Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société à responsabilité limitée (SARL) JM a demandé au tribunal administratif de Rouen, d'une part, d'annuler la décision du 27 juin 2019 par laquelle le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration a mis à sa charge la contribution spéciale pour l'emploi irrégulier de deux travailleurs, pour un montant de 14 480 euros, ainsi que la contribution forfaitaire représentative de frais de réacheminement de l'étranger dans son pays d'origine, pour un montant de 4 248 euros, d'autre part, d'annuler la décision du 21 août 2019 rejetant son recours gracieux et de mettre à la charge de l'Office français de l'immigration et de l'intégration la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 1903771 du 17 mars 2022, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 6 mai 2022, A..., représentée par Me Abdel Alouani, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler les décisions du 27 juin 2019 et du 21 août 2019 du directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration ;
3°) de mettre à la charge de l'Office français de l'immigration et de l'intégration la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la décision contestée du 27 juin 2019 est insuffisamment motivée ;
- lors de l'embauche des salariés concernés, elle leur a réclamé les documents nécessaires ;
- elle croyait, de bonne foi, pouvoir légalement procéder à l'emploi de ces deux salariés ;
- aucun élément intentionnel ne peut lui être reproché ;
- ces salariés ont régulièrement été déclarés à l'Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (URSSAF) ;
- elle a immédiatement tiré les conséquences du contrôle de police révélant la situation irrégulière de ces deux salariés.
Par un mémoire en défense, enregistré le 20 mars 2023, l'Office français de l'immigration et de l'intégration, représenté par Me Bernard de Froment, conclut au rejet de la requête et demande, en outre, à la cour de mettre à la charge de A... la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que les moyens soulevés par A... ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 20 mars 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 17 avril 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Dominique Bureau, première conseillère,
- et les conclusions de M. Nil Carpentier-Daubresse, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Lors d'un contrôle effectué par les services de police le 11 janvier 2019, il a été constaté que deux ressortissants tunisiens démunis de titre les autorisant à séjourner et à travailler en France étaient employés à Rouen par A... qui exploite une entreprise de restauration. Par une décision du 27 juin 2019, le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration a mis à la charge de A... la contribution spéciale prévue par l'article L. 8253-1 du code du travail, pour un montant de 14 480 euros, assortie de la contribution forfaitaire représentative de frais de réacheminement prévue par les dispositions de l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, pour un montant de 4 248 euros. Le 21 août 2019, l'Office français de l'immigration et de l'intégration a rejeté le recours gracieux formé par A... contre cette décision. A... relève appel du jugement du 17 mars 2022 par lequel le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces deux décisions.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 8251-1 du code du travail : " Nul ne peut, directement ou indirectement, embaucher, conserver à son service ou employer pour quelque durée que ce soit un étranger non muni du titre l'autorisant à exercer une activité salariée en France ". L'article L. 5221-8 du même code dispose que : " L'employeur s'assure auprès des administrations territorialement compétentes de l'existence du titre autorisant l'étranger à exercer une activité salariée en France, sauf si cet étranger est inscrit sur la liste des demandeurs d'emploi tenue par l'institution mentionnée à l'article L. 5312-1 ". Aux termes de l'article L. 8253-1 de ce code : " Sans préjudice des poursuites judiciaires pouvant être intentées à son encontre, l'employeur qui a employé un travailleur étranger en méconnaissance des dispositions du premier alinéa de l'article L. 8251-1 acquitte, pour chaque travailleur étranger non autorisé à travailler, une contribution spéciale. Le montant de cette contribution spéciale est déterminé dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat. Il est, au plus, égal à 5 000 fois le taux horaire du minimum garanti prévu à l'article L. 3231-12. Ce montant peut être minoré en cas de non-cumul d'infractions ou en cas de paiement spontané par l'employeur des salaires et indemnités dus au salarié étranger non autorisé à travailler mentionné à l'article R. 8252-6. Il est alors, au plus, égal à 2 000 fois ce même taux. Il peut être majoré en cas de réitération et est alors, au plus, égal à 15 000 fois ce même taux. / L'Office français de l'immigration et de l'intégration est chargé de constater et fixer le montant de cette contribution pour le compte de l'Etat selon des modalités définies par convention. / (...) ". Enfin, aux termes du premier alinéa de l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, applicable au litige : " Sans préjudice des poursuites judiciaires qui pourront être engagées à son encontre et de la contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-1 du code du travail, l'employeur qui aura occupé un travailleur étranger en situation de séjour irrégulier acquittera une contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement de l'étranger dans son pays d'origine ".
En ce qui concerne le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de la décision du 27 juin 2019 :
3. La décision contestée du 27 juin 2019 mentionne l'article L. 8253-1 du code du travail et l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, rappelle le procès-verbal établi le 11 janvier 2019 par les services de police de la Seine-Maritime constatant l'infraction aux dispositions de l'article L. 8251-1 du code du travail, et précise le montant des contributions mises à la charge de A.... Elle comporte, en annexe, l'identité des deux travailleurs démunis de titre les autorisant à séjourner en France et à y exercer une activité professionnelle salariée, ainsi que la reproduction des dispositions de l'article R. 8253-2 du code du travail, fixant les modalités de calcul de la contribution spéciale prévue par l'article L. 8253-1. Elle se réfère, par ailleurs, aux " barèmes fixés par les arrêtés du 5 décembre 2006 ", applicables pour la détermination du montant de la contribution forfaitaire. La décision du 27 juin 2019 comporte, ainsi, l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement, conformément aux exigences des dispositions de l'article L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration. Le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de cette décision doit, par suite, être écarté.
En ce qui concerne le bien-fondé des contributions mises à la charge de A... par la décision du 27 juin 2019 :
4. Il résulte des dispositions, citées au point 2, de l'article L. 8253-1 du code du travail et de l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que les contributions qu'ils prévoient ont pour objet de sanctionner les faits d'emploi d'un travailleur étranger séjournant irrégulièrement sur le territoire français ou démuni de titre l'autorisant à exercer une activité salariée, sans qu'un élément intentionnel soit nécessaire à la caractérisation du manquement. Toutefois, un employeur ne saurait être sanctionné sur le fondement de ces dispositions lorsque tout à la fois, d'une part, il s'est acquitté des obligations qui lui incombent en vertu de l'article L. 5221-8 du code du travail et, d'autre part, il n'était pas en mesure de savoir que les documents qui lui étaient présentés revêtaient un caractère frauduleux ou procédaient d'une usurpation d'identité. En outre, lorsqu'un salarié s'est prévalu, lors de son embauche, de la nationalité française ou de sa qualité de ressortissant d'un Etat pour lequel une autorisation de travail n'est pas exigée, l'employeur ne peut être sanctionné s'il s'est assuré que ce salarié disposait d'un document d'identité de nature à en justifier et s'il n'était pas en mesure de savoir que ce document revêtait un caractère frauduleux ou procédait d'une usurpation d'identité.
5. En premier lieu, si A... soutient, dans le dernier état de ses écritures, que, lors de leur embauche, le premier des deux travailleurs concernés lui avait présenté l'original d'une carte d'identité française, et le second lui avait présenté l'original d'une carte d'identité italienne, ce n'est qu'après avoir mentionné, tant en première instance que dans sa requête d'appel, que ceux-ci avaient produit une copie de ces documents. Ainsi, il ne résulte pas de l'instruction que A... aurait exigé des intéressés la production de l'original des documents justifiant de leur nationalité. Au surplus, il résulte de l'instruction que la copie du document présenté par le second de ces travailleurs, bien que délivré par les autorités italiennes, ne correspondait pas à une carte nationale d'identité. Dans ces conditions, A... n'est pas fondée à soutenir qu'elle avait pris les dispositions qui lui incombaient pour s'assurer que ces salariés disposaient de documents d'identité de nature à justifier, respectivement, de la nationalité française et de la qualité de ressortissant d'un Etat pour lequel une autorisation de travail n'est pas exigée.
6. En deuxième lieu, compte-tenu de ce qui vient d'être dit, A... ne saurait utilement soutenir qu'elle a pu croire de bonne foi que les deux salariés concernés n'étaient pas soumis à l'obligation de possession d'une autorisation de travail pour exercer en France une activité salariée.
7. En troisième lieu, ainsi qu'il a été dit au point 4, ni les dispositions de l'article L. 8253-1 du code du travail, ni celles de l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ne subordonnent l'application des sanctions qu'elles prévoient à la caractérisation d'un élément intentionnel imputable à l'employeur.
8. En quatrième lieu si A... fait valoir que les salariés en cause n'étaient pas des travailleurs clandestins, leur emploi ayant été régulièrement déclaré à l' Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (URSSAF), cette circonstance est sans influence sur la légalité de la décision contestée, qui a été prise en application de l'article L. 8253-1 du code du travail et de l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, lesquelles sanctionnent l'emploi des étrangers en situation irrégulière au regard du séjour et du travail des étrangers, et ne sont pas relatives au travail dissimulé.
9. En cinquième lieu, A... ne saurait utilement se prévaloir de ce qu'elle a tiré les conséquences du constat par les services de police de la situation irrégulière de ses deux salariés en mettant fin à ses relations contractuelles avec le premier et en introduisant pour le second une demande d'autorisation de travail.
10. Il résulte de tout ce qui précède que A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande.
Sur les frais relatifs à l'instance :
11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que les frais, non compris dans les dépens, soient mis à la charge de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de A..., sur le fondement de ces dispositions, la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par l'Office français de l'immigration et de l'intégration et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de A... est rejetée.
Article 2 : A... versera à l'Office français de l'immigration et de l'intégration une somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société à responsabilité limitée JM et à l'Office français de l'immigration et de l'intégration.
Délibéré après l'audience publique du 19 septembre 2023 à laquelle siégeaient :
- Mme Marie-Pierre Viard, présidente de chambre,
- M. Jean-Marc Guérin-Lebacq, président-assesseur,
- Mme Dominique Bureau, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 3 octobre 2023.
La rapporteure,
Signé : D. Bureau
La présidente de chambre,
Signé : M-P. Viard
La greffière,
Signé : C. Sire
La République mande et ordonne au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
La greffière
C. Sire
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N° 22DA00975