Vu, enregistrée au greffe de la cour les 9 janvier et 6 février 1992, la requête sommaire et le mémoire complémentaire présentés pour Mme Paule X... demeurant les cinq loups, chemin de la Blaque à AIX-EN-PROVENCE représentée par Me DRUJON D'ASTROS, avocat ;
Mme X... demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de BASTIA en date du 11 octobre 1991 qui a rejeté sa demande tendant à la condamnation conjointe et solidaire de l'Etat et de la commune de ZONZA à lui verser une indemnité de 9 693 000 francs outre intérêts de droit et capitalisation des intérêts en réparation du préjudice qu'elle a subi en raison de la non réalisation d'un projet de village de vacances qui a pour cause les illégalités et agissements fautifs commis par l'Etat et la commune ;
2°) de condamner la commune de ZONZA et l'Etat conjointement responsables à réparer le préjudice subi d'un montant de 9 693 000 francs ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de l'urbanisme ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 22 septembre 1993 :
- le rapport de M. QUENCEZ, conseiller ;
- et les conclusions de M BONNAUD, commissaire du gouvernement ;
Considérant que Mme X... qui exerce la profession de marchand de biens a déposé le 29 janvier 1981 une demande de permis de construire en vue de la réalisation d'un village de vacances de 280 studios sur un terrain situé à ZONZA dans le département de la Corse-du-Sud pour lequel elle avait obtenu un certificat d'urbanisme positif le 20 septembre 1979 ; que le préfet du département prenait le 31 juillet 1981 une décision de sursis à statuer en raison de l'existence d'une procédure d'élaboration d'un plan d'occupation des sols ; que l'instruction du dossier fut toutefois reprise en 1982 sur la base d'une carte communale et le 18 juin 1982 le maire de ZONZA donnait un avis favorable à la demande, la même position étant adoptée par la direction départementale de l'équipement le 14 septembre 1982 ; que sur ce fondement le maire signait le 28 septembre 1982 un document qu'il déclare être, en accord avec le ministre de l'équipement, du logement et des transports, un permis de construire, qualification que conteste la requérante ; que le 6 juin 1984 Mme X... demandait cependant la prorogation de la validité de ce permis de construire que le maire accordait par un arrêté du 23 août 1984 ; que n'ayant pas commencé les travaux dans les délais légaux, elle déposait le 13 août 1986 une nouvelle demande de permis de construire, qui lui fut refusée par le préfet ; que les propriétaires du terrain avec lesquels elle avait signé un compromis de vente ayant alors renoncé à lui vendre ce terrain, celle-ci a sollicité du tribunal administratif de BASTIA la condamnation conjointe et solidaire de la commune de ZONZA et de l'Etat à lui payer une indemnité de 9 693 000 francs en raison des fautes qu'ils avaient commises empêchant ainsi la réalisation du projet ; qu'elle défère à la cour le jugement du tribunal administratif qui a rejeté sa demande en soutenant que la responsabilité de l'administration est engagée en raison de la rédaction ambigüe de l'arrêté du 28 septembre 1982, et de l'illégalité de l'arrêté du 19 septembre 1986 ;
Sur les conclusions dirigées contre la commune de ZONZA :
Considérant qu'à la date des décisions en cause, en l'absence de plan d'occupation des sols applicable sur le territoire de la commune de ZONZA les autorisations d'urbanisme relevaient de la seule responsabilité de l'Etat ; qu'il s'ensuit que les conclusions de Mme X... tendant à la condamnation de la commune de ZONZA en raison de fautes commises dans le cadre de la délivrance de permis de construire doivent être rejetées ;
Sur la responsabilité pour faute de l'Etat :
En ce qui concerne le document signé par le maire de ZONZA le 28 septembre 1982 :
Considérant qu'il résulte de l'instruction que le document signé par le maire de ZONZA le 28 septembre 1982 indiquait "le permis doit être accordé" à la place de la formule "le permis est accordé", dont d'ailleurs la mention qui figurait sur cet imprimé type avait été rayée ; que, dans ces conditions, dès lors, en outre, que ce document ne mentionnait pas dans ses visas l'avis du directeur départemental de l'équipement, Mme X... est fondée à soutenir que nonobstant les autres mentions préimprimées figurant sur ce document, il pouvait être regardé comme un simple avis du maire préalable à la délivrance du permis de construire, ainsi que l'ont d'ailleurs interprété le notaire de M. X... et la banque qui devait financer son projet et qui a d'ailleurs refusé pour ce motif le prêt qu'elle avait sollicité ; qu'ainsi en ayant délivré un tel document en réponse à une demande de permis de construire, le maire de ZONZA a commis une faute qui a compromis les chances qu'elle avait de réaliser son projet ;
Considérant toutefois que le maire de ZONZA soutient que les vices qui affectaient la rédaction du document signé par lui le 28 septembre 1982 n'étaient pas de nature à en dénaturer la portée et qu'il a toujours considéré avoir délivré un véritable permis de construire ainsi qu'en témoigne d'ailleurs la circonstance qu'un arrêté "prorogeant" la validité de ce permis a été délivré sans difficulté en 1984 à la demande de Mme X... ; qu'il résulte de l'instruction que le maire n'a été officiellement informé des difficultés que ce document présentait que plus d'un an après sa délivrance lorsque, par un courrier du 12 octobre 1983, Mme X... lui a écrit pour lui demander de préciser la véritable nature de ce document et s'il fallait qu'elle redépose une nouvelle demande de permis ; qu'ainsi, dans les circonstances de l'espèce, Mme X... n'est fondée à demander réparation du préjudice qu'elle a subi en raison de la faute commise par le maire de ZONZA qu'à compter de la date où elle l'a saisi des difficultés qu'elle rencontrait quant à l'interprétation à donner au document qui avait été signé le 28 septembre 1982, soit le 12 octobre 1983 et jusqu'au 23 août 1984, date à laquelle, faisant suite à un courrier en ce sens de Mme X..., le maire de ZONZA "prorogeait" par arrêté la validité du permis de construire délivré le 28 septembre 1982, levant ainsi les ambiguités qui pouvaient peser sur ce document ;
En ce qui concerne le refus de délivrance du permis de construire du 19 septembre 1986 :
Considérant qu'il résulte de l'instruction qu'à la suite de l'obtention de l'arrêté "prorogeant" la validité de ce permis de construire, Mme X... a déposé le 6 septembre 1985 une déclaration d'ouverture de chantier qui, en particulier, en raison de l'hostilité manifestée par le voisinage, n'a pas eu de suite ; que Mme X..., estimant que la validité du permis était périmée, a déposé le 13 août 1986 une nouvelle demande de permis de construire qui a fait l'objet d'un arrêté de refus de la part du préfet du département de la Corse-du-Sud, le 19 septembre 1986, qui serait également selon Mme X... entaché d'une illégalité fautive ;
Considérant en premier que si, pour contester le premier motif retenu par le préfet de la Corse-du-Sud qui s'est fondé sur les dispositions de l'article L. 111-1-2 du code de l'urbanisme, Mme X... se prévaut de la modification apportée à cet article par la loi du 19 août 1986 qui autorise en dehors des parties urbanisées des communes non dotées d'un plan d'occupation des sols les constructions et installations sur délibération motivée du conseil municipal, il résulte d'une part de l'instruction et en particulier des plans joints au dossier que le projet en cause était situé en dehors des parties urbanisées de la commune et d'autre part que l'avis favorable donné par le maire au projet de construction lors de l'instruction de la demande de permis de construire ne peut être assimilé à une délibération motivée du conseil municipal prévue par ce texte ; que par suite, le préfet était tenu de rejeter la demande ; qu'ainsi et alors même que le second motif invoqué par le préfet aurait été erroné, Mme X... n'est pas fondée à soutenir que la responsabilité de l'Etat est également engagée du fait de cette décision de refus de délivrance de permis de construire ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que Mme X... est seulement fondée à demander réparation à l'Etat du préjudice qu'elle a subi du fait de la délivrance de l'acte du 28 septembre 1982 ;
Sur la responsabilité sans faute de l'Etat :
Considérant que si la requérante soutient que la responsabilité sans faute de l'administration est également engagée en raison de l'inertie dont elle aurait fait preuve, il ne résulte pas de l'instruction que Mme X... soit fondée à se plaindre d'un comportement de l'administration de nature à engager une telle responsabilité ;
Sur le montant du préjudice :
Considérant qu'il résulte de l'instruction, notamment des courriers joints au dossier et en particulier de la lettre du 6 juin 1984 de Mme X... au maire de la commune de ZONZA, que les difficultés tenant, d'une part, à la recherche de partenaires financiers et, d'autre part, à un contexte économique défavorable à l'implantation de projet touristique de cette ampleur en Corse, expliquent également l'absence d'avancement du projet pendant la période où la décision du maire a été considérée comme fautive ; que dans ces conditions il sera fait une juste appréciation du préjudice subi par Mme X..., sans qu'il soit besoin de recourir à une expertise, en condamnant l'Etat à lui payer une indemnité de 100 000 francs ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les moyens relatifs à la régularité du jugement, que Mme X... est fondée à soutenir que c'est à tort que par la décision attaquée le tribunal administratif de BASTIA lui a refusé tout droit à indemnité ;
Sur le paiement des frais irrépétibles :
Considérant que le bien-fondé de ces conclusions doit être apprécié au regard des dispositions applicables à la date du présent arrêt ;
Considérant qu'aux termes de l'article L. 8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel : "Dans toutes les instances devant les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation" ;
Considérant qu'il y a lieu de condamner l'Etat à payer à Mme X... la somme de 5 000 francs sur le fondement de ces dispositions ;
Considérant, en revanche, que, dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu d'accorder à la commune de ZONZA la somme de 10 000 francs qu'elle demande à ce titre ;
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de BASTIA du 11 octobre 1991 est annulé.
Article 2 : L'Etat est condamné à payer à Mme X... une indemnité de cent mille francs (100 000 francs).
Article 3 : L'Etat est condamné à payer à Mme X... la somme de cinq mille francs (5 000 francs) au titre de l'article L. 8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Les conclusions de la commune de ZONZA tendant au bénéfice de l'article L. 8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel sont rejetées.