Vu la requête, enregistrée le 30 janvier 2009 présentée pour la SOCIÉTÉ LEON FARGUES, dont le siège est 180 route de Vourles à Saint-Genis-Laval (69230) ;
La SOCIÉTÉ LEON FARGUES demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 0502544 du 2 décembre 2008 par lequel le Tribunal administratif de Lyon a rejeté ses demandes, tendant à ce que soit prononcée la restitution, assortie des intérêts moratoires, des droits de taxe sur les achats de viande qu'elle a acquittés au titre de la période du 1er janvier 2001 au 30 octobre 2003 ;
2°) de prononcer la restitution de la taxe en litige ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Elle soutient que la taxe sur les achats de viande constitue une aide d'Etat et n'est pas compatible avec les articles 87 et 88 du traité instituant la Communauté européenne ; que le lien d'affectation contraignant, entre cette taxe et le service public de l'équarrissage, n'a pas été rompu par les modifications artificielles intervenues dans le cadre de la loi de finances rectificative pour 2000 ; que la taxe en litige est restée la source de financement de ce service public dès lors que le budget de l'Etat abonde celui du Centre national pour l'aménagement des structures des exploitations agricoles (CNASEA) ; qu'il résulte de l'arrêt Gémo du 20 novembre 2003 de la Cour de justice des Communautés européennes qu'une telle taxe constitue une aide d'Etat, illégale pour n'avoir pas été notifiée ; que la taxe sur les achats de viande, destinée à financer le service public de l'équarrissage bénéficiant aux producteurs français, alors même que le financement provient pour partie des importations communautaires, altère le prix des produits importés ; que son produit étant affecté essentiellement à l'enlèvement des cadavres d'animaux français, elle est constitutive d'une imposition intérieure discriminatoire, prohibée par l'article 90 du même traité ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu le mémoire en défense, enregistré au greffe de la Cour le 11 septembre 2009, présenté pour le ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'Etat, qui conclut au rejet de la requête ;
Il soutient que l'imposition en litige est bien fondée, et ne méconnaît aucune norme ni principe communautaire, ainsi que l'a jugé le Conseil d'Etat dans un arrêt S.A.Montaudis du 27 juillet 2009 ;
Vu l'ordonnance en date du 21 mars 2011 fixant la clôture d'instruction au 8 avril 2011, en application des articles R. 613-1 et R. 613-3 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le traité instituant la Communauté européenne ;
Vu l'ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances ;
Vu la loi n° 96-1139 du 26 décembre 1996 relative à la collecte et à l'élimination des cadavres d'animaux et des déchets d'abattoirs et modifiant le code rural ;
Vu la loi n° 2000-1353 du 30 décembre 2000 portant loi de finances rectificative pour 2000 ;
Vu le code rural ;
Vu le code de l'environnement ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 19 avril 2011 :
- le rapport de M. Lévy Ben Cheton, premier conseiller ;
- et les conclusions de Mme Jourdan, rapporteur public ;
Considérant que la SOCIÉTÉ LEON FARGUES, après avoir déclaré conformément aux dispositions de l'article 302 bis ZD du code général des impôts alors en vigueur la valeur de ses achats et payé la taxe sur les achats de viande qu'elle estimait en conséquence devoir au titre de la période du 1er janvier 1999 au 30 octobre 2003, en a demandé la restitution par une réclamation du 18 décembre 2003 ; que, par une décision du 17 septembre 2004, l'administration lui a accordé le dégrèvement total des impositions en litige ; qu'elle a ensuite adressé à la société une lettre du 15 novembre 2004 l'informant de sa décision de rapporter ledit dégrèvement en tant qu'il portait sur la période postérieure au 31 décembre 2000, durant laquelle la taxe sur les achats de viande avait été légalement perçue, avant de rejeter le surplus de sa réclamation, par décision du 15 février 2005 ; que la société requérante relève appel du jugement du 2 décembre 2008 par lequel le Tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande tendant à la restitution des sommes acquittées ;
Considérant qu'aux termes du paragraphe 1 de l'article 87 du traité instituant la Communauté européenne : Sauf dérogations prévues par le présent traité, sont incompatibles avec le marché commun, dans la mesure où elles affectent les échanges entre Etats membres, les aides accordées par les Etats ou au moyen de ressources d'Etat sous quelque forme que ce soit, qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions ; qu'aux termes de l'article 88 du même traité : 1. La Commission procède avec les Etats membres à l'examen permanent des régimes d'aides existant dans ces Etats. (...)/2. Si (...) la Commission constate qu'une aide accordée par un Etat ou au moyen de ressources d'Etat n'est pas compatible avec le marché commun aux termes de l'article 87 (...) elle décide que l'Etat intéressé doit la supprimer ou la modifier (..,)/ 3. La Commission est informée, en temps utile pour présenter ses observations, des projets tendant à instituer ou à modifier des aides. Si elle estime qu'un projet n'est pas compatible avec le marché commun, aux termes de l'article 87, elle ouvre sans délai la procédure prévue au paragraphe précédent. L'Etat membre intéressé ne peut mettre à exécution les mesures projetées, avant que cette procédure ait abouti à une décision finale ;
Considérant qu'il résulte de ces stipulations que, s'il ressortit à la compétence exclusive de la Commission de décider, sous le contrôle de la Cour de justice des Communautés européennes, si une aide de la nature de celles mentionnées à l'article 87 du traité est ou non, compte tenu des dérogations prévues par ce traité, compatible avec le marché commun, il incombe, en revanche, aux juridictions nationales de sanctionner, le cas échéant, l'invalidité de dispositions de droit national qui auraient institué ou modifié une telle aide en méconnaissance de l'obligation, qu'impose aux Etats membres le paragraphe 3 de l'article 88 du traité, d'en notifier à la Commission, préalablement à toute mise à exécution, le projet ; que l'exercice de ce contrôle implique, notamment, de rechercher si les dispositions dont l'application est contestée instituent un régime d'aide, ou si une taxe fait partie intégrante d'une telle aide ;
Considérant qu'il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes, d'une part, que les taxes n'entrent pas dans le champ d'application des stipulations précitées du traité instituant la Communauté européenne concernant les aides d'Etat, à moins qu'elles constituent le mode de financement d'une mesure d'aide, de sorte qu'elles font partie intégrante de cette mesure et, d'autre part, que, pour que l'on puisse juger qu'une taxe, ou une partie d'une taxe, fait partie intégrante d'une mesure d'aide, il doit exister un lien d'affectation contraignant entre la taxe et l'aide en vertu de la réglementation nationale pertinente, en ce sens que le produit de la taxe est nécessairement affecté au financement de l'aide ;
Considérant que l'article 1er de la loi du 26 décembre 1996 relative à la collecte et à l'élimination des cadavres d'animaux et des déchets d'abattoirs et modifiant le code rural a inséré dans le code général des impôts un article 302 bis ZD instituant, à compter du 1er janvier 1997, une taxe sur les achats de viande due par les personnes qui réalisent des ventes au détail de viande, dont le produit était affecté à un fonds faisant l'objet d'une comptabilité distincte, ayant pour objet de financer la collecte et l'élimination des cadavres d'animaux et des saisies d'abattoirs reconnus impropres à la consommation humaine et animale, activités correspondant au service public de l'équarrissage défini à l'article 264 du code rural en vigueur au cours des années d'imposition en litige ; que le II de l'article 35 de la loi du 30 décembre 2000 de finances rectificative pour 2000, entré en vigueur le 1er janvier 2001, a limité à la période du 1er janvier 1997 au 31 décembre 2000 l'affectation de la taxe sur les achats de viande au fonds mentionné ci-dessus ; qu'en conséquence, à compter du 1er janvier 2001, en l'absence de dispositions prévoyant l'affectation de cette taxe, celle-ci est devenue une recette du budget général de l'Etat ; qu'à compter de cette même date, le service public de l'équarrissage a été financé au moyen d'une dotation inscrite au budget général de l'Etat ;
Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article 18 de l'ordonnance du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances, en vigueur au cours des années d'imposition en litige : II est fait recette du montant intégral des produits, sans contraction entre les recettes et les dépenses. L'ensemble des recettes assurant l'exécution de l'ensemble des dépenses, toutes les recettes et toutes les dépenses sont imputées à un compte unique, intitulé budget général ; qu'en vertu du principe à valeur constitutionnelle d'universalité budgétaire résultant de ces dispositions, les recettes et les dépenses doivent figurer au budget de l'Etat pour leur montant brut, sans être contractées, et l'affectation d'une recette déterminée à la couverture d'une dépense déterminée est interdite, sous réserve des exceptions prévues au second alinéa de l'article 18 ; qu'en application de ce principe et de la législation nationale relative à la taxe sur les achats de viande, à compter du 1er janvier 2001, il n'existait juridiquement aucun lien d'affectation contraignant entre la taxe et le service public de l'équarrissage, et aucun rapport entre le produit de la taxe et le montant du financement public attribué à ce service ; qu'en exécution des règles ainsi applicables, à compter de cette même date, la taxe sur les achats de viande était une recette du budget général, dépourvue de tout lien avec le budget du ministère de l'agriculture et la dotation inscrite à ce budget servant à financer le service public de l'équarrissage ; que l'intention du gouvernement et du législateur exprimée à l'occasion de débats parlementaires de ne pas obérer le budget général de l'Etat des dépenses autrefois supportées par le fonds spécial géré par le CNASEA et la corrélation constatée entre le produit de la taxe et les dépenses à couvrir ne suffisent pas, à elles seules, à établir un tel lien ; que la taxe sur les achats de viande n'entrant plus, à compter du 1er janvier 2001, en l'absence de lien d'affectation contraignant entre elle et le service public de l'équarrissage, dans le champ d'application des stipulations précitées du traité instituant la Communauté européenne concernant les aides d'Etat, la société requérante ne peut invoquer, au soutien de sa demande en restitution de l'imposition en litige, une éventuelle méconnaissance par les autorités françaises, à l'occasion de la modification du mode de financement du service public de l'équarrissage résultant des dispositions de l'article 35 de la loi du 30 décembre 2000, des obligations qu'imposent la première et la dernière phrases du paragraphe 3 de l'article 88 du traité instituant la Communauté européenne ;
Considérant que compte tenu de l'absence susmentionnée de lien d'affectation contraignant entre la taxe sur les achats de viande et le service public de l'équarrissage à compter du 1er janvier 2001, est inopérant, au soutien d'une demande en restitution de la taxe sur les achats de viande en litige, le moyen tiré de ce que le régime d'aide constitué par le service public de l'équarrissage aurait dû être notifié à l'origine à la Commission européenne ;
Considérant qu'aux termes de l'article 90 du traité instituant la Communauté européenne : Aucun Etat membre ne frappe directement ou indirectement les produits des autres Etats membres d'impositions intérieures, de quelque nature qu'elles soient, supérieures à celles qui frappent directement ou indirectement les produits nationaux similaires (...) ; que, pour qu'une taxe puisse être qualifiée de taxe d'effet équivalent à un droit de douane interdite par l'article 25 du traité, ou d'imposition intérieure discriminatoire interdite par l'article 90, les recettes procurées par cette taxe doivent être affectées au profit des seuls produits nationaux ; que la taxe sur les achats de viande ayant été, ainsi qu'il a été dit, affectée à compter du 1er janvier 2001 au budget général de l'Etat, compte tenu du principe d'universalité budgétaire, les moyens tirés de ce qu'elle constituerait une taxe d'effet équivalent à un droit de douane ou une imposition intérieure discriminatoire ne peuvent qu'être écartés ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la SOCIÉTÉ LEON FARGUES n'est pas fondée à soutenir, par les moyens qu'elle invoque, que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande tendant à la restitution des taxes contestées ; que, par voie de conséquence, ses conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées ;
DECIDE :
Article 1er : La requête de la SOCIÉTÉ LEON FARGUES est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SOCIÉTÉ LEON FARGUES et au ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'Etat, porte-parole du Gouvernement.
Délibéré après l'audience du 19 avril 2011 à laquelle siégeaient :
M. Chanel, président de chambre,
MM. Pourny et Lévy Ben Cheton, premiers conseillers.
Lu en audience publique, le 31 mai 2011.
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N° 09LY00177