Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société PNSA, exerçant sous le nom de marque Peinture Normandie, a demandé au tribunal administratif de Rouen de condamner, d'une part, la commune de Rugles (Eure) à lui verser une indemnité globale de 46 417,22 euros en réparation des préjudices économiques et financiers qu'elle allègue avoir subis, du fait de l'allongement des délais d'exécution du lot dont elle était titulaire, d'autre part à ce que le solde du marché d'un montant de 1 419,10 euros lui soit réglé, ces sommes étant assorties des intérêts moratoires majorés et de la capitalisation, et enfin, à ce que soit mise à la charge de la même commune une somme de 3 500 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
Par un jugement n° 1102611 du 3 juin 2014, le tribunal administratif de Rouen a condamné la commune de Rugles à verser à la société PNSA les intérêts moratoires liés au retard dans le mandatement des sommes dont la collectivité était redevable ainsi qu'il est énoncé à l'article 1er du jugement, puis a fait droit à la demande de capitalisation de ces intérêts à compter du 14 septembre 2011, ainsi qu'à chaque échéance annuelle, et, enfin, a rejeté le surplus de ses demandes, y compris celle présentée sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 25 juillet 2014 et 30 août 2016, la société PNSA, représentée par Me E...D..., et MeB..., mandataire judiciaire, demandent à la cour :
1°) de réformer ce jugement et de condamner la commune de Rugles à lui verser les sommes de 24 921, 43 euros au titre du préjudice résultant de l'allongement des délais, 21 495, 79 euros au titre du préjudice résultant des frais administratifs supplémentaires, 1 419, 10 euros au titre du solde du marché, augmentés des intérêts moratoires majorés, sur l'ensemble des situations réglées en retard et sur l'ensemble des sommes qui lui sont dues, avec capitalisation annuelle conformément aux principes dont s'inspire l'article 1154 du code civil, et ce jusqu'à parfait paiement ;
2°) de mettre à la charge de la commune de Rugles une somme de 6 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la commune de Rugles a commis une faute en modifiant substantiellement le délai d'intervention sans en débattre avec elle, et sans avenants ainsi que les conditions d'exécution du lot " peinture " dont elle était titulaire ;
- cette collectivité a failli dans l'exercice de son pouvoir de contrôle et de direction du chantier ;
- cette modification du délai d'exécution constitue également un bouleversement de l'économie du contrat ;
- elle a droit à être indemnisée de l'augmentation de ses frais variables ainsi que de ses frais généraux;
- au titre de ses frais variables, doivent être pris en compte les effets de l'inflation dès lors que faute d'avenant fixant de nouveaux délais d'exécution, la clause contractuelle concernant la variation des prix était impraticable et le marché n'était pas révisable ;
- elle a également engagé des frais de rendez-vous et de visites de chantier supplémentaires, qui doivent être indemnisés ;
- au titre de ses frais généraux, elle a supporté des frais de tenue de planning et de suivi des comptes rendus de chantier ainsi que des frais d'établissements de situations supplémentaires et une perte d'industrie ;
- elle a droit au solde du marché pour une somme de 1 419,10 euros ;
- elle a droit enfin aux intérêts moratoires pour l'ensemble des situations de retard.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 12 mars 2015 et 5 septembre 2016, la commune de Rugles, représentée par Me C...A..., conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la société PNSA une somme de 3 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la demande de première instance relative au préjudice de " perte en industrie " n'est pas recevable au regard de l'article 50-11 du CCAG travaux ;
- les moyens de la requête d'appel ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code des marchés publics ;
- le cahier des clauses administratives générales applicable aux marchés de travaux ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Olivier Yeznikian, président de chambre,
- les conclusions de M. Jean-Marc Guyau, rapporteur public.
1. Considérant que, par un acte d'engagement du 24 mai 2006, la commune de Rugles, dans le département de l'Eure, a confié à la société Peinture Normandie, dénommée " société PNSA " l'exécution du lot n°11 " peinture " d'un marché de travaux ayant pour objet la construction d'une maison des services, située dans l'ancien orphelinat de cette commune ; que le délai global d'exécution de ce lot a été fixé à douze mois ; que, par un ordre de service du 1er juin 2006, le maître d'ouvrage, Eure aménagement développement (EAD), agissant pour le compte de la commune, a fixé le démarrage des travaux de peinture au 5 juin 2006 ; qu'à la suite d'aléas liés à l'intervention d'autres entreprises dans le cadre de la construction de l'ouvrage, plusieurs ordres de service successifs ont eu pour objet de décaler l'intervention de la société PNSA, qui devait initialement prendre fin au mois de juin 2007, et d'allonger de trente neuf semaines la durée du chantier ; qu'après l'achèvement du chantier " peinture " au cours du mois de mai 2008, la réception des travaux dont la société intéressée était responsable a été prononcée avec de nombreuses réserves, le 13 octobre 2008 ; que la société PNSA a demandé au tribunal administratif de Rouen de condamner la commune de Rugles à lui payer divers montants dans le cadre du règlement financier ainsi que des intérêts moratoires majorés et capitalisés ; qu'elle relève appel du jugement du 3 juin 2014 qui a partiellement fait droit à ses demandes ;
Sur la fin de non-recevoir soulevée en première instance :
2. Considérant qu'il résulte de l'instruction que l'entreprise, qui avait transmis son projet de décompte, a demandé au tribunal administratif de Rouen que soient prises en compte, au titre du règlement financier du marché, les conséquences dommageables qu'elle estime avoir subies du fait de l'allongement de la durée du marché en l'absence notamment d'un avenant dont elle avait sollicité en vain en cours de marché l'adoption ; qu'un tel différend n'oppose pas, en tout état de cause, l'entreprise au maître d'oeuvre mais au maître d'ouvrage ; que, par suite, la commune de Rugles n'est pas fondée à soutenir que la demande était irrecevable au motif que les modalités de règlement des différends survenant entre le maître d'oeuvre et l'entrepreneur fixées par l'article 50.11 du cahier des clauses administratives générales applicable aux marchés de travaux alors applicable, n'auraient été respectées ;
Sur les préjudices résultant du bouleversement de l'économie du contrat et des fautes commises par le maître d'ouvrage :
3. Considérant que les difficultés rencontrées dans l'exécution d'un marché à forfait ne peuvent ouvrir droit à indemnité au profit de l'entreprise titulaire du marché que dans la mesure où celle-ci justifie soit que ces difficultés ont eu pour effet de bouleverser l'économie du contrat, soit qu'elles sont imputables à une faute de la personne publique, mais pas du seul fait de fautes commises par d'autres intervenants ;
4. Considérant, d'une part, que, contrairement à ce que soutient la société appelante, il ne résulte pas de l'instruction, notamment au regard des documents produits, que le décalage de onze mois de son chantier aurait eu pour effet de bouleverser l'économie du contrat de marché dont elle était attributaire ;
5. Considérant, d'autre part, qu'il résulte de l'instruction que les retards successifs du chantier de construction de la maison des services à Rugles, qui ont eu pour effet l'allongement du délai d'intervention de la société PNSA et le décalage de son chantier de onze mois, sont essentiellement dus aux retards pris dans l'exécution des opérations de gros oeuvre, faisant intervenir plusieurs sociétés dont une s'est révélée défaillante ; qu'il ne résulte pas de l'instruction que la commune de Rugles, maître d'ouvrage et son mandataire, " Eure aménagement développement ", auraient commis des fautes dans l'exécution de leurs obligations contractuelles, ni que l'une ou l'autre aurait failli dans l'exercice du pouvoir de contrôle ou de direction, dans la conduite globale des opérations ; qu'en se bornant à alléguer devant la cour que la commune concernée ne se serait pas suffisamment assurée de la solidité, notamment financière, des entreprises contractantes et n'aurait pas anticipé leur éventuelle défaillance, la société appelante ne démontre pas, tant en première instance qu'en appel, que la personne publique aurait commis des fautes susceptibles d'engager sa responsabilité ;
6. Considérant que, par suite, la société appelante n'est pas fondée à demander l'indemnisation des préjudices résultant de l'augmentation des frais variables et généraux de l'entreprise, notamment de la perte en industrie ;
Sur l'insuffisante prise en compte de l'actualisation :
7. Considérant, d'une part, qu'il résulte de l'acte d'engagement du 13 février 2016, que le marché de travaux lié au lot n° 11 " peinture " a été conclu à prix global et forfaitaire pour un montant de 97 016,70 euros toutes taxes comprises ;
8. Considérant, d'autre part, qu'aux termes des stipulations de l'article 3.4.1 de l'additif au cahier des clauses administratives particulières, rendues applicables au marché de travaux en litige par l'article 5 de l'acte d'engagement conclu entre la commue de Rugles et la société appelante : " Les prix sont fermes actualisables " ; que l'article 3.4.6 de cet additif précise que " si l'ordre de service de commencer les travaux intervient dans un délai supérieur à 3 mois à compter du mois Mo (...) [décembre 2005], les prix seront actualisés selon la formule suivante... " ; qu'enfin, cet article fixe la formule d'actualisation des prix en retenant la formule " A = I(d-3)/Io ", dans laquelle I correspond à l'index du mois de démarrage des travaux moins 3 mois et Io l'index du mois Mo ;
9. Considérant que la commune de Rugles a méconnu les stipulations contractuelles vis-à-vis de la société appelante en n'ayant pas pris comme index de référence pour le mois de démarrage des travaux le mois réel, soit le mois de mai 2007 ; que la société PNSA a droit à une actualisation fondée sur le mois de mai 2007 comme mois de démarrage des travaux, ce qui correspond à l'indice BT 01 pour le mois de février 2007 ; que le mois de départ de l'actualisation doit également être rétabli en utilisant décembre 2005 et non février 2006 comme cela a été le cas dans le jeu réel de la clause d'actualisation ; que, par ailleurs, le coefficient d'actualisation auquel l'entreprise a droit est le rapport entre l'indice BT 01 de février 2007 et celui de décembre 2005 soit 1,07, au lieu de 1,006 effectivement appliqué ; que, par suite, l'actualisation aurait dû être de 5 868,29 euros HT au lieu de 503 euros hors taxes (HT), d'où il résulte une indemnisation à allouer de 5 365,29 euros HT, soit 6 438,35 euros toutes taxes comprises (TTC) ;
En ce qui concerne le reliquat des acomptes :
10. Considérant qu'il résulte de manière suffisamment précise des différentes situations de paiement, en particulier celles numérotées 7 et 10, que la société PNSA a droit à un reliquat s'élevant à la somme de 1 419, 09 euros TTC ; que la commune de Rugles ne peut à cet égard se borner à soutenir qu'elle n'avait pas établi le décompte général dont elle est responsable ;
11. Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ce qui précède que la société appelante a droit à la somme totale de 7 857, 44 euros TTC, assortie des intérêts de retard à compter du 13 novembre 2009, date de réception du projet de décompte final, ces intérêts étant eux-mêmes capitalisés à compter du 14 septembre 2011, date d'enregistrement de la demande de première instance et à chaque échéance annuelle ;
Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
12. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Rugles la somme de 1 500 euros exposée par la société PNSA sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; qu'en revanche, ces dispositions font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées sur leur fondement par la commune de Rugles ;
DÉCIDE :
Article 1er : La commune de Rugles versera à la société PNSA la somme de 7 857,44 euros TTC, assortie des intérêts de retard, à compter du 13 novembre 2009. Ces intérêts seront capitalisés à compter du 14 septembre 2011 puis à chaque échéance annuelle.
Article 2 : Le jugement du 3 juin 2014 du tribunal administratif de Rouen est réformé en ce qu'il a de contraire à l'article 1er du présent arrêt.
Article 3 : La commune de Rugles versera à la société PNSA la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société PNSA, à MeB..., mandataire judiciaire, et à la commune de Rugles.
Délibéré après l'audience publique du 15 septembre 2016 à laquelle siégeaient :
- M. Olivier Yeznikian, président de chambre,
- M. Christian Bernier, président-assesseur,
- Mme Amélie Fort-Besnard, premier conseiller.
Lu en audience publique le 29 septembre 2016.
Le président-assesseur,
Signé : C. BERNIERLe premier vice-président de la cour,
Président de chambre, rapporteur,
Signé : O. YEZNIKIAN
Le greffier,
Signé : S. DUPUIS
La République mande et ordonne au ministre de l'économie et des finances en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
Le greffier en chef,
Par délégation,
Le greffier,
Sylviane Dupuis
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N°14DA01296