique, le caractère esthétique et fonctionnel, les performances en matière de protection de l'environnement, les performances en matière d'insertion professionnelle des publics en difficulté, le coût global d'utilisation, la rentabilité, le caractère innovant, le service après-vente et l'assistance technique, la date de livraison, le délai de livraison ou d'exécution. D'autres critères peuvent être pris en compte s'ils sont justifiés par l'objet du marché (...) / II. - Pour les marchés passés selon une procédure formalisée autre que le concours et lorsque plusieurs critères sont prévus, le pouvoir adjudicateur précise leur pondération / Le poids de chaque critère peut être exprimé par une fourchette dont l'écart maximal est approprié (...) " ;
4. Considérant, d'autre part, que pour assurer le respect des principes de liberté d'accès à la commande publique, d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures, l'information appropriée des candidats sur les critères d'attribution d'un marché public est nécessaire, dès l'engagement de la procédure d'attribution du marché, dans l'avis d'appel public à concurrence ou le cahier des charges tenu à la disposition des candidats ; que dans le cas où le pouvoir adjudicateur souhaite retenir d'autres critères que celui du prix, l'information appropriée des candidats doit alors porter également sur les conditions de mise en oeuvre de ces critères ; qu'il appartient au pourvoir adjudicateur d'indiquer les critères d'attribution du marché et les conditions de leur mise en oeuvre selon les modalités appropriées à l'objet, aux caractéristiques et au montant du marché concerné ; qu'en outre, si le pouvoir adjudicateur décide, pour mettre en oeuvre ces critères de sélection des offres, de faire usage de sous-critères, il doit porter à la connaissance des candidats leurs conditions de mise en oeuvre dès lors que ces sous-critères sont susceptibles d'exercer une influence sur la présentation des offres par les candidats ainsi que sur leur sélection et doivent en conséquence être eux-mêmes regardés comme des critères de sélection ;
5. Considérant qu'il résulte des termes du règlement de la consultation que, pour apprécier l'offre présentée par les entreprises candidates au lot n° 2 " gros oeuvre " de la construction d'un " dépôt bus " sur la commune d'Abbeville, le pouvoir adjudicateur a entendu se fonder sur trois critères que sont le prix, la valeur technique de l'offre et le délai d'intervention, noté chacun sur 10, et pondéré respectivement à 40%, 50% et à 10% ; qu'il résulte également de l'instruction, que le critère de la valeur technique de l'offre comportait trois sous-critères, le premier intitulé " provenance, références, caractéristiques des matériaux et matériels proposés ", le deuxième relatif à la " prise en compte des existants par visite du site en phase de consultation des entreprises ", et le troisième intitulé " gestion des déchets de chantier ", chacun de ces sous-critères étant respectivement noté sur 5, 3 et 2 points ; qu'en outre, chacun des trois sous critères a été doté d'un indice de notation comportant un coefficient allant de 0 (insuffisant-a), 0,5 (moyen-b) à 1 (satisfaisant-c), calculé, pour le critère de la valeur technique, selon la formule de notation (5 x a,b, ou c) + (3 x a,b, c) + (2 x a,b ou c) ;
6. Considérant que l'offre de la société Balestra, retenue pour la mise en oeuvre du lot n° 2 a obtenu une note globale pondérée de 8,87 sur 10, et celle de la société EGB d'Eu a été évaluée à 8,83 sur 10 ; que le tableau de classement des offres faisait alors apparaître que cette société était placée en deuxième position sur sept ; que l'évaluation du premier sous-critère mentionné au point précédent a conduit à attribuer une note de 5 sur 5 (satisfaisante) à la société Balestra, et de 4,5 sur 5 à la société EGB d'Eu, cette différence ayant à elle seule eu pour effet de classer la société Balestra en première position ; que, toutefois, en vertu de la formule de calcul rappelée au point 5, l'application du règlement de la consultation rendait impossible l'attribution d'une notation de 4,5 sur 5 ;
7. Considérant qu'il résulte de l'instruction que la note de 4,5 sur 5 ainsi attribuée à la société évincée ne trouve pas son origine dans la volonté de la commission d'appels d'offres du 24 février 2011 de modifier de manière irrégulière le règlement de la consultation, mais dans la mise en oeuvre erronée de la méthode de notation explicitée au point 5 ; que la communauté de communes soutient que la société EGB d'Eu aurait dû en réalité obtenir la note de 2,5 sur 5 compte tenu d'une qualité moindre de son offre par rapport à celle de la société Balestra pour le sous-critère " provenances, références, caractéristiques des matériaux et matériels " ; qu'elle fait également valoir que l'erreur commise n'a pu, dans ces conditions, avoir d'incidence sur le classement des deux sociétés au regard des mérites respectifs de leur offre ; qu'il ne résulte cependant pas de l'instruction, et notamment de la comparaison des mémoires techniques des deux sociétés concurrentes, que l'offre de la société EGB d'Eu présentait une qualité inférieure à celle de la société Balestra au regard des critères choisis et de sa présentation dès lors qu'aucune différence substantielle de niveau entre les deux offres, tant sur la qualité que sur la provenance des matériaux, n'est établie ; qu'au demeurant, le tableau d'analyse des offres rédigé par le maître d'oeuvre de l'opération pour éclairer la commission attribuait une notation identique de 5 pour ce poste aux deux sociétés ; qu'il ne résulte pas de l'instruction qu'en cours de séance, la commission d'appels d'offres se soit livré à un examen réel et détaillé de ces documents ; qu'en se bornant ainsi à soutenir que l'offre de la société EGB d'Eu aurait été " indigente " pour le poste, la collectivité appelante ne démontre pas l'insuffisance qu'elle allègue ; que, dans ces conditions, la distinction faite par la commission d'appels d'offres dans l'appréciation de l'offre des deux sociétés en cause est entachée d'une erreur manifeste ;
8. Considérant que si, par un jugement du 19 novembre 2013 de la chambre correctionnelle du tribunal de grande instance d'Amiens, le président de l'établissement public de coopération intercommunale, la directrice générale des services, ainsi que l'attachée territoriale en charge des marchés, ont été relaxés du chef de favoritisme dans l'attribution d'un marché public, l'appréciation ainsi portée par le tribunal de grande instance ne repose pas sur des faits différents de ceux retenus dans le présent arrêt ; que l'éviction de la société EGB d'Eu ne reposant pas sur des faits constituant une infraction pénale, l'appréciation du juge pénal ne s'imposait pas, en tout état de cause, à l'autorité administrative ; que, par suite, la communauté de communes de l'Abbevillois n'est pas fondée à se prévaloir de l'autorité de la chose jugée par le juge correctionnel ;
9. Considérant qu'il résulte de ce qui a été dit aux points précédents et des éléments de notation établis par le maître d'oeuvre, non utilement contredits par l'établissement public appelant, que la société EGB d'Eu avait présenté devant le pouvoir adjudicateur l'offre économiquement la plus avantageuse au regard de la pondération de l'ensemble des critères retenus par le règlement de la consultation ; qu'en vertu de ce qui a été dit au point 7 et des autres notes obtenues par la société EGB d'Eu, elle aurait dû obtenir la note totale de 9,08 sur 10, et être classée en tête pour l'attribution du marché ; que, par suite, la communauté de communes de l'Abbevillois n'est pas fondée à soutenir que l'éviction de la société EGB d'Eu du lot n°2 " gros oeuvre " du marché de construction du " dépôt-bus " n'était pas irrégulière ;
Sur l'indemnisation du préjudice :
10. Considérant que lorsqu'une entreprise candidate à l'attribution d'un marché public demande la réparation du préjudice né de son éviction irrégulière de ce dernier, il appartient au juge de vérifier d'abord si l'entreprise était ou non dépourvue de toute chance de remporter le marché ; que, dans l'affirmative, l'entreprise n'a droit à aucune indemnité ; que, dans la négative, elle a droit en principe au remboursement des frais qu'elle a engagés pour présenter son offre ; qu'il convient ensuite de rechercher si l'entreprise avait des chances sérieuses d'emporter le marché ; que, dans un tel cas, l'entreprise a droit à être indemnisée de son manque à gagner, incluant nécessairement, puisqu'ils ont été intégrés dans ses charges, les frais de présentation de l'offre qui n'ont donc pas à faire l'objet, sauf stipulation contraire du contrat, d'une indemnisation spécifique ;
11. Considérant qu'il résulte du point 9 que la société EGB d'Eu avait des chances sérieuses de se voir attribuer le lot n°2 ; qu'ainsi en vertu de la règle rappelée au point 10, elle a droit à l'indemnisation du manque à gagner pour elle résultant de son éviction, qui doit être déterminé en fonction du bénéfice net que lui aurait procuré le marché en cause si elle l'avait obtenu ; qu'en fixant une somme de 53 034 euros, au demeurant non sérieusement contestée par la collectivité appelante, incluant le manque à gagner, ainsi que nécessairement, en l'absence de stipulations contraires, les frais de présentation de l'offre, à l'exclusion des frais généraux de l'entreprise, le tribunal administratif d'Amiens n'a pas fait une évaluation erronée de ce chef de préjudice ;
12. Considérant qu'en revanche, en se bornant à produire, devant la juridiction administrative, un état sommaire de dépenses établi par l'expert-comptable de l'entreprise, la société EGB d'Eu ne démontre pas de manière probante avoir engagé, à hauteur d'une somme de 10 000 euros, des dépenses de procédure amiable et pré-contentieuse pour établir l'irrégularité de son éviction ; que, par suite, la communauté de communes est fondée à demander que la condamnation prononcée par le tribunal administratif soit diminuée de ce montant ;
13. Considérant, enfin, qu'il ne résulte pas de l'instruction que l'éviction de la société EGB d'Eu du marché de " dépôt Bus " ait occasionné pour la société un préjudice d'image ou un préjudice moral, alors même qu'elle a décidé d'engager des actions devant les juridictions administratives et judiciaires ; que, par suite, les conclusions d'appel incident tendant à la réparation de ces préjudices doivent être rejetées ;
14. Considérant qu'il résulte de ce qui a été dit aux points 10 à 13 que la communauté de communes de l'Abbevillois est seulement fondée à demander la réduction de l'indemnité mise à sa charge par le tribunal administratif d'Amiens, à la somme de 53 034 euros et de réformer en ce sens le jugement attaqué ;
Sur les intérêts :
15. Considérant qu'il résulte de l'instruction que la demande indemnitaire préalable que la société intimée a formée, a été réceptionnée par la communauté de communes de l'Abbevillois le 10 mai 2011 ; que, par suite, il y a lieu d'assortir la somme fixée au point 14 des intérêts au taux légal à compter de cette date ;
Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
16. Considérant qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société intimée la somme que réclame l'établissement public de coopération intercommunale sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ni de mettre à la charge de la communauté de communes de l'Abbevillois la somme que demande au même la société EGB d'Eu ;
DÉCIDE :
Article 1er : La communauté de communes de l'Abbevillois est condamnée à verser une indemnité de 53 034 euros à la société EGB d'Eu. Cette somme sera assortie des intérêts au taux légal à compter du 10 mai 2011.
Article 2 : L'article 1er du jugement du tribunal administratif d'Amiens est reformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 4 : Les conclusions d'appel présentées par la société EGB d'Eu sont rejetées.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la communauté de communes de l'Abbevillois et à la société EGB d'Eu.
Délibéré après l'audience publique du 19 mai 2016 à laquelle siégeaient :
- M. Olivier Yeznikian, président de chambre,
- M. Christian Bernier, président-assesseur,
- M. Hadi Habchi, premier conseiller.
Lu en audience publique le 2 juin 2016.
Le rapporteur,
Signé : H. HABCHILe premier vice-président de la cour
président de chambre,
signé : O. YEZNIKIAN
Le greffier,
Signé : S. DUPUIS
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
Le greffier en chef,
Par délégation,
Le greffier,
Sylviane Dupuis
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N°14DA00525 2