Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
L'association "Collectif 69 de soutien au peuple palestinien" a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler l'arrêté du 26 janvier 2016 par lequel le préfet du Rhône a interdit la manifestation qu'elle projetait d'organiser le mercredi 27 janvier 2016 devant l'Astroballe à Villeurbanne à l'occasion d'une rencontre de basket-ball entre l'équipe de Villeurbanne et l'équipe israélienne du Maccabi Rishon.
Par un jugement n° 1601477 du 18 mai 2016, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 25 juillet 2016 sous le n° 16LY02638, l'association "Collectif 69 de soutien au peuple palestinien", représentée par Me Devers, avocat, demande à la cour d'annuler ce jugement du 18 mai 2016 du tribunal administratif de Lyon et l'arrêté du préfet du Rhône du 26 janvier 2016.
Elle soutient que :
- les dispositions relatives à la loi d'urgence, visées dans l'arrêté attaqué et reprises dans le jugement du tribunal administratif, ne peuvent être invoquées qu'à propos de faits ayant un lien avec les causes de l'état d'urgence ; que l'arrêté du préfet du Rhône est donc dépourvu de base légale ;
- la manifestation qu'elle projetait devait réunir entre cent et deux cents personnes sous forme de rassemblement statique sur une place à proximité d'une salle de sport ; qu'un tel rassemblement, d'une ampleur modeste, sans mouvement et sans encombrement de la voie publique, était très facile à encadrer par les forces de l'ordre eu égard aux capacités disponibles dans la région ;
- si elle a pu organiser, au mois de juillet 2014, une manifestation regroupant quatre mille personnes pour protester contre les opérations militaires menées par Israël à Gaza, les éléments, se rapportant notamment au nombre important de victimes et aux répercussions très fortes de ces opérations dans l'opinion publique, sont absents du dossier ;
- les premiers juges ont estimé que le risque d'une contre-manifestation était "probable", alors que le dossier ne laisse apparaître aucun indice d'une telle possibilité ;
- la préfecture, qui ne peut ignorer que les actions qu'elle a menées tout au long de l'année n'ont jamais donné lieu à une contre manifestation, dispose de services de renseignements qui n'ont pas donné le moindre élément permettant d'envisager un tel risque ;
- la simple évocation d'un risque de trouble sans le moindre élément tangible permettant d'en mesurer la probabilité et l'importance, ne suffit pas pour justifier une interdiction de manifestation, alors que la simple présence d'une voiture de police sur place avec un effectif limité d'agents aurait suffi pour assurer le maintien de l'ordre de ce regroupement pacifique ;
- le but de la manifestation n'était pas de boycotter des produits licites, mais d'amener l'Etat à respecter ses engagements internationaux en refusant la distribution de produits illicites, ce qui est le cas des produits originaires des territoires occupés de façon illicite par Israël, qui ne devraient être exportés que sous certificat d'origine émis par les autorités palestiniennes ; que contrairement à ce qu'a retenu le préfet, l'appel au boycott de tels produits ne constitue pas une infraction pénale.
Par un mémoire en défense enregistré le 12 juillet 2017, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Le ministre fait valoir :
- qu'en l'absence de dispositions particulières dans ses statuts désignant l'organe qui a le pouvoir de la représenter en justice, la requête de l'association requérante, qui ne justifie pas avoir donné mandat à l'un de ses représentants pour intenter une action en justice, n'est pas recevable ;
- que c'est à bon droit que les premiers juges ont estimé que la loi du 3 avril 1955 permettait, par la généralité de ses termes, que les mesures individuelles prises dans le cadre de cette loi peuvent être motivées par des considérations étrangères à la menace terroriste qui a justifié le recours à l'état d'urgence ;
- que l'arrêté du préfet du Rhône vise également le code de la sécurité intérieure de sorte qu'il pourrait être procédé à une substitution de base légale en considérant que cet arrêté trouve sa base légale dans les dispositions de l'article L. 211-4 de ce code ; qu'une telle substitution ne priverait le destinataire de cet arrêté d'aucune garantie ;
- que les troubles à l'ordre public susceptibles d'être provoqués par la manifestation projetée ont été caractérisés par les éléments, précis et circonstanciés, contenus dans une note blanche émanant d'un service local de renseignement ;
- que les informations en possession de l'administration ont fait apparaître que le risque d'affrontements violents entre les manifestants et les membres de la jeunesse de la communauté israélite de Villeurbanne était important en raison, notamment, de messages récemment diffusés sur les réseaux sociaux à propos de cette manifestation perçue comme une provocation ;
- que l'appel au boycott des produits israéliens constitue un délit de provocation à la discrimination, ainsi que l'a jugé la Cour de cassation ;
- que dans le contexte de l'état d'urgence, les forces de l'ordre sont très fortement mobilisées ; que les risques de troubles à l'ordre public liés à la manifestation projetée ne pouvaient être prévenus par la mise en place de forces de police suffisantes.
L'instruction a été close le 28 juillet 2017 à 12 h 00 par ordonnance du 21 juin 2017.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution ;
- la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de la sécurité intérieure ;
- la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 modifiée ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Jean-François Alfonsi, président,
- et les conclusions de M. Marc Clément, rapporteur public ;
1. Considérant que par sa requête susvisée, l'association "Collectif 69 de soutien au peuple palestinien" relève appel du jugement du 18 mai 2016 par lequel le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet du Rhône du 26 janvier 2016 portant interdiction du rassemblement de protestation contre la politique menée par Israël dans les territoires occupés qu'elle projetait d'organiser le 27 janvier 2017 devant la salle de sports "l'Astroballe" à Villeurbanne à l'occasion d'un match de basket-ball entre l'équipe de Villeurbanne et l'équipe israélienne du Maccabi Rishon ;
2. Considérant que l'arrêté attaqué du préfet du Rhône, s'il vise la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 et les décrets pris pour son application, vise également le code de la sécurité intérieure et doit, eu égard à son motif déterminant tiré de ce que "le risque important d'affrontements que cette manifestation est de nature à faire naître" du fait qu'une contre manifestation pourrait être organisée par la jeunesse de la communauté juive de Villeurbanne qui "considère l'organisation de ce rassemblement comme une "provocation", être regardé comme pris sur le fondement de l'article de l'article L. 211-4 de ce dernier code, aux termes duquel : "Si l'autorité investie des pouvoirs de police estime que la manifestation projetée est de nature à troubler l'ordre public, elle l'interdit par un arrêté qu'elle notifie immédiatement aux signataires de la déclaration au domicile élu (...)" ; que l'association requérante n'est, par suite et en tout état de cause, pas fondée à soutenir que cet arrêté serait dépourvu de base légale comme pris pour des motifs étrangers à ceux qui ont justifié le recours à l'état d'urgence ;
3. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que pour prononcer l'interdiction contestée, le préfet du Rhône s'est fondé sur les renseignements contenus dans une "note blanche" établie le 22 janvier 2016 par les services de renseignement, faisant état de ce que la manifestation projetée dans une commune où la jeunesse issue de l'importante communauté israélite qui y réside réagit très mal à l'organisation de ce rassemblement, qu'elle perçoit comme une "provocation", risquait de provoquer des troubles à l'ordre public en raison de la possible organisation d'une contre manifestation incluant des supporters de l'équipe israélienne de basket-ball ; qu'eu égard aux risques d'affrontements susceptibles de se produire à l'occasion de cette manifestation, dans une période où, en raison des attentats récemment perpétrés à Paris, les forces de l'ordre se trouvaient mobilisées sur leurs missions prioritaires dont elles pouvaient difficilement être distraites, il y a lieu de considérer qu'en prenant l'arrêté attaqué, le préfet du Rhône a, comme l'ont exactement retenu les premiers juges, pris une mesure nécessaire et proportionnée au risque qu'il cherchait à prévenir ;
4. Considérant que, comme il a été dit au point 2, l'arrêté attaqué est fondé sur le motif déterminant des risques de troubles à l'ordre public susceptibles de se produire à l'occasion de la manifestation projetée ; que les moyens par lesquels l'association requérante critique le second motif de cet arrêté, fondé sur ce que l'appel au boycott de produits d'origine israélienne constituerait une infraction pénale, qui présente un caractère surabondant, doivent, par suite, être écartés comme inopérants ;
5. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non recevoir opposée par le ministre de l'intérieur, l'association "Collectif 69 de soutien au peuple palestinien" n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par son jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande ;
DECIDE :
Article 1er : La requête susvisée de l'association "Collectif 69 de soutien au peuple palestinien" est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à l'association "Collectif 69 de soutien au peuple palestinien" et au ministre de l'intérieur.
Copie pour information en sera adressée au préfet du Rhône.
Délibéré après l'audience du 3 octobre 2017, à laquelle siégeaient :
- M. Jean-François Alfonsi, président de chambre,
- M. Hervé Drouet, président assesseur,
- Mme Nathalie Peuvrel, premier conseiller.
Lu en audience publique le 24 octobre 2017.
Le président, rapporteur,
Jean-François AlfonsiLe président assesseur,
Hervé Drouet
La greffière,
Anne Le Colleter
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
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N° 16LY02638
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