Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... a demandé au tribunal administratif de Grenoble de lui accorder la décharge des compléments d'impôt sur le revenu auxquels il a été assujetti au titre des années 2007, 2008 et 2009, ainsi que des pénalités y afférentes.
Par un jugement n°1202513 du 18 mai 2015, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 22 juillet 2015, M. B..., représenté par Me E..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Grenoble, en date du 18 mai 2015 ;
2°) de lui accorder la décharge des impositions contestées et des pénalités correspondantes ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le rejet de sa comptabilité n'est pas fondé ;
- l'inscription globale des recettes en fin de journée n'est pas un motif suffisant, notamment au regard de la doctrine ; les agendas de caisse permettent de justifier du détail des recettes ;
- le rejet de sa comptabilité est la conséquence de la communication par un fournisseur peu scrupuleux de factures d'achats non comptabilisées ;
- la reconstitution du chiffre d'affaires telle qu'opérée par le service et validée par le tribunal administratif de Grenoble aboutit à un résultat contestable, très largement déconnecté de la réalité de l'entreprise ;
- l'administration a apprécié de manière erronée et irréaliste son activité ; celle-ci n'a pas changé depuis le précédent contrôle, les conditions d'exploitation étant identiques ; une augmentation du chiffre d'affaires de 300 % par rapport à la dernière vérification de comptabilité est disproportionnée ; il ne dispose pas des infrastructures pour réaliser un tel chiffre d'affaires ;
- certaines factures sont redondantes et par conséquent forcément erronées ;
- les rappels d'impôt conduiront à sa liquidation judiciaire.
Par un mémoire en défense, enregistré le 8 avril 2016, le ministre des finances et des comptes publics conclut au rejet de la requête.
Il expose qu'aucun des moyens soulevés par le requérant n'est fondé.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Terrade, premier conseiller,
- les conclusions de M. Besse, rapporteur public ;
1. Considérant que l'activité professionnelle de restauration rapide (sandwicherie, ventes à emporter ou à consommer sur place, boissons sans alcool) que M. A... B...exerce depuis le 1er mars 2001, sous la forme d'une entreprise individuelle, sous l'enseigne " Lorraine Kebab " à Chambéry, a fait l'objet en 2010 d'une vérification de comptabilité sur la période du 1er janvier 2007 au 31 décembre 2009 ; que les anomalies constatées lors du contrôle ont conduit l'administration fiscale à remettre en cause le caractère probant de la comptabilité présentée et à reconstituer le chiffre d'affaires et le bénéfice (résultant de la vente des viandes servies en sandwiches, assiettes ou plats, des frites et des boissons) ; que les conséquences de cette vérification de comptabilité ont été portées à la connaissance de M. et Mme B...au titre de l'impôt sur le revenu des années 2007, 2008 et 2009 et notamment les rectifications opérées au titre des bénéfices industriels et commerciaux selon la procédure de rectification contradictoire prévue à l'article L. 55 du livre des procédures fiscales ; que ces rappels d'impôt sur le revenu assortis de l'intérêt de retard prévu à l'article 1727 du code général des impôts, de la majoration de 40 % pour manquement délibéré prévue par le a de l'article 1729 du même code et de la majoration de 10 % prévue par l'article 1758 A de ce code, ont été notifiés par proposition de rectification du 23 décembre 2010, puis confirmés par l'administration fiscale dans sa réponse aux observations du contribuable du 23 mars 2011, puis par lettre du 3 mai 2011 à l'issue du recours hiérarchique du contribuable ; qu'après rejet de sa réclamation par l'administration fiscale, M. B... a saisi du litige le juge de l'impôt ; que, par le jugement attaqué du 18 mai 2015, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à la décharge des impositions litigieuses ; que, par la présente requête, M. B... relève appel de ce jugement ;
Sur le bien-fondé de l'imposition :
En ce qui concerne le rejet de la comptabilité présentée :
S'agissant de l'application de la loi fiscale :
2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 85 du livre des procédures fiscales dans sa rédaction applicable à l'espèce : " Les contribuables doivent communiquer à l'administration, sur sa demande, les livres dont la tenue est rendue obligatoire par les articles L.123-12 à L.123-28 du code de commerce ainsi que tous les livres et documents annexes, pièces de recettes et de dépenses. A l'égard des sociétés, le droit de communication porte également sur les registres de transfert d'actions et d'obligations et sur les feuilles de présence aux assemblées générales. " ;
3. Considérant que pour contester le rejet de sa comptabilité par l'administration fiscale, M. B... se borne à soutenir que la comptabilisation globale en fin de journée des recettes réalisées ne suffit pas à remettre en cause le caractère probant de la comptabilité présentée, ni à justifier le choix de l'administration de l'écarter ; que, toutefois, il résulte de l'instruction qu'en l'absence de caisse enregistreuse sur l'ensemble de la période vérifiée, M. B... n'a pu justifier les recettes comptabilisées qu'en présentant trois agendas de caisse mentionnant des recettes journalières, globalisées en fin de journée, non assortis des pièces justificatives ; que la seule globalisation des recettes journalières non appuyées de pièces justificatives était suffisante pour justifier le rejet de sa comptabilité ; que l'administration fait également valoir l'absence ou la rupture des approvisionnements en matières premières observée sur la période vérifiée, le défaut de comptabilisation des factures d'achat de plusieurs de ses fournisseurs et le défaut de présentation des stocks d'entrée du premier exercice vérifié ; que, dans ces conditions l'administration apporte la preuve qui lui incombe des graves irrégularités dont la comptabilité de M. B... était entachée au titre de la période vérifiée ; qu'elle a, dès lors, pu à bon droit l'écarter comme irrégulière et non probante, et procéder à la reconstitution du chiffre d'affaires de l'entreprise ;
S'agissant de l'interprétation de la loi fiscale :
4. Considérant que M. B... se prévaut de la documentation administrative 4 G-3334, reprenant les réponses ministérielles du 21 septembre 1957 et du 22 juin 1972 à MM. D...etC..., selon lesquelles " pour tenir compte des conditions d'exercice du commerce de détail, lorsque la multiplicité et le rythme élevé des ventes de faible montant font pratiquement obstacle à la tenue d'une main courante, il est admis que l'enregistrement global des recettes en fin de journée ne suffise pas à lui seul à faire écarter la comptabilité présentée à condition toutefois que celle-ci soit, par ailleurs, bien tenue et que les résultats -et notamment le bénéfice brut- qu'elle accuse soient en rapport avec l'importance et la production apparente de l'entreprise " ; que, toutefois, cette doctrine n'exonère pas le contribuable de justifier du détail des recettes ; qu'en outre, son application est subordonnée à la tenue correcte de la comptabilité ce qui n'est pas le cas en l'espèce ; que, par suite, le requérant n'est pas fondé à invoquer, sur le fondement des dispositions de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, une doctrine dans les prévisions de laquelle il n'entre pas ;
En ce qui concerne la charge de la preuve :
5. Considérant qu'aux termes de l'article L. 59 du livre des procédures fiscales : " Lorsque le désaccord persiste sur les redressements notifiés, l'administration, si le contribuable le demande, soumet le litige à l'avis de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires prévue par l'article 1651 du CGI (...) " ; qu'aux termes de l'article L. 192 du même livre : " Lorsque l'une des commissions visées à l'article L. 59 est saisie d'un litige ou d'une rectification, l'administration supporte la charge de la preuve en cas de réclamation, quel que soit l'avis rendu par la commission. Toutefois, la charge de la preuve incombe au contribuable lorsque la comptabilité comporte de graves irrégularités et que l'imposition a été établie conformément à l'avis de la commission. La charge de la preuve des graves irrégularités invoquées par l'administration incombe, en tout état de cause, à cette dernière lorsque le litige ou la rectification est soumis au juge. (...) " ;
6. Considérant qu'en l'absence de saisine de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires, la charge de la preuve des graves irrégularités invoquées dans la comptabilité de l'entreprise de M. B... et du bien-fondé des rectifications notifiées selon la procédure contradictoire, et contestées par le requérant, incombe à l'administration fiscale en application des dispositions précitées de l'article L. 192 du livre des procédures fiscales ;
En ce qui concerne la reconstitution des recettes :
7. Considérant que l'administration fiscale a procédé à la reconstitution du chiffre d'affaires de l'entreprise à partir des achats de viande, de barquettes de frites et de boissons ; qu'il résulte de l'instruction que le vérificateur a écarté de la reconstitution des recettes, les achats privés figurant en comptabilité au débit du compte courant de l'exploitant ; qu'en l'absence de production du détail des stocks au 1er janvier 2007, la reconstitution du chiffre d'affaires n'a pris en compte que les seuls achats effectués au cours de l'exercice ; que dans un souci de réalisme économique, l'administration fiscale s'est fondée sur le relevé détaillé des recettes auquel le requérant a procédé lui-même, sur demande de l'administration, sur une période de sept jours en novembre 2010 ; que l'administration fiscale a également tenu compte du fait qu'en période estivale, l'absence de la clientèle étudiante et la nature de certaines préparations engendraient des recettes plus faibles ; que M. B... a déclaré que les plats proposés et les prix étaient demeurés inchangés sur toute la période vérifiée ; que l'administration fiscale a tenu compte d'un taux de perte à la cuisson de la viande de 20 % à 27 % selon la nature des viandes, non contesté par le requérant ;
8. Considérant que l'examen de la comptabilité a révélé certaines anomalies tenant à l'absence ou l'existence de ruptures d'approvisionnement en viande sur certaines périodes, non justifiées par le fonctionnement de l'entreprise ; que pour reconstituer le montant des chiffres d'affaires réalisés, l'administration fiscale a déterminé le montant des achats de marchandises effectués au cours des trois exercices vérifiés à partir des factures d'achats présentées par le contribuable et des factures d'achats non comptabilisées, établies au nom de l'EURL " Lorraine Kebab ", obtenues par l'administration fiscale dans l'exercice de son droit de communication en application des dispositions précitées des articles L. 81 et L. 85 du livre des procédures fiscales auprès de ses principaux fournisseurs ; que les factures d'achats de viande ainsi obtenues émanaient principalement de la SARL CAN du groupe Euradoner, les autres fournisseurs de viande sur la période vérifiée ayant été mis en liquidation avant les opérations de contrôle ; que l'administration fiscale fait ainsi valoir que la reconstitution du chiffre d'affaires n'est pas exhaustive ; que les achats non comptabilisés ont été recensés pour des montants toutes taxes comprises de 30 763 euros pour l'exercice clos en 2007, 35 048 euros pour l'exercice clos en 2008 et 30 250 euros pour l'exercice clos en 2009 ; que ces montants ont été retenus par l'administration fiscale en diminution des recettes imposables dans la mesure où ils ont été inclus dans la reconstitution des chiffres d'affaires de l'entreprise au titre des exercices contrôlés ;
9. Considérant que M. B... soutient que la méthode de reconstitution de son chiffre d'affaires est excessivement sommaire et radicalement viciée ; qu'il soutient que les factures obtenues par l'administration fiscale dans l'exercice de son droit de communication auprès de la SARL CAN ne peuvent fonder les rectifications litigieuses, dès lors qu'elles ne lui étaient pas destinées, ce fournisseur peu scrupuleux ayant coutume de se tromper de destinataire ; que la preuve n'est pas apportée que ces factures lui étaient destinées dès lors qu'elles ne sont pas accompagnées de bons de livraison, que l'administration fiscale n'établit pas qu'il les aurait payées et que leur prise en compte aboutit à un chiffre d'affaires disproportionné et irréaliste au regard de la taille de son établissement et des chiffres d'affaires constatés lors d'un précédent contrôle, alors que ses conditions d'exploitation sont demeurées inchangées ; que pour démontrer que ces factures ne lui étaient pas destinées, il se prévaut de ce que, sur les trois factures datées des 23, 26, et 28 avril 2007 communiquées par ce fournisseur, seule celle effectivement comptabilisée était assortie d'un bon de livraison, tandis que les deux autres ne mentionnent aucun bon de livraison et font double emploi avec les achats comptabilisés à cette même date ;
10. Considérant, toutefois, que le requérant ne conteste pas le défaut de comptabilisation des factures d'achats communiquées à l'administration fiscale par les fournisseurs Metro et Elidis Boisson, ni les ruptures d'approvisionnement sur certaines périodes constatées dans la comptabilité vérifiée ; qu'en ce qui concerne les factures d'achats communiquées par la SARL CAN, qui ont été comptabilisées par cette dernière, et établies au nom de l'établissement du requérant " Lorraine Kebab ", si le requérant soutient que la preuve de leur paiement n'est pas apportée par l'administration fiscale, il résulte de l'instruction que M. B... était interdit bancaire sur la période vérifiée, empêchant ainsi toute traçabilité d'éventuels paiements non comptabilisés effectués auprès de ses fournisseurs ; que le requérant n'établit pas que, compte tenu des ruptures d'approvisionnement constatées, ces commandes ne correspondraient pas aux conditions d'exploitation de l'entreprise ; que l'administration fiscale soutient, sans être sérieusement contredite par le requérant qui ne s'appuie que sur deux exemples isolés de factures, que les factures communiquées par la SARL CAN faisaient référence à un bon de livraison ; que s'agissant des factures d'achats non comptabilisées des 26 et 28 avril 2007, leurs mentions étant différentes tant en termes de quantités achetées, qu'en termes de montants facturés, elles ne peuvent être regardées comme faisant double emploi avec la facture comptabilisée par l'entreprise datée du 23 avril 2007 ; que, par suite, nonobstant l'absence de référence à un bon de livraison, ces deux factures sont de nature à confirmer l'existence d'achats occultes, et ne sauraient justifier la remise en cause de l'ensemble des factures communiquées par ce fournisseur et utilisées par l'administration fiscale pour reconstituer le chiffre d'affaires du restaurant ;
11. Considérant que, contrairement à ce que M. B... soutient, l'administration fiscale établit que la reconstitution de son chiffre d'affaires aboutit à un montant de recettes cohérent avec le détail des recettes journalières qu'il a lui-même établi à sa demande au cours du contrôle et qu'elle a tenu compte des conditions réelles d'exploitation du restaurant ; que le requérant n'est pas fondé à soutenir que la reconstitution des recettes manquerait de réalisme et de cohérence ; que, par suite, l'administration fiscale apporte la preuve qui lui incombe que la méthode de reconstitution du chiffre d'affaires utilisée n'était ni excessivement sommaire, ni radicalement viciée, et démontre, par voie de conséquence, le bien-fondé des rectifications en découlant ;
12. Considérant que la circonstance, à la supposer établie, que les rectifications litigieuses ne pourraient être acquittées par M. B... est sans incidence sur leur bien-fondé ;
13. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande de décharge ; que, par voie de conséquence, ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées ;
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B...et au ministre de l'action et des comptes publics.
Délibéré après l'audience du 20 juin 2017, à laquelle siégeaient :
Mme Mear, président,
Mme Terrade, premier conseiller,
Mme Vinet, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 11 juillet 2017.
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N° 15LY02532