Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme E... B... et M. D... B... ont demandé au tribunal administratif d'Amiens de condamner le centre hospitalier universitaire (CHU) d'Amiens à leur verser une provision complémentaire de 200 000 euros en réparation des préjudices subis par leur fils C... le 18 septembre 2008 à l'occasion d'une intervention chirurgicale.
Par un jugement n° 1703203 du 29 juin 2020, le tribunal administratif d'Amiens a partiellement fait droit à leur demande en condamnant le CHU d'Amiens à leur verser la somme de 11 800 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire de C... et à verser à la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de l'Oise, agissant par délégation de la CPAM de l'Aisne, la somme de 17 154,04 euros, les provisions déjà versées, respectivement de 50 000 euros pour les consorts B... et de 15 000 euros pour la CPAM de l'Aisne, venant s'imputer sur ces montants.
Procédure devant la cour :
I. Sous le n° 20DA01321, par une requête et des mémoires, enregistrés les 27 août 2020, 2 octobre 2020, 1er mars 2021, 21 avril 2021 et 19 mai 2022, le CHU d'Amiens, représenté par Me Didier Le Prado, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter les conclusions présentées par M. et Mme B... ainsi que celles de la caisse primaire d'assurance maladie de l'Aisne.
Il soutient que :
- le jugement du 29 juin 2020 est insuffisamment motivé car le tribunal a omis de répondre aux contre-critiques émises par le Pr F... sur les manquements reprochés ;
- lors de l'opération du 18 septembre 2008, il n'a pas surdosé le produit anesthésique propofol et a pris des mesures correctrices de la pression systolique du nouveau-né, de même, les opérations précédentes des 2 et 4 septembre 2008 ont été réalisées dans les règles de l'art, si bien que sa responsabilité ne peut être engagée ;
- à titre subsidiaire, à supposer qu'une faute puisse être reprochée à l'hôpital, il n'existe aucun lien direct et certain de causalité entre une éventuelle faute et le dommage subi par C... dès lors que l'hypotension de l'enfant constatée lors de l'anesthésie n'a pas de lien avec le dosage du propofol mais est liée à un aléa thérapeutique ;
- à titre très subsidiaire, à supposer que sa responsabilité soit engagée, le taux de perte de chance ne saurait être supérieur à 30 % ;
- la somme de 53 297,60 euros demandée par la CPAM n'est pas justifiée, les sommes de 36 969,60 euros et 1 340,48 euros présentent seules un lien de causalité avec les prétendus manquements qui lui sont reprochés.
Par des mémoires, enregistrés les 8 mars 2021 et 23 juin 2022, la CPAM de l'Aisne, représentée par Me Benoît de Berny, demande à la cour :
1°) d'infirmer le jugement du 29 juin 2020 en ce qu'il a limité l'indemnisation de la caisse à la somme de 2 155,04 euros ;
2°) de condamner le CHU d'Amiens à lui verser une provision de 57 922,19 euros au titre de ses débours provisoires, déduction faite de la provision de 15 000 euros et d'un éventuel taux de perte de chance, avec intérêts à compter du 21 octobre 2019, date de notification du premier mémoire et capitalisation des intérêts ;
3°) de surseoir à statuer dans l'attente de la liquidation définitive des débours ;
4°) de condamner le CHU d'Amiens à lui verser une somme de 1 114 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion ;
5°) à titre subsidiaire, si une expertise est ordonnée, d'étendre l'expertise à la vérification du lien médical entre ses frais et les soins consécutifs à l'accident ;
6°) de mettre à la charge du CHU d'Amiens la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- le CHU a commis une faute relative au surdosage de propofol lors de l'anesthésie du 18 septembre 2008, qui est de nature à engager sa responsabilité ;
- tous les soins prodigués au jeune C... sont imputables à l'accident du 18 septembre 2008 ;
- les dépens doivent être laissés à la charge des consorts B....
Par des mémoires en défense, enregistrés les 15 avril 2021, 8 septembre 2021 et 28 avril 2022, M. D... B... et Mme E... B..., agissant en qualité de représentants légaux de leurs fils C..., représentés par Me Colin Le Bonnois, demandent à la cour, par la voie de l'appel incident :
1°) de condamner le CHU d'Amiens et/ou l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à réparer intégralement les préjudices subis par C... B... et à leur verser une provision complémentaire de 200 000 euros ;
2°) d'ordonner une expertise médico-légale pour évaluer les préjudices de C... avant et après consolidation de son état de santé ;
3°) de condamner tout succombant à leur verser la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- le tribunal n'a pas suffisamment motivé la partie du jugement dans laquelle il affirme que les anesthésies précédant celle du 18 septembre 2008 ont contribué aux préjudices de la victime ;
- l'emploi de posologies excessives de propofol est à l'origine de l'hypotension de l'enfant comme il ressort du rapport du sapiteur Meistelman ;
- la réalisation de la gonadectomie bilatérale ne présentait pas un caractère urgent et aurait pu être accomplie après la résection des reliquats mullériens, ce qui aurait limité la durée de l'opération ;
- si l'expert a indiqué que le bas débit cérébral de l'enfant était d'origine multifactorielle, il ne précise par la nature des autres facteurs alors qu'aucun état antérieur à l'intervention du 18 septembre 2008 n'a été constaté ;
- une nouvelle expertise doit être ordonnée compte tenu de l'évolution de l'état de santé de C... ;
- les conclusions qu'ils présentent contre l'ONIAM sont recevables car les préjudices sont en lien avec un accident médical non fautif ouvrant droit à réparation au titre de la solidarité nationale, les préjudices subis par C... sont directement liés à un acte de prévention, de diagnostic ou de soins, présentent un caractère anormal au regard de l'état de santé de l'enfant et de son évolution prévisible et revêtent un caractère de gravité.
Par des mémoires, enregistrés les 16 avril 2021 et 29 mai 2022, l'ONIAM, représenté par Me Bertrand Joliff, demande à la cour de rejeter les conclusions indemnitaires des appelants à son encontre.
Il soutient que :
- les conclusions présentées par M. et Mme B... pour la première fois en appel sont irrecevables dès lors que les consorts B... n'ont pas dirigé leurs conclusions de première instance contre l'Office, qui n'a été mis en cause par le tribunal que dans le cadre de ses pouvoirs d'instruction ;
- à titre subsidiaire, l'état de santé de l'enfant a été causé par des fautes commises par le CHU d'Amiens, ce qui exclut l'intervention de l'ONIAM conformément à l'article L. 1142-1 II du code de la santé publique.
II. Sous le n° 20DA01326, par une requête et des mémoires enregistrés les 28 août 2020, 8 septembre 2021 et 28 avril 2022, M. D... B... et Mme E... B..., agissant en qualité de représentants légaux de leurs fils C..., représentés par Me Colin Le Bonnois, demandent à la cour :
1°) de condamner le CHU d'Amiens et/ou l'ONIAM à réparer intégralement les préjudices subis par C... B... et à leur verser une indemnité provisionnelle complémentaire de 200 000 euros ;
2°) d'ordonner une expertise médico-légale pour évaluer les préjudices de C... avant et après consolidation de son état de santé ;
3°) de condamner tout succombant à leur verser la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- le tribunal n'a pas suffisamment motivé la partie du jugement dans laquelle il affirme que les anesthésies précédant celle du 18 septembre 2008 ont contribué aux préjudices de la victime ;
- l'emploi de posologies excessives de propofol est à l'origine de l'hypotension de l'enfant comme il ressort du rapport du sapiteur Meistelman ;
- la réalisation de la gonadectomie bilatérale ne présentait pas un caractère urgent et aurait pu être accomplie après la résection des reliquats mullériens, ce qui aurait limité la durée de l'opération ;
- si l'expert a indiqué que le bas débit cérébral de l'enfant était d'origine multifactorielle, il ne précise par la nature des autres facteurs alors qu'aucun état antérieur à l'intervention du 18 septembre 2008 n'a été constaté ;
- une nouvelle expertise doit être ordonnée compte tenu de l'évolution de l'état de santé de C... ;
- les conclusions qu'ils présentent contre l'ONIAM sont recevables, les préjudices sont en lien avec un accident médical non fautif ouvrant droit à réparation au titre de la solidarité nationale, les préjudices subis par C... sont directement liés à un acte de prévention, de diagnostic ou de soins, présentent un caractère anormal au regard de l'état de santé de l'enfant et son évolution prévisible et revêtent un caractère de gravité.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 2 octobre 2020, 1er mars 2021, 27 avril 2021 et 19 mai 2022, le CHU d'Amiens, représenté par Me Didier Le Prado, conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- le tribunal a omis de répondre aux contre-critiques émises par le Pr F... sur les manquements reprochés ;
- il n'a pas surdosé le produit anesthésique propofol lors de l'intervention du 18 septembre 2008 au cours de laquelle il a pris les mesures correctrices de la pression systolique du nouveau-né, il était normal de réaliser la gonadectomie en même temps que l'hystérectomie, une consultation anesthésique a eu lieu en amont de l'opération du 18 septembre 2008 et les opérations précédentes des 2 et 4 septembre 2008 ont été réalisées dans les règles de l'art, si bien que sa responsabilité ne peut pas être engagée ;
- une nouvelle expertise serait inutile en l'absence de modification de l'état de l'enfant ;
- la somme de 11 800 euros allouée par le tribunal pour le déficit fonctionnel temporaire, après application du taux de perte de chance, n'est pas insuffisante ;
- l'attestation d'imputabilité du médecin-conseil de la CPAM ne suffit pas à établir l'étendue des prestations mises à sa charge ni leur lien de causalité direct et certain avec les manquements reprochés ;
- à titre subsidiaire, à supposer qu'une faute puisse être reprochée à l'hôpital, il n'existe aucun lien direct et certain de causalité entre une éventuelle faute et le dommage subi par C... dès lors que l'hypotension de l'enfant constatée lors de l'anesthésie n'a pas de lien avec le dosage de Propofol mais est liée à un aléa thérapeutique ;
- à titre très subsidiaire, à supposer que la responsabilité du CHU soit engagée, la perte de chance ne peut être supérieure à 30 % ;
- la somme de 53 297,60 euros demandée par la caisse primaire d'assurance maladie n'est pas justifiée, seuls les frais hospitaliers de 36 969,60 euros et 1 340,48 euros présentent un lien de causalité avec les prétendus manquements qui lui sont reprochés.
Par un mémoire, enregistré le 14 janvier 2021, la CPAM de l'Aisne, représentée par Me Benoît de Berny, demande à la cour :
1°) de condamner le CHU d'Amiens à lui verser une provision de 53 297,60 euros au titre de ses débours provisoires, avec intérêts à compter du 21 octobre 2019, date de notification du premier mémoire et capitalisation des intérêts ;
2°) de surseoir à statuer dans l'attente de la liquidation définitive des débours ;
3°) de condamner le CHU d'Amiens à lui verser une somme de 1 098 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion ;
4°) à titre subsidiaire, si une expertise est ordonnée, d'étendre l'expertise à la vérification du lien médical entre ses frais et l'accident et les soins consécutifs à l'accident ;
5°) de mettre à la charge du CHU d'Amiens la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- le CHU a commis une faute relative au surdosage de propofol lors de l'anesthésie du 18 septembre 2008, qui est de nature à engager sa responsabilité ;
- tous les soins prodigués au jeune C... sont imputables à l'accident du 18 septembre 2008 ;
- les dépens doivent être laissés à la charge des consorts B....
Par des mémoires, enregistrés les 14 avril 2021 et 29 mai 2022, l'ONIAM, représenté par Me Bertrand Joliff, demande à la cour de rejeter les conclusions indemnitaires des appelants à son encontre.
Il fait valoir que :
- les conclusions présentées contre lui pour la première fois en appel sont irrecevables dès lors que les consorts B... n'ont pas dirigé leurs conclusions de première instance contre l'Office, qui n'a été mis en cause par le tribunal que dans le cadre de ses pouvoirs d'instruction ;
- à titre subsidiaire, l'état de santé de l'enfant a été causé par des fautes commises par le CHU d'Amiens, ce qui exclut l'intervention de l'ONIAM conformément à l'article L. 1142-1 II du code de la santé publique.
Par un arrêt avant dire droit du 2 novembre 2022, la cour s'est estimée insuffisamment éclairée sur les causes des lésions de C... B..., l'incidence des anesthésies générales pratiquées les 2, 4 et 18 septembre 2008 sur son état de santé, l'emploi des différents agents anesthésiants et les mesures correctrices de la pression systolique lors de l'opération du 18 septembre 2008, la question de savoir s'il était médicalement justifié de pratiquer le 18 septembre 2008 à la fois la résection du reliquat mullérien et une gonadectomie bilatérale ce qui a eu pour effet de rallonger la durée de l'opération, l'existence éventuelle d'une prédisposition de l'enfant ou d'un aléa thérapeutique ou l'existence d'une perte de chance, la date de consolidation prévisible de l'état de santé de C... et l'ampleur des préjudices temporaires actuels et futurs supportés par lui et a prescrit une expertise médicale sur ces différents points.
L'expert désigné par la présidente de la cour a adressé son rapport le 13 février 2023.
Par une ordonnance du 15 février 2023, la présidente de la cour a taxé et liquidé les frais et honoraires de l'expertise à la somme de 5 100 euros toutes taxes comprises.
Les parties ont été invitées à formuler des observations sur ce rapport.
Par un mémoire, enregistré le 17 février 2023, la CPAM de l'Aisne, représentée par Me Benoît de Berny, conclut aux mêmes fins que précédemment et porte sa demande de condamnation au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion à la somme de 1 162 euros.
Par un mémoire, enregistré le 20 mars 2023, le CHU d'Amiens et la société Relyens Mutual Insurance anciennement dénommée société hospitalière d'assurances mutuelles, représentés par la société d'avocats Le Prado - Gilbert, concluent aux mêmes fins que précédemment.
Ils soutiennent que :
- l'expert désigné par la cour indique que l'opération du 18 septembre 2008 était justifiée dans son principe et que sa durée n'a pas d'incidence sur les séquelles subies par l'enfant ;
- l'avis émis par cet expert sur un éventuel surdosage d'agents anesthésiants et un remplissage insuffisant destiné à compenser l'hypotension artérielle n'est pas documenté, contrairement à la position exprimée par le Pr F... ;
- l'hypotension de l'enfant constatée au cours de l'intervention est exclusivement liée à son état avant l'opération ;
- l'expert désigné par la cour est le seul à ne pas avoir retenu l'existence d'une perte de chance et à mettre l'intégralité du dommage à sa charge.
Par un mémoire, enregistré le 24 avril 2023, l'ONIAM, représenté par Me Bertrand Joliff, conclut aux mêmes fins que précédemment, par les mêmes moyens.
Par une ordonnance du 5 avril 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 5 mai 2023.
Un mémoire a été présenté pour M. et Mme B... le 12 mai 2023, après la clôture de l'instruction.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Guillaume Vandenberghe,
- les conclusions de M. Guillaume Toutias, rapporteur public,
- et les observations de Me Hubert Demailly, représentant le CHU d'Amiens.
Considérant ce qui suit :
1. Mme E... B... a donné naissance au centre hospitalier de Chauny, le 30 août 2008, à un enfant présentant une ambiguïté sexuelle. Le nouveau-né a été transféré le 1er septembre 2008 au centre hospitalier universitaire (CHU) d'Amiens pour une prise en charge de cette particularité. Le 2 septembre 2008, une imagerie par résonance magnétique (IRM) pelvienne faite sous anesthésie générale a révélé que l'enfant était doté d'organes génitaux masculins et féminins et a mis en évidence un hydrocolpos. Le 4 septembre 2008, une opération sous anesthésie générale a permis de drainer cet hydrocolpos, d'explorer la cavité abdominale et de réaliser des biopsies gonadiques. Le diagnostic d'un hermaphrodisme vrai gonadique et génétique a alors été posé et M. et Mme B... ont décidé d'orienter leur enfant, prénommé C..., vers le sexe masculin. Ce choix a eu pour conséquence l'ablation des organes féminins dont il était doté. Ainsi, C... a subi le 18 septembre 2008 une troisième intervention sous anesthésie générale afin de réaliser la résection du reliquat mullérien et une gonadectomie bilatérale.
2. Dans les suites de cette opération, l'enfant a présenté des crises épileptiques avec clonies des quatre membres et une IRM cérébrale réalisée le 23 septembre 2008 a relevé des anomalies de signal dans les régions pariéto-occipitales bilatérales ainsi qu'un œdème cérébral diffus non spécifique. L'évolution de l'enfant a été marquée par un retard psychomoteur et des troubles du comportement et une IRM du 23 février 2010 a mis en évidence des lésions cérébrales anoxo-ischémiques sus-tentorielles occipito-pariétales bilatérales, prédominant à gauche.
3. M. et Mme B... ont saisi la commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux (CCI), qui a diligenté une expertise dont le rapport a été remis le 30 janvier 2012. Par un avis du 22 mars 2012, la CCI s'est estimée insuffisamment informée et a diligenté une nouvelle expertise. M. et Mme B... se sont désistés de la procédure amiable devant la CCI, qui en a pris acte le 14 janvier 2014. Puis, par une ordonnance du 29 avril 2015, M. et Mme B... ont obtenu du juge des référés de la cour la désignation d'un expert, qui a remis son rapport le 13 octobre 2016. Par une ordonnance du 9 avril 2018, le juge des référés du tribunal administratif d'Amiens a condamné le CHU d'Amiens à verser à M. et Mme B... une provision d'un montant de 50 000 euros et à la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de l'Aisne, une provision d'un montant de 15 000 euros. Parallèlement, les consorts B... ont saisi le 22 novembre 2017 le tribunal administratif d'Amiens qui, par le jugement attaqué, a fixé le préjudice temporaire de C... à 11 800 euros, réservé les préjudices permanents de l'enfant dans l'attente de la consolidation de son état de santé, indemnisé la CPAM de l'Aisne à hauteur de 17 155,04 euros, soit 2 155,04 euros après déduction de la provision de 15 000 euros, condamné le CHU à verser à la caisse la somme de 1 091 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion et mis hors de cause l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM).
Sur la régularité du jugement attaqué :
4. D'une part, les premiers juges, qui se sont fondés sur les conclusions d'une expertise contradictoire, dont la régularité n'est pas contestée, pouvaient prendre en compte l'avis de l'expert Cuvellier dans son rapport définitif du 13 octobre 2016, sans répondre expressément aux dires présentés par le centre hospitalier à partir du contre-rapport du Pr F... du 4 mars 2016. D'autre part, le tribunal a suffisamment motivé, au point 4 du jugement attaqué, sa position quant à la part des dommages qu'il estimait imputable aux anesthésies précédant celle du 18 septembre 2008. Dès lors, les appelants ne sont pas fondés à soutenir que le jugement attaqué est entaché d'irrégularité.
Sur la responsabilité du CHU d'Amiens :
En ce qui concerne les fautes :
5. Aux termes du I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. (...) ".
6. Il résulte de l'instruction et, notamment, du rapport d'expertise du 13 février 2023 que les deux interventions des 2 et 4 septembre 2008, sous anesthésie générale, ont été effectuées dans les règles de l'art et que l'opération du 18 septembre 2008, comportant à la fois la gonadectomie bilatérale et la résection des reliquats mullériens, était indiquée. Au cours de l'intervention du 18 septembre 2008, l'induction anesthésique a été effectuée par une inhalation de sévoflurane, complétée par voie intraveineuse par du sufentanil (0,3 mcg/kg) et du propofol (10 mg/kg), puis l'anesthésie a été entretenue par sévoflurane, deux réinjections de sufentanil et deux réinjections de propofol. Selon l'expert, si les posologies de sevoflurane et de sufentanil administrées au nouveau-né se situent dans les fourchettes habituelles, en revanche, la co-induction avec le propofol a été effectuée avec une posologie trop élevée, trois fois supérieure à la norme puisque la dose préconisée pour un nouveau-né est seulement de 2 à 3 mg/kg en co-induction. Ce surdosage d'agent anesthésiant est intervenu à 8h30, dès le début de l'opération, de sorte que la longueur de celle-ci, qui s'est achevée à 13h, n'a pas eu d'incidence sur les dommages causés à l'enfant. En revanche, l'association de plusieurs agents hypnotiques et la posologie élevée de propofol ont joué un rôle dans la survenue de l'hypotension artérielle survenue dès le début de l'anesthésie de C..., qui a présenté une pression artérielle moyenne de 18mmHg alors que la valeur moyenne à cet âge est d'au moins 40mmHg. L'absence de mesure correctrice de l'hypotension artérielle a eu pour effet de maintenir un niveau de pression anormalement bas de façon prolongée, qui a exposé le nouveau-né à une diminution du débit sanguin cérébral compromettant l'irrigation et l'oxygénation du cerveau. Par ailleurs, les praticiens consultés au cours des opérations d'expertise ont constaté que l'enfant ne présentait pas de troubles de l'adaptation cardio-respiratoire, ni de signes neurologiques anormaux, ni aucune contre-indication particulière à l'utilisation des agents anesthésiques et ont ainsi exclu une " susceptibilité individuelle particulière " de l'enfant qui serait seulement à l'origine d'une perte de chance, ainsi que la survenance d'un aléa thérapeutique. Dans ces conditions, les deux fautes médicales relatives au surdosage de propofol et à l'absence de mesures correctrices de la pression systolique doivent être regardées comme étant à l'origine de l'entier dommage subi par C... B... et sont de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier universitaire d'Amiens sur le fondement du I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique.
En ce qui concerne la mise en œuvre de la solidarité nationale :
7. Il résulte des termes du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique que la réparation d'un accident médical par l'ONIAM au titre de la solidarité nationale n'est possible qu'en dehors des cas où cet accident serait causé directement par un acte fautif d'un professionnel de santé ou d'un établissement, service ou organisme mentionné au I du même article, ou par un défaut d'un produit de santé. En l'espèce, l'accident dont a été victime C... B... résulte d'un acte fautif du CHU d'Amiens. Dès lors, les conditions d'engagement de la responsabilité de l'ONIAM ne sont pas remplies. Par suite, il y a lieu de rejeter les conclusions présentées par M. et Mme B... à l'encontre de l'Office, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la fin de non-recevoir soulevée en défense.
Sur les préjudices :
En ce qui concerne les débours provisoires de la caisse primaire d'assurance maladie de l'Aisne :
8. La caisse primaire d'assurance maladie de l'Aisne demande l'allocation d'une provision d'un montant de 57 922,19 euros au titre des débours exposés au bénéfice de l'enfant C... B... pour les frais hospitaliers exposés entre le 18 septembre 2008 et le 2 mars 2022, les frais médicaux exposés entre le 5 février 2009 et le 13 avril 2022, des frais pharmaceutiques exposés entre le 11 octobre 2008 et le 1er octobre 2019, les frais d'appareillage exposés entre le 22 juin 2009 et le 1er avril 2022 et les frais de transport exposés entre le 3 novembre 2008 et le 18 juin 2019. Il résulte de l'instruction que ces débours présentent un lien direct avec la faute commise par le CHU d'Amiens le 18 septembre 2008, à l'exception d'une somme de 1 179,08 euros correspondant à des frais non justifiés par les attestations d'imputabilité des 6 décembre 2019 et 7 juin 2019, soit un solde de 56 743,11 euros. Par suite, il y a lieu d'allouer à la caisse une provision d'un montant de 56 743,11 euros, sous déduction de la provision de 15 000 euros allouée par l'ordonnance du 9 avril 2018 du juge des référés du tribunal administratif d'Amiens, en réservant les droits de la caisse jusqu'à la consolidation de l'état de santé de C... B.... Le solde de 41 743,11 euros sera assorti des intérêts au taux légal à compter du 21 octobre 2019, date de la première demande, avec capitalisation à compter du 21 octobre 2020 et à chaque échéance annuelle.
En ce qui concerne la provision demandée au titre des préjudices de C... B... :
9. Compte tenu de l'importance des séquelles neurologiques de C... B..., de son déficit fonctionnel temporaire évalué à 60 % par une précédente expertise, de la longueur de la période d'indemnisation et de son besoin d'assistance par une tierce personne, évalué à quatre heures par jour, le montant des préjudices supportés par M. et Mme B... ne sera pas inférieur à 250 000 euros. Par suite, il y a lieu de condamner le CHU d'Amiens à verser à M. et Mme B... une indemnité provisionnelle d'un montant de 200 000 euros, venant s'ajouter à la provision de 50 000 euros déjà allouée le 19 avril 2018 par le juge des référés, en réservant les droits des consorts B... jusqu'à la consolidation de l'état de santé de C... qui n'interviendra qu'à la fin de sa croissance.
Sur les conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie de l'Aisne tendant au versement de l'indemnité forfaitaire de gestion :
10. Aux termes de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale : " (...) En contrepartie des frais qu'elle engage pour obtenir le remboursement mentionné au troisième alinéa ci-dessus, la caisse d'assurance maladie à laquelle est affilié l'assuré social victime de l'accident recouvre une indemnité forfaitaire à la charge du tiers responsable et au profit de l'organisme national d'assurance maladie. Le montant de cette indemnité est égal au tiers des sommes dont le remboursement a été obtenu, dans les limites d'un montant maximum de 910 euros et d'un montant minimum de 91 euros. A compter du 1er janvier 2007, les montants mentionnés au présent alinéa sont révisés chaque année, par arrêté des ministres chargés de la sécurité sociale et du budget. (...) ". Aux termes de l'article 1er de l'arrêté du 15 décembre 2022 relatif aux montants minimal et maximal de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue aux articles L. 376-1 et L. 454-1 du code de la sécurité sociale pour l'année 2022 : " Les montants minimal et maximal de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue aux articles L. 376-1 et L. 454-1 du code de la sécurité sociale sont fixés respectivement à 115 euros et à 1 162 euros au titre des remboursements effectués au cours de l'année 2022 ".
11. En application des dispositions précitées et compte tenu de la majoration du montant de la provision dont la CPAM de l'Aisne a obtenu le versement, il y a lieu de porter à 1 162 euros le montant de l'indemnité forfaitaire de gestion qui lui a été allouée.
Sur les dépens :
12. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ".
13. Il y a lieu de mettre à la charge du CHU d'Amiens une somme de 5 100 euros au titre des frais et honoraires de l'expertise du 13 février 2023, taxés et liquidés par ordonnance de la présidente de la cour du 15 février 2013.
Sur les frais liés au litige :
14. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du CHU d'Amiens les sommes de 2 000 euros à verser à M. et Mme B..., d'une part, et à la CPAM de l'Aisne, d'autre part, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : L'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales est mis hors de cause.
Article 2 : La requête n° 20DA01321 du centre hospitalier universitaire d'Amiens est rejetée.
Article 3 : Le centre hospitalier universitaire d'Amiens est condamné à verser à M. et Mme B... une indemnité provisionnelle d'un montant de 200 000 euros. Les droits des consorts B... sont réservés jusqu'à la consolidation de l'état de santé de C... B....
Article 4 : Le centre hospitalier universitaire d'Amiens est condamné à verser à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Aisne une indemnité provisionnelle d'un montant de 56 743,11 euros, sous déduction de la provision de 15 000 euros allouée par ordonnance du 19 avril 2018. Le solde de 41 743,11 euros sera assorti des intérêts au taux légal à compter du 21 octobre 2019 avec capitalisation à compter du 21 octobre 2020 et à chaque échéance annuelle.
Article 5 : Le centre hospitalier universitaire d'Amiens versera à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Aisne la somme de 1 162 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion.
Article 6 : Les frais et honoraires de l'expertise ordonnée dans la présente instance, taxés et liquidés à la somme de 5 100 euros par l'ordonnance du 15 février 2023 de la présidente de la cour, sont mis à la charge définitive du centre hospitalier universitaire d'Amiens.
Article 7 : Le jugement n° 1703203 du 29 juin 2020 du tribunal administratif d'Amiens est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 8 : Le centre hospitalier universitaire d'Amiens versera une somme de 2 000 euros à M. et Mme B... et une somme de 2 000 euros à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Aisne, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 9 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 10 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... B... et à Mme E... B... née A..., au centre hospitalier universitaire d'Amiens-Picardie, à la société Relyens Mutual Insurance, à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales et à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Aisne.
Délibéré après l'audience publique du 16 mai 2023 à laquelle siégeaient :
- Mme Anne Seulin, présidente de chambre,
- M. Marc Baronnet, président-assesseur,
- M. Guillaume Vandenberghe, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 13 juin 2023.
Le rapporteur,
Signé : G. VandenbergheLa présidente de chambre,
Signé : A. Seulin
La greffière,
Signé : A.S. Villette
La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme
La greffière,
Anne-Sophie Villette
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N°20DA01321,20DA01326