Vu, I, enregistrée le 13 février 2006 au greffe de la Cour sous le n° 06LY00322, la requête présentée par le PREFET DE LA HAUTE-SAVOIE ;
Le PREFET DE LA HAUTE-SAVOIE demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n°0600342 en date du 3 février 2006 par lequel le magistrat délégué par le président du Tribunal administratif de Grenoble a annulé son arrêté en date du 3 janvier 2006 ordonnant la reconduite à la frontière de M. Cefakar X, lui a enjoint de délivrer à M. X une autorisation provisoire de séjour et de réexaminer sa situation dans le délai de deux mois et à mis à la charge de l'Etat une somme de 500 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;
2°) de rejeter la demande présentée devant le Tribunal administratif par M. X ;
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Vu, II, enregistrée le 13 février 2006 au greffe de la Cour sous le n° 06LY00323, la requête présentée par le PREFET DE LA HAUTE-SAVOIE ;
Le PREFET DE LA HAUTE-SAVOIE demande à la Cour d'ordonner le sursis à exécution du jugement n° 0600342 en date du 3 février 2006 par lequel le magistrat délégué par le président du Tribunal administratif de Grenoble a annulé son arrêté en date du 3 janvier 2006 ordonnant la reconduite à la frontière de M. X, lui a enjoint de délivrer à M. X une autorisation provisoire de séjour et de réexaminer sa situation dans le délai de deux mois et à mis à la charge de l'Etat une somme de 500 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;
Il fait valoir les mêmes moyens que précédemment ;
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Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Vu le traité instituant la communauté économique européenne, devenue la communauté européenne ;
Vu l'accord instituant une association entre la communauté économique européenne et la Turquie, en date du 12 septembre 1963, approuvé et confirmé par la décision 64/732/CEE du conseil du 23 décembre 1963 ;
Vu la décision n° 1/80 du 19 septembre 1980 du conseil d'association entre la communauté économique européenne et la Turquie ;
Vu la décision C-237/91 du 16 décembre 1992 de la Cour de justice des communautés européennes ;
Vu le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
Vu l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 modifiée ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 13 décembre 2006 :
- le rapport de M. Grabarsky, président ;
- les observations de Me Metral, avocat de M. X;
-et les conclusions de M. Besle, commissaire du gouvernement ;
Considérant que les requêtes n° 06LY00321 et n° 06LY00322 sont relatives au même jugement ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt ;
Sur les conclusions de la requête n° 06LY00321 :
Considérant qu'aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : « L'autorité administrative compétente peut, par arrêté motivé, décider qu'un étranger sera reconduit à la frontière dans les cas suivants : (…) 3º)Si l'étranger auquel la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour a été refusé, ou dont le titre de séjour a été retiré, s'est maintenu sur le territoire au-delà du délai d'un mois à compter de la date de notification du refus ou du retrait ; (…). » ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que M. X,, de nationalité turque, s'est maintenu sur le territoire français plus d'un mois après la notification, le 16 juin 2005, de la décision du PREFET DE LA HAUTE-SAVOIE en date du 13 juin 2005, confirmée sur recours gracieux le 7 juillet suivant, refusant le renouvellement de son titre de séjour et l'invitant à quitter le territoire ; qu'ainsi, à la date de l'arrêté contesté, le 3 janvier 2006, il se trouvait dans le cas où, en application des dispositions précitées du 3° de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet peut décider la reconduite d'un étranger à la frontière ;
Considérant que si M. X, entré en France en 1989 selon ses propres déclarations, fait valoir qu'il réside sur le territoire français avec son épouse, qu'il a épousé en juin 2004, et leurs deux enfants, nés les 25 juin 2004 et 29 juillet 2005, il ressort toutefois des pièces du dossier que, compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce, notamment de ce que l'intéressé ne fait état d'aucun élément faisant obstacle à ce qu'il retourne dans son pays d'origine, où il n'établit pas être dépourvu d'attaches familiales, avec son épouse, d'ailleurs elle même sous le coup d'un arrêté de reconduite à la frontière dont la légalité a été confirmée ce jour par la présente Cour, et leurs enfants et eu égard aux effets d'une mesure d'éloignement, l'arrêté prononçant sa reconduite à la frontière n'a pas porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport aux buts en vue desquels il a été pris et n'a ainsi pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; qu'il suit de là que le PREFET DE LA HAUTE-SAVOIE est fondé à soutenir que c'est à tort que le magistrat délégué par le président du Tribunal administratif de Grenoble s'est fondé sur ce que l'arrêté ordonnant la reconduite à la frontière de M. X méconnaissait ces stipulations pour en prononcer l'annulation ;
Considérant toutefois qu'il appartient à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens présentés par M. X, tant devant le Tribunal administratif de Grenoble que devant la Cour ;
Sur la légalité de l'arrêté de reconduite à la frontière :
Sur l'exception d'illégalité du refus de titre de séjour :
Considérant qu'aux termes de l'article 12 bis 3° de l'ordonnance du 2 novembre 1945 alors en vigueur : « Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale » est délivrée de plein droit:/(…) 3°) A l'étranger, ne vivant pas en état de polygamie, qui justifie par tout moyen résider en France habituellement depuis plus de dix ans ou plus de quinze ans si, au cours de cette période, il a séjourné en qualité d'étudiant. Les années durant lesquelles l'étranger s'est prévalu de documents falsifiés ou d'une identité usurpée ne sont pas prises en compte. » ; qu'aux termes de l'article 8 du décret du 30 juin 1946: « L'étranger déjà admis à résider en France qui sollicite le renouvellement d'une carte de séjour temporaire présente à l'appui de sa demande : (…)7°) S'il relève des dispositions de l'article 12 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945 précitée, les pièces justifiant que ces dispositions lui sont toujours applicables » ; qu'il en résulte que pour apprécier le bien-fondé de la demande de renouvellement de carte de séjour temporaire présentée par M. X, il appartenait au PREFET DE LA HAUTE-SAVOIE de se livrer à un nouvel examen de sa situation au regard des dispositions de l'article 12 bis 3° de l'ordonnance du 2 novembre 1945 ;
Considérant, par suite, que M. X n'est pas fondé à soutenir que le PREFET DE LA HAUTE-SAVOIE ne pouvait se livrer à un nouvel examen de la condition de séjour de 10 ans dans le cadre d'une demande de renouvellement de titre de séjour présentée au titre de l'article 12 bis 3° de l'ordonnance du 2 novembre 1945 ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que M. X, qui a produit des bons de commande falsifiés comme seuls justificatifs de sa présence en France au cours des années 1998, 1999, 2000 et 2001, ne remplissait pas la condition d'une résidence habituelle depuis au moins dix ans au moment où le PREFET DE LA HAUTE-SAVOIE a refusé de lui délivrer, pour ce motif, le titre dont il sollicitait le renouvellement sur le fondement du 3° de l'article 12 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945 alors en vigueur ; que si les dispositions de l'article 12 quater de cette ordonnance imposent au préfet de consulter la commission du titre de séjour lorsqu'il envisage de refuser de délivrer ou de renouveler une carte de séjour à un étranger relevant de l'une des catégories mentionnées aux articles 12 bis et 15 de cette ordonnance, il résulte de ce qui précède que M. X ne pouvait prétendre, comme il le soutient, à la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement du 3° de l'article 12 bis et qu'ainsi, le PREFET DE LA HAUTE-SAVOIE n'était pas tenu de soumettre son cas à la commission du titre de séjour avant de rejeter sa demande ;
Considérant qu'aux termes de l'article 6 de la décision du 19 septembre 1980 du conseil d'association institué par l'accord d'association conclu, le 12 septembre 1963, entre la communauté économique européenne et la République de Turquie : « 1°) Sous réserve des dispositions de l'article 7 relatif au libre accès à l'emploi des membres de sa famille, le travailleur turc, appartenant au marché régulier de l'emploi d'un Etat membre : / - a droit, dans cet Etat membre, après un an d'emploi régulier, au renouvellement de son permis de travail auprès du même employeur, s'il dispose d'un emploi (…) » ;
Considérant qu'il résulte de l'arrêt de la Cour de justice des communautés européennes en date du 16 décembre 1992, que l'article 6 premier paragraphe, premier tiret, de la décision du 19 septembre 1980 du conseil d'association, qui a un effet direct en droit interne, doit être interprété en ce sens qu'un travailleur turc qui remplit les conditions posées par le premier paragraphe, premier tiret, de cet article, peut obtenir, outre la prorogation du permis de travail, celle du permis de séjour, le droit de séjour étant indispensable à l'accès et à l'exercice d'une activité salariée ; que, toutefois, si M. X invoque, à l'appui de l'exception d'illégalité du refus de titre de séjour, l'article 6 de la décision du 19 septembre 1980, il ressort des pièces du dossier que c'est au titre d'une résidence habituelle en France depuis plus de 10 ans, et non en sa qualité de salarié, qu'il a sollicité le renouvellement de son titre de séjour ; qu'il s'en suit que le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions précitées ne peut, en tout état de cause, qu'être écarté ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. X n'est pas fondé à invoquer, par la voie de l'exception, l'illégalité du refus de titre de séjour qui lui a été opposé au soutien de ses conclusions dirigées contre l'arrêté ordonnant sa reconduite à la frontière ;
Sur les autres moyens :
Considérant que le principe posé par les dispositions du cinquième alinéa du préambule de la constitution du 27 octobre 1946, auquel se réfère la Constitution du 4 octobre 1958, aux termes desquelles : « Chacun à le devoir de travailler et le droit d'obtenir un emploi. Nul ne peut être lésé, dans son travail ou son emploi, en raison de ses origines, de ses opinions ou de ses croyances » ne s'impose au pouvoir réglementaire, en l'absence de précision suffisante, que dans les conditions et les limites définies par les dispositions contenues dans les lois ou dans les conventions internationales incorporées au droit français ; que, par suite, M. X ne saurait, en tout état de cause, pour critiquer la légalité de l'arrêté de reconduite à la frontière attaqué, invoquer ce principe indépendamment desdites dispositions ;
Considérant que pour les raisons exposées ci-dessus et eu égard aux effets d'une mesure d'éloignement, l'arrêté ordonnant la reconduite à la frontière de l'intéressé n'est pas entaché d'erreur manifeste d'appréciation et n'a pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le PREFET DE LA HAUTE-SAVOIE est fondé à demander l'annulation du jugement du 3 février 2006 par lequel le magistrat délégué par le président du Tribunal administratif de Grenoble a annulé son arrêté du 3 janvier 2006 ordonnant la reconduite à la frontière de M. X, lui a enjoint de délivrer une autorisation provisoire de séjour à l'intéressé et de se prononcer à nouveau sur sa situation, et a mis à la charge de l'Etat une somme de 500 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;
Sur les conclusions de M. X tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761 1 du code de justice administrative :
Considérant que les dispositions de l'article L. 761 1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que M. X demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;
Sur les conclusions de la requête n° 06LY00323 :
Considérant que, du fait de son annulation par le présent arrêt, le jugement du magistrat délégué par le président du Tribunal administratif de Grenoble n'est plus susceptible de produire d'effets juridiques à l'égard du requérant ; que, par suite, la requête du PREFET DE LA HAUTE-SAVOIE tendant au sursis à exécution de ce jugement est devenue sans objet ;
DECIDE :
Article 1er : Le jugement susvisé du 3 février 2006 du Tribunal administratif de Grenoble est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. X devant le Tribunal administratif de Grenoble est rejetée.
Article 3 : Les conclusions présentées devant la Cour par M. X tendant à l'application de l'article L. 761 ;1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Il n'y a pas lieu de statuer sur la requête n° 06LY00323.
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Nos06LY00322, 06LY00323