Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société par actions simplifiée SEGEX a demandé au tribunal administratif de Lille de condamner Lille Métropole Communauté Urbaine (LMCU) à lui verser une somme de 1 829 350,80 euros hors taxes, assortie des intérêts au taux légal à compter du 7 juin 2011, en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis en conséquence de l'éviction du groupement dont elle était le mandataire de la procédure d'appel d'offres restreint portant sur l'attribution d'un marché de conception-réalisation concernant la remise en eau de l'avenue du Peuple Belge et du bras de la Basse Deûle, sur le territoire des communes de Lille, de Saint-André-Lez-Lille et de La Madeleine.
Par un jugement n° 1106574 du 7 octobre 2014, le tribunal administratif de Lille a rejeté cette demande et mis à la charge de la SAS SEGEX une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 4 décembre 2014 et le 22 juin 2016, la SAS SEGEX, représentée par Me C...E..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Lille du 7 octobre 2014 ;
2°) de condamner LMCU, devenue la Métropole européenne de Lille (MEL), à lui verser une somme de 472 957,59 euros hors taxes à titre de réparation de ses préjudices ;
3°) de mettre à la charge de la MEL une somme de 15 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la MEL a commis une faute de nature à engager sa responsabilité à son égard, en tardant à lui faire connaître sa décision de refuser au groupement dont elle est le mandataire l'autorisation de modifier sa composition pour tenir compte du retrait de l'une des entreprises le composant et en lui laissant croire, au contraire, que la demande formée à cette fin serait accueillie ;
- la MEL a commis une autre faute susceptible de lui ouvrir droit à indemnisation, en retenant, pour l'attribution d'une partie du marché de maîtrise d'oeuvre de la même opération, la candidature de l'une des entreprises composant ce groupement, ce qui a conduit celle-ci à devoir se retirer ;
- elle n'a, quant à elle, pas tardé à informer le pouvoir adjudicateur de cette situation, aussitôt qu'elle en a eu connaissance, ni à lui présenter le sous-traitant appelé à reprendre la mission de l'entreprise partante ;
- les fautes ainsi commises par la MEL lui ont causé un préjudice direct et certain, dès lors que les membres du groupement ont continué à travailler inutilement sur le projet en cause et ont ainsi exposé des frais d'études s'élevant à la somme totale de 472 957,59 euros hors taxes, dont elle est fondée à demander la prise en charge par la MEL.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 9 juin 2015 et le 26 octobre 2016, la MEL, représentée par Me F...D..., conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la SAS SEGEX au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- elle n'a commis aucune faute de nature à engager sa responsabilité à l'égard du groupement dont la SAS SEGEX est le mandataire ;
- la société appelante a, au contraire, commis une imprudence en continuant à travailler à l'élaboration de son offre alors même qu'elle ne pouvait ignorer que sa demande était devenue irrégulière, au regard de l'article 51 du code des marchés publics et pour des motifs non indépendants de la volonté de l'entreprise partante.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des marchés publics ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Jean-François Papin, premier conseiller,
- les conclusions de M. Hadi Habchi, rapporteur public,
- et les observations de Me C...E..., représentant la SAS SEGEX, et de Me B...A..., substituant Me F...D..., représentant la MEL.
1. Considérant que, par un avis d'appel public à la concurrence publié le 2 mars 2010 au bulletin officiel d'annonces des marchés publics (BOAMP), ainsi qu'au journal officiel de l'Union européenne (JOUE), la communauté urbaine de Lille, devenue Lille Métropole Communauté Urbaine (LMCU), puis Métropole européenne de Lille (MEL) depuis le 1er janvier 2015, a initié une procédure d'appel d'offres restreint en vue de la passation d'un marché de conception-réalisation concernant la remise en eau de l'avenue du Peuple Belge et du bras de la Basse Deûle, sur le territoire des communes de Lille, de Saint-André-Lez-Lille et de La Madeleine ; qu'un groupement dont la société par actions simplifiée SEGEX a indiqué être le mandataire a présenté sa candidature, celui-ci étant composé des entreprises Corajoud-Salliot-Taborda, Haskoning France, Biodiversita, Magos, OGI, BS Consultants, ICF Environnement, Agrigex, SNFRE, Geosys, Razel et Henri Chevalier ; que, par une correspondance du 29 juin 2010, le président de LMCU a fait connaître à la SAS SEGEX que cette candidature était retenue, de sorte que la procédure de consultation pourrait se poursuivre à son égard sur la base de l'offre qu'elle serait amenée à présenter au nom du groupement ; que, toutefois, la société à responsabilité limitée Haskoning France ayant fait connaître à la SAS SEGEX sa décision de se retirer du groupement, cette dernière a, en conséquence, demandé au pouvoir adjudicateur l'autorisation de modifier la composition de celui-ci, pour tenir compte de ce retrait, et la validation de la reprise par elle-même de la mission confiée à l'entreprise sortante ; que LMCU a cependant décidé de ne pas autoriser cette modification et d'écarter, en conséquence, la candidature du groupement ; que la SAS SEGEX relève appel du jugement du 7 octobre 2014, par lequel le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à la condamnation de la MEL à lui verser une somme de 1 829 350,80 euros hors taxes, assortie des intérêts au taux légal à compter du 7 juin 2011, en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis en conséquence de cette éviction ; qu'ayant toutefois appris que la MEL avait finalement renoncé à attribuer le marché en cause, elle a indiqué avoir renoncé à présenter, en cause d'appel, des conclusions tendant à la réparation du préjudice lié à la perte de chance de se voir attribuer ce marché et a ramené en conséquence le montant de sa demande indemnitaire à une somme de 472 957,59 euros hors taxes ;
2. Considérant qu'aux termes de l'article 51 du code des marchés publics, dans sa rédaction applicable au présent litige : " I. - Les opérateurs économiques sont autorisés à se porter candidat sous forme de groupement solidaire ou de groupement conjoint, sous réserve du respect des règles relatives à la concurrence. / (...) / V. - La composition du groupement ne peut être modifiée entre la date de remise des candidatures et la date de signature du marché. Toutefois, si le groupement apporte la preuve qu'un de ses membres est mis en liquidation judiciaire ou qu'il se trouve dans l'impossibilité d'accomplir sa tâche pour des raisons qui ne sont pas de son fait, il peut demander au pouvoir adjudicateur l'autorisation de continuer à participer à la procédure de passation sans cet opérateur défaillant, en proposant le cas échéant à l'acceptation du pouvoir adjudicateur un ou plusieurs sous-traitants. Le pouvoir adjudicateur se prononce sur cette demande après examen de la capacité professionnelle, technique et financière de l'ensemble des membres du groupement ainsi transformé et, le cas échéant, des sous-traitants présentés à son acceptation. / (...) " ;
3. Considérant qu'il résulte de l'instruction que la candidature de la SARL Haskoning France, membre du groupement d'entreprises, a été retenue par LMCU dans le cadre d'une autre procédure de consultation lancée en vue de la conclusion d'un marché d'assistance à maîtrise d'ouvrage concernant la même opération d'aménagement ; que, la SARL Haskoning France étant ainsi appelée à assister le pouvoir adjudicateur dans le choix des offres qui seraient présentées dans le cadre de l'appel d'offres restreint afférent au marché de conception-réalisation en cause, elle a estimé ne pas pouvoir poursuivre sa collaboration avec la SAS SEGEX dans l'élaboration de l'offre de ce groupement d'entreprises et a ainsi fait connaître à cette dernière, le 18 octobre 2010, sa décision de se retirer, laquelle a amené la SAS SEGEX à demander au pouvoir adjudicateur, le 22 octobre 2010, l'autorisation de modifier la composition du groupement ; que toutefois, en présentant sa candidature en vue de la conclusion du marché d'assistance à maîtrise d'ouvrage alors même qu'elle était, dans le même temps, membre d'un groupement candidat à l'attribution du marché de conception-réalisation concernant la même opération, la SARL Haskoning France a pris un risque qui est directement à l'origine de la situation de conflit d'intérêts dans laquelle elle s'est trouvée placée et qui l'a conduite à devoir se retirer du groupement d'entreprises ; qu'ainsi, si cette société était dans l'impossibilité d'accomplir la tâche qui lui était dévolue au sein de ce groupement, cette situation ne résultait pas, au sens et pour l'application des dispositions précitées de l'article 51 du code des marchés publics, de raisons qui n'étaient pas de son fait ; que, par suite, LMCU a pu à bon droit refuser, le 8 mars 2011, à la SAS SEGEX de faire droit à la demande qu'elle avait formée afin d'être autorisée à modifier la composition du groupement et ce refus n'est dès lors entaché d'aucune illégalité fautive ;
4. Considérant que LMCU, qui, dans le cadre de la consultation préalable à l'attribution du marché d'assistance à maîtrise d'ouvrage, devait se conformer aux règles du code des marchés publics visant à assurer le libre accès à la commande publique et l'égalité de traitement entre les candidats, ne pouvait légalement écarter l'offre du groupement Haskoning France - Ixsane, dont était membre la SARL Haskoning France, au seul motif que cette dernière était également membre d'un groupement d'entreprises candidat à l'attribution du marché de conception-réalisation portant sur la même opération ; qu'ainsi, en attribuant le volet environnemental du marché d'assistance à maîtrise d'ouvrage au groupement Haskoning France - Ixsane, LMCU n'a commis aucune faute de nature à engager sa responsabilité à l'égard de la SAS SEGEX ;
5. Considérant que, si la SAS SEGEX soutient que la décision de refus du 8 mars 2011, mentionnée au point 3, aurait été tardivement prise par LMCU et que ce retard serait, par lui-même, constitutif d'une faute de nature à engager la responsabilité de cet établissement public à son égard, il ressort des termes mêmes de la demande qu'elle a formulée le 22 octobre 2010 que celle-ci faisait connaître au pouvoir adjudicateur la décision de cette société d'assumer elle-même la mission jusqu'alors confiée à la SARL Haskoning France et annonçait la présentation prochaine d'un sous-traitant appelé à l'assister à cette fin ; que, même si, comme il a été dit au point 3, la demande de la SAS SEGEX visant à être autorisée à modifier la composition du groupement ne répondait pas aux conditions posées par les dispositions précitées de l'article 51 du code des marchés publics, LMCU n'était, pour autant, pas tenue de rejeter cette demande, mais il lui appartenait, en vertu même de ce texte, d'apprécier l'opportunité d'y faire droit après avoir examiné les éléments d'information fournis par la SAS SEGEX en ce qui concerne la capacité professionnelle, technique et financière de l'ensemble des membres du groupement ainsi transformé et, le cas échéant, des sous-traitants présentés à son acceptation ; qu'il résulte de l'instruction que la SAS SEGEX n'a proposé son sous-traitant, la société BIEF, que le 18 janvier 2011 et que, comme il a été dit, le pouvoir adjudicateur s'est prononcé le 8 mars 2011 ; que, dans ces conditions, le délai d'un peu moins de deux mois mis par LMCU pour examiner les capacités de ce sous-traitant, ainsi que celles du groupement constitué selon la nouvelle composition proposée n'a pas présenté un caractère anormalement long de nature à engager la responsabilité de LMCU, devenue la MEL, à l'égard du groupement dont la SAS SEGEX est le mandataire ;
6. Considérant que le fait que LMCU a, par une décision du 29 octobre 2010, prise quelques jours après la réception de la demande formulée le 22 octobre 2010 par la SAS SEGEX, modifié, afin d'éclairer les candidats, l'article 2.4 du règlement de la consultation relatif aux possibilités de modification de la composition des groupements d'entreprises, au demeurant pour y insérer une paraphrase intégrale des dispositions précitées du V de l'article 51 du code des marchés publics, n'a pas été de nature à permettre à cette société de penser légitimement que sa demande pourrait être accueillie ; que la SAS SEGEX ne peut davantage se prévaloir utilement des assurances orales que la SARL Haskoning France aurait obtenue de la part d'un responsable de LMCU quant au sort de cette demande ; qu'ainsi, la SAS SEGEX n'est pas fondée à soutenir que LMCU l'aurait, par son attitude et dans des conditions de nature à engager sa responsabilité à son égard, conduite à nourrir l'espoir d'obtenir l'autorisation de modifier la composition du groupement d'entreprises ; qu'au surplus, alors qu'elle ne pouvait ignorer que les dispositions précitées de l'article 51 du code des marchés publics faisaient, au contraire, obstacle à une telle issue favorable, elle a ainsi pris, en continuant de travailler, de même que les entreprises membres de ce groupement, sur l'élaboration de leur offre, un risque qui est à l'origine directe des préjudices dont elle fait état ;
7. Considérant qu'il résulte de ce qui a été dit aux points 2 à 6 que la SAS SEGEX n'est pas fondée à rechercher la responsabilité quasi-délictuelle de la MEL ; que ses conclusions tendant à la condamnation de cet établissement à réparer les préjudices qu'elle invoque doivent, dès lors, être rejetées ;
8. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la SAS SEGEX n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement du 7 octobre 2014, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande ; que les conclusions qu'elle présente au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent, par voie de conséquence, être rejetées ; qu'il y lieu, en revanche, de mettre, sur le fondement des mêmes dispositions, une somme de 1 500 euros à la charge de la SAS SEGEX au titre des frais exposés par la MEL et non-compris dans les dépens ;
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la SAS SEGEX est rejetée.
Article 2 : La SAS SEGEX versera à la MEL la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société par action simplifiée SEGEX et à la Métropole Européenne de Lille.
Délibéré après l'audience publique du 17 novembre 2016 à laquelle siégeaient :
- M. Paul-Louis Albertini, président de chambre,
- M. Olivier Nizet, président-assesseur,
- M. Jean-François Papin, premier conseiller.
Lu en audience publique le 1er décembre 2016.
Le rapporteur,
Signé : J.-F. PAPIN Le président de chambre,
Signé : P.-L. ALBERTINI Le greffier,
Signé : I. GENOT
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme
Le greffier,
Isabelle Genot
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N°14DA01892
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