Vu la requête, enregistrée le 15 février 2013, présentée pour la société Graftech France SNC, dont le siège est La Léchère à Aigueblanche (73264) ;
La société Graftech France SNC demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1100278 du 25 janvier 2013 par lequel le Tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser une somme de 50 996,52 euros, avec intérêts, à titre indemnitaire, outre 3 000 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 50 996,52 euros majorée des intérêts de retard à compter de la date de la première réclamation, et avec capitalisation des intérêts ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat les entiers dépens ainsi qu'une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Elle soutient que :
- l'autorisation de licencier M. B...accordée par le ministre du travail a été annulée par le Tribunal administratif de Grenoble par un jugement en date du 19 mars 2010 ;
- l'illégalité dont était entachée la décision d'autorisation de licenciement du ministre constitue une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat ;
- il existe un lien de causalité entre la faute ainsi commise et la somme de 50 996,52 euros qu'elle a été contrainte de verser dans le cadre de la transaction dès lors que cette somme correspond à l'indemnité qu'elle aurait été tenue de verser à M. B...en application de l'article L. 2422-4 du code du travail à hauteur d'un montant de 36 350 euros auquel doivent être ajoutées les cotisations patronales s'élevant à 14 646,52 euros, la renonciation de M. B... à sa réintégration dans la société ayant été indemnisée par la seconde somme d'un montant de 90 000 euros figurant dans cette transaction ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu l'ordonnance en date du 1er juillet 2013 fixant la clôture d'instruction au 24 juillet 2013, en application des articles R. 613-1 et R. 613-3 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code civil ;
Vu le code du travail ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 19 décembre 2013 :
- le rapport de M. Segado, premier conseiller ;
- les conclusions de Mme Vigier-Carrière, rapporteur public ;
- et les observations de Me De Grange, avocat de la société Graftech France SNC ;
1. Considérant que la société Graftech France SNC, spécialisée dans la production de graphite, employait dans son établissement de Notre-Dame de Briançon M. B...en qualité de directeur financier ; que ce dernier détenait par ailleurs un mandat de membre suppléant du comité d'entreprise ; que le 8 juin 2007, la société Graftech France SNC a engagé à l'encontre de M. B...une procédure de licenciement pour motif économique ; que l'inspecteur du travail a refusé le 6 août 2007 d'autoriser ce licenciement dès lors que le motif économique invoqué n'était pas justifié en l'absence de menace pour la compétitivité de l'entreprise et que les efforts de reclassement n'étaient pas établis ; qu'à la suite du recours hiérarchique formé par la société, le ministre a annulé cette décision de l'inspecteur du travail et a autorisé le licenciement économique par une décision du 21 décembre 2007 ; que M. B...a été licencié le 11 janvier 2008 avec dispense d'effectuer son préavis qui devait se terminer le 11 avril 2008 ; qu'à la suite du recours engagé par M. B...devant le Tribunal administratif de Grenoble contre la décision ministérielle, ce Tribunal a, par jugement du 19 mars 2010, annulé cette décision au motif que le licenciement n'était justifié ni par des difficultés économiques, ni par des mutations technologiques, ni par la nécessité de sauvegarder l'emploi, et que le ministre avait fait une inexacte appréciation de la nécessité de procéder à la réorganisation pour la sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise ; que M. B...a demandé à la société sa réintégration par un courrier du 22 avril 2010 reçu le 12 mai 2010, en application des dispositions de l'article L. 2422-4 du code du travail ; qu'à la suite d'un accord conclu entre M. B... et la société Graftech le 9 juin 2010, celle-ci s'est notamment engagée à lui verser une indemnité transactionnelle comportant, d'une part, une somme de 90 000 euros forfaitaire et définitive brute de CSG et CRDS au titre de la nullité du licenciement et, d'autre part, au titre de l'indemnité spécifique prévue à l'article L. 2422-4 du code du travail, une somme brute, soumise aux charges sociales dues par les salariés, de 36 350 euros dont le versement devait avoir lieu dès réception des justificatifs de perte de rémunération produits par M.B... ; que la société a ensuite saisi, par un courrier du 30 août 2010 reçu le 3 septembre, le ministre du travail d'une réclamation tendant à ce que l'Etat lui verse une indemnité s'élevant à la somme de 50 996,52 euros correspondant au montant de l'indemnité transactionnelle versée au titre de l'article L. 2422-4 du code du travail (36 350 euros) augmentée des cotisations patronales qu'elle a été amenée à verser en sus de cette indemnité, au titre de ce même article (14 646,52 euros), en réparation du préjudice subi du fait de l'autorisation de licenciement illégale que lui avait délivrée le ministre le 21 décembre 2004 ; que, devant le silence gardé par le ministre sur cette réclamation, la société a demandé au Tribunal administratif de Grenoble de condamner l'Etat à lui verser cette somme de 50 996,52 euros, avec intérêts, outre 3 000 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ; que la société Graftech France SNC relève appel du jugement du 25 janvier 2013 par lequel ce Tribunal a rejeté cette demande de condamnation ;
Sur le principe de la responsabilité :
2. Considérant qu'en application des dispositions du code du travail, le licenciement d'un salarié protégé ne peut intervenir que sur autorisation de l'autorité administrative ; que l'illégalité de la décision autorisant un tel licenciement, à supposer même qu'elle soit imputable à une simple erreur d'appréciation de l'autorité administrative, constitue une faute de nature à engager la responsabilité de la puissance publique quelle que puisse être par ailleurs la responsabilité encourue par l'employeur ; que ce dernier est en droit d'obtenir la condamnation de l'Etat à réparer le préjudice direct et certain résultant pour lui de cette décision illégale ;
3. Considérant que la société Graftech France SNC soutient que la somme totale de 50 996,52 euros qu'elle a due verser ne résulte pas de la volonté des parties à l'accord transactionnel conclu le 9 juin 2010 mais correspond à l'indemnité qu'elle était tenue de verser à M.B... en application de l'article L. 2422-4 du code du travail et aux charges patronales y afférentes ; qu'elle estime ainsi que le préjudice résultant du versement de cette somme à ce salarié est la conséquence directe et certaine de l'illégalité dont est entachée la décision ministérielle ayant autorisé le licenciement ;
4. Considérant qu'aux termes de l'article L. 2422-4 du code du travail : " Lorsque l'annulation d'une décision d'autorisation est devenue définitive, le salarié investi d'un des mandats mentionnés à l'article L. 2422-1 a droit au paiement d'une indemnité correspondant à la totalité du préjudice subi au cours de la période écoulée entre son licenciement et sa réintégration, s'il en a formulé la demande dans le délai de deux mois à compter de la notification de la décision. L'indemnité correspond à la totalité du préjudice subi au cours de la période écoulée entre son licenciement et l'expiration du délai de deux mois s'il n'a pas demandé sa réintégration. Ce paiement s'accompagne du versement des cotisations afférentes à cette indemnité qui constitue un complément de salaire. " ; qu'il résulte de ces dispositions que l'employeur est tenu de verser cette indemnité à son salarié ainsi que les cotisations y afférentes lorsqu'une autorisation de licenciement a été annulée et que cette annulation est devenue définitive ;
5. Considérant qu'il résulte de l'instruction qu'un accord transactionnel a été conclu le 9 juin 2010 par la société Graftech France SNC et son salarié, M.B..., dans le cadre de la recherche par les parties d'un règlement amiable du licenciement et de ses conséquences en consentant des concessions réciproques ; qu'il résulte des stipulations de cet accord qu'outre le renoncement de M. B... à sa réintégration et de la société Graftech France SNC à son appel du jugement du Tribunal administratif ayant prononcé l'annulation de l'autorisation de licenciement, cette transaction distingue, en son article 3, relatif à l'indemnité transactionnelle que devra verser la société à son salarié, d'une part, une somme forfaitaire et définitive brute de CSG et CRDS, d'un montant de 90 000 euros " au titre de la nullité du licenciement " et, d'autre part, une somme de 36 350 euros correspondant à l'indemnité spécifique prévue à l'article L. 2422-4 précité du code du travail ; que, concernant cette dernière somme, cet accord transactionnel se borne à reprendre l'obligation légale prévue à l'article L. 2422-1 du code du travail, à laquelle la société Graftech était tenue à l'égard de son salarié dans le cas où l'annulation de l'autorisation devient définitive, et ne résulte pas, contrairement à ce que soutient l'administration, de la seule volonté des parties ; que le préjudice subi par la société résultant du versement de cette indemnité et des cotisations y afférentes est ainsi en lien direct avec l'illégalité fautive dont est entachée l'autorisation de licenciement qui a été annulée par jugement du Tribunal administratif de Grenoble du 19 mars 2010 ;
6. Considérant qu'il résulte toutefois du jugement du Tribunal administratif de Grenoble du 19 mars 2010 revêtu de l'autorité absolue de la chose jugée, que l'autorisation de licenciement a été annulée au motif que le licenciement n'était justifié ni par des difficultés économiques, ni par des mutations technologiques, ni par la nécessité de sauvegarder l'emploi ; que par suite, même si le ministre a fait une inexacte appréciation de la nécessité de procéder à la réorganisation pour la sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise, la société Graftech France SNC, en demandant à l'administration de procéder au licenciement de M. B... qui présentait ainsi un caractère illégal au regard des dispositions du code du travail, a elle-même commis une faute de nature à exonérer l'Etat de la moitié de la responsabilité encourue ;
Sur le préjudice :
7. Considérant, en premier lieu, que, contrairement à ce qu'a soutenu le ministre devant les premiers juges, le préjudice invoqué par la société Graftech France SNC revêt un caractère certain dès lors que la transaction conclue par l'employeur a créé une obligation de versement de l'indemnité qu'elle prévoit, indépendamment de son exécution effective ; que d'ailleurs, la réalité du versement est matérialisée par le bulletin de paie du mois de juin 2010 de M.B..., dont la validité n'est pas sérieusement contestée, mentionnant le montant de 36 350 euros correspondant à cette indemnité brute ainsi que le décompte des charges patronales d'un montant total de 14 646,52 euros, dues au titre de ce versement, date de paiement au 25 juin 2010, les coordonnées du salarié et la référence de l'URSSAF ;
8. Considérant, en second lieu, qu'il résulte de l'instruction et notamment de l'accord transactionnel et du bulletin de paie de juin 2010 que le montant de l'indemnité prévue à l'article L. 2422-1 précité du code du travail que la société Graftech France SNC a versé à son salarié s'élève à 36 350 euros y compris les cotisations sociales dues par le salarié, et que les cotisations patronales relatives à cette indemnité s'élèvent à un montant total de 14 646,52 euros ; que le ministre ne fait état d'aucun élément de nature à remettre en cause ces montants ;
9. Considérant, par suite, que, compte tenu du partage de responsabilité mentionné ci-dessus, l'Etat doit être condamné à verser à la société Graftech France SNC la moitié de la somme de 50 996,52 euros, soit 25 498,26 euros ;
10. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la société Graftech France SNC est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande ;
Sur les intérêts et la capitalisation des intérêts :
11. Considérant que la société Graftech France SNC a droit, comme elle le demande, aux intérêts au taux légal de la somme qui lui est due à compter du 3 septembre 2010, date à laquelle sa réclamation a été reçue par l'administration ; qu'elle a droit à la capitalisation de ces intérêts à compter du 15 février 2013, date à laquelle la demande de capitalisation a été présentée pour la première fois et alors que les intérêts étaient dus au moins pour une année entière, et à chaque échéance annuelle à compter de cette date ;
Sur les conclusions tendant à l'application des articles L. 761-1 et R. 761-1 du code de justice administrative :
12. Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat une somme globale de 1 500 euros à verser à société Graftech France SNC au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de celles de l'article R. 761-1 du même code relatives au remboursement de la contribution pour l'aide juridique ;
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du Tribunal administratif de Grenoble n° 1100278 du 25 janvier 2013 est annulé.
Article 2 : L'Etat est condamné à verser à la société Graftech France SNC la somme de 25 498,26 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 3 septembre 2010, et capitalisation des intérêts au 15 février 2013 et à chaque échéance annuelle ultérieure.
Article 3 : L'Etat versera à la société Graftech France SNC une somme de 1 500 euros au titre des dispositions des articles L. 761-1 et R. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4: Le surplus des conclusions de la société Graftech France SNC est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société Graftech France SNC et au ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.
Délibéré après l'audience du 19 décembre 2013 à laquelle siégeaient :
M. Clot, président de chambre,
M. C...et M.A..., présidents assesseurs,
M. Segado et M.D..., premiers conseillers.
Lu en audience publique, le 9 janvier 2014.
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N° 13LY00430